mercredi 18 janvier 2012

L'enfant cachée

Dauvillier et Lizano
© Le Lombard 2012
Si Dounia Cohen est aujourd’hui grand-mère, elle continue de porter sur sa jeunesse un regard empreint d’une certaine mélancolie. Lorsque sa petite fille Elsa lui propose de raconter son histoire pour évacuer sa tristesse, la vieille femme s’exécute et lui ouvre son cœur.

C’est au cours de l’année 1942 que tout a basculé. Un soir, en rentrant de l’école, son père lui annonce que les Cohen sont devenus une famille de shérifs et que du coup, ils doivent porter une étoile jaune. Pour Dounia, cette étoile signe le début des ennuis. A l’école, la maîtresse l’ignore et à la récré plus personne ne veut jouer avec elle. Le jour où la police vient chercher ses parents, son père la cache dans le double fond d’un placard. C’est la voisine du dessous qui la récupère quelques heures plus tard. Commence alors pour Dounia et et cette femme un exode qui les mènera en pleine campagne dans une ferme tenue par la pétillante Germaine...

Loïc Dauvillier et Marc Lizano articulent leur récit autour de l’un des événements les plus sombres de l’histoire de France, la rafle du Vel’ d’Hiv. Si Dounia échappe à l’arrestation, change de ville et d’identité, c’est grâce au formidable élan de résistance civile et de solidarité manifesté par une partie de la population. Au-delà du Vel d’Hiv, les auteurs rendent un vibrant hommage aux Justes, ces héros ordinaires qui n’hésitaient pas à risquer leur vie pour cacher des enfants juifs. Cette BD jeunesse est parfois cruelle (l’institutrice antisémite, les violences policières, la délation…) mais elle reste traversée par un indéfectible optimisme. Bien sûr, l’image de la mère de Dounia revenue des camps est terrible et d’une insondable tristesse, mais c’est une façon intelligente de parler aux enfants des camps de la mort sans avoir à les montrer. Un album qui va nécessairement interpeller les jeunes lecteurs auxquels il s’adresse. Mais parce que le ton est juste, parce que le récit est pétri de finesse et de subtilité, cette Enfant cachée se révèle au final une incontestable réussite.

Une BD pédagogique sacrément bien menée à recommander chaudement en ces temps où le travail de mémoire n’est plus, et de loin, une priorité nationale.

Allez, si je devais vraiment chipoter, j’émettrais un bémol concernant le lettrage. Il est un peu trop « brouillon » et pourra poser des problèmes aux enfants ayant quelques difficultés de déchiffrage. Mais ne vous arrêtez surtout pas à ce détail. De la bande dessinée jeunesse d’une telle qualité, il serait vraiment dommage de s’en priver.



L’enfant cachée de Marc Lizano, Loïc Dauvillier et Greg Salsedo. Le Lombard, 2012. 80 pages. 16,45 euros. Dès 9 ans.


Dauvillier et Lizano © Le Lombard 2012







Mention spéciale Jury Oecuménique
de la Bande dessinée 2013


mardi 17 janvier 2012

La collection écritures de Casterman fête ses 10 ans en fanfare

Pour ses 10 ans, la collection Écritures de Casterman ressort 10 titres essentiels dans un tirage de luxe limité à 3000 exemplaires. Une édition ultra-soignée, jugez plutôt : couverture imprimée sur papier métallique, tranche-fil, signet, bord des pages dorées. C’est bien simple, si on rajoutait un papier bible et un appareil critique, on croirait avoir à faire à un exemplaire de la Pléiade.



L’opération va se dérouler en deux temps. Cinq volumes paraîtront le 14 mars et les cinq autres le 30 mai. En fonction de la pagination, les prix oscilleront entre 17 et 29 euros.


Qui sont les heureux élus ? En mars, ce sera L’autoroute du soleil de Baru, Blue de Kiriko Nananan, L’homme qui marche de Taniguchi, Kiki de Montparnasse de Catel et Bocquet, Makiko Parade de Takahama et Boilet. En mai sortiront Blankets de Craig Thompson, Droit du sol de Charles Manson, Quartier lointain de Taniguchi, Haarman d’Isabel Kreitz, La mal aimée de Kim Dong Hwa.


