dimanche 15 décembre 2019

Slots - Dan Panosian

« Il s’avère que je suis un peu un connard. »

J’aime qu’un personnage se présente en toute franchise et avec lucidité. Stanley est un connard, un vrai. Un gars qui a trompé sa femme avec celle de son meilleur copain et qui, le lendemain matin, constatant que son amante avait succombé à une overdose, s’est barré en laissant derrière lui une épouse, un enfant en bas âge et un meilleur ami très, très énervé.

Vingt ans après ce coup d’éclat, il revient à Las Vegas, persuadé de reprendre sa place auprès de proches qu’il a lâchement abandonnés. Il y retrouve une ex-femme qui a sombré dans l’alcool, un fiston devenu adulte qui n’a évidemment aucun souvenir de lui et un ex-meilleur ami propriétaire de casino. Stanley est de retour pour faire œuvre de rédemption. A sa façon, misant tout sur une soit disant bonne étoile qui ne cesse de l’accompagner depuis des lustres. Le pari est risqué et ce connard de Stan va vite se rendre compte que la bonne volonté ne suffit pas toujours à effacer les ardoises du passé.

Ah ce Stan ! Un vrai beau loser comme je les aime. Stan a toujours un plan. Et si ce plan ne fonctionne pas, il a un plan B, tout aussi foireux. Il se croit futé mais il ne l’est pas tant que ça. Il se croit chanceux mais la poisse lui colle aux basques. Il croit surtout qu’on va lui pardonner ses méfaits alors qu’au vu de son passif, il ferait mieux de la jouer profil bas. Touchant et détestable, impossible à cerner, il agace autant qu’il fascine, capable de passer du flamboyant au ridicule en un quart de seconde. Il a tout pour plaire en somme.

Un polar hyper stylisé à l’esthétique parfaitement raccord avec le décor sombre et poisseux des bas-fonds de Las Vegas. L’entrée en matière n’est pas évidente, il faut un certain temps pour s’y retrouver dans la multitude de personnages et pour comprendre les différentes interactions entre chacun d’eux mais une fois les pions installés sur l’échiquier, la partie se déroulant entre Stan et les siens se suit avec un grand plaisir. On sent que Dan Panosian s’est beaucoup amusé à mettre scène cette galerie de bras cassés. Il ne joue pas le registre d’une violence excessive et d’une noirceur absolue, préférant garder une certaine forme de légèreté et d’humour grinçant. Un choix judicieux qui colle à merveille à la personnalité de ce loser de Stan.

Un vrai bon polar, dans la veine des excellentes séries Criminal et  Stray Bullets, en moins sombre cela dit. En plus c’est un one shot, pas la peine d’attendre la suite pour se lancer !

Slots de Dan Panosian. Delcourt, 2019. 160 pages. 15,95 euros.







mercredi 11 décembre 2019

Préférence système - Hugo Bienvenu

En 2055, l’humanité a produit tant de données qu’il n’est plus possible de les stocker. Chaque jour, des « censeurs » décident d’en supprimer définitivement pour faire de la place aux nouvelles. Yves est un archiviste chargé de présenter les dossiers qui sont sur la sellette. Ne supportant pas de voir disparaître des œuvres culturelles qu’il considère comme indispensables, il a pris l’habitude de les sauvegarder avant destruction et de les stocker dans la mémoire de Mikki, son robot domestique. Une pratique totalement illégale qui pourrait lui attirer les pires ennuis s’il était découvert. Soupçonné par les autorités, le jeune homme décide de s’enfuir avec sa femme et leur fille à naître, dont la gestation pour autrui est assurée par Mikki.

Drôle de société que celle imaginée par Ugo Bienvenu. Une société qui, pour permettre à la population de publier ses vidéos et photos sur les réseaux sociaux, doit effacer les traces du monde d’avant. Films, livres, musique, tout y passe tant que ça libère de l’espace disponible pour les nouvelles données personnelles. Et si les « sages » décidant du sort des œuvres ont sauvé de justesse les romans de Victor Hugo, ils n’ont eu aucune pitié pour Rimbaud, Kubrick ou Céline Dion. Dans ce futur s’affranchissant de la culture du passé tout est triste, gris, aseptisé. Un avenir proche glaçant et finalement pas si irréaliste que cela.

