lundi 13 mars 2017

Norwood - Charles Portis

Norwood Pratt se voit en futur star de la country. Même s’il n’est jamais monté sur scène, n’a pour seule richesse qu’une vieille guitare déglinguée et vient tout juste de quitter l’armée pour rentrer au Texas afin de s’occuper de sa sœur après le décès de leur père. A Ralph, le bled paumé où il a vu le jour, Norwood vivote en tant que pompiste. Il s’ennuie ferme surtout. Et depuis que sa frangine a ramené à la maison un gars qu’il ne peut pas blairer, il a des envies d’ailleurs. Alors quand on lui propose de convoyer deux voitures à New-York moyennant finances, il fonce. Surtout qu’un de ses potes troufions, qui lui doit 70 dollars, s’est installé dans la grosse pomme il y a peu. Ce sera l’occasion de faire une pierre deux coups.

Voila donc Norwood au volant d’une bagnole flambant neuve, chapeau de cow-boy enfoncé jusqu’aux oreilles, guitare en bandoulière et sur le siège passager une pute mal embouchée qu’on lui a collé dans les pattes sans lui demander son avis. La voiture est évidemment volée, comme celle qu’il traîne avec une remorque. Commence alors un road trip où galères et rencontres improbables s’enchaînent, du routier parano au nain hâbleur, du poulet savant à la midinette croisée dans un bar miteux.

Charles Portis, célèbre pour son western True Grit, a commis en 1966 cette hilarante parodie de récit beatnik déjanté et un poil foutoir. Un premier roman où l’Amérique profonde en prend pour son garde, mais sans méchanceté. Comment en vouloir à ce grand couillon de Norwood, qui n’a à l’évidence pas inventé l’eau chaude, mais qui prend les choses comme elles viennent, même quand la situation vire au cauchemar ? A croire que les malheurs l’éclaboussent sans le mouiller, que les coups durs s’encaissent les uns après les autres et ne laissent jamais de traces durables. Un benêt pareil, attachant en diable, ne peut qu’attirer la bienveillance.

Les dialogues frôlent parfois l’absurde mais ils sont plein de vivacité et font le sel du roman. Loufoque, farfelu ou burlesque, appelez ça comme vous voulez. Norwood est un texte en roue libre à l’humour pince-sans-rire. Vous pensez bien que j’y ai trouvé mon compte.

Norwood de Charles Portis (traduit de l’anglais par Théophile Sersiron). Cambourakis, 2017. 142 pages. 18,00 euros.







dimanche 12 mars 2017

Le tunnel - Hege Siri et Mari Kanstad Johnsen

Ils s’aiment et sont inséparables. Il a le poil blanc, elle a la fourrure fauve. « Ils creusent un sentier sous le sol. L’un et l’autre, ensemble. Ils tracent leur route ». Jour et nuit ils avancent dans l’obscurité. Parfois ils sortent et gagnent la forêt. Pour manger et boire, fuir un danger, trouver une nouvelle cachette, faire leur toilette. Sous terre ils sont davantage en sécurité. Dehors la grande route les hypnotise. Mais jamais ils ne s’élanceront pour la franchir. Ils se souviennent du chat, de l’écureuil et du renard étendus sur le bitume. Alors ils continuent de creuser, côte à côte. Car rien n’est plus important que rester ensemble quand on s’aime.

Une histoire digne d’une fable, où la sagesse se conjugue à un soupçon de mélancolie. Un couple de lapins qui avance malgré les embûches, trace son chemin au cœur d’un monde hostile et affronte les dangers main dans la main, enfin patte dans la patte. Tout à leur travail, ils discutent, parlent des atouts et handicaps des lièvres par rapport à eux (ils courent plus vite mais creusent moins bien) ou encore des raisons qui les poussent à construire un tunnel sans fin.

Je trouve les illustrations, épurées à l’extrême, d’une grande puissance. Sobriété des images, poésie d’un texte tout en délicatesse et profondeur d’un propos quasi philosophique, il n’en fallait pas pour que je tombe sous le charme de cet album aussi somptueux qu'inclassable.

