samedi 9 mars 2013

Les boucliers de Mars T1 et T2 de Chaillet et Gine

Chaillet et Gine © Glénat 2011
Je me suis penché sur le cas de cette série après avoir été interpellé par Syl qui me demandait si je la connaissais. De son coté elle n’y avait pas compris grand-chose et avait abandonné en route la lecture du premier tome. Il faut dire aussi qu’à l’époque elle avait perdu ses lunettes, ce qui à l’évidence n’avait pas facilité les choses (filez donc voir son billet pour comprendre de quoi il retourne).  Bref, je ne connaissais pas mais comme les deux volumes parus jusqu’à présent étaient disponibles à la médiathèque, je me suis dépêché de les emprunter pour me faire ma propre idée.

Par rapport à Syl, je dispose d’avantages importants : d’une part je n’ai pas besoin de lunettes pour lire et d’autre part le fait de ne pas se contenter du seul premier tome permet de bien mieux comprendre les tenants et les aboutissants de l’histoire.

L’intrigue se déroule à Rome sous le règne de l’empereur Trajan (98-117 ap. JC). Au cours d’une cérémonie religieuse, un des douze boucliers de Mars (des boucliers sacrés auxquels les romains attribuaient une origine céleste et divine) tombe soudainement d’une balustrade sans raison. Le peuple voit dans cet événement anodin le signe qu’un grand malheur menace l’Empire et désigne comme coupables les Parthes, une importante peuplade perse qui constitue une menace pour les légions en charge de la protection des frontières orientales de l’Empire.  Envoyé en Syrie prendre la tête d’un fort romain aux portes du royaume des Parthes, le préfet Charax va découvrir que ces derniers ont bien des intentions belliqueuses vis-à-vis de Rome…

Je me rends compte en tentant de résumer cette histoire à quel point les choses ne sont pas simples à comprendre. J’ai dû faire quelques recherches pour mieux cerner le contexte politique de l’époque. Je suis également tombé sur une interview du regretté Gilles Chaillet où il expliquait ses intentions par rapport à cette série. En fait, son but était de réaliser un scénario entre le péplum et le western : « Je montre un fort romain très « tuniques bleues ». Des soldats de l’empire parthe font office d’Apaches. » (interview Casemate mars 2011). Reste que le propos est très documenté et s’appuie sur une base historique solide.

A la lecture du premier tome, il y a pourtant de quoi être perdu. Un nombre incalculable de protagonistes, beaucoup de textes, des considérations politico-religieuses difficiles à saisir et la désagréable impression de survoler les événements sans jamais avoir envie de s’y pencher avec plus d’attention. Sans doute est-ce lié au fait qu’il n’y a pas de véritable personnage principal. On saute d’intervenant en intervenant (de l’empereur romain au chef parthe, du préfet Charax au simple légionnaire, de l’intrigante à la jeune esclave, etc.) sans  jamais vraiment savoir qui tient le rôle le plus important. Je dirais donc que c’est bavard et que ça manque singulièrement d’épaisseur. Sans compter que le dessin ne m’a pas emballé plus que cela. Je l’ai trouvé très appliqué et très précis au niveau des décors mais j’ai eu l’impression de découvrir un travail assez scolaire, avec un peu trop de gros plans sur des visages un brin figés. Bref, on est loin de Delaby et de son Murena.

Malgré tous ces griefs je me suis tout de même lancé dans le tome 2. Et là il faut reconnaître que le vent tourne dans le bon sens. Le préfet Charax devient la figure centrale de l’histoire et les développements du scénario gagnent en limpidité. Le complot se précise, il y a plus d’action, le sang coule et on voit même une ou deux poitrines dénudées (oui je sais c’est mince comme argument mais vous commencez à me connaître^^).  Une lecture qui m’a donc beaucoup plus emballé et qui confirme mon adage très personnel selon lequel il vaut mieux attendre qu’une série soit terminée avant de s’y lancer. Pour le coup ce n’est pas tout à fait exact puisque le troisième et dernier tome ne sortira qu’en mai prochain. Et je crois bien que je serai au rendez-vous…  


Les boucliers de Mars T1 : Casus Belli de Chaillet et Gine. Glénat , 2011. 54 pages. 13,90 euros.
Les boucliers de Mars T2 : Sacrilèges de Chaillet et Gine. Glénat , 2012. 56 pages. 13,90 euros.

