vendredi 16 mai 2014

El ultimo lector - David Toscana

Quand Marilyne me propose une lecture commune je suis toujours partant, parce que son choix va forcément me plaire. Même si je ne connais pas le livre qu’elle me propose. Même si c’est un roman mexicain alors que je ne sais rien de la littérature de ce pays et même si le texte débute avec la découverte du cadavre d’une fillette…

A Imacole, bled paumé du nord du Mexique, la sécheresse semble ne jamais vouloir prendre fin. Seul Remigio a la chance d’avoir encore un peu d’eau au fond de son puits pour arroser son avocatier. Mais le jour où il y trouve le corps d’une enfant de 12-13 ans, il se dit que ce puits risque de lui attirer bien des ennuis. Cachant sa macabre découverte, il se rend chez son père Lucio, le bibliothécaire du village, pour lui demander conseil…

Pas la peine d’en dire davantage, ce n’est pas un roman qui se résume, c’est un roman dans lequel il faut juste croquer à pleines dents. Ne serait-ce que pour se régaler de la verve et de la lucidité de Lucio, un « ultimo lector » incorruptible passant au tamis de ses goûts littéraires chaque ouvrage aspirant à rejoindre les rayonnages de sa bibliothèque. Ceux n’ayant pas à ses yeux de qualités suffisantes finissent en enfer, une pièce où il élève des cafards dévoreurs de livres médiocres. « Le feu ne lui semble pas un châtiment approprié, car il confère à un livre prétentieux l’utilité de produire de la chaleur, la gloire de devenir lumière. L’enfer doit être quelque chose qui consume lentement, parmi l’urine et les mâchoires qui avec ténacité réduisent  en miettes couvertures, jaquettes et photographies d’auteurs immortalisés, les hommes dans une pose intellectuelle, les femmes dans leur désir de beauté. » Lucio est donc un grand malade, un fou de littérature autour duquel va graviter une cohorte de personnages plus savoureux les uns que les autres.

C’est un texte qui peut paraître foutraque, où la réalité ne cesse d’être transfigurée par l'imaginaire, où l’on se demande si c’est la fiction qui devient réelle où si c’est le réel qui n’est que fiction. On peut facilement perdre le fil mais peu importe. C’est un texte auquel il ne faut pas tenter de résister. Se laisser prendre par la main, se laisser porter par les mots et profiter d’une atmosphère incomparable, hors du temps et des modes. Un  grand moment de littérature ! Moi qui pensais être hermétique au réalisme magique latino-américain, je constate avec plaisir que ce n’est pas le cas. Borges me voila !

El ultimo lector de David Toscana. Zulma, 2013. 188 pages. 8,95 euros.

Le billet de Marilyne

Les avis de In Cold Blog, Manu et Coccinelle

jeudi 15 mai 2014

La ballade d’Hester Day - Mercedes Helnwein

Après Dieu me déteste, La belle colère s’enrichit d’un second roman sur l’adolescence. En même temps, c’est le principe de cette collection, proposer des romans dont les héros sont des adolescents sans que le «jeune public» soit spécifiquement visé. Pour le coup, l’objectif est une fois encore atteint.

La ballade d’Hester Day raconte les déboires existentiels d’Hester, 18 ans, gamine un peu paumée, incompréhensible pour son entourage, asociale sans être véritablement rebelle, juste incapable de se voir un avenir. A la veille de rentrer à l’université, elle va, sur un coup de tête, se marier avec un apprenti poète qu’elle connait à peine puis embarquer avec lui pour un road-trip en camping car en emmenant dans ses bagages son cousin de dix ans.