Le tunnel de Hege Siri et Mari Kanstad Johnsen (traduit du norvégien par J-B. Coursaud). Albin Michel jeunesse, 2017. 40 pages. 11,90 euros. A partir de 5 ans.






jeudi 9 mars 2017

Les animaux de l’arche - Kochka et Sandrine Kao

Ils sont neuf. Dans une cave. Dehors, c’est la guerre. Les balles siffles, les bombes explosent, la ville s’écroule. Dans leur refuge avec matelas, réchaud, lampe à huile et provisions, les habitants de l’immeuble se serrent les coudes, terrorisés. Hommes, femmes, enfants. Khalil, Nabil, Elie, Mourad, Oumayma, Zeynab, Antoine, madame Alberti la centenaire et mademoiselle Razelle. Cette dernière, ancienne institutrice, propose pour s’occuper et donner un peu de vie et de couleurs à un décor sinistre, de refaire sur les murs de la cave la grande arche de Noé. Feutres, feuilles, ciseaux, colle, agrafes, carton, ficelle, clous et magazines animaliers s’étalent alors sur le sol. Méthodiquement, chacun se met à la tâche et les couples d’animaux s’installent sur les murs, faisant oublier pour quelques heures la peur et l’insupportable angoisse du quotidien.

Kochka m’enchante depuis « Le grand Joseph ». Il y a dans son écriture une douceur, une bienveillance et une attention permanente à l’égard de ses personnages qui met du baume au cœur. Sans guimauve, angélisme ni naïveté, elle dit ici l’espoir au milieu de l’effroi, l’infime rai de lumière dans les ténèbres. Au fil des jours et des nuits, faute d’accéder à la paix et à la liberté, les reclus vont convoquer près d’eux l’amour et la fraternité, refusant conflits et tensions au sein de leur petite communauté.

Une réflexion tendre et positive sur l’altruisme et la possibilité d’un avenir malgré l’horreur du présent. Un très beau texte, sur un thème difficile, qui parlera à coup sûr aux jeunes lecteurs auxquels il s’adresse. Cerise sur le gâteau, l’objet-livre est superbe, joliment agrémenté par les illustrations tout en délicatesse de Sandrine Kao.

Les animaux de l’arche de Kochka et Sandrine Kao. Grasset jeunesse, 2017. 92 pages. 15,00 euros. A partir de 8-9 ans.





mercredi 8 mars 2017

Et il foula la terre avec légèreté - Mathilde Ramadier et Laurent Bonneau

Envoyé par sa compagnie étudier la faisabilité d’une extraction de pétrole au large de la Norvège, Ethan le parisien se retrouve sur les îles Lofoten, près du cercle polaire. Sur place il découvre un univers sauvage et préservé, à mille lieux du fourmillement, du bruit et de la folie de la vie urbaine. Au contact de la population locale, il comprend à quel point le projet qui l’a amené là risque de profondément modifier l’écosystème et  briser l’harmonie d’un des derniers paradis terrestres. Sa mission arrivant à son terme, le jeune homme n’est pas certain de vouloir retrouver la civilisation, il prend conscience qu’un changement de vie est possible, il suffit de le vouloir…

Pour Ethan, c’est une géographie intime qui se bouleverse. L’acclimatation tourne à la fascination, l’objet de sa mission devient secondaire par rapport à la découverte d’un environnement et d’une population dont le rapport au monde s’imprègne d’une vision profondément respectueuse de la nature, de son rythme et de ses richesses. Sans naïveté ni angélisme, en mettant en perspective les différents points de vue, Ethan se remet en question et s’ouvre des perspectives jusqu’alors insoupçonnables.

Un album engagé, inspiré par la vie et l’œuvre du philosophe Arne Naess, fondateur du mouvement de l’écologie profonde. Il y est question de décroissance, de progrès au service de la société de consommation, d’un rejet de la modernité qui ne nie pas pour autant les bienfaits de la technologie. Ni jargon ni discours lourdement politique mais plutôt un voyage intérieur conjuguant moments contemplatifs et bienveillance à l’égard des insulaires.