Chaillet et Gine © Glénat 2011




 




vendredi 8 mars 2013

La bande à Grimme - Aurélien Loncke

Loncke © École des loisirs 2012
Ils sont huit pauvres gamins inséparables. Huit enfants des rues vivant ensemble dans une roulotte en ruine. Des gosses pouilleux et sales, maigres comme des ficelles, qui crèvent de froid dans un parc blanchit par la neige. Ils vivotent en faisant quelques poches ici où là, mais les « clients » sont rares avec une météo pareille. Leur seule véritable distraction, c’est la représentation quotidienne offerte par un magicien en plein centre du parc. Un mystérieux bonhomme qui va transformer un soldat de plomb en or et faire vivre à la bande à Grimme une aventure hors du commun.

Rien de bien original à priori dans cette histoire mettant en scène des gamins des rues. Pourtant ce texte se lit tout seul. Les personnages sont attachants et on ne tombe jamais dans un quelconque misérabilisme. Et puis les ingrédients utilisés ont déjà fait leur preuve : des brigands aussi bêtes que méchants, des dialogues savoureux, une scène finale digne d’un film d’action, c’est classique mais efficace. Pour ne rien gâcher l’écriture est de qualité, dynamique, délicieusement imagée, très visuelle.  

Le genre de petit roman d’aventure que l’on trouve de moins en moins dans la littérature de jeunesse actuelle. Bien dommage parce que nul doute que les lecteurs de 9-10 ans y trouveront leur compte.

La bande à Grimme d’Aurélien Loncke. École des loisirs, 2012. 138 pages. 9,20 euros. A partir de 9 ans.


Un ouvrage lu dans le cadre des lectures communes du
Prix sorcières 2013 proposées par Libfly (catégorie 9-12 ans).


jeudi 7 mars 2013

La maison en petits cubes


Ce billet a presque un an mais je le fais remonter aujourd’hui parce que ce titre fait partie des lectures communes proposées par Libfly dans le cadre du prix Sorcières 2013. L’occasion de reparler de ce magnifique album qui fut pour moi une découverte des plus agréables.
 
Et puisque l’on parle de Libfly, si vous voulez m’entendre parler des Remèdes du docteur Irabu à la radio, c’est par là que ça se passe : 
 



Dans un village immergé suite à la montée des eaux, un vieil homme vit dans une drôle de maison. Depuis des décennies, à chaque fois que le niveau de la mer monte, il doit bâtir une nouvelle demeure sur la précédente. « Au final, les habitations sont empilées les unes sur les autres, comme des petits cubes. » Un jour, alors, qu’il entame une nouvelle construction, ses outils tombent à l’eau. Enfilant sa combinaison pour aller les repêcher, il va plonger dans ses souvenirs en revisitant chacune de ses anciennes maisons.

Un album poétique au charme incontestable et réellement tout public. Difficile de résister à cette allégorie sur la vieillesse et le temps qui passe. Chaque étage de la plongée correspond pour le vieil homme à moment marquant de sa vie, du plus récent au plus ancien : la mort de sa femme, une fête rassemblant ses enfants et ses petits enfants, le mariage de sa fille et sa naissance, bien des années plus tôt. En arrivant tout en bas, il repense à l’époque où l’eau n’avait pas encore recouvert le village…

Entièrement composé de doubles illustrations pleine page aux couleurs pastel, l’album diffuse une douce nostalgie sans jamais tomber dans une quelconque mélancolie tristounette.
     
Adaptation et prolongement d’un film récompensé par l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation, La maison en petit cube est un ouvrage tout simplement superbe. Une vraie belle découverte !