L’idée était vraiment sympa et aurait pu donner un texte enlevé et jubilatoire mais ce n’est pas le cas. Le problème c’est que tout sonne faux. Je n’y ai pas cru une seconde. Trop de caricatures : l’ado en crise, la mère hystéro, le père invisible qui veut juste qu’on évite de le déranger, la sœur haïe, le cousin obèse et rêveur, l’apprenti poète ronchon mais touchant, etc. Et puis de drôles coïncidences, nécessaires pour faire avancer le schmilblick mais paraissant sacrément artificielles (comme les retrouvailles d’Hester et de Fenton dans l’ascenseur de l’hosto par exemple, ou celles avec Jack dans une ferme isolée du fin fond du Kansas…).  Je n’ai pas non plus aimé l’écriture faussement djeune, les « putains » et  les « connards » pas franchement indispensables ou les réflexions philosophiques creuses comme « j’imagine qu’on ne peut pas vivre sans apprendre ». Et puis, une narratrice qui, parlant de sa mère et à cent pages d’intervalle, utilise deux fois l’expression « elle en chierait dans son froc d’extase », désolé mais ça ne passe pas.

Ok, je chipote, je rentre dans des détails sans intérêt. Je crois simplement que je l’ai mal pris, ce roman. Que c’était pas le bon moment pour m’y lancer, que j’étais pas d’humeur à subir la logorrhée d’une ado qui se cherche et ne parvient pas à se trouver. D’ailleurs je dois reconnaître quelques qualités à ce texte, des séquences marquantes, des dialogues percutants et des passages plutôt drôles.

Pour autant, je suis resté totalement extérieur à l’histoire. Rien à cirer d’Hester et des ses états d’âme, de Fenton, de Jethro du conflit parents/enfant et de ce road trip tout sauf trépidant. Je suis passé complètement à coté, quoi. Ça arrive…

La ballade d’Hester Day de Mercedes Helnwein. La belle colère, 2014. 368 pages. 20 euros.

Une lecture commune que je partage avec Karine, Lasardine, Noukette et Stephie. J'espère être le seul vilain petit canard de la bande...





mercredi 14 mai 2014

Les temps mauvais : Madrid 1936 – 1939 - Carlos Giménez

« De 1936 à 1939, eut lieu en Espagne ce que certains historiens, versés en littérature, ont appelé « la dernière guerre romantique ». Pour ceux qui l’ont vécue, ce fut simplement la guerre. »

Madrid, de 1936 à 1939. Suite au putsch militaire de Franco, la ville est assiégée et les républicains tentent de résister au fascistes. Carlos Gimenez raconte la guerre civile à travers le quotidien d’une famille qui l’a vécue « de plein fouet ». Mr Marcelino, le père, est un socialiste modéré. Entouré de sa femme et de ses trois enfants, travaillant dans un atelier de confection, il va endurer les privations et vivre au milieu de l’horreur et du chaos. Arrestations et exécutions arbitraires, bombardements, famine, maladie, promiscuité, insécurité permanente, rien ne sera épargné aux madrilènes pendant trois ans, jusqu’à la défaite.

Cette intégrale regroupant quatre albums inédits en France se compose d’historiettes de quelques pages. Des tranches de vie  sidérantes de réalisme qui ne glorifient personne mais cherchent à montrer un conflit vécu à hauteur d’homme par une population terrorisée.

Dans un dossier très complet en fin d’ouvrage, l’auteur explique sa démarche : « Je voulais raconter la guerre du point de vue de ceux qui l’ont subie, ceux qui recevaient les bombes et ont connu la terreur, la faim, l’angoisse et la misère. Je voulais raconter la guerre en minuscules, la guerre du quotidien, celle des coulisses, celle de ceux dont on ne parle pas dans les journaux, ni dans les manuels d’histoire. »

Impossible selon moi d’avaler ce pavé d’une traite, il est préférable de procéder par étapes pour éviter l’indigestion et profiter au maximum de la richesse de l’ensemble.

Le dessin en noir et blanc serait davantage adapté à un registre humoristique mais plus on avance dans le recueil et plus on se dit qu’il colle parfaitement au propos. D’ailleurs, un trait plus réaliste aurait sans doute rendu les événements relatés à la limite du supportable.

