mardi 14 avril 2020

Bamba - Anne Loyer

Bamba a dix-sept ans, un meilleur ami surnommé Mozart, une passion pour la danse et, depuis bientôt quelques mois, un bébé sur les bras. Kylian et ses 3 kilos à la naissance sont un souvenir du beau Noah, auquel elle n’aura succombé qu’une fois et qui jamais ne saura qu’il est devenu papa. Rejeté par les siens, Bamba fuit son foyer et trouve refuge à la campagne chez un vieil instituteur taiseux qui l’accueille sans la juger. Commence alors pour elle une difficile existence de mère-célibataire pas encore sortie de l’adolescence.

Après La fille sur le toit et Celle que je suis, Anne Loyer dresse une nouvelle fois le portrait d’une jeune fille bousculée par la vie, en rupture avec sa famille, en proie au doute, ne sachant pas vraiment quelle direction prendre. Et une fois encore il y a dans ce portrait de la colère mêlée à une recherche d’indépendance, une volonté de se prendre en main, de s’émanciper, de s’assumer pour faire en sorte que le futur ne dépende que de soi-même.

Ça fait du bien parce que ça positive sans idéaliser à outrance, c’est optimiste mais ça reste fragile. Ça fait du bien parce que c’est plein d’altruisme mais ça ne tombe pas dans un angélisme naïf. Bamba la forte tête est du genre à mordre la main qui lui est tendue. Maladroite dans ses rapports aux autres, parfois immature, toujours portée par une farouche volonté de se débrouiller sans l’aide de personne, elle finit par se laisser amadouer et se rendre à l’évidence : les gens qui lui veulent du bien n’attendent rien en retour.

Au final point de solution trouvée d’un coup de baguette magique, tout reste en suspens. Il y a juste une porte qui s’entrouvre, laissant passer un rai de lumière. On se doute que Bamba va s’y engouffrer mais on la laisse sur le seuil avec l’envie de lui souhaiter bonne chance pour la suite. Et on la quitte à regret, triste de s’éloigner d’une jeune fille si attachante dont on voudrait pour toujours rester proche.

Bamba d’Anne Loyer. Editions du Rocher, 2020. 210 pages. 12,90 euros. A partir de 13 ans.




Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette




mardi 7 avril 2020

Arthur Cauquin au Yémen - Alain Bonnand

Avril 2006. Arthur Cauquin, expatrié au Yémen avec femme et enfants, travaille pour une grosse multinationale. Laurence, célibataire et fonctionnaire, vit à Orléans. Arthur et Laurence se sont rencontrés pendant un séjour d’Arthur dans le Loiret. Depuis, c’est l’amour fou et leurs échanges se font par écrans interposés. A distance, ils entretiennent la flamme de leurs désirs réciproques. Des mots, des images, des situations, des confidences pimentent leur relation dans l’attente de leurs prochaines retrouvailles.

Laurence n’est pas farouche, Arthur est volontiers prêteur. Plutôt que de se morfondre, la plantureuse quinqua multiplie les expériences avec des hommes venus de tous horizons, sans jamais renier son amour fou pour Arthur. Celui-ci l’incite d’ailleurs à ne pas se laisser abattre et l’encourage surtout à lui raconter ses « exploits » dans les moindres détails. Il se permet même de se faire passer pour la belle sur des sites de rencontre afin de lui choisir les étalons qu’il estime les plus à même de la satisfaire. Une drôle de relation, certes étrange, mais qui n’apparaît en aucun cas malsaine à la lecture de leurs échanges.

Rien de tordu ou de pervers donc, simplement l’expression de jeux érotiques d’adultes consentants à l’aise dans leur sexualité qui cherchent à s’émoustiller réciproquement. L’écriture a un petit quelque chose de suranné qui lui donne beaucoup de charme. Entre Arthur et Laurence point de sextos bourrins et sans fioritures accompagnés de gros plans ne laissant aucune place à l’imagination. Ici la vulgarité n’est pas de mise, le langage se veut soutenu et le propos donne davantage dans la suggestion que dans la description pornographique sans finesse.