La maison en petits cubes de Kunio Katô et Kenya Hirata. Nobi nobi, 2012. 44 pages. 14,95 euros. A partir de 4 ans

Kâto et Hirata © nobi nobi 2012
 
 


 





mercredi 6 mars 2013

Pacifique - Trystram et Baudy

Trystram et Baudry © Casterman 2013
Udo, jeune soldat allemand de la Kriegsmarine, s’apprête à prendre son poste à bord  d’un U-Boot. Nous sommes dans le pacifique, à la fin de la seconde guerre mondiale. Le gamin a dans ses bagages un livre subversif dont il ne peut justifier la provenance. Lorsque ses camarades découvrent l’ouvrage, ils s’en débarrassent au plus vite.  Mais le livre réapparaît mystérieusement à plusieurs endroits. Chaque membre de l’équipage qui en commence la lecture est comme fasciné par les idées qu’il diffuse. A tel point que quand le capitaine veut faire disparaître l’objet du délit, la révolte gronde…  

Un premier album réalisé à quatre mains par deux auteurs issus de l’animation. Le récit joue à fond sur le contraste entre l’huis-clos du sous-marin et l’élément infini dans lequel il se déplace. Après, le message est d’une grande naïveté, ce qui n’est finalement pas pour me déplaire. En gros, les vilains soldats allemands libérés du poids de la guerre forment une communauté hippie et l’esprit libertaire triomphe de l’ordre militaire grâce au pouvoir surnaturel d’un livre, un livre qui fait vaciller les convictions et symbolise l’éveil des consciences. J’aime bien cette idée. Et puis au moins on ne tombe pas dans les fins classiques, genre naufrage ou mutinerie sanglante.

Niveau dessin, c’est du tout bon. Dynamique, avec beaucoup de mouvement et des postures très expressives pour les nombreux personnages. En fait le gros point fort de cet album à l’italienne, c’est que sa forme joue sur l’oppression ressentie par le lecteur lorsque la caméra se déplace à l’intérieur du sous marin. Les auteurs expliquent cela très bien dans le dossier graphique final : « Le format horizontal s’est imposé pour faire corps aux proportions allongée d’un U-boot, il y a ainsi une correspondance de formes. Le plafond bas de la page renforce le coté enfermé et permet, par contraste, de tirer les horizons plus larges lors des scènes extérieures. »   La couleur, d’abord très sombre et oscillant entre le rouge, le orange et le noir, gagne en luminosité sur la fin, au moment où les anciens soldats découvrent leur futur paradis.

Un premier album qui souffre par moments de quelques soucis de fluidité au niveau de la narration mais qui reste au final une très bonne surprise. Voila un duo d’auteurs dont les futures publications seront à suivre de près.

Pacifique de Trystram et Baudy. Casterman, 2013. 90 pages. 15 euros. 


Trystram et Baudry © Casterman 2013




mardi 5 mars 2013

Le premier mardi c'est permis (14) : Dévoile-moi

Day © J'ai lu 2012
J’aurais dû savoir que le « mommy porn », ce n’était pas pour moi. Mais comme je ne veux pas mourir idiot, j’ai tenté. Pas avec 50 nuances de Grey mais avec Dévoile-moi, un autre roman qui deviendra lui aussi à n’en pas douter un classique du genre d’ici peu.

Le pitch tiendrait sur un timbre alors je vous la fais courte. Un beau mec richissime rencontre une jeune stagiaire. Ils tombent amoureux, copulent comme des bêtes et vivent une belle histoire. Quoique, les choses ne sont pas si simples, chacun cache en lui des fêlures et des traumatismes au moins aussi profonds que l’amour qui les unit (blablabla et blablabla…).

Le mâle dont on parle se prénomme Gidéon (oui je sais c’est spécial comme prénom. Ça me rappelle le canard Gédéon dans la BD de Benjamin Rabier). En gros, c’est l’homme parfait : incroyablement séduisant, incroyablement friqué, incroyablement bien monté, incroyablement bon au pieu. En fait, il se situe entre le prince charmant et le personnage de science fiction.