Il faut aimer le genre, il faut aimer le sujet, il faut accepter d’être sacrément bousculé par l’atrocité du conflit. Mais il faut aussi reconnaître que c’est de la très grande BD historique, une somme d’une rare qualité que j’ai trouvé absolument passionnante.

Les temps mauvais : Madrid 1936 – 1939 de Carlos Giménez. Fluide Glacial, 2013. 240 pages. 35,00 euros.


Un album lu dans le cadre de l’opération « La BD fait son festival » organisée par Priceminister. Et puisqu’il me faut donner une note à ces « Temps mauvais », je leur accorde un 18/20 bien mérité.
















mardi 13 mai 2014

Ce crime - Catherine Leblanc

Une classe de seconde, en l’an 2000. Une blague qui tourne mal et Jonas est poignardé par Romain dans un couloir du lycée. Il ne se relèvera pas.

Dix ans plus tard, les anciens élèves se souviennent. Chacun donne son point de vue. Il y a ceux qui voudraient « rembobiner le film, revenir en arrière, recommencer autrement. » D’autres n’ont toujours pas surmonté le traumatisme alors que certains se sont servis de cet épisode tragique pour avancer. Il y a aussi celui qui, aujourd’hui encore, a l’air de prendre l’affaire à la légère tandis que le prof, lui, ne s’en est jamais remis : « je n’ai pas pu empêcher ça, ce crime. C’est une faute trop lourde à porter. » Les voix se succèdent, la polyphonie souligne à quel point il y avait dans cette classe une tension sous-jacente ne demandant qu’à éclater au grand jour. Un microcosme avec ses clans, ses rois, ses reines et ses victimes désignées, une atmosphère étouffante où les humiliations subies ont fini par devenir insupportables, où la mèche, une fois allumée, a provoqué l’explosion…

Avec les années, la maturité aidant, la réflexion autour du drame, de ses causes et de ses conséquences, est  plus profonde. Les fêlures portées comme un fardeau à l’adolescence resurgissent au fil des souvenirs égrainés et chaque témoignage possède un ton et une force assez remarquable.

Un récit choral poignant et réaliste. Extrêmement court mais d’une redoutable efficacité. De la très bonne littérature jeunesse, en somme.

Ce crime de Catherine Leblanc. Balivernes, 2010. 56 pages. 7,50 euros. A partir de 12 ans.

Une nouvelle lecture commune du mardi que j’ai le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis de Clara et Lasardine.



lundi 12 mai 2014

Au secours, j’ai perdu mon slip ! (ou la véritable histoire de Tarzan) - Christophe Loupy et Bérengère Delaporte

Si Tarzan est le roi de la jungle, c’est parce qu’il est le plus beau, le plus fort et le plus rapide, mais c’est aussi et surtout parce qu’il porte un incomparable slip léopard. Alors le jour où son seul vêtement disparaît, le roi de la jungle se trouve fort démuni. Et lorsqu’il découvre ledit vêtement sur les fesses poilues du gorille, il comprend que les animaux ont changé de roi. Mais Tarzan ne s’avoue pas vaincu et il va se confectionner un nouveau slip, bien décidé à reconquérir son trône…

Il est rare de tomber sur un album jeunesse aussi drôle. Il faut dire que je suis très bon public pour les histoires de slip. Et puis ici on a droit à un impayable Tarzan à rouflaquettes que l’on découvre cul-nu au détour d’une page. En même temps, il importe de préciser que ce n’est pas que la fête du slip. On rigole beaucoup mais l’air de rien on parle ici aux enfants de vivre ensemble et c’est joliment amené.

Le dessin est simple, expressif, coloré, et participe grandement à l’ambiance potache de l’ensemble. De la grosse poilade et un message intelligent, voila un album qui va forcement faire mouche auprès du jeune public auquel il s’adresse.