Après Paiement accepté, Ugo Bienvenu aborde à nouveau la question de la transmission. Son message d’apparence pessimiste n’est pourtant pas sans espoir. La partie « urbaine » de l’album est aussi froide qu’anxiogène alors que les événements se passant à la campagne offrent une bouffée d’air frais bienvenue. Et paradoxalement, c’est au moment où le robot est au centre du récit que ce dernier devient plus chaleureux, plus humain.

Graphiquement, la référence à Charles Burns saute aux yeux. Le trait hyperréaliste est parfois trop statique dans la représentation des personnages mais les décors et les accessoires possèdent un design rétro-futuriste vraiment stylé. Au final, on aurait tort de voir dans cette fable sur la transmission et la filiation un message simpliste et un peu cucul jouant sur l’opposition entre la nature et la technologie. La réflexion est bien plus profonde, elle interroge notre rapport aux données stockées et partagées, à l’immédiateté qui prend le pas sur l’intemporel, au contenu du quotidien qui, bientôt, chassera les œuvres et les créations du passé. Un album en tout point abouti, qui mérite grandement le Grand Prix de la critique ACBD 2020 remporté il y a quelques jours.           

Préférence système d’Hugo Bienvenu. Denoël Graphic, 2020. 170 pages. 23,00 euros.




















mardi 10 décembre 2019

Quelqu’un m’attend derrière la neige - Timothée de Fombelle et Thomas Campi

Un homme, dans sa camionnette frigorifique, est en route pour Londres. Parti d’Italie en cette veille de Noël, il va livrer des glaces de l’autre côté de la Manche. Cet homme vit seul, oublié de tous, il n’a eu aucune véritable conversation depuis un an. Au même moment une hirondelle quitte l’Afrique pour remonter vers le nord. A contre-courant de son instinct de migrateur, l’oiseau répond à un appel invisible lui disant « qu’on l’attend là-haut. » Bien sûr, la route de l’homme et celle de l’oiseau vont se croiser. Et leur rencontre va sceller le destin d’un troisième personnage, un destin aussi fragile qu’une feuille emportée par le vent d’hiver.

Un pur bonheur de lecture ! L’histoire est magnifique, l’écriture est magnifique, les illustrations sont magnifiques. L’objet-livre lui-même est magnifique avec son format presque carré et sa superbe jaquette. C’est une histoire de solitude, d’amitié, d’entraide et d’altruisme, belle et triste à pleurer, pleine d’espoir et de lumière. La fin m’a cueilli, un bijou de sensibilité, un miracle d’équilibre entre surprise et éblouissement. Je ne vais pas m’étendre davantage, il n’est pas nécessaire d’en dire plus, cette pépite jeunesse est clairement une des plus belles que Noukette et moi avons lues cette année.

Quelqu’un m’attend derrière la neige de Timothée de Fombelle (ill. Thomas Campi). Gallimard Jeunesse, 2019. 60 pages. 12,90 euros. A partir de 9 ans.











vendredi 6 décembre 2019

Tattoo - Earl Thompson

 Un jardin de sable m’a mis une telle claque que je ne pouvais que tendre l’autre joue en apprenant la sortie du second tome de la trilogie consacrée à Jack Andersen.

Après avoir découvert son enfance tumultueuse on retrouve le gaillard devenu ado. Pas simple d’avoir 14 ans à Wichita, Kansas, en 1945. Surtout quand votre père est mort depuis longtemps, que votre mère est en prison et que vous vivez dans le mobile home déglingué de vos grands-parents sans un sou en poche. Seule perspective pour Jack, s’engager dans l’armée. Bien sûr il est trop jeune mais en trafiquant ses papiers il parvient à trouver une place sur un bateau de la Navy en partance pour Okinawa. La guerre vient de se terminer, il ne finira pas en héros mais au moins le dépaysement est garanti et la misère laissée provisoirement derrière lui. Le Japon, la Chine, le dur retour à la vie civile au Kansas, la femme aimée qu’il va évidemment trahir, le fond qu’il va finir par toucher avant de signer un nouveau bail avec l’armée. Juin 1950, sur une base militaire américaine en Allemagne, il apprend le début de la guerre de Corée. Une fois sur le théâtre des opérations, l’horreur du conflit va faire de lui un autre homme.