Les aquarelles de Laurent Bonneau retranscrivent à merveille les silences et la beauté crépusculaire de paysages imposant leur force tranquille et leur sérénité à l’homme. Le rythme est lent, il ne se passe pas grand-chose mais le charme opère. C’est une lecture que j’ai trouvée apaisante, d’où se dégage une certaine forme de poésie. J’ai apprécié cette façon intelligente de pousser la réflexion en laissant une place à la contradiction, autrement dit sans vouloir à tout prix imposer un point de vue que l’on estime indiscutable.



Et il foula la terre avec légèreté de Mathilde Ramadier et Laurent Bonneau. Futuropolis, 2017. 176 pages. 27,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.










mardi 7 mars 2017

Très intime - Solange

Il y a celle qui est restée vierge longtemps, pas par conviction mais plutôt par manque d’occasions. Celle qui s’est épanouie après trente ans de vie commune et un divorce libérateur. Celle qui a trompé son copain « virtuellement » en envoyant des clichés pornos et en entamant une correspondance très érotique avec un inconnu. Celle dont la libido est en berne, qui voit la sexualité comme l’activité la plus ennuyeuse de la terre. Celle qui a eu plus de deux cents amants. Celle qui n’aime que les filles et n’envisage pas un quart de seconde d’essayer quoi que ce soit avec un homme. Celle qui est un garçon manqué, vulgaire et bordélique, qui a trouvé l’équilibre en se mettant à la colle avec un type doux, posé et raffiné. Celle qui a horreur du cuni, celle qui au contraire adore ça et ne tolère pas qu’un gars se montre dégoutté par la pratique alors qu’il n’a jamais essayé. Celles qui repensent à leur premier contact avec un pénis en érection, celles qui ont testé les plans à trois ou la bisexualité, celle qui entre sur la pointe des pieds dans la ménopause, etc.

Vingt femmes de 18 à 46 ans, vingt témoignages. Solange est la confidente, elle questionne peu, écoute beaucoup. La parole est libérée, touchante ou vindicative. On est dans le très intime qui ne bascule jamais dans le graveleux, on n’est pas là pour exciter le lecteur, on n’est pas là pour se marrer ou se moquer mais pour parler de sa sexualité en toute sincérité et en toute simplicité. J’ai adoré la diversité des profils, la diversité des tons aussi. Le niveau de langue est très différent d’une femme à l’autre, de la beurette au langage des cités à la quadra plus posée, de celle qui se qualifie de « bourrine » à la timide qui s’excuserait presque d’avoir si peu de choses à dire sur sa vie sexuelle. Tous les cas sont particuliers mais il n’y a pas de cas « à part », pas de portraits « extrêmes ». Ces femmes sont à la fois uniques et universelles.

Je dois sans doute être un grand naïf mais je suis par contre effaré de constater, comme l’annonce l’auteure en avant-propos, que parmi ces vingt femmes, « sept ont connu une ou plusieurs situations d’abus et/ou de viol. Une sur trois doit composer avec des traumatismes pour la vie. Certaines minimisent si bien ce qu’il leur est arrivé que je me suis presque laissée berner ».

Je ne connaissais pas la québécoise Solange, qui est apparemment assez célèbre (et appréciée) grâce à sa chaîne Youtube. J’avoue qu’au départ je craignais de tomber sur une simple discussion entre copines ou sur la rubrique sexo d’un magazine féminin où s’enchaînent clichés et jugements à l’emporte-pièce. Pour le coup j’ai eu tout faux et c’est tant mieux.

Très intime - Solange. Payot, 2017. 285 pages. 15,00 euros.








lundi 6 mars 2017

Une famille explosive - Yan Ge

« Un foyer reste un foyer et une famille une famille. Tout en concorde, en harmonie, avec ses nettoyages de printemps réguliers ».

