vendredi 16 janvier 2015

Entre frères de sang - Ernst Haffner

Incroyable destin que celui de ce livre ayant connu un immense succès en Allemagne au moment de sa publication en 1932 avant d’être interdit et brûlé par les nazis lors d’autodafés puis de tomber dans l’oubli après 1945. De son auteur, on ne sait presque rien, à part qu’il a été journaliste, sans doute travailleur social, et qu’il a vécu à Berlin entre 1925 et 1933.

Les frères de sang, c’est le récit des aventures d’une bande de garçons dans le Berlin des années 30. Des gamins des rues frappés par la crise économique ou dont les familles avaient été détruites par la première guerre mondiale. Placés par l’assistance publique dans des institutions destinées aux mineurs, ne supportant pas les brimades d’un système cherchant à les briser, ces enfants en fuite se réfugiaient le plus souvent dans les grandes villes. Se regroupant en bandes, ils vivotaient entre petits trafics et prostitution, toujours en quête d’un repas chaud et d’un toit pour la nuit. De jeunes voyous solidaires dans la souffrance, s’abrutissant au mauvais schnaps dans les bouges des quartiers populaires. Ceux qui se faisaient arrêter par la police passaient par la case prison avant de retourner en foyer et de s’en échapper à nouveau.

Ce roman dit la misère sans misérabilisme. Il tient du témoignage, même si c'est clairement une fiction. Haffner dénonce la brutalité de l’assistance publique. Il décrit la violence permanente de la rue, le froid, la faim, le désespoir. Son texte est d’un grand réalisme, douloureux sans être dénué d’espoir. Surtout, on sent la proximité de l’auteur avec ses personnages, sa compassion jamais larmoyante, sa sincérité totale.

Un livre important pour découvrir le sort d’innombrables jeunes gens qui, dans l’Allemagne en crise de l’entre-deux-guerres, essayèrent de survivre tant bien que mal avant sans doute (même si le roman ne nous le dit pas) d’être emportés par le tourbillon du nazisme.

Entre frères de sang d’Ernst Haffner. Presses de la cité, 2014. 270 pages. 20,00 euros.

mercredi 14 janvier 2015

Fatale - Max Cabanes d’après le roman de Jean-Patrick Manchette

Lorsqu’elle débarque à Bléville, la tueuse professionnelle Aimée Joubert se rapproche des notables de cette petite ville portuaire sans âme. Elle étudie longuement leurs comportements et leurs liens, identifie les forces et faiblesses de chacun avant de s’engouffrer dans une faille dont elle compte bien profiter. Dans quel but ? Mystère…

Je ne suis pas polar mais j’adore Manchette et sa façon bien à lui de mener un récit. Il était en quelque sorte le chantre du behaviorisme à l’américaine, ne décrivant que des comportements sans jamais entrer dans des considérations psychologiques. Au lecteur de s’interroger sur les pensées et l’état d’esprit des protagonistes. Avec Fatale, on est face à un polar qui n’en est pas vraiment un (d’ailleurs le roman avait été refusé dans la collection « série noire »). L’ambiance est plus contemplative, proche de l’étude de mœurs.

Manchette égratigne la bonne société provinciale et ses élites véreuses. Il fait sauter le vernis des apparences policées pour montrer les ambitions personnelles, les coups-bas, la respectabilité de façade. Sa tueuse est l’élément perturbateur qui va peu à peu faire bouger les lignes jusqu’à l’explosion finale. Beaucoup d’ambiguïté chez tous les personnages. D’ailleurs, les victimes sont souvent plus solides que leur bourreau.

Un album sombre à l’ambiance poisseuse magnifiée par le bleu électrique de la nuit et le jaune-orangé des scènes diurnes. Un album crépusculaire, sans concession, qui restitue l’atmosphère glauque des villes de province des années 70. Un album à la froideur clinique, sans espoir, proche de la tragédie. Vertigineux et impressionnant.