Soyons clairs, l’idylle de ces deux tourtereaux vivant dans les quartiers chics de New York et navigant d’apparts sublimes en soirées fastueuses n’a strictement aucun intérêt (de mon point de vue du moins). Heureusement qu’il y a quelques scènes vraiment hot pour pimenter le tout. Je crois que c’est le coté « romance » que je ne supporte pas. Normal me direz-vous, c’est du « mommy porn », pas du « daddy porn ». Disons que j’ai lu ce bouquin comme je regarde un film de Marc Dorcel, c'est-à-dire en appuyant constamment sur la touche avance rapide de la télécommande pour me concentrer sur les moments les plus croustillants (oui, « concentrer », c’est le mot juste).

Je crois que le problème majeur tient au fait que le narrateur est une narratrice. Son récit à la première personne nous apprend que les biceps de Gidéon sont d’une « dureté minérale », que son abdomen est « aussi rigide qu’une planche », que ses épaules sont larges, ses hanches étroites, etc. Et encore je ne vous parle pas de sa voix, de ses yeux ou encore de la taille de son sexe… C’est bien joli tout ça mais elle ressemble à quoi Eva ? Tout juste apprend-on qu’elle est blonde et que ses seins sont lourds. Un peu léger pour se faire une idée. Vous me direz, on s’en tape de son physique quand on est une lectrice hétérosexuelle. Pas faux, je m’incline.

On est donc ici face un texte écrit par une femme pour les femmes. Il faut décidément tout compartimenter de nos jours. Après la Chick Lit et la Bit Lit, nous voici avec un nouveau genre. La chercheuse Françoise Hache-Bissette parle de Clit Lit. Plutôt bien trouvée comme appellation. Ça me parle davantage que le « Mommy Porn » et au moins je sais avant même de commencer que ce n’est pas pour moi.  

Je préviens donc d’avance la première blogueuse qui lancera le challenge Clit Lit : je ne m'inscrirai pas ! Par contre je peux suggérer comme logo L’origine du monde de Courbet (soyons glamour jusqu’au bout).       
   

Dévoile-moi de Sylvia Day. J’ai Lu, 2012. 406 pages. 13,00 euros.

Une lecture commune que j’ai l’IMMENSE plaisir de partager avec Noukette. Filez-vite découvrir son avis.



lundi 4 mars 2013

Akim court - Claude K. Dubois

Claude K. Dubois © Pastel 2012
Akim joue tranquillement avec d’autres enfants au moment où les premières bombes éclatent. Le jeune garçon veut rentrer chez lui mais sa maison est détruite. Plus aucune trace de sa famille. Il trouve refuge auprès d’autres victimes des bombardements. Une femme avec un bébé le prend dans ses bras toute la nuit. Quand les soldats viennent chercher les enfants et les emmènent avec eux, c’est pour en faire leurs esclaves. Profitant d’un moment de confusion, Akim s’échappe. Il rejoint une colonne d’habitants fuyant les combats. C’est finalement dans un camp de réfugiés qu’atterrit Akim. Il y trouvera la sécurité et surtout il pourra enfin revoir sa mère.

Très bel album au format à l’italienne contant le destin d’un enfant victime de la guerre. Un destin à la fois individuel et semblable à celui de milliers d’autres. Très peu de texte, de nombreuses pages d’illustrations totalement muettes. J’aime beaucoup ce parti pris narratif. Pas besoin de mots pour décrire de tels événements, l’image se suffit à elle-même. Le dessin de Claude K. Dubois est épuré à l’extrême, proche du crayonné. Quelques touches de gris et un peu d’ocre pour seules couleurs. Les ciels délavés renforcent la tristesse ambiante. Le petit miracle final est bienvenu et donne une indispensable note d’espoir.  

Encore un album à lire, à feuilleter et à partager. Je suis content de l’avoir découvert avec mes filles. Leur silence au moment de tourner la dernière page en disait bien plus que tout autre commentaire.

Akim court de Claude K. Dubois. Pastel, 2013. 90 pages. 11,50 euros. A partir de 6 ans.

