lundi 17 septembre 2012

Sale temps pour les braves de Don Carpenter

Carpenter © Cambourakis 2012 
Sale temps pour les braves est un roman écrit au milieu des années 60. Pas de rêves hippies dans cette Amérique âpre où on ne peut compter que sur soi-même. Impossible de faire autrement pour Jack Levitt. Ses parents sont morts depuis belle lurette et l’orphelinat où il a grandi n’avait rien d’une colonie de vacances. A 16 ans, il erre dans les rues de Portland. De mauvaises rencontres en petit délits, il va tâter de la maison de correction, de l’hôpital psychiatrique et enfin de la prison. Un parcours limpide. A sa sortie, difficile de trouver sa place parmi le commun des mortels. Il y aura pourtant un mariage, un enfant, et au final, encore et toujours, le retour à la case départ, au face à face avec soi-même.

Don Carpenter dresse le portrait de l’Amérique des sans grades. Des salles de billard cradingues aux hôtels sordides, il décrit une galerie de personnages ayant tous compris depuis longtemps que « le désir est le seul ennemi de la mort. » Parce que l’on est dans la « dèche », on cherche à se faire « du blé ». Parce que l’on a besoin d’exister, on se lance dans des paris stupides, on pense être le meilleur dans son domaine. Une sorte d’optimisme cynique traverse le roman. Il est également à noter que les pages consacrées à l’univers carcéral sont d’un réalisme éblouissant.

Traduit pour la première fois en France, ce titre méconnu vaut la peine que l’on s’intéresse à son cas. Richard Price et Georges Pelecanos ne tarissent pas d’éloges à son égard. Pour ce dernier, c’est même « l’un des romans américains les plus importants des années 60 ». Certains voient dans Sale temps pour les braves l’égal de Vol au-dessus d’un nid de coucou de Ken Kesey ou encore d’Un rêve américain de Norman Mailer. Pas de la p’tite bière, quoi.


Petite bio express de cet auteur qui m’était jusqu’alors totalement inconnu : Don Carpenter est né en 1931. En 1966, conforté par le succès public et critique de Sale temps pour les braves, il se consacre entièrement à l’écriture et devient scénariste pour Hollywood. Au début des années 80, touché par la maladie, il mène une vie d’ermite reclus dans un petit appartement près de San Francisco. Bouleversé par le suicide de son meilleur ami Richard Brautigan en 1984, Carpenter sombre dans la dépression. Il met fin à ses jours par arme à feu le 28 juillet 1995.


Sale temps pour les braves de Don Carpenter. Cambourakis, 2012. 348 pages. 23 euros.



Un billet qui signe ma seconde participation au mois américain de Plaisir à cultiver


samedi 15 septembre 2012

La faim de Knut Hamsun

Hamsun © Le Livre de poche 2012 
A quoi ça tient une vie de lecteur ? Parfois, à une rencontre avec un auteur. Pour moi, ce fut Bukowski. J’ai dévoré tous ses livres en une semaine. Dans l’une de ses nouvelles, il parle de son admiration pour John Fante. Ni une ni deux, j’engloutis tout John Fante en moins d’un mois. Puis je découvre que Fante a un fils, Dan, et que ce fils s’est lui aussi lancé dans l’écriture. Son premier roman, Les anges n‘ont rien dans les poches, vient de sortir en France. Je fonce à la librairie et je tombe au même moment sur une interview de Dan qui parle de son père et des auteurs qui l’ont inspiré. Il cite tout en haut de la liste un écrivain norvégien et un roman qui ont eu une influence majeure sur l’œuvre paternelle. Cet écrivain dont je n’ai jamais entendu parler, c’est Knut Hamsun, et ce roman, c’est La faim. Voila comment, en partant de Bukowski et en suivant quelques chemins de traverse, je me suis retrouvé à lire La faim, un chef d’œuvre dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. C’était il y a bientôt vingt ans. A quoi ça tient une vie de lecteur ?

La Faim raconte l’histoire d’un homme qui crève littéralement de faim. Un homme qui, au moment où le texte commence, est chassé de la chambre de bonne qu’il ne peut plus payer. Cet homme parvient de temps en temps à placer un article dans le journal pour gagner quelques couronnes. Survient alors un court moment d’espoir, une nuit à l’abri et quelques repas. Mais très vite la misère et la faim reviennent. Comme un leitmotiv, une douleur sourde qui vous dévore physiquement et surtout moralement.