Fatale de Max Cabanes d’après le roman de Jean-Patrick Manchette. Dupuis, 2014. 136 pages. 22,00 euros.




mardi 13 janvier 2015

La règle d’or - Isabelle Minière

Léo le trouve étrange ce nouvel élève : « il s’est avancé dans la cour, il a regardé tout autour, l’air tranquille, comme s’il était en visite dans un musée et qu’il regardait les objets exposés. Les objets, c’était nous, alors ça nous a fait bizarre, à mes copains et moi, on n’avait pas l’habitude d’être exposés. A sa place j’aurais eu un peu peur d’arriver là sans connaître personne, lui non. » Quand la maîtresse a demandé à chacun ce qu’il voudrait faire plus tard, il a simplement répondu : « Je veux faire le bien, c’est tout ». Il y en a quelques uns qui se sont foutus de lui, l’ont baptisé Superman. A la sortie, trois garçons lui ont sauté dessus, c’était pas beau à voir. Il s’est relevé le visage en sang et une bosse sur le front, sans haine ni volonté de vengeance,  il a au contraire cherché à minimiser les choses. Décidément, pour Léo, ce n’est pas un garçon comme les autres…

La règle d’or du titre, c’est celle que Camille, cet enfant étrange, se répète comme un mantra. Il l’applique à chaque occasion, en a fait en quelque sorte un mode de vie. Léo est fasciné par sa liberté d’esprit et son altruisme. Camille est un enfant différent, un sage qui met le respect d’autrui et la tolérance au-dessus de toutes les autres valeurs.

Tout cela pourrait être bien naïf, moralisateur et limite ridicule. Mais ça ne l’est pas une seconde. Point de leçon ici, juste la démonstration par les faits que l’attention aux autres et la bienveillance sont les armes qui forgent les plus belles amitiés. Autant vous dire que par les temps qui courent, ce petit texte sans prétention au message tellement pacifique devrait être déclaré d’utilité publique.


La règle d’or d’Isabelle Minière. Ed. du jasmin, 2013. 60 pages. 8,00 euros. A partir de 8 ans.

Une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.




lundi 12 janvier 2015

Tout foutre en l’air - Antoine Dole

Si vous avez lu ses romans précédents, vous savez sans doute que l’on entre dans un texte d’Antoine Dole sur la pointe des pieds, en se demandant de quelle façon il va s’y prendre pour nous serrer les tripes. On s’attend à être bousculé, éprouvé, à en sortir rincé. Celui-là ne déroge pas à la règle, évidemment.

Une nuit froide et humide. Des trombes d’eau. « Les gouttières crachent une eau crasseuse qui dilue les murs, les couleurs ». Une ado quitte ses parents en claquant la porte. Elle part retrouver celui qu’elle aime. Ce soir, ils vont le faire. Ensemble ils courent sous la pluie. Leur destination ? Un immeuble en construction. La fin de l’histoire ? Ne compter pas sur moi pour vous la raconter.

Comme de coutume dans cette collection, une seule voix. La narratrice est cette gamine en fuite. Ses mots disent d’abord sa détermination. Son ras le bol aussi. De ces parents qu’elle ne supporte plus. « Combien de fois j’ai eu l’impression de vivre en dehors de tout cela, à coté, en marge. Mon existence sur leurs contours, jamais tout à fait dans leur vie à eux. » Marre de « toutes ces choses qu’on dit qu’on fera et qu’on ne fait jamais. » Alors, elle va le faire. Son amoureux a quatre ans de plus. Elle l’a rencontré sur internet. Ses parents ont découvert leurs échanges et l’ont privée d’ordi. Ils l’ont mise en garde, ont voulu la raisonner. Ça n’a fait que renforcer sa volonté de passer à l’acte. Mais plus la nuit avance et plus son discours évolue. Il évolue jusqu’à…

Décidément, j’adore la plume d’Antoine Dole. Ses phrases courtes, tendues, sa capacité à décrire les fêlures et la souffrance. Sa relation au corps, sa façon unique de lier le psychique et le physique, de glisser les mots sous la peau, de retranscrire les sensations les plus intimes sans en faire des caisses. Sa force d’évocation est sidérante, il lui suffit d’une phrase pour que l’image se forme, s’imprime sur la rétine du lecteur, y laisse une trace indélébile.