Une belle occasion de découvrir (ou redécouvrir) des romans graphiques de qualité dans une édition classieuse. Personnellement, étant grand fan des tirages spéciaux, je sais déjà que je vais craquer pour quelques titres. Blankets sera l’occasion pour moi de découvrir le travail de Craig Thompson. Je vais aussi surement prendre les deux Taniguchi que j’avais lus à la bibliothèque et que je ne possède donc pas. Pour les autres, il faut voir. Je ne connais pas du tout Blue, Makiko Parade, Haarman, Droit du sol et La mal aimée. J’en prendrais peut-être un par curiosité mais à ce prix là, je ne vais pas pouvoir tous me les offrir. Si vous pensez que parmi ces titres il y en a un à ne pas rater, n’hésitez pas à me le faire savoir.
Et vous, est-ce que vous allez vous laisser tenter ?



lundi 16 janvier 2012

Les années n° 1

Après la radio, la revue. J’ai été sollicité pour participer au lancement d’une revue littéraire et culturelle bi-mensuelle, électronique et gratuite. Dans cette revue baptisée « Les années » en hommage à un ouvrage d’Annie Ernaux, le ton se veut léger et passionné. Comme le précise le responsable de la publication, la ligne éditoriale « n’aura rien de rectiligne, sinuera entre des écritures sensibles et généreuses, bordera la chanson, c’est sûr, et peut-être le spectacle vivant... ».

Au sommaire de ce 1er numéro, un portrait d’Annie Ernaux, une nouvelle de Jean-Louis Rambour, une chanson d’Alain Leprest, un poème de Luc Vidal, la chronique du Professeur Hernandez, quelques critiques de livres et quelques brèves savoureuses. Je vous conseille en particulier la lecture de la chronique assassine de l’ouvrage de Sylvain Tesson que j’avais encensé ici et le billet de Mgr Albillo qui vous propose avec humour quelques « saints à invoquer sans que cela nuise à votre réputation ».

De mon coté, on m’a confié la rubrique BD et littérature de jeunesse. Rien de compliqué puisque je ne fais que reprendre des textes parus sur ce blog. Il y a quand même quelques contraintes. Il m’a fallu réaliser un petit travail de réécriture pour respecter le nombre de signes imposés par la maquette.

Une nouvelle expérience donc. Je m’y lance avec d’autant plus de plaisir que cette modeste publication est due à l’initiative de Roger Wallet, un écrivain que j’adore et que j’ai eu la chance de côtoyer quotidiennement pendant de nombreuses années.

Allez, assez causé. Je vous laisse découvrir ce premier numéro et vous donne rendez-vous dans 15 jours pour la suite.

PS : Si vous souhaitez recevoir la revue à chaque parution, il vous suffit de m’envoyer votre demande par mèl. 


Télécharger le N°1 au format pdf.




dimanche 15 janvier 2012

Maintenant que j’ai 50 ans - Bulbul Sharma

Sharma © Picquier 2011
Les femmes des histoires de Bulbul Sharma viennent de fêter leurs 50 ans et sont indiennes. Pour chacune d’entre elle, cet anniversaire constitue un moment charnière. Rano, martyrisée par une immonde belle-mère, a dû attendre la mort de cette dernière pour connaître la liberté. Pour une autre, la cinquantaine a coïncidé avec le départ de son mari, parti roucouler avec son secrétaire Monty. Mahun, elle, a quitté son époux afin de s’émanciper. Suhda, veuve, a brisé les convenances et choqué sa belle famille en fréquentant un homme rencontré au parc. De son coté, Madhu découvre son conjoint dans les bras de prostitués pendant un séjour en Thaïlande censé célébrer leur anniversaire de mariage tandis que Meera refuse catégoriquement toute union, au grand désespoir de sa mère…

Onze nouvelles où Bulbul Sharma déroule cette petite musique si agréable qui la caractérise. Les femmes qu’elle met en scène sont pour la plupart issue d’une bourgeoisie cossue. Les enfants ont quitté la maison, le mari (quand il y en a un) est depuis longtemps indifférent et les belles mères sont immondes. Certes, ce demi-siècle n’est pas forcément synonyme de « cinquantièmes rugissants ». Ces femmes restent de bonnes hindoues respectueuses des traditions mais leur forte personnalité est une porte d’entrée vers l’épanouissement. Difficile cependant d’avoir sa propre existence quand on ne travaille pas et que l’on ne dispose pas de l’argent du ménage. Pas question non plus de divorcer, là encore, le traditionalisme l’emporte. Il n’empêche, ce basculement de « l’après 50 ans » sonne comme une révélation : et si la vie ne faisait que commencer ?

Les différents textes ne sont pas du tout redondant. Certains jouent sur le registre de l’humour, d’autres sont plus graves. Tous sont traversés par quelques notes de poésie permettant de relativiser des situations parfois difficiles. Autre constante, les femmes du recueil se révèlent aussi sympathiques qu’attachantes. Il leur aura fallu attendre cinquante ans pour briser les carcans et écouter leurs désirs, pour comprendre aussi que leur pays a changé doucement et que les pratiques d’antan, si elles restent la panacée, sont de plus en plus bousculées par un souffle de modernité salvateur.


Maintenant que j’ai 50 ans de Bulbul Sharma, Éditions Philippe Picquier, 2011. 210 pages. 17 euros.


Mon avis sur Mangue amère, un autre recueil de nouvelles de Bulbul Sharma.

vendredi 13 janvier 2012

Voilà le facteur !