Au secours, j’ai perdu mon slip ! (ou la véritable histoire de Tarzan) de Christophe Loupy et Bérengère Delaporte. Marmaille et Compagnie, 2014. 32 pages. 12,00 euros. A partir de 4-5 ans.

Les avis de Leiloona et Mya Rosa.



samedi 10 mai 2014

Un ciel rouge, le matin - Paul Lynch

Dans l'Irlande du 19ème siècle, Coll Coyle, un jeune fermier menacé d’une expulsion qu'il considère injuste, décide d'aller demander des explications au fils de son propriétaire. Dans un accès de colère, il le tue accidentellement. Pour éviter les représailles, Coll doit fuir, laissant derrière lui sa femme enceinte et sa fille. A ses basques, le terrible Faller, homme de main du domaine décidé coûte que coûte à venger son patron.

Le résumé de l'histoire pourrait tenir sur un timbre. Une histoire de fuite, en trois temps. D'abord la fuite à pied jusqu'au port de Derry. Puis la traversée de l'Atlantique dans des conditions abominables. Enfin la fuite en Pennsylvanie où Coll est embauché sur un chantier de chemin de fer, près de Philadelphie.

Un premier roman dense et prometteur. Le seul gros souci est pour moi le manque de profondeur des personnages auxquels on a du mal à s'attacher. Pour le reste, la construction est imparable. Faisant se succéder des tableaux mettant successivement en scène la fuite et la traque, Paul Lynch joue sur l'opposition classique entre le bien et le mal. Faller incarne le mal absolu. Froid, cruel et déterminé, on se demande juste quelles sont ses réelles motivations (d'où le manque de profondeur). Quant à Coll, il reste une figure d'innocence malgré son crime, une proie cherchant désespérément à échapper à l'implacable chasseur ne perdant jamais sa trace.

On est donc face à une sorte de western américano-irlandais mâtiné de roman d'aventure à l'ancienne et de nature writing. Mais la singularité tient ici à la qualité de l'écriture, une écriture très visuelle, presque cinématographique avec par moments un registre lyrique où s'exprime la violence des hommes dans de somptueux décors magnifiés par d'amples descriptions. Finalement, on se demande si les éléments naturels ne sont pas les protagonistes principaux du récit, au détriment d’individus n'existant que par leurs actes et leurs sensations, en dehors de toute psychologie, et c'est presque dommage.

Il n'empêche, ce premier roman reste d'une redoutable efficacité et j'ai aimé son dénouement, certes pessimiste mais selon moi tellement lucide, prouvant, comme une évidence, que notre liberté n'est qu'illusoire et notre défaite finale inéluctable, quels que soient nos efforts.


Un ciel rouge, le matin de Paul Lynch. Albin Michel, 2014. 304 pages. 20,00 euros.

Les avis de Canel et Cristie, très mitigés...










jeudi 8 mai 2014

Tyrannicide - Giulio Minghini

Tyrannicide est pour son auteur Gérard Joyau le livre d’une vie. Pensez donc, une éducation sentimentale de 934 pages dans une prose d’un « classicisme baroque » qui raconte « les déboires d’un provincial aux prises avec une mère mutique et autoritaire (qui le maltraite depuis son enfance), et amouraché d’une charcutière nymphomane (sa maîtresse) », ce n’est pas rien. Sauf que la sixième mouture du manuscrit vient d’être à nouveau refusée par les éditions Gallimard. Un refus accompagné pour la première fois d’un petit mot de Philippe Sollers himself. Pour Gérard c’en est trop, la coupe est pleine et la réponse va être cinglante. Dans une longue lettre à l’attention du « mandarin égocentrique des lettres françaises », il va défendre son texte avec un aplomb à toute épreuve. Avec véhémence, conviction, et sans peur du ridicule…