Orgueilleux et solitaire, l’homme refuse toute aide et n’accable en rien la société. Résigné, il réserve ses protestations à Dieu. La faim n’est donc pas un roman social. C’est un roman purement psychologique proposant une analyse minutieuse des effets du manque de nourriture sur l’organisme. Seul résultat possible, la folie. Le lecteur, devant une telle description clinique, pourrait sortir du livre aussi accablé que le héros mais il est au contraire tenu en haleine par la succession de moments d’espoir et d’abattement. L’écriture d’Hamsun y est pour beaucoup, notamment grâce à l’alternance entre des passages lyriques et d’autres plus mélancoliques.

Roman de l’exploration du subconscient, La Faim montre un homme seul dont la raison ne parvient plus à contrôler les mouvements de l’âme. Publié une première fois en France en 1895, le texte est réédité dans une version définitive en 1926 avec une introduction d’Octave Mirbeau et une préface d’André Gide. Entre temps, Knut Hamsun aura obtenu le prix Nobel de littérature en 1920 pour L’éveil de la glèbe.

La faim, de Knut Hamsun, Le livre de poche, 2012. 285 pages. 6,60 euros.


Une lecture que commune que je partage avec XL.

vendredi 14 septembre 2012

Les Nombrils tome 6 en prépublication dans Spirou


Delaf et Dubuc © Dupuis 2012 
La prépublication d’un nouvel album des Nombrils dans le magazine Spirou est toujours un petit événement. Il faut dire que depuis ses débuts en 2006, la série ne cesse de connaître un succès croissant et mérité.

Alors, il nous réserve quoi ce sixième tome tant attendu ? Dans une petite interview intitulée Au creux des Nombrils, les auteurs se livrent à quelques confidences : « Comme d’habitude, il s’agira d’abord de gags séparés, puis les pages se lieront progressivement entre elles jusqu’à former une intrigue globale. […] L’humour sera progressivement entremêlé d’émotions plus tourmentées, comme dans le tome 5. […] Nous essayons toujours de nous surprendre nous-mêmes, en espérant que le lecteur y prendra plaisir aussi. »

Pour cette entrée en douceur dans le nouvel album, les auteurs proposent un résumé des épisodes précédent suivi des quatre premières planches. Les gags sont toujours aussi bien ficelés, et je dois dire que ce fut un vrai plaisir pour moi de retrouver Karine, Jenny et Vicky.
     
Une dernière petite précision pour les fans de la série, ne vous précipitez pas chez votre marchand de journaux, ce numéro de Spirou ne sera en kiosque que mercredi prochain. Seuls les abonnés ont pu le découvrir dans leur boîte aux lettres avec quelques jours d’avance.

Allez, pour calmer les impatients, je vous offre ci-dessous un petit « teaser » du tome six publié il y a quelques semaines. A votre avis, quelle affirmation est la bonne ?  


Delaf et Dubuc © Dupuis 2012

mercredi 12 septembre 2012

Lakota de Paolo Serpieri

Serpieri © Mosquito 2012

Vous connaissez Paolo Serpieri ? Druuna, ça vous dit quelque chose ? Allons, messieurs les amateurs de BD, ne faites pas semblant, je sais que vous n’ignorez rien de cette charmante jeune fille (et surtout pas sa plastique avantageuse). Il faut peut-être vous rafraîchir la mémoire ?  Ok, jetez-donc un coup d’œil ci-dessous, un petit dessin vaut mieux qu’un long discours. 



C’est bon, vous y êtes maintenant ? Serpieri, donc, est essentiellement connu pour cette série post-apocalyptique dans laquelle il met en scène une héroïne pulpeuse et peu farouche. Mais à ses débuts ce dessinateur italien ne donnait pas dans la SF érotico-porno. En 1975, il publie dans les magazines Skorpio et Lanciostory des récits historiques se déroulant au Far West. Les éditions Mosquito rééditent aujourd’hui quelques uns de ces récits de jeunesse et force est de constater que Serpieri y expose déjà une sacrée maturité graphique. Du noir et blanc ultra réaliste qui peut certes apparaître aujourd’hui un brin daté mais qui, personnellement, me convient parfaitement.

Cinq épisodes différents composent ce recueil. Les trois premiers retracent la vie du chef sioux Crazy Horse et plus particulièrement la période allant de la victoire indienne à Little Big Horn jusqu’à sa mort le 5 septembre 1877. Le deux derniers reviennent sur cette fameuse bataille mais du point de vue des tuniques bleues et notamment à travers l’histoire du célèbre lieutenant-colonel Custer qui mourra au cours de l’assaut donné par les indiens.