Difficile de résumer ces 1000 pages en quelques étapes. Difficile également de vous dire à quel point ce phénoménal pavé m’a emporté dans son tourbillon. Parce qu’une fois de plus Earl Thompson m’a botté le cul. Et pas qu’un peu. C’est cru mais pas que. C’est violent mais pas que. C’est choquant mais pas que. Ça transpire le sexe mais pas que. C’est à la fois un incroyable roman d’initiation et une formidable chronique sociale sur l’Amérique pauvre de l’après-guerre. Jack n’a cessé de me serrer les tripes. J’ai eu envie de le baffer, de le prendre dans mes bras, de lui hurler dessus, de le prévenir de la merde dans laquelle il allait inévitablement se fourrer, de pleurer avec lui sur les échecs qui ont balisé son chemin. Parce qu’à force, on le connait par cœur. Un gentil gars manquant de confiance en lui, facilement colérique, plutôt influençable, la déveine collée aux basques, qui « pense avec sa queue » et qui finit toujours par détruire le peu qu’il est parvenu à construire.

On l’accompagne en se disant « jusque-là tout va bien » et en sachant que ça ne va pas durer. Non, Jack n’est pas de la race des vainqueurs, il ne fait pas partie de ceux à qui on peut promettre le grand soir. Comme nous, il n’est pas dupe, il a compris que chaque lueur d’espoir n’est qu’une chimère. Il a beau faire semblant d’y croire, il sait qu’il lui sera impossible de s’extraire de sa condition de prolo, il a conscience que la vie ne fait pas de cadeaux à un gamin sorti du ruisseau comme lui. Pas pour autant qu’il se lamente. Résigné, fataliste ou enthousiaste, Jack avance, sans savoir où il va, sans penser à demain, se demandant juste « comment on fait pour vieillir sans avoir la trouille. »

Earl Thompson ne ménage pas son personnage au destin inspiré de sa propre vie. Son écriture est fluide, directe, sincère, dans une langue très orale. C’est beau, drôle, triste, tragique, affligeant, révoltant, poignant, toujours sans concession. C’est plein d’amour, de mort et de sexe, de vies au bord du vide, de putes, de salauds, de bouges crasseux, de coups foireux et de réveils solitaires dans des draps froids. Un grand roman américain, aussi puissant qu’envoûtant. 

Tattoo d’Earl Thompson (traduit de l'américain par Jean-Charles Khalifa). Monsieur Toussaint Louverture, 2019. 1010 pages. 28,00 euros.











mercredi 4 décembre 2019

Les croques T2 : Oiseaux de malheur - Léa Mazé

On avait laissé Céline et Colin en mauvaise posture à la fin du premier tome, on les retrouve au même endroit dès la première planche de cet album. Punis après une bagarre au collège, les jumeaux doivent nettoyer le cimetière jouxtant l’entreprise de pompes funèbres familiale. Une corvée barbante qui se transforme en drôle d’aventure après la découverte d’une inscription gravée sur une pierre tombale qui les mène dans une chapelle cachant un trésor et un mur couvert de sang. Persuadés qu’un meurtre vient d’y être commis, les enfants décident de prévenir leurs parents. Une réaction de bon sens aux conséquences bien plus néfastes que positives. Et tandis que le mystère de la chapelle s’épaissit, Céline et colin semblent plus que jamais en danger.

Après la présentation des personnages et de leur environnement en ouverture de ce triptyque, Léa Mazé passe la vitesse supérieure et embraye sur une histoire beaucoup plus axée sur l’aventure et le suspens. L’ambiance pesante s’installe grâce à un découpage au cordeau entrecoupé de pauses souvent sans texte qui permettent à la narration de reprendre son souffle. Et comme dans le tome précédent, elle conclut l’album sur une image choc qui laisse le lecteur dans une insoutenable attente !

Une courte série jeunesse à la redoutable efficacité. C’est classique mais tellement bien mené que l’on tombe dans le piège avec un plaisir non dissimulé. Le troisième et dernier tome aura pour titre « Bouquet final », voilà qui augure une conclusion à la hauteur pour cette histoire trépidante.