Une lecture rafraîchissante, Alain Bonnand retrouve l’esprit de l’excellent « Il faut jouir Edith », on sent à quel point il a lui-même pris plaisir à imaginer les discussions de ses tourtereaux. A moins que rien de cela n’ait été inventé…

Arthur Cauquin au Yémen d’Alain Bonnand. Serge Safran éditeur, 2020. 220 pages. 17,90 euros.


PS : compte tenu des événements actuels, la sortie du roman prévu le mois dernier a été repoussée à début mai. Une version numérique est néanmoins disponible à tout petit prix, il serait dommage de s’en priver.

Une lecture commune partagée avec Noukette.



Le 1er mardi c'est toujours permis chez Stephie










mardi 31 mars 2020

Ma story - Julien Dufresne-Lamy

« Dans mon canapé, je prends déjà conscience que l’émission n’est qu’une version déguisée de mon aventure. Je suis double, dénaturée, presque schizophrénique. Et parfois devant les images à la télé, je ne sais plus vraiment qui je suis. Je me sens aliénée. »

Batool, 15 ans, lyonnaise d’origine turque, a été choisie pour participer à la célèbre émission « Le dernier survivant ». Une expérience hors norme, sur les îles Fidji, où esprit de compétition, alliances fragiles, amitiés fluctuantes et trahisons en tout genre ont rythmé son quotidien. De retour en France, elle constate au moment de la diffusion de l’émission que la production a choisi de lui faire endosser le rôle de la guerrière sans scrupule. Le montage travestit complètement la façon dont les choses se sont passées et elle ne se reconnaît pas dans le portrait qui est fait d’elle au fil des épisodes. Pire encore, une phrase prononcée par la jeune fille sortie de son contexte va la rendre odieuse aux yeux du public. Insultée et menacée sur les réseaux sociaux, rejetée par une partie de sa famille et ses camarades de classe, dépassée par les événements, Batool va peu à peu perdre pied.

Un petit roman qui décrit avec justesse le mécanisme de la manipulation médiatique, des rumeurs, fake news et autres dérives propres aux réseaux sociaux. Prise dans la tourmente, Batool ne peut rien faire pour arrêter le tourbillon de haine qui l’emporte. Le temps sera certes son meilleur allié car une polémique en chasse une autre et l’actualité brûlante d’un jour peut vite tomber aux oubliettes le lendemain. Mais les traces de la haine restent bien présentes et la reconstruction n’a rien d’un long fleuve tranquille après un tel traumatisme.

Julien Dufresne-Lamy n’en rajoute pas, il décrit les choses avec réalisme mais sans sombrer dans une dramatisation qui mènerait à un point de non-retour. Batool est forte, elle encaisse, elle prend sur elle, elle vacille mais ne s’écroule pas et au final elle saura passer outre pour avancer en laissant derrière elle cette douloureuse expérience. Une jolie façon de montrer que malgré les dégâts engendrés la résilience est toujours possible.

Ma story de Julien Dufresne-Lamy. Magnard jeunesse, 2020. 96 pages. 5,90 euros. A partir de 13 ans.



Une pépite jeunesse comme d'habitude partagée
avec Noukette






mardi 24 mars 2020

La Divine - Gwladys Constant

Quand sa tante Véra lui a fait découvrir Elie Emerson, un chanteur inconnu, Ludivine ne pouvait pas se douter qu’il allait par la suite occuper une place centrale dans sa vie. D’emblée les textes, la voix et l’univers du jeune homme avaient ensorcelé la collégienne. Avec lui elle avait découvert la force de l’écriture et de la poésie. Du premier concert plutôt confidentiel aux Zéniths, du passage de son statut d’espoir de la chanson à celui de star en puissance, elle n’avait cessé de suivre sa progression. Jusqu’au jour où ils se rencontrèrent pour la première fois…

Le résumé ci-dessus pourrait clairement laisser penser à une bluette de groupie gnangnan aveuglée par sa passion pour un artiste qui l’ignore superbement, mais les choses sont loin d’être aussi convenues. Certes, Elie Emerson en chanteur écorché vif à la Damien Saez a des aspects assez caricaturaux. Mais c’est à travers l’évolution du personnage de Ludivinie que le texte prend toute sa dimension. Au fil des années sa passion pour Elie ne faiblit pas mais entre la collégienne aux yeux plein d’étoiles devant son idole et l’étudiante en littérature à la Sorbonne suivant toujours de très près la carrière du chanteur, sa personnalité n’aura de cesse de s’affirmer et de se complexifier.