Et chez les Xue, le nettoyage s’annonce sévère. Alors que la matriarche s’apprête à fêter ses 80 ans, les événements s’accélèrent. Le fils cadet, patron de l’usine de pâte de piments familiale, a installé sa maîtresse au-dessus de l’appartement de sa mère. Accro au sexe, il multiplie les aventures extraconjugales et va évidemment finir par se faire prendre les doigts dans le pot de confiture. La grande sœur, présentatrice télé, s’apprête à divorcer mais veut cacher la vérité à sa mère jusqu’à la fête d'anniversaire. Quant à l’aîné, professeur à l’université, il n’est toujours pas marié la quarantaine passée et craint les réprimandes maternelles. Car l’octogénaire n’a pas sa langue dans sa poche et terrorise les siens. Il faut dire qu’elle est assise sur un magot conséquent et que personne n’ose lui tenir tête au risque d’être déshérité.

Bienvenue au bal des faux-culs ! Une chronique familiale épicée dans une région de Chine (le Sichuan) réputée pour sa cuisine relevée. Il est d’ailleurs beaucoup question de gastronomie, car c’est souvent autour de la table que se nouent les drames et les intrigues. Le fils cadet est de loin le plus pathétique. Macho, queutard invétéré, alcoolique, d’une vulgarité crasse, c’est LE beauf dans toute sa splendeur. D’ailleurs, naïvement, je ne pensais pas que de tels personnages pouvaient exister en Chine.

Un roman où on lave son linge sale en famille, où chacun règle ses comptes en se cachant derrière une hypocrisie à toute épreuve. De la grand-mère chef de clan à la belle-fille plus intéressée par l’argent de son mari que  par ses infidélités à répétition, il y n’y en a pas un pour rattraper l’autre.

Amateurs de raffinement à la chinoise et d’ambiances tout en délicatesse et en retenue, passez votre chemin. On donne ici dans l’ironie, le mauvais goût et l’ordurier, dans l’excès et le mauvais esprit. Un humour vache et moqueur et une plume outrancière qui, assurément, ne plairont pas à tout le mode. Personnellement, et même si ce n’est pas le roman du siècle,  j’ai passé un savoureux moment auprès de cette famille on ne peut plus dysfonctionnelle.

Une famille explosive de Yan Ge (traduit du chinois par Alexis Brossolet). Presses de la cité, 2017. 320 pages. 20,00 euros.






dimanche 5 mars 2017

Jolly Jumper ne répond plus - Bouzard

Jolly Jumper fait la gueule. Et Lucky Luke se demande bien pourquoi. Voila l’album résumé en deux phrases. Du moins son point de départ. Que dire de plus ?

Ça fait drôle de voir Lucky Luke torse nu et hirsute dès la première case.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke porter une chemise rouge et un foulard jaune (normalement c’est l’inverse).
Ça fait drôle de voir Lucky Luke marcher plus vite que son ombre.
Ça fait drôle de voir Jolly Jumper mutique.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke en colère essayer de descendre ce même Jolly Jumper.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke en petite forme.
Ça fait drôle de voir le Dalton Averell (vous savez, le plus grand et le plus neuneu) en obèse demandant à ce qu’on lui pose un anneau gastrique.

Pour dire les chose autrement, ça fait drôle de voir un auteur s’emparer d’un personnage aussi mythique et se permettre autant de libertés, de décalages, de pas de coté par rapport à la version originale. Mathieu Bonhomme avait déjà apporté quelques variations dans « L'homme qui tua Lucky Luke » mais Bouzard va plus loin. Il garde l’univers de base, convoque quelques personnages secondaires emblématiques (Ma Dalton ou Phil Defer), mais il jette tous les ingrédients ensemble dans la marmite et les remue sans ménagement.

Ainsi le flegmatique cow-boy solitaire et sûr de lui devient un angoissé du bulbe inquiet de ne pas comprendre ce que lui reproche sa chère moitié, inquiet de voir que son jean lui fait de gosses fesses, inquiet de ne pas trouver un bon plan pour mener sa mission à bien, bref un pauvre homme pétri d’incertitudes (et au QI assez limité aussi, il faut bien le reconnaître).