Il est des auteurs (rares) dont j’attends chaque nouvelle publication avec impatience. Pas comme un fan en transe (j’espère ne jamais être fan de qui que ce soit) mais simplement parce que je sais que je vais y trouver un univers à part, une voix unique qui m’interpelle. Antoine Dole fait incontestablement partie de ces auteurs.

Tout foutre en l’air d’Antoine Dole. Actes sud, 2015. 72 pages. 9,00 euros. A partir de 14 ans.


Une lecture que je partage avec Noukette. Je ne pouvais décemment pas parler du nouveau Antoine Dole sans elle !







samedi 10 janvier 2015

Azami - Aki Shimazaki

Azami en japonais, c’est la fleur de chardon. « Cette fleur unique, avec sa forme particulière et sa couleur violette. On n’en offre pas en cadeau à cause des épines pointues sur ses feuilles. Une fleur d’un abord difficile. » Une description qui pourrait être celle de Mitsuko, le premier grand amour de jeunesse que Mitsuo, 36 ans, retrouve par hasard dans un bar à hôtesses. Mitsuo est marié et amoureux de sa femme Atsuko, mais depuis la naissance de leur second enfant le couple est « sexless », et pour satisfaire ses besoins « d’homme normal », ce rédacteur dans une revue locale fréquente régulièrement des établissements de service sexuels : « Simple, commode et rapide. Je ne passe à ces endroits qu’une demi-heure et c’est toujours après mon travail. Je ne cherche pas d’aventures. Je n’ai pas de conversations intimes avec les entraîneuses qui s’occupent de moi. Pour elles, je ne suis qu’un client ».

Seulement, avec Mitsuko, les choses sont différentes. Il la retrouve le soir chez elle, et pendant que le fils unique de cette mère célibataire dort dans la pièce d’à coté, ils font l’amour comme si leur vie en dépendait. Mais le jour où Atsuko apprend cette liaison, Mitsuo doit choisir entre la passion dévorante pour sa maîtresse et la préservation de son couple et de sa vie de famille…

Née au Japon, Aki Shimazaki vit à Montréal depuis 1991 et écrit en français. Elle propose ici un texte à la première personne très intime, tout en délicatesse. Beaucoup de pudeur chez Mitsuo le narrateur, une certaine froideur d’analyse aussi pour un homme cédant aux passions avec une retenue typiquement japonaise. Après, il y a des hasards et des coïncidences difficiles à croire, notamment dans la rencontre des deux amants, mais peu importe, il se dégage de ce très court roman une finesse et un charme en tout point séduisants.


Azami d’Aki Shimazaki. Actes Sud, 2015. 130 pages. 13.50 euros.



vendredi 9 janvier 2015

L’incendie - Antoine Choplin et Hubert Mingarelli

Pavle vit à Belgrade et Jovan en Argentine. S’étant revus après plusieurs années de silence, ils entament une correspondance. Au fil des lettres, le passé affleure, douloureux. La guerre en ex-Yougoslavie les a marqués au fer rouge. Un événement, surtout, a bouleversé leur existence et continue de les hanter…

Une couverture affichant Antoine Choplin et Hubert Mingarelli, avouez que ça fait rêver ! Je ne sais pas comment ils ont fonctionné autour de ce texte mais je suppose que chacun a endossé le rôle de l’un des protagonistes. Les lettres sont au départ plutôt insignifiantes, simples échanges de bons procédés après des retrouvailles appréciées. Mais peu à peu le ton change, les sujets abordés deviennent plus graves, les confidences plus intimes. Et tout les ramène dans cette maison où ils sont entrés un jour d’hiver, pendant la guerre. Ils étaient trois soldats. A l’intérieur, ils on trouvé une femme, seule. Une femme qui sera en quelque sorte l’étincelle mettant le feu aux poudres…