La Divine est bien plus un portrait de femme qu’un portrait de fan. Une femme au tempérament clame et doux, indépendante et cultivée, difficilement influençable et d’une grande maturité. Une femme moderne que j’ai admirée avec beaucoup de respect au fil des pages de cet excellent roman jeunesse.

La Divine de Gwladys Constant. Alice éditions, 2020. 140 pages. 12,00 euros. A partir de 13-14 ans.




Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette









mercredi 11 mars 2020

Dracula - Georges Bess

Un petit billet express qui va aller droit au but : ce Dracula en BD est une incroyable adaptation du roman de Bram Stoker ! Incroyable de fidélité tant les personnages, la chronologie et les événements collent à l’original. Incroyable dans la restitution à la fois gothique, baroque et romantique de l’ambiance créée par Stoker. Incroyable aussi et surtout visuellement tant le travail de Georges Bess est à couper le souffle. Détails, cadrage, découpage, mise en scène, c’est d’une virtuosité folle !

Sans folklore kitsch, s’inspirant de l'expressionnisme allemand, le graphisme restitue toute l’angoisse, la peur et la folie qui traversent le récit. C’est dense, fouillé, précis et en même temps parfaitement fluide.

Chaque élément est travaillé à l’extrême, des décors aux costumes en passant par les attitudes, les visages et les représentations de la monstruosité du vampire. Et puis ce noir et blanc quoi ! Un noir et blanc d’une intensité et d’une profondeur phénoménales qui souligne à merveille les contrastes entre l’ombre et la lumière. Même les aspects sanguinolents de l’histoire sautent aux yeux sans la moindre trace de rouge, un vrai tour de force.

L’équilibre entre la fidélité à l’œuvre originale et une liberté formelle totale offre au final un résultat bluffant où la démonstration graphique ne cesse à aucun moment de rester au service du texte. Du très grand art !

Dracula de Georges Bess. Glénat, 2019. 208 pages. 25,50 euros.


PS : un grand merci et un gros bisou à celle qui a eu la gentillesse de glisser cet album sous mon sapin à Noël.



Toutes les BD de la semaine sont chez Stéphanie





















mardi 10 mars 2020

Soleil glacé - Séverine Vidal

En plein chagrin d’amour, Luce apprend le décès de son père. Un père qu’elle n’a pour ainsi dire pas connu et dont elle découvre la deuxième vie le jour de l’enterrement en voyant au cimetière sa maîtresse et ses deux enfants. Parmi eux il y a Pierrot, un demi-frère né à peine sept mois après elle. Pour l’étudiante le choc est rude, d’autant plus que Pierrot n’est pas tout à fait un garçon comme les autres. Souffrant du « X fragile », un syndrome génétique causant un retard cognitif, des difficultés de langage et des troubles du comportement, Pierrot passe ses semaines dans un foyer pour adultes handicapés. C’est là-bas que Luce va peu à peu apprendre à connaître ce frère tombé du ciel avec lequel elle va développer des affinités loin d’être évidentes à la base.

Je ne l’ai pas vu venir ce roman bouleversant qui a fait fondre mon cœur de glace en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Je lis Séverine Vidal depuis des années et je suis scotché de constater à quel point son sens du récit ne cesse de progresser de livre en livre. Ici, elle a pris d’énormes risques. Risque de passer à côté du personnage de Pierrot, tellement difficile à mettre en scène avec crédibilité. Risque de laisser le lecteur regarder de loin son histoire en spectateur pas franchement concerné. Risque de sombrer dans le miel et la guimauve en donnant dans le sirupeux tire-larmes cucul la praline (rayez la mention inutile).