Faisant fi de la représentation fantasmée des « peaux rouges » que proposaient nombre de publications de l’époque, Serpieri et son scénariste Raffaele Ambrosio reviennent vers des fondamentaux historiques en s’appuyant sur une rigoureuse documentation. Décors, vêtements, traditions… tout est respecté à la lettre. Au final, le lecteur découvre la complexité des relations inter-indiennes au moment où nombre d’entre eux commencent à être parqués dans des réserves.

Je sais bien que le western, un genre usé jusqu’à la corde, n’est pas la tasse de thé de tout le monde. Je sais bien qu’un tel album, en noir et blanc et avec un dessin pareil, rappellera à certains l’histoire de France en BD des éditions Larousse et sera immédiatement associé avec mépris à la bande dessinée à papa qui prend la poussière dans le grenier. Bref, je sais bien que je ne soulèverais pas un élan d’enthousiasme avec ce titre. A vrai dire, peu m’importe. J’aime ça, la BD à papa, et quand les éditeurs font l’effort de remettre sur les rayons des librairies un tel patrimoine, je ne peux que m‘en réjouir… et vous en parler.


Lakota de Paolo Serpieri. Mosquito, 2012. 82 pages. 18 euros.



Serpieri © Mosquito 2012







Ce billet signe une nouvelle contribution au challenge il viaggio de Nathalie




dimanche 9 septembre 2012

Peste & choléra de Patrick Deville (rentrée littéraire 2012)

Deville © Seuil 2012
« Alexandre Yersin 1863-1943 »

Né en Suisse. Très tôt orphelin de père, il part pour l’Allemagne. Puis ce sera l’institut Pasteur où il découvrira la toxine diphtérique. Devenu médecin (et français), il œuvrera en Asie pour les Messageries Maritimes avant d’enfiler les habits de l’explorateur le temps de tracer un chemin de l’Annam au Cambodge. C’est finalement au Vietnam, à Nha Trang qu’il créera une cité utopique devenue aujourd’hui une station balnéaire fréquentée par les milliardaires russes et asiatiques. Chercheur, médecin, ethnologue, agriculteur et géographe, Yersin aura vécu mille vies. Surtout, il restera dans l’histoire comme celui qui a découvert et vaincu le bacille de la peste.

Un drôle de personnage que ce savant autodidacte d’une curiosité insatiable et d’une ingéniosité sans pareille. Solitaire, misanthrope, il aura passé près de 50 ans dans un chalet perdu en pleine jungle. Membre historique de « la bande à Pasteur » avec Roux et Calmette, il restera constamment à la marge, préférant les recherches individuelles aux travaux collectifs. Se méfiant comme de la peste des idéologies et de la politique, il traversera les horreurs du 20ème siècle avec une certaine distance, en ermite. Yersin meurt avant les attaques japonaises sur le Vietnam. Jusqu’au bout, il sera resté à l’écart de la folie des hommes.

Je ne suis d’ordinaire pas fan des biographies. Celle-ci m’a tout simplement enthousiasmé. Peut-être parce qu’elle ne ressemble en rien aux biographies habituelles. Patrick Deville est écrivain et non historien, c’est ce qui fait toute la différence. Faisant fi de la chronologie, il tricote son texte dans un désordre parfaitement maîtrisé, alliant l’érudition à une pointe d’humour bienvenue. Il n’hésite pas non plus à mettre en scène le « fantôme du futur », narrateur enquêtant dans les lieux fréquentés par Yersin, un carnet à couverture en peau de taupe à la main. Au-delà du portrait du génial découvreur du bacille de la peste, l’auteur dresse celui d’une époque où les aventuriers avaient encore de beaux jours devant eux, « où la nature n’est pas encore une vieillarde fragile qu’il faut protéger mais un redoutable ennemi qu’il faut vaincre. »

Patrick Deville écrit comme on explore. Sa langue est belle, sa plume affutée donne au roman le mouvement et le souffle qui emportent le lecteur. Il y a dans son propos beaucoup d’élégance, de précision et de virtuosité, la force d’un écrivain sûr de son art et qui ne tombe jamais dans l’esbroufe. Mon premier vrai coup de cœur de la rentrée littéraire !