Pas simple comme exercice, l’épistolaire. J’ai aimé ici les silences, la difficulté à trouver les mots, à se livrer, à exprimer la honte et la culpabilité. J'ai aimé l'écriture discrète et sensible du duo Choplin/Mingarelli, même si, je le répète, je ne sais pas qui a écrit quoi. J’ai aimé l’interaction entre Pavle et Jovan, pleine de retenue et de non-dits jusqu’aux révélations crevant un abcès depuis trop longtemps enfoui. Et puis j’ai aimé la fin qui laisse une pincée d’espoir au cœur du chaos.

L’incendie d’Antoine Choplin et Hubert Mingarelli. La fosse aux ours, 2015. 80 pages. 13,00 euros.

Extraits :

« Chacun agit comme il peut pour vivre et s’arranger, et sans doute avons-nous fait de notre mieux jusqu’à aujourd’hui. »

« Regarder le monde comme il est, ce n’est pas si facile mais surtout, je me dis que ce n’est qu’une occupation parmi toutes celles qu’on peut avoir. Je trouve que c’est bien aussi de regarder le monde comme il pourrait être, ou comme on voudrait qu’il soit. Et c’est bien aussi de ne rien regarder du tout. […] Je t’écris ça parce que c’est ma façon à moi de me tenir debout, et j’ai envie que tu le saches. »

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette et Valérie et un billet qui signe ma première participation au challenge de la rentrée d'hiver 2015.






mercredi 7 janvier 2015

Poulbots - Patrick Prugne

1905. D’un coté il y a Jean, fils unique d’une famille aisée dont le père, entrepreneur, veut mettre sur pied à Montmartre un projet immobilier d’envergure. De l’autre, quelques gamins des rues, gavroches miséreux traînant leurs guêtres dans les terrains vagues de la butte. De leur rencontre naîtra une amitié improbable et un projet commun : mettre en échec les ambitions du promoteur pour préserver leur terrain de jeu, tout cela sous l’œil malicieux du dessinateur Francisque Poulbot.

Un bel hommage rendu par Patrick Prugne à des gamins débrouillards et à un quartier historique de Paris qui, à l’époque, n’était encore qu’un village. Dans cette campagne aux portes de la capitale, il a voulu créer une bulle pleine de douceur et montrer la joie de vivre et la solidarité malgré la misère. Une vision idéalisée occultant entre autres toute violence (alors qu’elle était évidemment très présente) mais qui, au final, n’a rien de cucul.

Un album qui vaut surtout pour son ambiance et ses dessins, son atmosphère délicieusement rétro et ses personnages attachants. Un vrai délice de se promener dans le Montmartre de la Belle Époque mis en images de la sorte. Prugne est un orfèvre, un auteur que j’adore, découvert il y a dix ans avec « L’auberge du bout du monde », et qui signe des aquarelles en couleur directe sans aucune retouche informatique de toute beauté. Son travail sur la lumière notamment est bluffant.

« Poulbots » sonne comme une parenthèse de tendresse, une plongée dans une enfance insouciante malgré les difficultés. C’est une lecture qui fait du bien, tout simplement.


Poulbots de Patrick Prugne. Éditions Margot, 2014. 80 pages. 16,90 euros.


Un billet qui signe ma première lecture commune de l’année avec Noukette (pas la dernière, assurément).


Les avis de L'ivresse des motsMarilyneMo' et Syl








mardi 6 janvier 2015

Le premier mardi c'est permis (32) : Osez… 20 histoires de sexe aux sports d’hiver

Lire des histoires coquines se déroulant aux sports d’hiver, voila qui me semblait être une bonne idée en ces temps de grands froids. Sauf que j’aurais pu m’abstenir. Mais alors, vraiment. Vingt histoires de sexe, donc, comme annoncé dans le titre. Les premières sont passables mais le pire c’est que par la suite la qualité, déjà loin d’être au firmament, baisse aussi vite que ma virilité plongée dans une eau glaciale.

Clairement, ça manque à chaque fois de profondeur. Enfin de profondeur psychologique je veux dire, parce que sinon de la profondeur, il y en a, et pas qu’un peu. Tout va trop vite, à peine le temps d’exposer une situation que l’on se retrouve les quatre fers en l’air. Comme dans un porno, quoi. Niveau dialogues, c’est pareil, on en reste au strict minimum. Comme dans un porno, quoi. Et puis zéro sensualité dans les scènes cochonnes, du bourrin et rien d’autre. Comme dans un porno, quoi. La couverture aussi est digne d’un porno. Et le titre de certaines nouvelles (« Avoir chaud au cul par -10° », « Ma bite en flocon ») ne relève pas le niveau. Les scénarios sont fades à pleurer (comme dans un porno !!!!!!!). Des femmes qui s’ennuient, des femmes qui ont le feu aux fesses, des femmes qui, d’un regard, invitent un inconnu (ou plusieurs) à les culbuter sans ménagement. On tourne les pages en se disant que la chair est triste, on cherche la petite dose d’originalité, le truc qui sort des sentiers battus… puis on tombe sur le texte intitulé « Apocalypse fondue » où une « sperme addict » est recouverte par des hectolitres de semence de yéti et on se dit que l’originalité, finalement, ça n’a pas toujours du bon.

Chaque histoire, rédigée sous pseudo, a un auteur différent. Un point commun quand même, c’est que toutes sont très mal écrites, avec un art de la formule pas forcément de bon aloi. Exemples : « Il me dit ça en me regardant droit dans les yeux. Son regard perçant de mâle dominant fait immédiatement se dresser mes poils dans mon slip. » ; « Il me bourre, me remplit, je me sens prise et pleine de lui. […] Je ne me reconnais plus. Fous-moi-la profond ! râlé-je. » ; « Avec Louis, elle était satisfaite en permanence, nourrie sous la bite comme un veau sous la mère. » Que dire de plus sinon que certains textes n’ont à l’évidence pas subi la moindre relecture avant publication, sinon on ne retrouverait pas la même phrase, dans le même paragraphe, à trois lignes d’intervalle.

Rien à sauver, donc. Nul, nul, nul. Et ce sera mon dernier mot.

Osez… 20 histoires de sexe aux sports d’hiver. La Musardine, 2014. 252 pages. 8,20 euros.

L'avis d'Hélène









vendredi 2 janvier 2015

Bienvenue à Mariposa - Stephen Leacock

1912. Stephen Leacock  narre la vie quotidienne d’une ville fictive de l’Ontario à travers quelques-uns de ses habitants. De chapitre en chapitre, le lecteur part à la rencontre de l’hôtelier roublard Mr Smith, du barbier boursicoteur Jefferson Thorpe, du révérend Drone, incapable de faire face à la dette engendrée par la construction d’une nouvelle église, ou encore de Peter Pupkin, guichetier de la banque de Mariposa dont la romance avec Zena, fille du juge Pepperleigh, alimenta bien des chroniques. Mais Leacock nous raconte aussi un naufrage qui aurait pu être tragique, un hold-up qui n’en était pas vraiment un et des élections locales mémorables.

Le propos est léger, un poil sarcastique tout en restant pétri de bienveillance. Dans la postface, l’illustrateur Seth résume parfaitement l’esprit de cet ouvrage devenu un grand classique populaire de la littérature canadienne anglophone : « Ces textes ne sont pas purement comiques, ni franchement satiriques. Pas juste méchants non plus : il y a trop d’amour dedans pour cela, et cependant pas assez pour être vraiment compassionnels. Leacock aime bien les gens de Mariposa, mais cela ne l’empêche pas de les regarder de haut. Il ne se gêne pas pour pointer leurs défauts. »

L’auteur se moque gentiment des petites villes de Province mais on le sent aussi sous le charme de cette vie simple. Souvent proche de l’absurde, il fait d’événements banals une odyssée et joue de quiproquos pour déclencher le sourire. Ses autochtones sont tantôt pragmatiques, tantôt rêveurs, ils retournent leur veste à la moindre occasion, disent tout et son contraire lorsqu’il est question de politique, mais ils savent aussi se montrer solidaires et très impliqués dans la vie de leur communauté.

 Une lecture vraiment agréable, qui coule toute seule. J’ai beaucoup aimé me promener dans les rues de Mariposa. Et que dire de l’ouvrage lui-même, superbe objet-livre à la jaquette dorée, à l’épais cartonnage et au texte richement illustré. Une édition de prestige particulièrement soignée.


Bienvenue à Mariposa de Stephen Leacock (ill. de Seth). Wombat, 2014. 260 pages. 29,00 euros.


L'avis de Choco


dimanche 28 décembre 2014

Les mots qu’on ne me dit pas - Véronique Poulain

Alors voila. Tu croises un bouquin partout sur la blogosphère, tu déclares à chaque fois qu’il ne t’intéresse pas une seconde et patatras, tu le trouves au pied du sapin ! Comme tu es bien élevé, tu dis merci. Et puis tu décides de le lire au plus vite au cas où on te demande ce que tu en as pensé. Pour celui-là, pas de souci avec le nombre de pages vu qu’il se lit en deux heures. Le problème est de savoir si tu vas dire la vérité (j’ai été très agacé, voire un peu plus, par ce texte) ou si tu vas feindre la satisfaction totale dans l’espoir que l’on continue à t’offrir des livres à Noël plutôt que des slips ou des chaussettes.

Véronique Poulain raconte sa vie d’enfant entendante auprès de parents sourds. Une vie compliquée, une communication forcément difficile, une relation à l’autre tellement différente où pointe souvent l’agacement, le rejet, les moqueries. Un manque de complicité, un manque d’amour aussi, même si, en grandissant, les choses s’arrangent peu à peu.

Clairement, j’ai très mal pris ce texte. Cette succession d’instantanés n’est qu’anecdotique, je suis certain qu’il ne m’en restera rien dans quelques jours. Véronique Poulain se pique de bons mots, j’ai eu l’impression de la voir en plein stand up, voulant coûte que coûte faire rire son lecteur (pas pour rien qu’elle a été pendant quinze ans l’assistante de Guy Bedos). Bon, je reconnais que je rigole quand je me brûle, je suis donc forcément très mauvais public pour ce genre de prestation, mais cette volonté permanente de chercher la formule qui fait mouche fini par être lassante : "Salut, bande d'enculés !" C'est comme ça que je salue mes parents quand je rentre à la maison. Mes copains me croient jamais quand je leur dis qu'ils sont sourds.Je vais leur prouver que je dis vrai. "Salut, bande d'enculés !" Et ma mère vient m'embrasser tendrement.

Et puis je me suis senti très mal à l’aise face au mépris affiché en permanence pour ces parents qui lui font plus honte qu’autre chose, et auxquels elle ne semble finalement trouver aucune circonstance atténuante. « Sans tabou », précise la quatrième de couverture. Certes, mais il y a aussi là une forme d’indécence je trouve, une indécence un peu gratuite, ce qui est encore pire. J’ai très peu apprécié le coté geignard de la confession, ce « plaignez-moi, j’ai eu une enfance de merde à cause de mes parents sourds » qui sonne comme un leitmotiv au fil des pages. Alors bien sûr, il y a les quatre dernières phrases : « Aujourd’hui, je suis fière. Je les revendique. Surtout je les aime. Je veux qu’ils le sachent ». Pirouette salvatrice, conclusion évidente et définitive dont je ne me permettrais jamais de mettre en doute la sincérité. Mais ne fallait-il pas mieux commencer par là ?


Les mots qu’on ne me dit pas de Véronique Poulain. Stock, 2014. 140 pages. 16,50 euros.


Des tonnes d'avis très positifs sur Babelio et celui de La fée lit, beaucoup plus proche du mien (mais dont le billet est bien mieux troussé).