Claude K. Dubois © Pastel 2012



Cet album signe ma 1ère participation aux lectures communes
du  Prix sorcières 2013 proposées par Libfly (catégorie Albums)






vendredi 1 mars 2013

Rouge Tagada - Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini

Bousquet et Rubini ©
Gulfstream 2013
C’est le jour de la rentrée qu’elle l’a vue pour la première fois. Toutes deux se retrouvaient dans la même classe, en 4ème D. Alex a tout de suite remarqué son allure de gazelle. Quand Layla lui a tapé sur l’épaule pour lui demander un stylo, ça l'a électrisée. Un début  de complicité est vite né entre elles, au point qu'elles sont devenues les meilleures amies du monde. Mais après les vacances de Pâques, tout a changé. Partie une semaine chez son père, Layla y a rencontré un garçon : « Trop sympa, trop mignon, trop drôle, trop cool… » Alex a eu mal au ventre, au cœur, à l’âme. Elle a eu envie « de vomir, de fuir, d’en finir, de mourir. »
  
Une très jolie BD pour ados sur le thème difficile de l’homosexualité féminine. C’est fin et sensible, entre le récit de vie et le journal intime. A l’heure où beaucoup se cherchent encore une identité sexuelle, Alex tombe amoureuse d’une camarade de classe dont elle devient la meilleure amie. Mais leurs sentiments ne sont pas réciproques, Layla préférant les garçons. Les auteurs décrivent avec intelligence le cheminement de leur relation, la naissance du désir, les aspects douloureux de cette histoire d’amour impossible.       

Le dessin et le découpage sont simples, efficaces. Les couleurs pastel donnent beaucoup de fraîcheur à l’ensemble. Et cette couverture toute rouge et douce comme une peau de pêche rend cet album délicieux à manipuler.

Une belle réussite, à lire, à faire lire, à faire aussi entrer dans les CDI de collège. Un livre précieux il me semble s’il l’on souhaite aborder intelligemment ce sujet délicat.               


Rouge Tagada de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini. Gulfstream, 2013. 68 pages. 15 euros. A partir de 12-13 ans.


Bousquet et Rubini © Gulfstream 2013


jeudi 28 février 2013

Sur les nerfs - Larry Fondation

Fondation ©
Le Livre de Poche 2013
Il y a quand même de drôles de loulous dans la littérature américaine actuelle. Des gars sortis de nulle part qui ont été ouvriers, soldats, camionneurs, bûcherons ou que sais-je encore. Des autodidactes qui racontent leur Amérique cauchemardesque et c’est pas joli à voir. Je pense à Donald Ray Pollock, à l’indien emprisonné pour meurtre Joël Williams, à Benjamin Whitmer, à Eric Miles Williamson ou encore à Frank Bill (je vous en parle tout bientôt). Larry Fondation est de la même trempe. Médiateur de rue depuis plus de 20 ans, il connaît les pires endroits de Los Angeles comme sa poche. C’est à l’évidence dans son quotidien qu’il puise son inspiration.    

Fondation, c’est un peu comme si Carver oubliait pour un temps les petites gens et allait traîner ses guêtres du coté des damnés de la terre. Dans son Los Angeles, on est loin d’Hollywood. On y trouve des crétins qui font boire de la vodka pure à un gamin de quatre ans hyperactif pour l’assommer un bon coup. Des gangs qui sortent les flingues à la moindre broutille. Dans les quartiers sinistrés, on s’occupe en tirant sur les rats au fond des caves désaffectées ou alors on se bourre la gueule en fumant du crack sur des parkings à l’abandon. 

L’écriture est minuscule, fragmentaire. Certains textes font à peine quelques lignes. De la microfiction qui vous saute à la gorge. Une juxtaposition de petites séquences formant un tout désordonné ou la violence et le désenchantement prédominent. Une peinture froide, glaciale même de ces populations misérables qui ont perdu toute humanité. Pas de jugement, aucune empathie, juste un coup de projecteur furtif sur une forme de déchéance absolue.

A bien des égards, la construction de ce recueil m’a fait penser à la dernière partie du cultissime Last Exit to Brooklyn de Selby qui s’intitule Coda : on saute de personnage en personnage, de lieux en lieux dans un périmètre très restreint. C’est électrique, sans fioriture, nerveux à souhait. Tout ce que j’aime.