Les croques T2 : Oiseaux de malheur de Léa Mazé. Les éditions de la Gouttière, 2019. 70 pages. 13,70 euros.




Les BD de la semaine sont chez Stephie








mardi 3 décembre 2019

Le goût du baiser - Camille Emmanuelle

Noukette et moi avons déjà combiné une pépite jeunesse au Premier mardi c’est permis de Stephie avec le documentaire Sexe sans complexe. Nous réitérons l’expérience aujourd’hui avec ce roman déconseillé aux moins de quinze ans contenant des « scènes explicites pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes ».

Des scènes explicites, il y en a en effet quelques-unes, mais leur présence ne doit rien à une volonté délibérée de faire du croustillant pour du croustillant. Car le projet de Camille Emmanuelle est bien plus ambitieux que cela. A travers le personnage d’Aurore, elle aborde quelques étapes incontournables de l’entrée dans la vie sexuelle d’une jeune fille. Sans enjoliver les choses mais sans dramatiser à l’excès non plus. L’équilibre n’était pas simple à trouver et le challenge a été relevé de main de maître. 

La qualité de l’écriture n’est pas le point fort de ce roman mais l’essentiel est ailleurs. Suite à un accident, Aurore a perdu le goût et l’odorat. Privée de ses deux sens, son quotidien devient particulièrement handicapant, tant à la maison qu’au lycée. L’absence de ressenti influe grandement sur ses relations aux autres mais aussi et surtout sur son rapport à son propre corps.

L’angle d’attaque est original et se révèle percutant. Aurore se pose de nombreuses questions. Sans expérience, sans repères mais également sans fausse naïveté, elle constate que les garçons peuvent être maladroits, autocentrés ou au contraire particulièrement attentifs à leur partenaire. Elle tâtonne, lestée du fardeau que constitue la perte de ses sens et chaque expérience, bonne ou mauvaise, la renforce malgré son évident manque de confiance en elle.

Il en faut du culot pour mettre en scène une héroïne de roman jeunesse qui se masturbe et ne s’en cache pas, pour la placer dans une situation humiliante sans tomber dans le glauque et pour faire dire à sa meilleure amie que « le cunni, c’est la vie » (en même temps, elle a tellement raison !). Les discussions entre lycéennes ne s’embarrassent pas de fioritures et sont d’un naturel vivifiant (on appelle une bite une bite et une chatte une chatte, point barre). Les culs serrés peuvent s’offusquer, les échanges sont simplement réalistes, crus mais jamais gratuitement vulgaires. Il en est de même pour les scènes « explicites ». Personnellement je valide le choix de descriptions bien plus directes que suggestives, même si là encore, cet aspect du roman pourra faire grincer quelques dents.

Au final, Camille Emmanuelle aborde des sujets fondamentaux dans une vie d’ado. Le regard sur soi et sur les autres, le désir ou son absence, le balbutiement de la sexualité, ces étapes « fondatrices » de la vie sexuelle à démystifier, mais aussi le rapport aux corps des jeunes filles, le leur et celui de leur partenaire, sans oublier la confiance que l’on accorde (ou pas) à ce même partenaire et à quel point cette confiance participe grandement au lâcher prise permettant d’accéder au plaisir.

Ambitieux me direz-vous. Certes mais le résultat est à la hauteur des ambitions, c’est suffisamment rare pour être souligné.

Le goût du baiser de Camille Emmanuelle. Editions Thierry Magnier, 2019. 220 pages. 14,90 euros. A partir de 15 ans.



La pépite partagée avec Noukette





Le premier mardi de Stephie









mercredi 27 novembre 2019

Le reste du monde T4 : Les enfers - Jean-Christophe Chauzy

Trois ans ont passé depuis le tremblement de terre qui a ravagé une bonne partie de l’Europe. Dans le sud de la France, Marie, enceinte, est séquestrée par un gourou frappadingue (doux euphémisme) tandis que ses deux fils ont trouvé refuge dans une communauté d’ados se serrant les coudes pour échapper au chaos ambiant. Leur père, quant à lui, erre comme une âme en peine dans des paysages désolés. Frappé par un étrange mal qui se répand comme une traînée de poudre chez les survivants, ses jours semblent comptés.