Gérard Joyau est persuadé d’être un écrivain, un vrai, « contraint de mendier auprès de l’éducation nationale un poste, non pas déshonorant, mais très au-dessous de [sa] juste valeur » à cause de la « malveillance des éditions Gallimard » qui refusent de reconnaître son talent. C'est également un lecteur passionné du magazine Détective, de Mauriac, de Montherlant et de bien d’autres, qui n’hésite pas à retirer à coups de ciseaux les pages superflues ou ratées des livres qu’il dévore : « Ma pléiade Céline ne compte que trente-huit pages, celle de Gide un peu moins de deux cents ». Surtout, c’est un vieux garçon à l’œdipe mal géré, s’accrochant désespérément à un seul et unique rêve : être publié dans « La blanche ».

C'est une évidence, elle est pathétique sa lettre. Plus il avance dans l’analyse minutieuse de son « œuvre » et plus il s’enfonce. C'est bien connu, les écrivaillons persuadés d'être des génies sont légions. Et ils sont prêts, coûte que coûte, à défendre leur prose, même si on leur démontre par A + B qu'elle ne vaut pas tripette. Tout cela aurait pu être plombant et grossier mais au final l’exercice proposé par Giulio Minghini se révèle éminemment littéraire. Pas de moquerie vacharde, tout est présenté avec beaucoup de finesse et d'humour, même si le pauvre Gérard n'en ressort pas grandi, loin s'en faut. Et puis certaines piques attaquent bille en tête, et avec justesse, le monde de l’édition : « Gallimard, cette maison d’édition qui, par ses jeux diplomatiques grossiers et mafieux arrive un an sur deux à obtenir avec l’un de ses auteurs le prix Goncourt. Comme c’est bizarre, n’est-ce pas ? », tandis que d’autres sont d’une lucidité touchante : « Juste une curiosité, au passage ; combien avez-vous tué d’écrivains dans l’œuf littéraire […] mis à mort par la hache de votre indifférence… Combien ? Savez-vous combien vous en avez broyés, effacés, rayés de leur propre vie ? »

Voila donc un petit texte brillant à l’écriture très travaillée. Et cette lettre n’épargnant au final ni l’expéditeur ni le destinataire m'a fait passer un moment de lecture délicieusement jubilatoire.

 Tyrannicide de Giulio Minghini. Nil, 2013. 78 pages. 8,50 euros.


Une découverte que je dois à  Stephie. Elle a eu la gentillesse de m’offrir ce livre et je la remercie sincèrement, c’est une très belle découverte.




mercredi 7 mai 2014

Les vieux fourneaux T1 : Ceux qui restent de Lupano et Cauuet

Antoine, 77 ans, vient de perdre sa femme. Pierrot et Émile, les amis de toujours, sont là pour le soutenir le jour de l’enterrement. Mais quand il apprend le lendemain que son épouse bien-aimée a eu une relation extraconjugale une quarantaine d’années auparavant, il devient fou de rage. Surtout que l’amant n’était autre que son patron de l’époque, magnat d’un grand groupe pharmaceutique, aujourd’hui nonagénaire exilé par sa famille dans une villa toscane où il passe ses journées à sucrer les fraises, frappé de plein fouet par un Alzheimer dévastateur.

Décidé à venger son honneur, Antoine prend son fusil et saute dans sa voiture, direction l’Italie. Pour éviter le drame, Pierrot et Émile, accompagnés de Sophie, la petite-fille d’Antoine, s’embarquent à leur tour dans un périple mouvementé…

Un régal cet album ! Ces petits vieux sont attachants mais pas que. Ils fument et picolent parce qu’il n’y pas de raison de se priver de ces petits plaisirs, ils débordent d’énergie, ne sont certes pas dans la forme de leur vie mais ils sont prêts à déplacer des montagnes pour aider leur copain. En ces temps d’égoïsme, ils revisitent l’altruisme de façon magistrale. Et sans mièvrerie, avec un cynisme et un humour dévastateur. La réflexion politique n’est jamais loin, les dialogues, très travaillés, sonnent comme du Audiard mâtiné de Jean Rochefort. Même l’ex-patron est drôle malgré lui et finit par devenir attendrissant.