PS : Peste & Cholera vient de remporter le prix du roman Fnac. Il fait également partie de la première sélection du Goncourt et Bernard Pivot, membre du jury du plus célèbre des prix littéraires français, lui a consacré un article élogieux dans le Journal du dimanche. De là à dire que Patrick Deville s’annonce comme le futur Goncourt 2012, il y a un pas que je me garderais bien de franchir. Réponse le mercredi 7 novembre…

Peste & choléra de Patrick Deville. Seuil, 2012. 220 pages. 18 euros.


vendredi 7 septembre 2012

Home de Toni Morrison (rentrée littéraire 2012)

Morrison © Bourgois 2012
Frank Money, soldat noir rentré brisé de la guerre de Corée, s’échappe d’un hôpital psychiatrique de Seattle et part vers le sud pour venir au secours de sa sœur, Cee. Cette dernière, utilisée comme cobaye par un médecin blanc, agonise. Sans autre richesse que sa médaille militaire, Franck se lance sur la route. Après avoir gagné Atlanta et arraché Cee aux griffes de son tortionnaire, le soldat Money retourne avec elle à Lotus, un bled perdu et arriéré où tous deux ont grandi. « Le pire endroit du monde » selon Frank, mais aussi le seul où il pourra trouver l’aide nécessaire au sauvetage de celle qui représente sa seule famille.

Le titre pourrait faire penser au fameux « Home Sweet home ». C’est tout le contraire. Frank, soldat rejeté par son propre pays à cause de sa couleur de peau ne peut-être chez lui nulle part. Dans cette Amérique de l’après-guerre où les droits civiques n’existent pas encore, un noir buvant un café au milieu de clients blancs peut se faire tabasser en toute impunité. Même à Lotus, dans la bicoque où une grand-mère indigne l’éleva, Frank n’était pas chez lui. Le roman raconte l’errance de cet homme au bord de la clochardisation, incapable de trouver un foyer. Un homme qui ne pourra même pas se réfugier en lui-même pour trouver un semblant de paix à cause des terribles cauchemars qui le hantent.

Le roman alterne l’histoire de Frank et celle de Cee jusqu’au moment de leurs retrouvailles. Tous les thèmes habituels de Toni Morrison sont présents dans ce texte court et dense : les liens familiaux, les fantômes du passé, le racisme ordinaire, le rôle des femmes et l’indispensable liberté individuelle. Dans ce portrait cinglant de l’Amérique des années cinquante, l’auteur décrit la colère des siens, la solidarité, l’entraide et le partage qui permettent de supporter l’oppression. Sans morale ni pathos, elle peint le tableau de vies complexes, parfois contradictoires. La construction est habile, la prose est dépouillée, elle va à l’essentiel même si de temps en temps surgissent quelques passages proche d’une certaine poésie. Il se dégage de ce texte d’à peine 150 pages une surprenante puissance romanesque, véritable marque de fabrique de celle qui reste à ce jour le seul auteur afro-américain couronné par le prix Nobel de littérature.

Home se termine sur une note positive. Au bout du chemin, Frank et Cee trouveront une forme de rédemption et d’apaisement. Une porte ouverte sur un avenir meilleur…


Home de Toni Morrison. Christian Bourgois, 2012. 152 pages. 17,00 euros.


L'avis de Choco






1ère participation au mois américain de Plaisir à cultiver


jeudi 6 septembre 2012

Les sisters : Mon journal intime

Cazenove et William
© Bamboo 2012
Tous les lecteurs (et surtout lectrices) des Sisters connaissent le running gag du journal intime présent dans chaque album de la série. Wendy (l’ainée) y consigne les petits et grands événements de sa vie d’ado et Marine (la cadette) passe son temps à retourner la maison afin de dénicher cet obscur objet du désir qu’elle se plaît à parcourir et à « enrichir » de quelques annotations très personnelles.

Ce journal intime est un élément tellement central de l’univers des Sisters que les éditions Bamboo le publie aujourd’hui dans une version richement illustrée. Au menu, une année complète de la vie de Wendy, entre petits secrets et anecdotes plus ou moins essentielles. L’ouvrage permet également de découvrir davantage le travail du dessinateur William grâce à quelques croquis, études sur les personnages et autres magnifiques illustrations pleine page.  Au final, un bel objet-livre, sans doute à réserver aux aficionados de la série. Certains reprocheront à l’éditeur d’exploiter le filon à l’excès après les romans, le guide pratique (Les Sisters mode d’emploi) et le spin-off (Les Super Sisters) publiés précédemment. Personnellement, je vois dans ce carnet secret l’occasion de ravir les petites lectrices, point barre.