Est-ce que pour autant je vous conseillerais une telle lecture ? Surement pas. Trop peur de me faire enguirlander si au final vous en concluez  que c'est trop barré ou sans queue ni tête. Moi en tout cas j’y ai trouvé mon compte.

Allez, un petit extrait pour vous mettre dans le bain. C’est une nouvelle qui a pour titre Tu veux bien ? Je la reproduis en entier (je vous ai prévenu, c'est de la microfiction):

"Il n’a pas vraiment aimé frapper le vendeur avec la crosse de son pistolet, mais il aimait le fric. Il s’était toujours dit que les magasins d’alcool devaient avoir pas mal de cash.
Il a pris le bus pour rentrer à la maison.
Elle avait les pieds sur le canapé en simili-cuir.
- J’ai braqué le magasin, il lui a dit. Tu veux bien baiser avec moi, maintenant ?
"

Sur les nerfs de Larry Fondation. Le livre de poche, 2013. 120 pages. 5,10 euros. 


mercredi 27 février 2013

Ghostopolis - Doug Tennapel

Frank Gallows est un agent de la force d’intervention de l’immigration surnaturelle.  Son boulot consiste à traquer les fantômes se dissimulant chez nous pour les renvoyer dans leur monde. Mais Gallows est un peu au bout du rouleau et a tendance à forcer sur la bouteille. Pas étonnant donc qu’au cours d’une intervention il envoie sans le faire exprès Garth, un gamin bien vivant, au royaume des morts. Viré manu-militari par son patron, Gallows décide néanmoins d’aller lui-même rechercher Garth à ses risques et périls. Pendant ce temps le jeune garçon découvre les joies de Ghostopolis, la ville des fantômes, où un mystérieux tyran fait régner la terreur...

Un billet un peu particulier aujourd’hui puisque ma comparse préférée en matière de BD (à savoir Mo’) m'a proposé de réaliser une lecture commune vraiment commune. Kesaco ? Et bien au lieu de donner notre avis chacun dans notre coin, on les regroupe dans un seul et même billet. Un peu d’indulgence, c’est une première tentative. En tout cas l’exercice m’a beaucoup plu. Il faut pas mal d’échanges pour arriver à un résultat correct mais c’est aussi tout l’intérêt de la chose. Merci pour cette lecture commune vraiment commune Mo’, ce fut un plaisir. On recommence quand tu veux^^

Ma courtoisie légendaire m’impose de laisser en premier la parole à ma partenaire :

Mo’ :
Tout d’abord, j’ai vite plongé dans l’histoire. Découvrant progressivement Garth, puis Franck… puis Garth… ces deux personnages aussi différents que complémentaires ont de suite eu ma sympathie. La maladie incurable de Garth titille notre empathie, le côté looser paresseux de Franck nous fait comprendre que nous n’avons rien à craindre de ce gars-là.
Le rythme narratif est pourtant assez linéaire. Outre quelques passages qui orientent radicalement l’intrigue dans une nouvelle direction, l’action n’est pas (pour moi) le point fort de cet album. Il se situerait plutôt du côté de la construction des deux personnages principaux ; c’est à eux que les clés de compréhension de Ghostopolis sont données (un monde qui a ses codes, ses règles, son histoire… sa prophétie !). Doug TenNapel soigne donc leur présentation ainsi que celle des personnages secondaires que l’on prend le temps d’accueillir (qui est-il ? que fait-il ? que veut-il ?...). Le lecteur dispose donc en permanence de toutes les cartes pour se repérer dans cet univers fantastique. De même, l’auteur n’hésite pas à casser son rythme narratif lorsqu'il s’emballe, donnant ainsi l'opportunité à ses « créatures de papier » d’analyser la situation et d’inventer un plan d’action. Doug TenNapel jongle en permanence avec le comique de situation qui, outre le fait de faire rire, dédramatise la situation et ouvre cet album à un large lectorat. Loin d’être alambiqué, le scénario emmène donc le lecteur dans un monde qui lui semblera à la fois étranger (on y côtoie momies, squelettes, fées, loup-garou, gobelins…) et familier (ceux qui l’habitent reproduisent en partie les règles du monde des vivants). Quelques clins d’œil épicent la lecture, à l’instar de cette référence à la Genèse où il est dit que Dieu créa la Terre en six jours et il s’est reposé le septième… dans Ghostopolis, le grand architecte de ce monde imaginaire se nomme Joe, « il a posé chaque brique de Ghostopolis pour que les fantômes aient un endroit pour vivre. Certains disent qu’il lui a fallu six jours pour tout construire, d’autres parlent d’un milliard d’années… ». D’autres références sont à relever (peut-être) comme la présence des sept royaumes de Ghostopolis qui pourraient être une allusion aux sept rois de Rome, ou à l’Apocalypse « Les sept étoiles sont les anges des sept Eglises et les sept candélabres sont les sept Eglises ») voire des Sept royaumes de Cinda Williams Chima voire… rien de tout cela, le chiffres sept n’est certainement que le fruit du hasard (bien que certains articles me fassent penser le contraire : ici, ici et de manière fréquente sur son autre blog).