Triste constat à l’ouverture de ce quatrième tome : les choses vont de mal en pis. Jean-Christophe Chauzy ne cesse d’amplifier le nihilisme qui caractérise la série depuis le départ avec une volonté farouche de prouver que, devant une situation extrême, l’homme retourne à la sauvagerie primaire et n’a plus la moindre considération pour son prochain. L’aspect tragique de la situation ne fait qu’augmenter à chaque page, aucun personnage n’étant en mesure d’agir par choix et de prendre le contrôle de son destin. C’est sombre, violent, désespéré, porté par une voix off aux accents apocalyptiques terrifiants. N’en déplaise aux collapsologues s’imaginant vivre paisiblement en reclus autosuffisants, un effondrement tel que celui présenté ici, s’il devait avoir lieu, engendrerait bien plus de torrents de larmes que de longs fleuves tranquilles.

Niveau dessin, les vestiges en ruine et les paysages lunaires des Pyrénées sont toujours aussi impressionnants. Les illustrations pleine page et les nombreux panoramiques offrent aux décors une profondeur et une densité qui renforcent la petitesse de l’homme face à la nature.

Clairement pas la série la plus fun et la plus réjouissante de la BD actuelle mais pour les amateurs de récits post-apocalyptiques, ce reste du monde est un incontournable. Seul gros bémol (et petit coup de gueule en passant), la conclusion est tellement ouverte que l’on a du mal à croire le bandeau de couverture annonçant « Le grand final de la saga événement ». Quand on sait que Jean-Chritophe Chauzy travaille déjà à un second cycle, il est facile de comprendre que l’éditeur joue clairement sur les mots pour attirer le lecteur en annonçant une fin qui n’en est pas une. Et pour le coup cet argument commercial laisse en bouche comme un arrière-goût de tromperie sur la marchandise…

Le reste du monde T4 : Les enfers de Jean-Christophe Chauzy. Casterman, 2019. 124 pages. 18,00 euros.

Mon avis sur les tomes 1, 2 et 3






















mardi 26 novembre 2019

Le couscous de Noël - Élisabeth Benoit-Morelli

« Mais pourquoi je n’ai pas une vie comme celle des copains ? Deux parents, un frère ou une sœur, un chien, des week-ends à la mer, des balades dans les collines et des visites en famille chez les grands-parents… Ce serait beaucoup plus simple. Ou pas. Les parents, ça divorce. Les petites sœurs, ça casse tout. Les chiens, ça meurt. »

Jules vit à Marseille. Il n’a jamais connu son père et a été élevé par sa mère. Le mardi soir, il va manger et dormir chez son grand-père, amateur de pêche et cordon-bleu. Le jeune garçon apprécie la présence de son papi mais aussi celle du meilleur ami de ce dernier, Mohamed. Il aime leurs complicités, leurs prises de bec et leurs conversations à bâtons rompus. Jusqu’au jour où, après les avoir entendus comploter en pleine nuit, Jules comprend qu’on lui cache un gros secret.

Le secret de famille, ce grand classique ! Il est ici décliné à la sauce marseillaise, métissé, surprenant et à la conclusion festive. Jules ne sait rien de ses origines paternelles. La question ne l’obsède pas, il ne ressent pas le moindre manque, sa mère et son grand-père lui suffisent. A partir de ce postulat de départ, Élisabeth Benoit-Morelli mêle la petite et la grande histoire. Une photo trouvée dans un album, des adultes qui préfèrent glisser sous le tapis un passé à oublier et des enfants menant l’enquête sans trop savoir comment s’y prendre, il n’en fallait pas plus pour tricoter une intrigue pleine d’empathie et d’ondes positives malgré un semblant de tension. C’est frais, sans chichi, bien mené et pas aussi simple que les apparences ne le laissent penser.

Un chouette premier roman jeunesse, chaleureux comme un couscous de Noël dégusté sur la canebière ! 

Le couscous de Noël d’Élisabeth Benoit-Morelli. Magnard jeunesse, 2019. 115 pages. 10,90 euros. A partir de 9 ans.




Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette !








mardi 19 novembre 2019

Va te changer - Cathy Ytak, Thomas Scotto et Gilles Abier

« Ils voudraient oser et ils osent pas. Ils voudraient être eux-mêmes, mais se conforment au groupe, et ça les rend cons et méchants. »

Robin a décidé d’aller au lycée en portant la jupe qu’il s’est achetée pendant un séjour à Londres. Pas par provocation, ni parce qu’il voudrait être une fille, ni parce qu’il est homo, ni parce qu’il voulait se déguiser ou s’exhiber, simplement parce que cette jupe, il la trouve classe, stylée, et qu’elle lui va à merveille. Pour les autres élèves, c’est le choc. Même sa petite copine Jade tombe des nues. Mais elle au moins ne le juge pas. Car après la surprise et les réactions d’admiration devant une telle audace, le ton change. Moqueries, insultes, réflexions lourdingues, la tension ne cesse de monter au fil de la journée, jusqu’à l’inévitable conclusion…

Un petit texte qui montre à quel point il est impossible de vivre sa vie comme on l’entend dès que l’on envisage les choses un tant soit peu en dehors des normes. Robin n’a rien d’un excentrique, il ne cherche pas à se faire remarquer, il veut juste être libre de s’afficher au lycée comme bon lui semble, dans une tenue où il se sent bien. Son pas de côté vestimentaire ne laisse pas insensible et provoque chez certains une réaction épidermique ne reposant sur aucun argument solide. Cet aspect irrationnel du surgissement d’une forme de brutalité, tant verbale que physique, est exposé avec une implacable justesse. 

Cathy Ytak, Thomas Scotto et Gilles Abier dénoncent sans clichés et évidemment sans gros sabots la bêtise crasse des esprits trop étroits et le dévastateur effet de meute entraînant certains dans une incontrôlable spirale de violence. Nul besoin d’en rajouter, le message est d’autant plus fort qu’il évite toute caricature inutile. Un texte fort, engagé, idéal pour une lecture théâtralisée à partager avec un maximum d’élèves tant il souligne l’importance fondamentale du droit au respect et à la différence.

Va te changer de Cathy Ytak, Thomas Scotto et Gilles Abier. Editions du Pourquoi pas ?, 2019. 60 pages. 9,00 euros. A partir de 12 ans.





Lecture en duo avec Noukette













mercredi 13 novembre 2019

Royal City T3 : On flotte tous en bas - Jeff Lemire

A Royal City les choses ne s’arrangent pas pour la famille Pike. Pendant que le père sort tout juste du coma après sa crise cardiaque, la mère le trompe avec un ancien camarade de lycée. La fille, Tara, entame une procédure de divorce et voit son gros projet immobilier battre de l’aile tandis que Richie, son cadet, doit effacer une dette au plus vite s’il ne veut pas finir avec les genoux fracassés à la batte de baseball et que Patrick, l’aîné, n’arrive pas à écrire la moindre ligne alors que son éditeur lui met la pression pour récupérer le manuscrit de son troisième roman. Tous continuent de vivre avec à leurs côtés le fantôme de Tommy, le petit dernier décédé vingt ans plus tôt, en pleine adolescence. Un fantôme que chacun façonne selon sa propre vision et auquel chacun confie ses secrets les plus inavouables.

Conclusion d’un triptyque à la mélancolie déchirante, cet album creuse jusqu’à la racine les dysfonctionnements de cette famille frappée par un drame dont personne n’a pu se relever. Récit choral traversé par la voix de Tommy, Royal City est un modèle de drame psychologique ne tombant jamais dans la mièvrerie ou d’artificiels torrents de larmes. Tommy accompagne les siens, il les pousse dans leurs derniers retranchements, les place face à leurs responsabilités, leurs égarements, leurs compromis devenus trop lourds à porter. Ce faisant, il les amène à déchirer le voile de faux semblants barrant depuis trop longtemps leur chemin pour les ramener vers un indispensable lâcher prise et une salvatrice résilience.

Jeff Lemire excelle dans ce registre intimiste tout en retenu, décrivant à merveille la banalité et l’horizon bouché d’une petite ville industrielle sans relief. Après Essex County, Jack Joseph, Sweet Tooth et Winter Road, ce génial touche à tout confirme sa place parmi les grands noms de la BD américaine actuelle.

Royal City T3 : On flotte tous en bas de Jeff Lemire. Urban Comics, 2019. 120 pages. 14,50 euros.




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie