mercredi 30 mars 2016

Chlorophylle et le monstre des trois sources - Hausman et Cornette

Particule Piquechester, jolie souris des villes, a décidé de s’installer à la campagne, près du lac des trois sources. Minimum la musaraigne tombe de suite sous le charme de la belle et l’aide de bon cœur à aménager sa tanière. Le jour où elle disparaît sans crier gare, l’amoureux transi appelle à l’aide son ami Chlorophylle. Les deux compères, accompagnés d’autres animaux de la forêt, se lancent alors sur les traces d’un kidnappeur pour le moins effrayant…

Revoilà donc Chlorophylle, série mythique du non moins mythique Raymond Macherot créée à l’origine dans les années 50. Si Zidrou et Godi avaient tenté l’an dernier une reprise pas franchement convaincante, Cornette et Hausman sont plutôt dans un hommage où l’esprit est respecté mais où l’univers graphique l’est beaucoup moins. La nuance est de taille et, pour le coup c’est bien plus intéressant.

Une histoire animalière qui ne paye pas de mine, à première vue gentillette. Mais sous ses abords un brin naïfs affleurent une réflexion sur l’amitié, l’entraide, la différence, ainsi qu’une pointe de cruauté qui est un peu la marque de fabrique d’Hausman (vous n’avez qu’à lire le fabuleux « Prince des écureuils » pour vous en convaincre). D’ailleurs, toute la puissance de l’album tient dans le trait naturaliste précis et un poil torturé de ce maître de la couleur directe dont chaque case, véritable aquarelle fourmillant de détails, est à tomber par terre. Au milieu de l’album, l’histoire bascule de façon inattendue vers un fantastique lorgnant clairement du coté de Frankenstein et de King Kong, tandis que la fin laisse en bouche une certaine amertume que Macherot lui-même, en grand adepte d’une certaine forme de noirceur et de désespoir, n’aurait pas renié.

Un conte animalier à la fois classique et surprenant, sublimé par les dessins de l’un des derniers géants de la BD franco-belge. L’objet-livre en lui-même est superbe, ce qui ne gâche rien.

Chlorophylle et le monstre des trois sources d’Hausman et Cornette. Le Lombard, 2016. 48 pages. 15,00 euros.


Macherot à gauche et Hausman à droite...





Les BD de la semaine
sont aujourd'hui chez Stephie









mardi 29 mars 2016

Je sais que tu sais - Gilles Abier

Axelle se souvient de ce jour funeste, il y a trois ans. L'arrivée du CPE dans sa classe, le trajet jusqu'au bureau de la principale, l'annonce de la mort de son grand frère Martial. Assassiné. Le tueur était son meilleur ami, Bastien, un garçon qu'elle trouvait très sexy. Il a tiré six balles. Malgré le procès, la perpétuité avec une période de sûreté de vingt-deux, rien ne peut effacer la peine, la douleur. La famille est partie en lambeaux, le drame a mis à vif des plaies qui jamais ne se refermeront. Et aujourd'hui, Axelle s'apprête à rencontrer Bastien derrière les barreaux. Pour rompre le lien, se libérer de sa présence, pouvoir avancer. Enfin.

Gilles Abier interroge sur les notions de culpabilité et de pardon. Sans donner de réponse. Sans juger. Sans manichéisme. Parce que rien n’est simple. Le geste du coupable peut-il s’expliquer de façon rationnelle ? Peut-on lui trouver des « excuses » ? Qu’a pu faire la victime pour connaître un sort aussi funeste ? Comment accepté que Martial ait pu être un salaud ?

Depuis trois ans, Axelle ne vit plus. Elle s’autorise toutes les insolences, préférant la fuite en avant, persuadée que la tragédie qu’elle a vécue excuse tout. « Ma sœur m’avait hurlé dessus comme jamais, affirmant que j’étais une petite conne, incapable de gérer ma douleur dans mon coin, à leur infliger un calvaire quotidien avec mes caprices égoïstes, trop tournée sur soi-même pour voir comment mon comportement obscène ravivait leur peine, comment je leur volais la mémoire de Martial à me salir au nom de sa disparition ». « Est-ce que Martial aurait souhaité me voir fuir la vie au nom de sa mort ? ». Vivre de rage et d’amertume, à quoi bon ? Axelle s’interroge en permanence. La prise de conscience d’une nécessaire reconstruction va se faire, non sans mal, grâce au soutien d’une vieille femme rescapée du génocide cambodgien. Avec une infinie patience, madame Ngoun va permettre à Axelle de dépasser la haine, de choisir la vie.

Un roman qui interpelle sans chercher à mettre ko. Les interrogations demeurent, aucune solution miracle n'apparaît d'un claquement de doigts. Reste la voix d'Axelle qui résonne et touche en plein cœur.

Je sais que tu sais de Gilles Abier. Talents Hauts, 2016. 95 pages. 8,00 euros. A partir de 14 ans.


Une lecture jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.







lundi 28 mars 2016

Les lectures de Charlotte (15) : Une histoire qui… - Gilles Bachelet

Un album rempli de personnages lisant une histoire du soir à leur petit. Un album plein de papas, de mamans, de bébés et de doudous. Un album où l’on croise un panda, un morse, une cigogne, une girafe, une autruche, un escargot, une chauve-souris, un poisson, un dragon, un extraterrestre, une tractopelle. Un album où l’histoire du soir naît, pousse, voyage, se balade, ondule et s’achève.

Sur un faux-air de comptine poétique, Gilles Bachelet nous emporte une fois de plus dans son univers bien à lui. Sous chaque illustration, trois lignes qui, scandées en rythme, offrent à la lecture une musicalité particulière. Et à chaque fois, le doudou tenu par le bébé devient le parent lecteur de la page suivante. Une mécanique narrative très rapidement comprise par les enfants, et dont le coté répétitif (un parent - un bébé – un doudou) finit par bercer et déclencher le sourire. Les illustrations sont toujours aussi expressives et colorées, incitant le regard à s’attarder sur les détails.

Une histoire sur les histoires que l’on lit chaque soir, Charlotte ne pouvait qu’adorer. Et impossible de fermer l’album sans rester quelques instants sur les pages de garde où sont représentés tous les personnages. Un à un il faut les pointer du doigt et un à un il faut qu’elle les nomme. Un rituel dans le rituel dont elle ne peut plus se passer.


Une histoire qui… de Gilles Bachelet. Seuil Jeunesse, 2016. 32 pages. A partir de 3 ans.




Un album dédicacé par l'auteur et offert à Charlotte par la délicieuse Framboise lors du salon du livre la semaine dernière. Un cadeau qui a fait mouche, c'était à prévoir. Merci Framboise !






samedi 26 mars 2016

Carnet du Pérou - Fabcaro

Plus difficile qu’il n’y paraît de réaliser un carnet de voyage en BD. Il faut trouver le ton juste. Entre profondeur de réflexion (Lepage à Tchernobyl), bonhommie et empathie totale pour les personnes que l’on croise (Chavouet au Japon) ou encore légèreté cocasse (Hureau, en Afrique et ailleurs). Si on ne trouve pas le bon ton, le bon angle d’attaque, le carnet de voyage peut vite devenir aussi chiant qu’une projection de diapos de vacances chez papy et mamy. Avec Fabcaro, aucun danger que ça ronronne. Et même si les premières pages donnent dans le très sérieux, on se doute que les choses vont rapidement partir en cacahuètes.

Parce que le monsieur ne peut jamais rester convenable trop longtemps. Il est en permanence dans une forme d’autodérision, d’auto-ironie même, que j’apprécie particulièrement. En ponctuant son récit de parenthèses incongrues, voire hors sujet (comme il le reconnait lui-même à un moment), il prend certes le risque de perdre une partie de son lectorat, qui pourrait assimiler ce procédé à du remplissage ou à une certaine de forme de facilité. Mais ce serait une erreur d’interprétation fatale je pense tant l’expérience m'a prouvé qu'il ne faut jamais au grand jamais prendre un album de Fabcaro au premier degré. Ce gars est fou, son humour flirtant avec l’absurde traite chaque sujet avec un angle décalé qui vire souvent au totalement barré. Et ce Carnet de Pérou ne fait pas exception à la règle.