Et que dire de la confrontation savoureuse entre Sophie, digne représentante de la jeunesse actuelle, et ces vieillards qu’elle considère comme « la pire génération de l’histoire de l’humanité. » Un régal je vous dis !

Il faut reconnaître aussi que le dessin de Cauuet offre à ces papys des trognes inoubliables. De nombreuses choses passent dans leurs regards, leurs postures et leurs corps abîmés par les années, tout cela participe à rendre l'atmosphère de cet album assez unique.

Un premier tome en tout point excellent, rocambolesque à souhait, mélangeant avec bonheur le road trip improbable et la comédie sociale, on en redemande. Ça tombe bien, le second volume est déjà entièrement dessiné et devrait sortir en novembre. Une vraie bonne nouvelle !

Les vieux fourneaux T1 : Ceux qui restent de Lupano et Cauuet. Dargaud, 2014. 56 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Moka, Noukette et Yaneck.

L'avis d'Yvan






mardi 6 mai 2014

Le premier mardi c'est permis (26) : Sexe, mensonges et banlieues chaudes - Marie Minelli

Je pensais avoir touché le fond en matière de clit lit avec la culotte sale de Mila Braam mais je me rends compte que l’on peut creuser toujours plus profond vers la médiocrité et j’avoue que ça m’affole un peu. Parce que là, franchement, le bouchon est poussé bien trop loin.

Dans ce roman, on suit la vie chiante à mourir trépidante de la  cruche pétillante Sara, richissime jeune femme de Neuilly fiancée à Amaury de Saint Sauveur, futur magnat de la finance. Le mariage avance à grands pas mais Sara s’ennuie ferme et ne voit pas l’avenir sous les meilleurs auspices. Avec Amaury, ce n’est pas vraiment le pied : « j’essaie de me souvenir de la dernière fois que j’ai joui avec Amaury… je crois bien que Whitney Houston était encore vivante et que DSK était considéré comme un espoir de la politique française. »

Prisonnière d’un milieu qu’elle trouve irrespirable, Sara va chercher à s’émanciper en remplissant un formulaire anonyme pour passer un entretien d’embauche à France Télévision. Recrutée pour faire partie d’un programme « spécial diversité », Sara se fait passer pour une marocaine et fréquente pour la première fois de sa vie des gens vivant de l’autre coté du périph. Parmi eux, le beau Djilali qui va faire fondre son petit cœur tout mou…

L’éditeur annonce en 4ème de couv « une comédie made in France avec de vraies scènes de sexe à l’intérieur ». Franchement, il y a tromperie sur la marchandise parce qu’en dehors du « made in France », je me demande où sont cachées la comédie et les vraies scènes de sexe. Bon du sexe, il y en a un peu. Mais ça vole pas haut. Parce qu’une fille qui crie en pleine copulation « Ah oui, oui ! Encore, encore… », c’était bon dans le porno à papa ce genre de choses. Niveau « émoustillage », je n’ai pas ressenti le moindre début de frisson. Les quelques rares « scènes de sexe à l’intérieur » m’ont laissé de marbre. Et pourtant je ne suis pas difficile d’habitude.

Autre énorme problème, les citations permanentes de noms de marques et de personnalités. On appelle ça le « name dropping » et c’est quelque chose qui me sort par les yeux. Là, on est au top du top de la bourgeoisie alors on a droit à du Vuitton, du Gucci et des tas d’autres trucs dont je n’ai jamais entendu parler. Et puis ils boivent des « mimosas » et je ne sais même pas ce que c’est que ce cocktail. M’étonnerait pas qu’il y ait du champagne dedans…