Alors, opportunisme commercial ou cadeau idéal pour les fans ? A chacun de se faire sa propre idée. En tout cas, c’est qui le papou-chéri-d’amour qui va faire trop plaisir à sa fille en rentrant à la maison ce soir ? C’est bibi !

Les sisters : Mon journal intime de Cazenove et William. Bamboo, 2012. 192 pages. 13,90 euros. Dès 8-9 ans.

Cazenove et William © Bamboo 2012

mercredi 5 septembre 2012

Marcinelle, 1956 de Sergio Salma

Salma © Casterman 2012
8 août 1956. Un incendie se déclare dans la mine du Bois du Cazier, à Marcinelle. 262 mineurs perdent la vie dont 132 de nationalité italienne. C’est la pire catastrophe industrielle de l’histoire de la Belgique. Dans ce roman graphique en noir et blanc, Sergio Salma raconte ce jour funeste. Mais pas seulement. Il fait aussi revivre le travail harassant, répétitif et dangereux des gueules noires. Surtout, à travers le personnage de Pietro, immigré atypique peu nostalgique de son Italie natale, il prend à contre-pied la figure classique de l’ouvrier viscéralement attaché à ses racines. Pour Pietro, son pays est celui qui lui donne à manger. Peu importe que ce soit la Belgique ou le royaume de Zanzibar ! Et même s‘il retourne chaque été voir la famille, même s’il roule en Vespa et qu’il passe chaque dimanche avec sa communauté autour d’une grande tablée, il voit son avenir et celui de son fils sous la pluie et le ciel bas du plat pays qui est devenu le sien.    

Salma ne donne pas dans l’autobiographie. Son père (italien) n’a jamais été mineur et lui-même est né en 1960. Il a néanmoins grandit à Fontaine-l’Evêque, près de Charleroi, à moins de 500 mètres d’un puits d’extraction. Son récit mélange donc des souvenirs d’enfance et une solide documentation. Beaucoup de finesse et d’intelligence dans son propos qui ne se limite pas à un hommage rendu au monde de la mine. Avec Pietro, il navigue entre mémoire familiale, instants de vie privée, questionnement sur la place des immigrés dans la société et réflexions sur le déracinement.    

Coté dessin, l’épaisseur du trait donne de la profondeur aux planches en noir et blanc. Les nombreuses séquences sans textes racontent quant à elles mieux que de longs discours la pesanteur des habitudes au fond de la mine. Le découpage simple et les courts chapitres rendent l’ensemble dynamique et très agréable à lire. En fin d’ouvrage, un dossier rédigé par le journaliste Morgan di Salvia met en perspective l’importance de l’industrie charbonnière belge des années 50 et apporte des précisions sur le déroulement de la catastrophe et son retentissement.    

Une belle réussite que je recommande chaudement.

Marcinelle, 1956 de Sergio Salma. Casterman, 2012. 255 pages. 17 euros. 


Salma © Casterman 2012


mardi 4 septembre 2012

Le premier mardi, c'est permis (9) : Mahârâja

Artoupan et Labrémure
 © Drugstore 2012
1917. Le prince Raghubir Singh Bahadur et son harem viennent passer quelques jours dans une luxueuse villa au bord du lac de Côme. Les services secrets anglais sont sur les dents car ils soupçonnent la mahârâja de profiter de son séjour en Europe pour entrer en contact avec des agents allemands devant l’aider à mener une révolte contre les britanniques et à déclarer l’indépendance de son état. Homme taciturne et secret, le prince est surtout un sacré obsédé qui n’hésite pas à mettre en œuvre les préceptes du Kâma-Sûtra à la moindre occasion. Ce ne sont pas ses cinq épouses et la directrice de la villa qui diront le contraire… 

Artoupan et Labrémure (deux pseudos) donnent dans l’érotisme un brin rétro. Leurs influences sont sans doute à chercher du coté des italiens Manara et Crepax. Si Mahârâja est une BD coquine aux accents surannés, elle dégage un charme indéniable qui tient pour beaucoup aux décors de rêve du Lac de Côme et de ses environs. Dans cet univers luxueux, la débauche est classe et raffinée. Le prince indien et son harem apportent quant à eux une note d’exotisme bienvenue et les personnages féminins sont d’une grande sensualité (avec une mention spéciale pour la rousse incendiaire de la couverture !). Rien de glauque donc. Au contraire, avec les petites touches d’humour disséminées ici ou là, les auteurs offrent un récit plus joyeux que dramatique.