Il y a bien sûr Pierrot dans cette histoire mais il y a surtout Luce. Luce et sa colère, Luce et sa rage au ventre, Luce en guerre contre le monde entier qui va peu à peu sortir de l’ombre pour gagner la lumière. Une fille forte et fragile, à l’humour ravageur, débrouillarde, fonceuse, protectrice, à la fois pleine de doutes et de certitudes. Le duo qu'elle forme avec son frère fonctionne dans la mesure où il n’a rien d’un long fleuve tranquille, où sur leur chemin vont se mêler petites victoires et situations de crise, complicité naissante et besoin d’apprendre à se connaître. Ces deux-là ont vécu leur enfance en parallèle et doivent maintenant rattraper le temps perdu. Avec tout ce que cela implique d’aspérités, de moments d’incompréhension, de partage et de grâce.

Une pépite jeunesse indispensable, à lire d’urgence.

Soleil glacé de Séverine Vidal. Éditions Robert Laffont, 2020. 245 pages. 16,50 euros. A partir de 15 ans.




Une nouvelle lecture commune partagée avec Noukette















vendredi 6 mars 2020

Le livre des départs - Velibor Colic

Quel plaisir de retrouver ce cher Velibor Colic ! Après son excellent Manuel d’exil en trente-cinq leçons, il remet le couvert pour nous narrer ses pérégrinations de réfugié politique bosniaque débarqué en France en 1992.

Une fois encore, le personnage détonne. Du haut de son mètre quatre-vingt-quinze et de ses 110 kilos, Velibor cherche à trouver sa place. De l’Alsace à la Bretagne en passant par Marseille, le Brésil, la Suède et un rapide retour au pays natal, d’un CDD à la médiathèque de Strasbourg à un job de déménageur en Allemagne en passant par une résidence d’auteurs de quelques mois et des ateliers d’écriture en maison d’arrêt, Velibor enchaîne les aventures. Professionnelles, personnelles et littéraires. Amoureux des mots, il publie son premier roman en français (le fabuleux Archanges) en 2008. Amoureux des femmes, il collectionne les aventures et les désillusions. Amoureux de la dive bouteille, il traîne ses savates dans les bars pour écouter du jazz et se frotter aux piliers de bistrots de chaque ville où il pose ses valises.

Inutile de vous dire que je suis fan d’un tel personnage. Ses saillies verbales sont un régal, comme son autodérision, son regard sans concession sur l’administration, son ironie mordante, sa façon bien à lui de ne jamais oublier son statut d’exilé et sa définition de ce qu’est un écrivain, à savoir « une sorte d’ivrogne illuminé, un vagabond anarchiste sans foi ni loi. »  Et quand une amie lui demande s’il pense que tous les écrivains sont forcément des ivrognes, il lui répond du tac au tac : « Non, seulement les meilleurs. »

De courts chapitres, beaucoup de digressions, quelques aphorismes bien sentis, un humour mêlé de désespoir, une réelle souffrance sous le vernis du burlesque, il n’en faut pas plus pour me faire succomber.

Comment ne pas aimer un auteur ayant pour références absolues Fante, Bukowski, Hemingway, Henry Miller et Emily Dickinson ?

Comment ne pas aimer un homme qui, à propos de son statut de migrant, déclare sans amertume mais avec lucidité : « L’exil est bipolaire. L’exil est une balance aussi. Mesurer le poids métaphysique de nos gains et de nos pertes. Comparer sans cesse. Inventer en même temps son passé et son avenir. Échanger la citoyenneté pour un statut. » Et sur ses difficultés à maîtriser le français à son arrivée de Bosnie : « Je suis étranger juste par mon incapacité à parler la belle langue française. Réduit, anéanti, retourné dans l’illettrisme. Et c’était effroyable. Un homme qui ne dit jamais rien, qui ne sait rien, et qui est pauvre de surcroît, passe forcément pour un idiot. Une ombre. »

Une ombre lumineuse dont chaque livre m’a enchanté. Et celui-ci ne déroge clairement pas à la règle.