Donc si on fait le point, ça nous donne : du sexe pas émoustillant et une pub géante pour des marques inabordables. Ajoutez un incroyable catalogue de clichés pour faire bonne figure et la potion sera particulièrement amère. Dans le monde de Sara, c’est « grisant de chercher du boulot ». Dans son monde, tous les décorateurs d’intérieur sont gays. Dans son monde, on se demande si « l’amour c’est jouir ensemble ? Ou bien c’est se marier ensemble ? ».  Dans son monde, quand on met un pied dans le 93 c’est pour se retrouver dans une loge VIP du stade de France. Et je vous passe les orgies cocaïnées de la jeunesse dorée du royaume de France…

La cerise sur le gâteau, c’est quand même la platitude totale de l’écriture, malgré quelques passages assez drôles. Et quand on s’apprête à se lancer dans une scène torride, le ridicule n’est jamais loin. Petit exemple éloquent : « Son odeur envahit mes narines. Une odeur de musc, de transpiration, de café fort, bref une odeur de mâle. Je jurerais même qu’il sent un peu la bite. »  Heu, comment dire, là je crois que ça va pas être possible. Sentir un peu la bite ? Quézaco ? Sentir de la bite à la limite je veux bien, et au moins ça me parle. Mais sentir la bite, franchement, ça ne veut strictement rien dire, non ?

Bref, vous aurez compris à quel point j’ai adoré ce roman... Il faut sans doute prendre tout cela au second ou au troisième degré pour en extraire la substantifique moelle mais j’avoue que c’est au dessus de mes forces…

Sexe, mensonges et banlieues chaudes de Marie Minelli. La Musardine, 2014. 180 pages. 14,00 euros.

Une participation de plus à l'incontournable rendez-vous de Stephie et une lecture commune que je partage avec Hélène et Leiloona.







lundi 5 mai 2014

Théorie générale de l’oubli - José Eduardo Agualusa

Luanda, capitale de l’Angola, en 1975. Alors que la guerre d’indépendance éclate, Ludovica, venue du Portugal pour s’installer avec sa sœur et son beau frère dans un grand appartement avec terrasse, se retrouve seule du jour au lendemain. Sa peur du dehors la pousse à « s’emmurer » avec son berger allemand pour se protéger de l’extérieur. Elle restera enfermée pendant près de trente ans dans cet appartement, sans aucun contact avec qui que ce soit, survivant, entre autres,  grâce au potager créé sur le balcon, à quelques poules volées à ses voisins et à de nombreux pigeons piégés à l’aide de pierres précieuses.

Dans une note préliminaire, l’auteur indique que Ludovica Fernanes Mano à vraiment existé. Décédée en octobre 2010, à l’âge de 85 ans, elle a laissé des cahiers dans lesquels elle a consigné son journal. Et lorsque le papier et les stylos ont manqué, elle a continué d’écrire sur les murs avec du charbon de bois. L’histoire est donc à la base réelle mais José Eduardo Agualusa précise à ses lecteurs : « ce que vous lirez est de la fiction. De la pure fiction. »

Non content de se focaliser sur la recluse volontaire, l’auteur a imaginé la vie de nombreux personnages ayant traversé cette période trouble de l’histoire angolaise. Des personnages aux destins chaotiques, enfant des rues ou infirmière, journaliste ou ancien bourreau de la police politique. Des personnages reliés à Ludovica et à son appartement par un fil parfois ténu. C’est là que tient le sel du récit, c’est là que l’écrivain s’est emparé d’un fait divers et l’a transformé en matériau romanesque. Il a savamment tissé sa toile, créant une architecture narrative implacable, sortant de la confusion géopolitique et de l’instabilité permanente des existences qui incarnent, chacune à leur manière, la complexité d’un pays au bord du gouffre. L’exercice est brillant et m’a enchanté.

Théorie générale de l’oubli de José Eduardo Agualusa. Métailié, 2014. 172 pages. 17,00 euros.

Une lecture commune que je partage une fois encore avec Noukette.

L'avis de Valérie