Si le scénario est un peu léger, la qualité majeure de cet album tient dans le dessin d’Artoupan. Ce dernier travaille uniquement au crayon, sans encrage. Un procédé qui donne à son trait une certaine patine et permet de créer une atmosphère délicieusement vaporeuse. Les couleurs chaudes et lumineuses renforcent de leur coté les sensations suaves laissées par la lecture.      

Quelques regrets tout de même. La fin est trop abrupte, l’ensemble est trop court (quoique…) et manque de profondeur (quoique…). Il n’empêche, je ne boude pas mon plaisir de découvrir une BD érotique légère et émoustillante à l’heure où la rentrée littéraire se complait dans le viol et l’inceste (n’est-ce pas Mr Djian et Mme Angot…).   

Allez, puisque c’est la rentrée et que nombreux sont ceux (et celles) à avoir le moral dans les chaussettes après les vacances, je vous offre ci-dessous un extrait « revigorant » qui devrait redonner un peu de tonus à tout le monde. Et pour découvrir d’autres lectures inavouables, n’hésitez pas à foncer chez Stefie.

Mahârâja, d’Artoupan et Labrémure. Drugstore, 2012. 48 pages. 15.50 euros.


Artoupan et Labrémure © Drugstore 2012



dimanche 2 septembre 2012

L’insatiable homme araignée de Pedro Juan Gutierrez (rentrée littéraire 2012)

Gutierrez © 13e note 2012
Il m’a manqué ce salopard. Cinq ans qu’il n’avait pas donné de nouvelles. Son dernier roman, Le nid du serpent, m’avait terriblement secoué. A la limite de l’insoutenable, il m’avait laissé au bord de la nausée, au sens propre du terme. Il faut dire que celui que l’on surnomme le Bukowski cubain n’y va pas avec le dos de la cuillère. Depuis son premier texte publié en France en 2002, Gutierrez utilise toujours à peu près les mêmes ingrédients : La Havane, le rhum, les filles, la crasse et la misère. Un cocktail explosif que l’on ingurgite à chaque page et qui est parfois difficile à digérer.

Les 19 nouvelles présentes dans ce recueil permettent à Gutierrez de répéter ses gammes. Le narrateur, double littéraire de l’auteur, est aigri et désenchanté. Il vit de l’écriture et de la peinture, boit beaucoup et est un sacré obsédé sexuel. Sa femme le sermonne : « Tu es choquant et lourd. Tu écris toujours sur la même merde de tous les jours, sur la misère et les emmerdes. Même moi je peux pas lire tes livres. Écris quelque chose de plus gai, de plus convenable. » Difficile de lui donner tort. Loin du Cuba des cartes postales, Gutierrez décrit la vie des moins que rien. Ses personnages sont cinglés, alcooliques et cradingues. Une de ses conquêtes, lucide, affirme : « Cette île est une cage. » Et force est de reconnaître que les spécimens qu’elle renferme ont de quoi vous foutre la trouille.

La prose, d’une grande vulgarité, reste étonnamment fluide. Beaucoup de sueur, de sexe, de brutalité, d’odeurs nauséabondes. Au cœur de tous les textes, la survie. Souvent, elle passe par les petits trafics, les touristes que l’on peut plumer ou la prostitution. Le narrateur navigue dans cette faune haute en couleur, toujours très à l’aise. J’aime son coté macho, latin, toujours prompt à parler de ses exploits au lit, à exhiber fièrement ses 18 cm et à vanter son endurance digne d’un coureur de fond.

Évidemment, L’insatiable homme araignée n'est pas à mettre entre toutes les mains. Trop cru, trop choquant, trop sensuel. Personnellement, c’est mon truc, mais je ne conseillerais cet auteur à personne. Faites-vous votre propre idée, en commençant par exemple par Trilogie sale de la Havane, publié en grand format par Albin Michel (réédité depuis en 10/18). Si vous passer ce cap, vous pourrez vous enquiller la suite sans sourciller et découvrir un auteur totalement inclassable. A vous de voir…


L’insatiable homme-araignée de Pedro Juan Gutierrez. 13e note éditions, 2012. 218 pages. 20,00 euros.