Bouzard se lâche, donc. Égal à lui-même oserais-je dire. Et pour un fan de Lucky Luke comme moi (j’ai tout lu, sauf les albums scénarisés par Laurent Gerra, il y a des limites quand même) le choc est violent. Heureusement je suis bon client avec l’humour absurde, les jeux de mots pourris (les Dalton daltoniens, fallait le trouver) et ce graphisme très relâché (pour ne pas dire plus) qui m’a rappelé le Jack Palmer de Pétillon.

Bref, gros kiffe en ce qui me concerne pour ce Lucky Luke à la mode Bouzard qui, je ne n’en doute pas une seconde, filera la nausée à certains puristes de la première heure amoureux du duo Morris/Goscinny.

Un grand merci à la très chère personne qui a pensé à moi après l’avoir lu et me l’a gentiment offert, avec en bonus dans l’enveloppe un présent inestimable. Comprenne qui pourra…

Jolly Jumper ne répond plus de Bouzard. Lucky Comics, 2017. 48 pages. 14,00 euros.






samedi 4 mars 2017

Les lectures de Charlotte (33) : Le chat le plus mignon du monde - Vincent Pianina

- Est-ce qu’on peut avoir un petit chat ? 
- Non !

Mille fois la fillette a posé la question, mille fois ses parents ont répondu non. Jusqu’au jour où, enfin, le non est devenu oui. Alors tout le monde est monté dans la voiture, direction l’animalerie. Sur place, un seul critère a guidé le choix de la famille : le chat devait être MIGNON ! « On est tombés sur le plus mignon des mignons alors c’est lui qu’on a voulu ramener à la maison ».

Arrivé dans son nouveau chez lui, le chaton joue, mange et fait des câlins, comme tous les chatons. A une différence près : jamais il ne montre sa trombine. « Mince, c’est vrai ça ! On n’avait pas pensé à le regarder bien en face, notre petit chat… il était déjà tellement mignon de dos ». Et le pire, c’est que le chenapan use de tous les stratagèmes pour ne pas se laisser regarder de face. Pourquoi tant de coquetterie ? Mystère…

Un album au ton décalé et à la loufoquerie assumée. C’est vif et coloré, on frôle parfois l’absurde, les doubles pages sous forme de listes insérées au fil de l’histoire offrent des ruptures rigolotes sur lesquelles on s’attarde longuement et la chute fonctionne à merveille. Bref, on se régale de bout en bout.

C’est simple, « Le chat le plus mignon du monde » est devenu le livre de chevet de Charlotte. Chaque soir, on n’y coupe pas. A force, ma femme et moi le connaissons par cœur et la pépette aussi, à tel point qu’elle se marre toujours aux mêmes endroits, c’est devenu un rituel où la lassitude n’a pas (encore) sa place. Rares sont les livres qui lui ont fait un tel effet. A bon entendeur...

Le chat le plus mignon du monde de Vincent Pianina. Thierry Magnier, 2017. 48 pages. 12,50 euros. A partir de 3-4 ans.




jeudi 2 mars 2017

Chiisakobé T2 - Minetarô Mochizuki

Après l’incendie de l’entreprise familiale et la mort de ses parents, le charpentier Shigeji tente de maintenir à flot la société sans aide extérieure. Mais les temps sont durs et ses meilleurs ouvriers, attirés par les salaires plus lucratifs de la concurrence, le laissent en plan alors que les chantiers en cours sont loin d’être achevés. Parallèlement, le jeune homme continue d’entretenir une relation ambigüe avec Ritsu, une amie d’enfance qu’il a engagée comme cuisinière et femme de ménage. Les orphelins turbulents recueillis par cette dernière logent dans la maison de Shigeji , qui semble enfin s’intéresser à eux. Et si Ritsu ne parvient pas vraiment à dompter les garnements, ce n’est pas le cas de leur enseignante Yûko, que le charpentier semble de plus en plus apprécier.

