mardi 13 octobre 2020

Et ta vie m’appartiendra - Gaël Aymon

Et si la peau de chagrin de Balzac avait vraiment existé ? Et si l’écrivain en avait été un des propriétaires, subissant la malédiction liée à ce funeste objet ? Et si la peau, passant de main en main depuis plusieurs générations, se retrouvait dans celles d’une jeune fille sans le sou, élevée par une mère indigne, que se passerait-il ? 

Irina, lycéenne vivotant comme elle peut dans une cité de banlieue, hérite suite au décès de sa grand-mère d’un mystérieux artefact capable d’exaucer ses vœux. Devenue richissime, Irina n’accède pas pour autant au bonheur. D’abord parce qu’une mystérieuse organisation semble prête à tout pour mettre la main sur la peau de chagrin. Ensuite parce que la jeune fille comprend vite que chacun de ses vœux, en se réalisant, réduit à la fois la surface de l’objet et son espérance de vie. 

Quel pari de proposer non pas une réécriture de La peau de chagrin mais bien une variation autour du roman de Balzac, une mise en contexte moderne de ce conte à la fois philosophique et fantastique. Comme Balzac, Aymon montre une forme de fatalité liée au destin et insiste sur le fait que la prospérité financière n’est en rien un accomplissement. Au contraire, elle est en permanence source d’angoisse et se traduit par une insondable misère morale. Irina cherche le sens de la vie, son utilité. Vaste question, évidemment, qui restera sans réponse et relèguera le pouvoir absolu engendré par la peau de chagrin au rang des futilités.

L’écriture est nerveuse, le texte vire au thriller et la tension ne cesse de monter sans pour autant laisser sur le chemin les aspects philosophiques et moraux de l’œuvre originelle. Un roman jeunesse aussi complexe que maîtrisé, sans concession, oscillant sans cesse entre suspens, drame et émotion. Bluffant !

Et ta vie m’appartiendra de Gaël  Aymon. Nathan, 2020. 330 pages. 15,95 euros. A partir de 13-14 ans.



Un billet qui signe le retour des pépites jeunesse partagées avec Noukette













mercredi 7 octobre 2020

B.O comme un dieu d’Ugo Bienvenu

B.O a 772 ans et est le dernier représentant de son espèce, le dernier robot sexuel de la galaxie. Ses congénères ont tous disparu parce qu’ils étaient devenus trop dangereux pour la survie de l’humanité. Tellement performants, tellement inépuisables, tellement prêts à se plier aux moindres désirs de ces dames qu'elles préféraient, et de loin, coucher avec des robots plutôt qu’avec des hommes. Résultat, la natalité avait chuté de manière dramatique, ce qui avait poussé les pouvoirs publics à ordonner l’interdiction puis la destruction de ses jouets sexuels aux capacités hors normes.

Sauvé par sa propriétaire qui l’avait caché dans sa cave, B.O. doit constamment agir dans la clandestinité. Sans affect, sans morale ni tabou, il se déplace en toute discrétion chez ses fidèles clientes. Programmé pour satisfaire les moindres désirs, il sait à chaque instant ce qu’il doit faire, quel rythme prendre et quelle méthode utiliser pour procurer du plaisir à sa partenaire. Jamais de baisse de régime, capable tenir toute la nuit et de faire tout ce qu'on lui demande avec efficacité, cette machine à faire jouir inusable est LE sextoy ultime.  

J’adore Ugo Bienvenu, j’ai lu tous ses albums depuis son adaptation de Sukkwan Island et je ne cesse d’être bluffé par sa maîtrise narrative. Il livre ici un récit de science-fiction dans la veine de l’excellent Préférence Système, en beaucoup plus concis et beaucoup plus « sexuellement explicite » (pas pour rien que cet album est publié dans la collection BD Cul des Requins Marteaux). Les parties de jambes en l’air de B.O ne donnent donc pas dans la suggestion mais plutôt dans le réalisme le plus cru, se gardant cependant de tomber dans la vulgarité grâce à une esthétique particulièrement léchée (et c’est rien de le dire, parce que niveau léchage, il sait y faire le B.O.). 

Après, au-delà du cul pour le cul, Bienvenu interroge le rapport entre le plaisir et les sentiments et fait de son robot sextoy un observateur avisé des méandres de la nature humaine. Je vous rassure, le propos ne tourne pas non plus au traité de philosophie, et plutôt que de grands discours, on se tamponne dans tous les coins et dans tous les orifices, ce qui est quand même l'intérêt principal d'un album de ce genre. Au final, un projet couillu et une BD de SF décalée qui, malgré son contenu sans équivoque, ne cède jamais à la facilité de sacrifier le fond pour la forme. C'est suffisamment rare pour être souligné. 

B.O, comme un dieu d’Ugo Bienvenu. Ed. Les Requins Marteaux, 2020. 128 pages. 14,00 euros.





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mercredi 16 septembre 2020

Béatrice - Joris Mertens

Pour Béatrice, vendeuse dans un grand magasin, la vie a tout d’un long fleuve tranquille. Le Bonjour Tristesse qu’elle lit dans le métro résume bien son quotidien. Noyée dans la masse, son manteau rouge illuminant la grisaille de la foule, Béatrice la solitaire tombe un jour dans un hall de gare sur un sac abandonné, rouge lui aussi. Le lendemain, elle se rend compte qu’il est toujours là. Constatant à chacun de ses passages que le sac n’a pas bougé, semblant l’attendre, elle décide de s’en emparer. De retour dans son petit appartement, elle découvre à l’intérieur un album aux photos en noir et blanc. Un album dont elle va tenter de percer les mystères.


C’est toujours casse gueule la BD sans texte, surtout pour des récits au long cours. Il faut trouver le bon rythme, le bon équilibre dans la narration et surtout proposer un découpage à la lisibilité parfaite si on veut faire mouche. Un exercice d’équilibriste où le moindre faux pas peut perdre le lecteur en route. Grégory Panaccione est un maître du genre et son Océan d’amour sa plus éclatante réussite. Joris Mertens est parti pour suivre ses traces tant sa Béatrice est bluffante de maîtrise. Au-delà des aspects purement « mécaniques » de la narration qui fonctionnent à merveille, son tour de force est de parvenir à insuffler sans le moindre mot une émotion d’une rare délicatesse. 

Il y a du Modiano dans cet album. Le Paris du début des années 70, les bistrots, l’enquête menée à partir des souvenirs d’autrui, l’envie de remonter le fil du temps... les points communs sont nombreux. S’y ajoute une petite touche fantastique faisant basculer l’histoire dans une autre dimension. Mais une fois encore tout en finesse, sans jamais en rajouter. Une indiscutable réussite !

Béatrice de Joris Mertens. Rue de Sèvres, 2020. 112 pages. 19,00 euros.




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mercredi 9 septembre 2020

L’instant d’après - Zidrou et Maltaite

Elle était là, à côté de lui dans la voiture, et l’instant d’après… elle avait disparu. Bien sûr, il a été accusé du meurtre de sa fiancée. Comment croire à une disparition si soudaine et si inexplicable ? La sœur de la fiancée décide de mener l’enquête. Très vite, elle découvre que les cas de personnes « se volatilisant » sous les yeux de témoins effarés sont légion : une élève dans une salle de classe en plein devoir, un salarié de bureau entouré de quatre collègues dans un ascenseur, une femme dans une cabine d’essayage, un boxeur en plein entraînement, etc. Plus ses investigations avancent et plus le mystère s’épaissit. Finira-t-il par être percé ? On se le demande jusqu’à la dernière page...


Tout allait bien au départ dans ce polar énigmatique à souhait : une narration nerveuse, une intrigue prenante, des ellipses maîtrisées, un dessin collant parfaitement à l’ambiance, des dialogues aux petits oignons. Et puis boum patatras, le château de cartes si savamment monté s’est écroulé. Je veux bien qu’on laisse à l’imaginaire du lecteur le soin de se mettre en branle, qu’on le laisse interpreter à sa guise des pans entiers de l’histoire, voire qu’on lui demande de phosphorer pour participer activement à la résolution du problème. Mais à ce point-là, franchement, et je pèse mes mots, c’est du foutage de gueule !

Rien ne sera dévoilé sur le pourquoi du comment des disparitions. Pas un indice, aucune piste, nada. C’est trop facile de mettre en place un tel casse-tête sans en donner la solution. Vous imaginez si Gaston Leroux avait conclu Le mystère de la chambre jaune sans laisser Rouletabille révéler le fin mot de l’histoire ? Ça n’aurait eu aucun sens. Et aucun intérêt. Exactement l’impression que j’ai ressentie en refermant cet album.

L’instant d’après de Zidrou et Maltaite. Dupuis, 2020. 56 pages. 14,50 euros.

L'avis de Mo'



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mercredi 2 septembre 2020

West legends T2 : Billy the Kid - Christophe Bec, Lucio Leoni - Emanuela Negrin

Nouveau Mexique, été 1878. Dans la ville de Lincoln, une guerre larvée entre deux clans locaux se termine dans un bain de sang après trois jours d’échanges de tirs. Parmi les protagonistes, un gamin à peine sorti de l’adolescence surnommé par ses camarades Billy the kid s’impose malgré son jeune âge comme un leader charismatique.

Basée sur histoire vraie, cette mise en image d’un célèbre épisode de la conquête de l’Ouest baptisé « Guerre du comté de Lincoln » par les historiens se focalise sur la figure légendaire de William Henry Bonney, alias Billy The Kid. Alors âgé de 17 ans, Billy montre un sang-froid et un courage à toute épreuve. Celui qui n’est pas encore un des hors-la-loi les plus recherchés du pays se montre aussi sûr de lui que provocateur. Sa détermination guide ses acolytes, conscients d’avoir à leurs côtés un dur à cuir doublé d’un tireur émérite.  

Comme dans le premier tome de cette série dédiée aux légendes de l’Ouest, l’album ne se veut pas une biographie complète mais plutôt un focus sur un événement particulier. Trois jours donc dans la vie de Billy et de sa bande, avec quelques flashbacks expliquant pourquoi les choses en sont arrivées là. Le résultat est très factuel, l’action prime sur l’analyse psychologique et le portrait dressé entretient le mythe Billy the Kid, jusqu’à sa mort trois ans plus tard, toujours au Nouveau Mexique, sous les balles du shérif Patt Garett.

Deuxième personnage légendaire passé au crible de cette collection de récits complets qui comptera en tout six volumes et deuxième réussite. Le troisième, consacré à Sitting Bull, sort aujourd’hui. Je vais évidemment m’y plonger dès que possible.

West legends T2 : Billy the Kid : The Lincoln County War - Christophe Bec, Lucio Leoni et Emanuela Negrin. Soleil, 2020. 72 pages. 15,95 euros.





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lundi 31 août 2020

Nord-Est - Antoine Choplin

On ne sait pas où, on ne sait pas quand, on ne sait pas pourquoi, mais on sait qui. Garri, Emmett, Jamarr et Saul vivaient depuis des années emprisonnés dans un camp dont les portes se sont ouvertes récemment. Maintenant que plus rien ne les retient, ils ont décidé de partir à pied vers les plaines du Nord-Est. Là-bas, la vie sera forcément moins difficile : « Si tu as connu les plaines du Nord-Est comme elles l’étaient à l’époque, alors forcément, tu as envie d’y retourner […]. Et il n’y a pas un autre endroit où tu as plus envie d’aller que celui-là. D’ailleurs tu te poses même pas la question d’aller ailleurs que là. »

Dans le quatuor, Garri est le meneur. Jamarr, grand costaud un brin colérique rabroue souvent Emmett, le jeunot simple d’esprit tandis que Saul le poète muet suit la troupe en silence. En chemin, ils vont croiser la route de rares villageois isolés. Leurs pas vont les mener aux pieds d’imposantes montagnes dont l’ombre menaçante ne suffira pas à les décourager. Après nombre d’obstacles, de rencontres, de drames et de situations compliquées, les marcheurs parviendront à leurs fins. Et si la terre promise ne tiendra pas forcément ses promesses, les efforts communs produits pour mener à bien leur projet renforceront leurs liens et leur part d’humanité.

Un roman où il faut accepter de se laisser prendre par la main sans se poser de questions. Une fois encore, la sobriété de l'écriture d'Antoine Choplin fait mouche, tout en pudeur et en retenue. Une fois encore la tendresse et l'affection qu'il porte à ses personnages touchent en plein coeur. 

Un roman aux accents parfois contemplatifs qui interroge sur l'exil. Un roman plein d'altruisme et de fraternité qui, comme dans le superbe "La nuit tombée", insiste sur l'importance de l'amitié et de l'entraide pour survivre au chaos. 

Nord-Est d’Antoine Choplin. La fosse aux ours, 2020. 200 pages. 18,00 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Noukette (y avait longtemps !)







vendredi 21 août 2020

Beyrouth entre parenthèses - Sabyl Ghoussoub (rentrée littéraire)

 

« Pas besoin d’avoir fait de grandes études pour comprendre que lorsqu’on est libanais, Israël, on n’y va pas. »

C’est pourtant le voyage improbable que souhaite entreprendre le narrateur, né en France de parents libanais. Un voyage pour découvrir le pays qu’on lui a appris à haïr depuis son enfance. Et s’il souhaite arpenter les terres ennemies de son peuple en simple touriste, il constate à regret durant le vol le rapprochant de Tel Aviv que, malgré ses bonnes intentions, dans son esprit, « Israël redevient Israël, ce pays illégitime. » 

A la descente de l’avion, son passeport français ne suffit pas à lever les doutes sur ses origines. Mis sur le grill par des agents de sécurité pendant des heures dans les locaux de l’aéroport, le jeune homme se voit poser sans cesse les mêmes questions et finit par s’interroger sur sa propre identité : « Pour venir jusqu’à vous, j’ai dû oublier qui j’étais, mon histoire, celle de ma famille. J’ai mis Beyrouth entre parenthèses. Je n’ai plus de prénom, ni de nom. Mon nom est personne. Je ne suis plus rien, je ne suis même plus moi ou peut-être que si justement, je ne l’ai jamais été autant. Je ne sais pas. »

Un court roman qui, sous le vernis d’une certaine désinvolture, aborde avec profondeur la difficulté de s’affranchir de l’héritage familial pour construire son propre récit personnel. Et si la volonté d’émancipation est bien présente, le narrateur va se rendre compte avec fatalisme qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, sans pour autant s’appesantir sur son sort. Le ton oscille entre légèreté et gravité, l’humour se mêle à la tendresse et si la colère affleure, elle ne déborde jamais plus que de raison.

Au final cette tragicomédie saupoudrée d’une bonne dose d’autodérision associe l’histoire très personnelle d’une quête identitaire à l’inextricable complexité du conflit israélo-palestinien. Le projet était aussi ambitieux que casse-gueule mais Sabyl Ghoussoub a su maîtriser son sujet avec brio pour signer un deuxième roman à la fois touchant et provocateur.

Beyrouth entre parenthèses de Sabyl Ghoussoub. L’Antilope, 2020. 130 pages. 16,00 euros. 








dimanche 16 août 2020

Sur l’alcool - Charles Bukowski

 

« La picole est un substitut à la compagnie des autres et un substitut au suicide. C’est un mode de vie complémentaire. Je n’aime pas les ivrognes, mais je suppose qu’il m’arrive d’en être un, moi aussi. Amen. »

Chic, un nouveau Bukowoski ! Sauf que pas vraiment en fait. L’homme a beaucoup écrit et tout ou presque a été publié. Du coup on compile, on recycle. On donne dans le recueil thématique, pour entretenir le mythe et offrir de la pseudo nouveauté. Alors oui, il y a des inédits dans ce recueil. Des lettres, quelques poèmes, des trucs parus dans d’obscures revues aujourd’hui introuvables. Des inédits de fond de tiroir associés à une compilation de textes déjà publiés ailleurs, ça sent le réchauffé à plein nez. Du moins pour ceux (comme moi) qui ont lu tout Bukowski en long, en large et en travers. 

Pour les autres ça peut être une entrée en matière intéressante. Si on accepte le côté fourre-tout du mélange des genres. Nouvelles, extraits de romans, correspondances, bouts d’interview, poèmes, ça part dans tous les sens. Avec quand même la beuverie pour point commun à l’ensemble, histoire de donner un minimum de cohérence (même si la beuverie est le fil directeur de toute son œuvre finalement).

Au programme donc un Bukowski égal à lui-même : alcoolique, misanthrope, joueur, bagarreur, queutard et grande gueule. Le décor est classique lui aussi, entre bars louches, cellules de dégrisement, hôtels miteux et hôpitaux pour indigents. Tout est gris, crasseux, déprimant, avec la misère, l’alcool, l’écriture et les femmes pour seul horizon. J’ai aimé retrouver la fluidité et la simplicité de son style très oral, sans filtre ni langue de bois, et bien sûr une sacrée dose d’autodérision couplée à une absence totale d’amour propre qui restent à mes yeux ses deux plus grandes qualités. 

Du réchauffé donc, mais du réchauffé qui peut permettre aux néophytes de découvrir les fondamentaux du mythe Bukowski et la diversité sans limite de sa production. A vous de voir...

Sur l’alcool de Charles Bukowski (traduit de l’anglais par Romain Monnery). Au Diable Vauvert, 2020. 360 pages. 20,00 euros. 









mercredi 12 août 2020

Étés anglais - Elizabeth Jane Howard

Été 1937. La famille Cazalet s’apprête à quitter Londres pour passer deux mois dans sa résidence du Sussex. Les parents sont déjà sur place ainsi que leur quadra de fille célibataire et les trois fils vont bientôt débarquer avec femmes, enfants et domestiques. L’entreprise familiale prospère grâce au commerce du bois exotique mais, tandis que la situation internationale se tend à cause d’un fou furieux moustachu venu d’Allemagne, les Cazalet vont tenter d’anticiper les effets de l’inéluctable guerre à venir.

Cette saga familiale avec pour décor la campagne anglaise sous le soleil d’été était clairement une lecture de vacances parfaite. Des intrigues qui s’entrecroisent, de la légèreté, pas mal de futilité avec un arrière-plan historique plus dramatique, et évidemment quelques secrets de famille dont on imagine les répercussions futures (ce n’est que le premier tome d’une pentalogie), les ingrédients étaient alléchants. 

Il n’y a pas de chapitres à proprement parler mais plutôt une succession de paragraphes se focalisant chacun leur tour sur un personnage. Des personnages tellement nombreux qu’il faut rester sacrément attentif pour ne pas s’y perdre. À ce titre, l’arbre généalogique en début d’ouvrage est d’une grande utilité. Cela étant, la lecture n’a rien d’exigeant (on n’est pas dans Confiteor non plus), la simplicité reste de mise et une fois tout le monde bien identifié la mécanique narrative se déploie sans le moindre accroc. L’époque est parfaitement rendue et ce portrait de la bourgeoisie anglaise de l’entre-deux guerres relève presque de l’anthropologie. 

L’intérêt majeur de ce pavé réside sans conteste dans la variété des personnages. Hommes, femmes, enfants, chacun possède son propre caractère, chacun se voit accorder l’attention qu’il mérite et les interactions entre tous fonctionnent à merveille. La famille dans l’ensemble s’entend bien, il n’y a pas de grosses tensions entre les différents membres, pas de jalousie ni de méchanceté, même si évidemment certains ne sont pas exempts de défauts ni de comportements « coupables ». 

Franchement je me suis régalé. Ce n’est pas de la grande littérature mais quel plaisir d’avoir passé quelques heures de lecture aux côtés d’un clan familial aussi soudé et aussi magistralement mis en scène. La suite sort en octobre, j’ai hâte d’y être.

Étés anglais d’Elizabeth Jane Howard (traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff). La Table Ronde, 2020. 560 pages. 24,00 euros.



dimanche 19 juillet 2020

Deux en un

Un petit billet deux en un pour parler rapidement de mes deux dernières lectures. Une française et une américaine, histoire de varier les plaisirs.


« De l’enfance, Vanda garde un tas de souvenirs qu’elle ne raconte à personne. Elle est de ces gens dont on pense qu’ils sont nés adultes, ici et maintenant, même immatures. Les failles sont palpables, la fragilité évidente, mais elle livre si peu. On sait qu’elle est arrivée ici il y a plus d’une dizaine d’années, et certains l’ont connue à l’époque. Avant ça, rien. »

Un roman social doublé d’un beau portrait de femme et de mère, tout en noirceur et plein d’aspérités qui vous écorchent le cœur, je ne pouvais qu’aimer un texte aussi sombre et un poil désespéré dont la fin ne m’a pas surpris le moins du monde. Une tragédie moderne ne laissant pas de place aux bons sentiments, portée par une langue vive et sans chichi, à la fois sensible et abrasive. Je ne suis pas près d’oublier Vanda et je remercie chaleureusement la blogueuse qui a eu la gentillesse de m’offrir ce superbe roman.

Vanda de Marion Brunet. Albin Michel, 2020. 235 pages. 18,00 euros.



« Michael se sentait plein d’optimisme. Il allait commencer un nouveau boulot. Sa vie serait différente, cette fois-ci, parce qu’il en avait décidé ainsi. Il devait se rappeler qu’aller travailler tous les jours, garder la tête basse, c’était comme ça que la plupart des gens s’en sortaient. Petit à petit. Inutile de désirer des choses qu’il ne pouvait pas se permettre d’avoir. Il n’y avait pas de moyen honnête de les acquérir. »

Un taulard qui sort de prison bien décidé à se racheter une conduite. Un privé adepte du racket qui lui met la pression et finit par le tremper dans ses combines, ça ne pouvait que mal se terminer. A peine libéré est un polar urbain qui parle de rédemption sur fond d’amour de la littérature, avec Washington comme décor. Le cocktail est typique de Pelecanos, un auteur dont j’ai lu les vingt romans publiés en français et dont je ne me lasse toujours pas, même s’il ne cesse d’utiliser les mêmes ingrédients : la capitale américaine, sa transformation au fil des décennies, sa violence, sa population à la marge, ses petits restos et ses rues pas toujours fréquentables. La recette est immuable, le résultat jamais décevant, aucune raison de s’en priver.

A peine libéré de George Pelecanos (traduit de l’anglais par Mireille Vignol). Calmann Levy, 2020. 265 pages. 19,90 euros.