Le livre des départs de Velibor Colic. Gallimard, 2020. 180 pages. 19,00 euros.








mercredi 4 mars 2020

Le chanteur perdu - Didier Tronchet

Ah, ce Jean ! Clairement le personnage de BD le plus attachant que j’ai rencontré depuis très longtemps (même si le Germano de Senso était pas mal dans son genre lui aussi). Imaginez un bibliothécaire qui fait un burn-out. Déjà, ça classe le bonhomme dans une catégorie à part. Imaginez que pendant sa convalescence, ledit bonhomme fasse le point sur sa vie sans relief et décide sur un coup de tête de retrouver un chanteur qui a marqué sa jeunesse, un chanteur ayant enregistré un seul disque et qui a disparu des radars juste après. Un chanteur des années 70 dont il doit être le seul et unique fan et qu’il compte bien retrouver, même s’il ne sait pas vraiment pourquoi.

Après cette entrée en matière, l’hameçon était  lancé, je me suis jeté dessus à pleine dents. Ferré, je n’ai pas pu lâcher l’album jusqu’à son terme, incapable d’abandonner Jean dans sa quête du chanteur perdu. Je l’ai donc suivi dans les rues de Morlaix, sur la plage de Berck et les falaises du Cap Gris-Nez, dans une hutte de la baie de Somme et un vieux troquet de Paris, jusqu’à l’île aux Nattes, un caillou de 3 km carrés au large de Madagascar. Avec lui j’ai rencontré une documentaliste à l’ancienne, un garagiste amateur de crêpes, la fille d’un pendu, un comique insomniaque, un ornithologue pas très observateur, un directeur d’hôpital pour enfants fier de son parcours et un Pierre Perret  toujours en forme malgré le poids des ans.

Jean mène son enquête au feeling, avançant au fil de découvertes et de déductions improbables, se demandant souvent ce qu’il est train de faire et ne sachant pas pourquoi il s’acharne autant. Il y a comme toujours chez Tronchet une profonde tendresse pour ses personnages, un rapport incessant à l’enfance et à la mémoire et une progression du récit de l’ombre vers la lumière. Progression non linéaire évidemment, ce brave Jean ne cessant de se tromper, d’échouer, d’avancer, de passer du découragement à l’euphorie et inversement.  C’est simple, c’est beau, c’est touchant, c’est drôle, mélancolique et plein de vie.

Un bijou d’album, ni plus ni moins.

Le chanteur perdu de Didier Tronchet. Dupuis, 2020. 168 pages. 23,00 euros.


PS : Le pire (ou le meilleur), c’est que le chanteur perdu existe vraiment. Didier Tronchet l’a retrouvé dans une petite île de Madagascar. Sa véritable histoire est racontée à la fin de l’album, photos à l’appui. Et sur le site www.tronchet.com il est possible d'écouter toutes les chansons citées dans le livre.





Les BD de la semaine sont aujourd'hui chez Noukette !














dimanche 1 mars 2020

Dans la gueule de l’ours - James A. McLaughlin

Traqué par un cartel mexicain, Rice Moore trouve refuge dans une réserve naturelle du fin fond des Appalaches. Engagé comme garde forestier, il découvre sur le territoire dont il a la charge des carcasses d’ours affreusement mutilées. Bien décidé à piéger les coupables, Rice doit faire face à l’hostilité d’une population locale ne voyant pas d’un bon œil ses velléités de justicier. Décidé à agir seul et à faire profil bas pour ne pas attirer l’attention sur lui et griller sa couverture, Rice met au point une stratégie qui, au final, pourrait lui coûter très cher.