Le délire est à la fois dans les apartés (photomontages, statistiques sans queue ni tête, parodie de Tintin, interventions moqueuses de sa femme, etc.) mais aussi dans les passages péruviens à première vue les plus sérieux, comme ce soi-disant concert d’une star locale de la chanson capable de jouer  « de la flûte de pan derrière la tête avant d’y mettre le feu » (m’enfin !!!!) ou ce running-gag sur la susceptibilité du lama dont les autochtones ont appris à tirer profit de façon pour le moins originale.

Tout cela est tellement énorme qu’au fil des pages, le doute s’installe peu à peu et la certitude finit par apparaître : ce gros mytho de Fabcaro n’a jamais mis les pieds au Pérou ! En même temps, je n’en attendais pas moins de sa part, s’il y a un dessinateur capable de bidonner de A à Z un carnet de voyage, c’est bien lui. Une fois encore, il m’a régalé. Et l’avoir vu garder son calme et son humour en dédicace samedi dernier devant une horde de blogueuses aussi hystériques qu’incontrôlables m’a conforté dans l’idée qu’il était décidément un homme à part. Chapeau bas monsieur !

Carnet du Pérou de Fabcaro. Six pieds sous terre, 2013. 96 pages.


Un grand merci à Mo' pour ce beau cadeau !

Son avis est ici.






jeudi 24 mars 2016

Blitz - David Trueba

 « Tout se finit mal, c’est une condition inhérente au fait d’être vivant » (punaise que je kiffe cette citation !)

Alors qu’il se trouve à Munich pour participer à une convention d’architectes paysagistes, Beto, arrivé la veille de Madrid avec sa femme Marta, reçoit de cette dernière un SMS qui ne lui est pas destiné. « Le message disait : Je ne lui ai encore rien dit. C’est si difficile. Pff. Je t’aime ».  Foudroyé par ce coup du sort inattendu, il décide de rester quelques jours en Allemagne, laissant son ex-compagne rentrer seule en Espagne. Déprimé, perdu, sans argent, il est recueilli par Helga, son interprète. Au lieu de passer la nuit à l’hôtel, elle lui propose sa chambre d’amis. Après quelques verres, ils finissent au lit. Problème, Helga a 63 ans et pourrait être sa mère…

« La nudité, isolée du désir sexuel, renvoie toujours à la froideur anatomique de la médecine légale. Elle avait les seins et les fesses qui ballotaient, ainsi que les cuisses et les bras décharnés, les cheveux en bataille, le visage de femme vieillissante. Ce n’était ni laid ni désagréable mais quelque chose en moi éprouva comme un malaise, presque inévitablement. J’avais baisé une vieille allemande. Je fus submergé par une vague de honte que je ne savais pas esquiver. »

Franchement, je l’ai adoré ce Beto ! Pensez donc, un pauvre gars plaqué par sa femme qui lui préfère « un chanteur uruguayen ». Un type lâche, faible, incapable d’assumer, de faire face, de se prendre en main. Un mec qui se ridiculise en public, qui jette ses principes aux orties après trois verres dans le nez, qui cède à la tentation dès que l’occasion se présente alors qu’il devrait être au trente-sixième dessous. Et tout ça en nous faisant marrer malgré lui, avec une sorte d’autodérision maladroite qui éloigne tout cynisme et toute geignardise. Et Helga est géniale aussi. Pas orgueilleuse pour deux sous, sans illusion, consciente que cette aventure d’un soir n’a pu avoir lieu que grâce à l’alcool, et lui lâchant le lendemain de leurs galipettes : « J’imagine que tu pourras classer ce qui s’est passé cette nuit dans le musée des horreurs de ta vie, vraiment. »

En filigrane, David Trueba dresse le portrait d’une jeunesse espagnole à la dérive, frappée de plein fouet par la crise. Beto imagine des projets de jardins qu’aucune commune ne peut plus financer et qui ne verront donc jamais le jour, mais il le fait avec passion parce qu’il a « toujours aimé avoir un métier inutile ». C’est à la fois tragique, désenchanté, drôle et touchant.

Seul reproche, le roman, présenté comme un journal intime censé couvrir une année de la vie de Beto, souffre d’un flagrant déséquilibre. Le mois de janvier, celui où se déroule le congrès de Munich, occupe 125 des 160 pages. Les onze autres mois sont balayés bien trop rapidement, c’est franchement dommage.