Pure fiction ? Simple coïncidence avec les textes du Nouveau testament ? Jérôme, comment as-tu perçu cette histoire et son intrigue ? Quels effets ont-elles eu sur toi ?

Jérôme :
J’avoue que j’ai eu un peu de mal à rentrer dans l’album. Les univers fantastiques, c’est pas vraiment mon truc. Après, j’ai aimé les différentes figures qui composent le royaume des ténèbres. Squelettes, momies, fantômes, gobelins, etc, c’est plutôt bien trouvé et c’est parlant pour le lectorat, quel que soit son âge. Contrairement à toi je n’ai pas vu les références au nouveau testament (mon inculture en matière de religion est affligeante !) mais j’ai apprécié  le fait que le grand architecte de ce monde imaginaire soit un géant noir. S’il avait été une géante noire, cela aurait été encore mieux de mon point de vue mais c’est déjà une trouvaille originale et qui sort des sentiers battus.
Après, l’intrigue en elle-même ne m’a pas passionné. Une mission d’exfiltration assez classique finalement, tout comme l’affrontement final entre Garth et Vaugner qui m’a rappelé certains combats de Godzilla. Le grand méchant de l’histoire manque par ailleurs singulièrement d’épaisseur. Pas assez retors à mon goût ce gros vilain ! Même le personnage de Garth m’a paru assez fade. Finalement, Frank Gallows est de loin celui que j’ai préféré : paresseux, aigri, alcoolique, de mauvaise foi, avec une bonne dose d’humour souvent grinçant, c’est tout ce que j’aime. L’autre personnage qui m’a bien plu est le roi des squelettes. Ses aspirations à fuir les mondanités dues à son rang, sa volonté de vivre l’aventure par lui-même et ses blagues souvent foireuses apportent beaucoup de fraîcheur. Donc pour moi les personnages secondaires sont plus intéressants que l’histoire en elle-même.

Et ce n’est pas la première fois que nos ressentis sont radicalement opposés !! Et côté dessins… Mo’ ?

Mo’ :
Le graphisme quant à lui est on ne peut plus ludique même si effectivement, ce n’est pas ce qui se fait de plus beau en la matière. Une ambiance visuelle en noir et blanc aurait certainement mieux servi cet univers graphique (comme en témoignent les planches originales que l’on voit dans cette vidéo). Les couleurs sont parfois très appuyées, ce qui égaye l’univers et donne une touche récréative aux événements qui ont lieu. Là encore, j’imagine que la présence de la couleur a la même utilité que le comique de situation utilisé dans la narration : permettre à cet album de disposer d’un large lectorat. Je pense que petits et grands pourront parfaitement se saisir de cette aventure. Je ne pourrais lui reprocher que l’absence d’aplats qui impose un univers en 2D qui m’a parfois laissée sur ma faim, d’autant que les fonds de cases sont souvent négligés.

Cependant, j’imagine aisément que mon compagnon de lecture commune (Jérôme) n’a peut-être pas savouré cette déferlante de couleurs artificielles…. Jérôme ?