Un triangle amoureux tout en suggestion se noue au fil de ce second tome. Entendons-nous, rien n’est clairement exprimé, Shigeji le taiseux et Ritsu la timide n’étant pas du genre à s’épancher. Plus en retrait, Yûko n’en reste pas moins présente et son mutisme en dit bien plus que de longs discours.

Un manga inclassable au charme indéfinissable. Il ne se passe pas grand chose, tout est question d’atmosphère. La narration extrêmement sobre porte le récit, les gros plans sont d’une grande expressivité et le langage corporel est fondamental, chaque infime mouvement se chargeant de sens. Les silences s’imposent avec naturel et sont sources de communication, tout comme l’inclinaison d’une tête, la fuite d’un regard ou la moindre posture. Je crois que c’est pour cela que j’adore cette série, sous ses airs de rien, elle dit la complexité des sentiments avec une profondeur qui force l’admiration.

La ligne claire de Mochizuki ne s’embarrasse pas de trames ou de décors surchargés. C’est dans l’épure que son art se déploie avec finesse. Une façon unique de parler aussi bien de l’amour que du deuil, de l’enfance en danger ou de l’artisanat et des traditions.

La série compte en tout quatre tomes, les deux derniers m’attendent sagement depuis quelques temps mais il se pourrait bien que je les ai engloutis au moment où vous lirez ces lignes.

Chiisakobé T2 de Minetarô Mochizuki. Le Lézard Noir, 2016. 215 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec A Girl From Earth.






mercredi 1 mars 2017

Les voyages d’Ulysse - Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet

Le peintre Jules Toulet, à la recherche de sa muse, quitte Istanbul sur un navire baptisé L’Odysseus après savoir été accepté à bord par la capitaine Salomé Ziegler. Cette dernière, séduite par ses toiles, espère surtout que son « invité » pourra l’aider à retrouver Ammôn Kasacz, le plus grand peintre actuel de la Rome antique dont personne n’a de nouvelles depuis des années. Car Jules possède un carnet de croquis réalisés par Kasacz, un carnet qui pourrait permettre à Salomé de remonter la piste menant à celui qui la fascine tant, sans que l’on sache réellement pourquoi.

L’obsession de Salomé  pour Kasacz est au cœur de l’album. Sa quête est liée à un drame de son enfance, point de départ de son parcours jusqu’à la barre de l’Odysseus. Grâce à de nombreux flashbacks, on comprend le destin tragique d’une jeune femme qui avait au départ tout pour être heureuse mais qui a dû faire face à de douloureuses épreuves.

Un plaisir de retrouver le trait fascinant de Lepage. Du moins au départ. Parce que son retour à la fiction après d’excellents reportages dessinés (Un printemps à Tchernobyl, Voyages aux îles de la désolation et La lune est blanche) ne m’a pas emballé plus que ça. La faute à un scénario que j’ai trouvé bancal. Tout se focalise sur Salomé et son histoire, la relation avec Jules Toulet, à la base riche de promesses, est à peine effleurée, tout comme la quête de sa muse, résolue assez artificiellement  en deux coups de cuillère à pot. La balance n’est donc pas du tout équilibrée entre les deux personnages. Et puis cette fiction reste d’un classicisme « romanesque » sans véritable surprise, jouant sur un registre émotionnel convenu et sans surprise. Loin, très loin des réflexions profondes et intimes du voyage à Tchernobyl par exemple.

Après, force est de reconnaître que l’objet-livre est splendide et que le dessin de Lepage, surtout au cours des séquences maritimes, est à tomber par terre. Magnifiques également les illustrations de René Follet, devenues pour les besoins de l’album les œuvres du fameux Ammôn Kasacz et insérées au fil des pages. Rien à dire sur la forme donc, à part une admiration sans borne pour le travail d’un dessinateur incroyable. Mais au niveau du fond, je suis loin d’y avoir trouvé mon compte.

Les voyages d’Ulysse d’Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet. Éditions Daniel Maghen, 2016. 270 pages. 29,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec la douce Moka.