Reste que j’ai beaucoup apprécié découvrir cet auteur, ses personnages attachants malgré leurs nombreux défauts (ou plutôt grâce à leurs nombreux défauts) et cette écriture à la fois très psychologique et très visuelle (David Trueba est aussi scénariste et réalisateur, cela se ressent dans sa narration). Une belle surprise !

Blitz de David Trueba (traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet). Flammarion, 2016. 166 pages. 18,00 euros.










mercredi 23 mars 2016

Les contes de la ruelle - Nie Jun

Dans un quartier paisible du vieux Pékin vivent Dubao et Yu’er, une petite fille infirme qu’il a adoptée. Le vieil homme, affectueux et tout en rondeurs, déborde d’amour et d’imagination, cherchant en permanence à illuminer la vie de la fillette. Quatre récits composent l’album. Dans le premier, alors que Yu’er se rêve en championne paralympique de natation, son grand-père lui invente un ingénieux système d’entraînement à la fois sans eau et « dans les airs ».  Dans les autres, il est question d’insectes musiciens, d’apprentissage du dessin ou encore d’une lettre à l’absente.

Qu’il est bon de se plonger dans cet univers aux accents parfois féériques où se conjuguent tendresse et optimisme. La relation de ce grand-père et de sa petite fille m’a rappelé non sans émotion la série Jojo du regretté André Geerts. Les récits sont rythmés par de fréquentes incursions dans un registre merveilleux et onirique empreint d’une bonne dose de poésie. Dans cette ruelle aux vieilles maisons et  aux cours ombragées où l’on prend le temps de faire la sieste, où on circule à vélo et où on explore des terrains vagues aux décors champêtres, l’ambiance est paisible, les rapports humains chaleureux. Ça pourrait vite tourner au cucul mais ce n’est jamais le cas, en grande partie grâce à la malice, la bonne humeur et la joie de vivre pétillante des différents personnages.

Le dessin à l’aquarelle de Nie Jun, sensible et lumineux, mélangeant les influences asiatiques et européennes, est, je trouve, dans la même veine que celui de Golo Zhao (La balade de Yaya). Son découplage simple et efficace, privilégiant les grandes cases, invite le regard à s’attarder sur les moindres détails.

Entre rêve et réalité, ces Contes de la ruelle proposent une échappée tout en douceur et en délicatesse, idéale pour s’évader quelques instants du quotidien et d’une actualité pour le moins sordide.

Les contes de la ruelle de Nie Jun. Gallimard, 2016. 128 pages. 18,00 euros.



Une jolie petite parenthèse enchantée dans laquelle j'ai eu le plaisir de m'isoler avec Noukette.








mardi 22 mars 2016

Le sorcier vert - Valentine Goby et Muriel Kerba

Longtemps que je n’avais pas parlé de Valentine Goby, trop longtemps (au moins deux mois). Avec certains auteurs (enfin surtout avec elle), je tombe sous le charme à chaque fois. D’ailleurs, si elle écrivait un jour sur la reproduction des gastéropodes en milieu hostile, je suis certain que je me passionnerais pour le sujet. Ici, point de gastéropodes mais des arbres et des hommes. Une forêt qui renaît après sa disparation, un message d’espoir et une histoire vraie.

La collection « Les décadrés », que j’ai découverte avec l’album Hors piste, propose une forme de création très particulière. L’écrivain reçoit une série d’images et les organise comme il le souhaite pour les mettre au service de son histoire. Ici, avec les illustrations très végétales à base de collages de Muriel Kerba, Valentine Goby a voulu raconter « l’extraordinaire défi relevé par le photojournaliste Sebastiao Salgado : replanter la forêt atlantique brésilienne dévastée par la sécheresse et la négligence des hommes ».

Un hommage à ce grand monsieur qui, revenant sur les terres de son enfance et constatant la disparition de la forêt  où il a grandi, décide de la replanter avec l’aide des rares habitants qui n’ont pas déserté les lieux. Un projet pharaonique totalement fou qui aboutira, après quinze années de labeur, d’échecs et de persévérance, à la résurrection de trois millions d’arbres et d’un écosystème qui avait totalement disparu à cause de l’intervention humaine. Où comment Sebastiao Salgado est devenu le sorcier vert…

Un conte écologique au message très positif montrant que la déforestation n’est pas une fatalité et qu’avec une volonté à toute épreuve, il est possible de renverser des montagnes. Le texte est évidemment superbe (comment ça je ne suis pas objectif) et les illustrations sont autant de tableaux mêlant le pastel gras, les crayons ou l’acrylique à différents types de papiers. Un travail d’artisan 100% fait main, d’où surgissent des couleurs, des formes et des textures aussi variées que surprenantes.