Une lecture sympa mais pas transcendante. Une lecture de vacances parfaite, que j’ai eu plaisir à retrouver dès que l’occasion se présentait mais qui ne m’aura pas marqué plus que ça. La faute à des personnages sans relief qui n’ont pas attiré ma sympathie et à une intrigue partant un peu dans tous les sens, sans véritable point de force pour structurer l’ensemble. Reste le côté « nature writing » très présent, la beauté sauvage de la région des Appalaches extrêmement bien restituée et une vraie sensibilité pour la faune et la flore de ce décor exprimée au fil de superbes descriptions.

Les passages oniriques et les dérives hallucinées de Rice entrant en osmose avec l’environnement qu’il s’escrime à préserver m’ont laissé de marbre (je ne suis malheureusement pas un adepte de sylvothérapie, les câlins aux arbres, ce n’est pas mon truc) et j’avoue avoir suivi ses mésaventures de loin, ne me sentant pas vraiment concerné, ni par sa quête des braconniers ni par sa volonté d’échapper aux trafiquants mexicains. Dernier point négatif pour moi, le happy end final règle les problèmes trop facilement et sans convaincre.

Un roman noir aux accents ruraux typiques d’une frange de la littérature américaine actuelle très prisée des éditeurs français. Rondement mené mais sans surprise et sans véritable épaisseur, il ne se distingue nullement de la (sur)production actuelle dans ce domaine. Après, c’est un premier roman, je vais donc faire preuve d’indulgence et me dire que James A. McLaughlin reste un auteur à suivre.

Dans la gueule de l’ours de James A. McLaughlin (traduction de Brice Matthieussent). Rue de l’échiquier, 2019. 438 pages. 23,00 euros. 












mercredi 26 février 2020

Mojo Hand - Arnaud Floc’h

1926, dans les marais de Louisiane, après une tempête. Wilson Darbonne trouve un gamin de 2 ans endormi près d’un tronc d’arbre. Orphelin ou abandonné, l’enfant n’a aucune chance de survie, seul dans le bayou. Wilson le ramène chez lui et, au grand dam de sa femme, décide de le garder. Il faut dire que Wilson est noir et le bambin « blanc comme un ver ». Baptisé Bellerophon et surnommé Bello, l’enfant grandit auprès de Cleytus, le fils aveugle des Darbonne. Devenus des frères de cœur, les garçons vivent ensemble dans la cabane de la famille en pleine forêt, isolés du monde extérieur. Il faut dire que si on découvrait qu’un noir a « volé » un enfant blanc et l’a élevé comme l’un des siens, le châtiment pour Wilson serait terrible.

Au fil des années, Bello et Cleytus développent une passion commune pour la musique qui les pousse à sortir du bayou pour aller faire quelques concerts dans la ville la plus proche. Cleytus est rapidement considéré comme un virtuose de la guitare tandis que Bello se contente de l’accompagner au banjo. De plus, ce dernier constate qu’il n’est pas le bienvenu dans les bars noirs où ils se produisent. Peu à peu les relations entre les deux musiciens vont se distendre, au point de fissurer des liens qui semblaient pourtant indéfectibles.

Avec un tel postulat de départ, on imagine facilement la tragédie à venir. Deux « frères » de couleur différente dans la Louisiane des années 30-40 jouant de la musique ensemble, ça ne pouvait que tourner au  vinaigre et finir par un lynchage. Mais Arnaud Floch n’a pas choisi de mener son récit là où tout le monde l’attendait. La tragédie survient bien, pas la peine de cacher cette évidence, mais la tournure prise par les événements est vraiment inattendue. L’évolution des relations entre Bello et Cleytus est tortueuse, complexe. Chacun souffre à sa façon, chacun exprime sa souffrance à sa façon, et tous deux vont être emportés par leurs démons intérieurs.

Le dessinateur de l’excellent Emmett Till restitue une fois de plus à merveille l’ambiance  du Sud profond. La chaleur poisseuse du bayou, les chanteurs de blues au coin des rues ou dans les clubs, la misère qui a suivi la crise de 29 et la ségrégation partout présente offrent une plongée saisissante dans une époque particulièrement troublée. Une belle réussite !

Mojo Hand d’Arnaud Floc’h. Sarbacane, 2019. 112 pages. 19,50 euros.




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