Jérôme :
Euh, il faut vraiment que l’on parle des couleurs ? Quand je regarde le générique  en première page et que je vois deux coloristes et huit assistants coloristes, je me dis qu’il faut s’attendre au pire ! Et en effet, c’est pas joli-joli. Des couleurs tellement froides, tellement « assistées par ordinateur » qu’elles perdent toute leur saveur. Si au moins elles avaient été utilisées à bon escient pour combler par endroit la pauvreté des décors, elles auraient servi à quelque chose mais ce n’est pas le cas. Parce que pour le coup il ne s’est pas foulé à ce niveau-là Mr TenNapel. Une profusion de gros plans pour cacher la misère et lors des scènes de combat ou de poursuites, rien d’autres que les protagonistes et quelques traits pour souligner le mouvement. La ville des fantômes aurait mérité plus de détails architecturaux, c’est incontestable.
Niveau dessin, l’encrage épais n’est pas pour me déplaire et j’ai souvent trouvé quelques comparaisons avec le travail de Frederik Peeters dans Koma (en moins bien quand même). Le découpage est quant à lui intelligent avec l’alternance entre des scènes « mouvementées » dans lesquelles TenNapel est très à l’aise et d’autres plus calmes, souvent teintées d’une jolie émotion.

Au final c’est pour moi du bon divertissement, pas l’album du siècle mais une lecture très agréable et réellement tout public, ce qui n’est pas si courant de nos jours.

Une lecture que nous partageons avec Mango




Les chroniques : David, Choco, Joëlle.


Tennapel © Milady 2012

mardi 26 février 2013

La servante et le catcheur - Horacio Castellanos Moya

Castellanos Moya
© Métailié 2013
Après un détour (réussi) par le roman d’amour adolescent, je replonge les mains dans le cambouis avec un récit se déroulant au Salvador pendant la guerre civile.

Le viking, une ancienne star locale du catch, fait partie des escadrons de la mort. Avec ses acolytes, il embarque, torture et fait disparaître sans aucun discernement un nombre incalculable d’opposants au régime. Des étudiants, des « communistes » et tous ceux qui leur apportent une aide quelconque, même les médecins qui tentent de les soigner lorsqu’ils sont blessés suite à des affrontements avec la police. Depuis peu les éléments subversifs multiplient les actes anti-régime, de la manifestation qui dégénère en guérilla urbaine à l’attentat terroriste. Dans ce chaos permanent, la vieille servante Maria Elena tente de survivre. Elle habite avec sa fille, une infirmière qui vient de trouver une place en or à l’hôpital militaire dirigé par le gouvernement, et son petit fils, entré depuis peu dans la clandestinité. Maria Elena et le Viking se connaissent depuis longtemps. Parce que ses nouveaux patrons viennent de subitement disparaître, elle demande à l’ancien catcheur s’il peut leur venir en aide. Mais une fois que les prisonniers sont amenés dans les cachots du Palais noir, il n’y a plus rien à faire pour eux. Seules l’horreur et la mort les attendent...

Horacio Castellanos Moya plonge au cœur de la terreur. Il tisse avec une diabolique précision le canevas d’une implacable dramaturgie. Une danse macabre où la violence est omniprésente. Alternant les points de vue (celui du viking puis celui de la servante, du petit fils révolutionnaire et enfin de sa mère), l’auteur déroule un style neutre et indirect, d’une froideur clinique. Il n’omet aucun détail, même le plus sordide. Tout est net, précis, nerveux, tranchant comme une lame. Un sens de la tragédie où chaque maillon s’imbrique jusqu’à l’inéluctable dénouement.   

Un roman qui secoue furieusement, qui projette le lecteur au beau milieu d’une guerre civile, à la fois du coté des militaires et des insurgés. Âpre, corsé, brûlant, La servante et le catcheur montre sans aucune forme de jugement la montée de la violence et son expression la plus crue. Aussi fort que dérangeant.

La servante et le catcheur, d’Horacio Castellanos Moya. Métailié, 2013. 236 pages. 18 euros.