Il est splendide cet album, vraiment splendide. Et moi, quand Valentine Goby me parle des « branches d’un jequitiba », de « pau-Brasil à l’écorce de soie », de « bouquets de flor-do-beijo vernissées comme des bouches de femmes », de « caïmans au ventre d’or » ou de « félins dont les yeux luisent comme des gemmes », et bien je fonds, c’est aussi simple que ça (oui, je sais, il ne me faut pas grand chose et je suis faible, mais j'assume).

Le sorcier vert de Valentine Goby et Muriel Kerba. Thierry Magnier, 2016. 40 pages. 16,50 euros.


Une pépite jeunesse que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.










lundi 21 mars 2016

Ne m’appelez plus chouchou ! - Sean Taylor et Kate Hindley

Il en a ras le bol, le chienchien à sa mémère. Sous prétexte qu’il est tout petit et tout mignon, sa maîtresse lui donne du chouchou à tour de bras, le pomponne comme un chien de concours ridicule, l’attife d’un nœud papillon rose et lui propose à manger des croquettes en forme de cœur. Chouchou n’en peut plus, il voit bien les moqueries dans le regard de ses congénères croisés dans la rue. Au parc, c’est encore pire. Entre Bandit le gros chien, Roublard le chien rusé et chef le chien policier, chouchou est certain qu’avec ses airs de petite chose fragile, ils ne feront pas cas de lui. Mais il se trompe… Et au final, en entendant leurs maîtresses respectives les appeler, il se dit que quelle que soit sa taille, un chien est toujours affublé d’un surnom grotesque. « C’est comme ça, on n’y peut rien ».

Un album drôle et coloré aux illustrations trop choupi (mais ne le dites pas à chouchou, ça va l’énerver !). Ce petit chien qui ne veut pas passer pour un cabotin n’a pas sa langue dans sa poche. Son courroux déclenche des sourires et ses réactions scandalisées, même si elles semblent justifiées, n’incitent pas pour autant le lecteur à s’apitoyer sur son sort. Chouchou fait la gueule et ça nous fait rire, « C’est comme ça, on n’y peut rien ».

Un vrai bonbon cet album. Le ton et les illustrations se complètent à merveille et offrent un moment de lecture des plus agréables à partager en famille.

Ne m’appelez plus chouchou ! de Sean Taylor et Kate Hindley. Urban Comics, 2016. 32 pages. 10,50 euros. A partir de 4 ans.





vendredi 18 mars 2016

Magic Time - Doug Marlette

Voila, c’est fait, j’ai lu mon pavé de l’année. 670 pages avalées d’une traite, cul sec.

Doug Marlette, prix Pulitzer pour ses dessins de presse, est mort dans un accident de voiture en 2007. Magic Time, son second et dernier roman, date de 2006 et s’ouvre au début des années 90 au moment où le journaliste Carter Ransom, en pleine dépression, quitte New-York et retourne auprès des siens dans sa ville natale de Troy, au fin fond du Mississipi. Il y retrouve ses amis d’enfance quelques semaines avant la réouverture d’un procès ayant marqué la région vingt-cinq ans plus tôt. En 1965, tandis que la lutte pour les droits civiques prenait une ampleur phénoménale, le Ku Klux Klan avait incendié une église et tué quatre personnes dont Sarah, la fiancée de Carter. A l’époque son père, juge respecté pour sa probité, avait conduit le premier procès qui s’était conclu sur la condamnation de deux membres du Klan. Alors que de nouveaux éléments devant permettre l’implication du réel commanditaire du crime sont apparus et que l’affaire va être à nouveau jugée, Carter s’apprête à revivre l’épisode le plus douloureux de sa jeunesse.

Un roman addictif à la construction très maline. Marlette alterne les épisodes entre 1965 et 1990, permettant de plonger le lecteur au cœur des événements tragiques d’une époque où une certaine Amérique xénophobe et violente ne pouvait accepter une quelconque émancipation des noirs. Il montre sans jugement un racisme atavique dû à des habitudes ancestrales où même les blancs les plus modérés voient dans les militants des droits civiques des agitateurs venus troublés la quiétude d’un sud profond où il ne semble à personne nécessaire de faire bouger les lignes. On découvre aussi que les activistes, blancs ou noirs, pour la plupart venus du nord, étaient partagés entre les partisans de la non-violence et ceux prônant une action beaucoup plus véhémente.

Même si  le nombre important de personnages implique de garder une attention constante pour ne pas perdre le fil, cette immersion extrêmement documentée et précise au cœur de l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire américaine se révèle passionnante. Quelques bémols néanmoins, notamment une histoire d’amour bien trop romanesque pour moi et surtout un épilogue accumulant les « happy end » tellement sirupeux que j’ai tourné la dernière page avec les doigts collants. Il n’empêche, ce Magic Time vaut vraiment le détour. De toute façon, pour que je m’enfile un pavé aussi vite, il faut qu’il me plaise sacrément !  

Magic Time de Doug Marlette. Cherche Midi, 2016. 670 pages. 22,00 euros.

Les avis de Kathel et Léa

Et un grand merci à Solène pour ce cadeau d'anniversaire inattendu.













mercredi 16 mars 2016

Les poilus T1 : frisent le burn-out - Guillaume Bouzard

Depuis Tardi, il semblait difficile voire impossible pour les auteurs de BD d’aborder la première guerre mondiale. Mais depuis quelques années l’étau s’est desserré et beaucoup se sont affranchis de l’ombre tutélaire de l’auteur de « C’était la guerre des tranchées » pour se lancer et traiter le sujet. Pour autant, aucun avant Bouzard ne s’était écarté du registre dramatique pour s’aventurer du coté de l’humour. Rire des poilus ou avec eux ? Mission impossible à première vue. Et pourtant…

Les poilus de Bouzard jouent au rugby avec des grenades, creusent des tunnels pour découvrir le trésor des templiers, tombent sur un mexicain basané au détour d’une tranchée ou sont aidés dans leur progression par des guerriers navajos. Ridicule ? Ça devrait l’être oui. Complètement con même, n’ayons pas peur des mots. Et pourtant ça ne l’est pas. Parce que cette déclinaison de récits courts et le plus souvent absurdes finit par prendre sens malgré les anachronismes et le manque évident de crédibilité historique. Car quoi de plus absurde que cette infernale boucherie de 14-18 ? Quoi de plus absurde que la guerre tout court ? De ce grand n’importe quoi émerge donc une prise de position pacifiste clamée avec un humour très particulier. Et ça fonctionne.

Bien sûr, les poilus sont tous ici un peu crétins, c’est ce qui fait leur charme d’ailleurs. Mais à travers ces portraits grinçants et sans avoir l’air d’y toucher, Bouzard dit les officiers belliqueux aux ambitions aussi ridicules que suicidaires pour leurs troupes, il dit les petites lâchetés bien compréhensibles de ces soldats qui n’ont rien de héros mais restent avant tout des hommes. Il alterne le délire, une certaine forme de légèreté et des moments plus graves, notamment les épisodes où le troufion Pierre écrit à sa chère Suzanne. En fil rouge de l’album, on suit la disparition progressive de la population d’un village de province dont les forces vives envoyées au front sont peu à peu décimées. Et quand le seul rescapé, blessé, retourne sur ces terres, les aïeux règlent vite son cas :

- Hé bé, il en reviendra au moins ! 
- Oui, et c’est pas le meilleur.
- Ah, c’est sûr que c’est pas avec ça que le village va se repeupler.

Décalé, irrévérencieux, engagé, drôle et sacrément casse-gueule. Autant vous dire que j’ai apprécié cet album inclassable qui, je l’avoue sans honte, m’a pris par surprise alors que je me réjouissais avant le coup de le descendre en flèche. Comme quoi.

Les poilus frisent le burn-out de Guillaume Bouzard. Fluide Glacial, 2016. 48 pages. 10,95 euros.



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