Mase © Seuil jeunesse 2011
C’est l’hiver. Comme tous les jours, le facteur part à moto vers le village pour faire sa tournée. Alors qu’il pense avoir distribué l’ensemble de son courrier, il découvre au fond de son sac une enveloppe supplémentaire adressée à :
« Mr Goro,
Sous le Grand Hêtre
Au fond de la forêt aux Hêtres
Au bout du bois des Blancs-Bouleaux
Après le pont du Petit-Bond
En haut de la rivière Glouglou
Sur la montagne aux Chênes
Village Au-fond-de-la-vallée »
Voilà donc notre facteur en route vers la montagne aux Chênes pour donner son courrier à ce Monsieur Goro dont il n’a jamais entendu parler. Heureusement, une loutre, un écureuil, un lapin et un renard vont l’aider à trouver son chemin.

Un récit en randonnée mignon comme tout. Pour info, le récit en randonnée est une structure narrative particulière où, entre une situation initiale et une situation finale clairement identifiées, un personnage multiplie les rencontres. Si vous y prêtez attention, vous verrez qu’un nombre incalculable de titres pour les petits utilisent ce schéma narratif, le plus célèbre étant sans doute Roule Galette. Dans certains albums, la randonnée se décline sous forme de répétition, d’énumération, d’élimination ou encore de remplacement. Ici, l’histoire joue sur le ressort de l’accumulation : chaque nouvel animal vient s’ajouter au précédent jusqu’au dénouement regroupant l’ensemble des protagonistes. Les récits en randonnée sont toujours très simples et très linéaires. Concernant cet album, le trajet du facteur et ses arrêts successifs à chaque lieu-dit mentionés sur l'enveloppe constituent le fil directeur que l’enfant va suivre de page en page.

Au-delà de ces aspects purement techniques, Voilà le facteur propose une agréable ballade au cœur d’une forêt enneigée où le sens du devoir du postier et l’altruisme des animaux font chaud au cœur. Sans compter que la séquence finale, très réussie, fera forcément sourire. Un ouvrage de saison et plein de charme qui ne demande qu’à être partagé en famille.


Voilà le facteur de Naokata Mase, Seuil jeunesse, 2011. 40 pages. 13,50 euros. A partir de 3 ans.


Mase © Seuil jeunesse 2011

mercredi 11 janvier 2012

Pin-up 10 : Le dossier Alfred H

Yann et Berthet
© Dargaud 2011
1946, aux environs de Los Angeles, un soir d’été. Alors qu’elle rentre chez elle après une filature ratée, la détective privée Dottie Partington percute une jeune femme qui traverse la route paniquée. Avant de tomber dans le coma, la jeune femme supplie Dottie de la protéger du « gros ». Découvrant une ombre qui observe la scène depuis les fourrées, Dottie se lance à sa poursuite, en vain. De retour à sa voiture, elle se rend compte que la victime de l’accident s’est volatilisée.

Deux jours plus tard, Dottie apprend dans le journal que la personne qu’elle a renversée n’est autre que Grace Mac Guffin, une starlette qui terminait le nouveau film d’Alfred Hitchcock et dont tout Hollywood est sans nouvelles. Décidée à tirer les choses au clair, Dotti se fait engager comme doublure par Hitchcock et commence à mener une discrète enquête auprès de l’équipe du film…

Déjà le 10ème tome pour cette série débutée en 1994. Après deux cycles déclinés sous la forme de trilogies (la seconde guerre mondiale et la guerre froide), après un diptyque consacré à Las Vegas et un One shot se déroulant à Hawaï, revoilà la plantureuse Dottie jouant au détective privé à Hollywood. Un régal pour Berthet, toujours aussi à l’aise pour mettre en images cette Amérique de l’après-guerre qu’il apprécie tant. Ses voitures et ses femmes sont somptueuses, la précision de ses décors est minutieuse et son découpage théâtral donne du rythme au récit. De son coté Yann applique toujours la même recette : un brin de cynisme et de cruauté, un soupçon d’humour noir, des rebondissements inattendus, une rencontre entre son héroïne et un personnage ayant réellement existé... Pourtant ici, la mayonnaise a du mal à prendre. Son scénario est trop bavard et les dialogues ne brillent pas par leur qualité. De plus, l’envers du décor hollywoodien qu’il dépeint semble au final bien peu excitant. Le comble pour une série aussi glamour que Pin-up !

Une intrigue emberlificotée où la fin manque cruellement de clarté et un univers qui sonne presque aussi faux que les décors en carton pâte d’un studio de cinéma, voila ce que je retiendrais de cet album. Dommage ! Ce dixième tome beaucoup plus sage que les précédents se révèle donc au final plutôt décevant. Dans une interview au magazine L’immanquable Berthet déclarait : « A titre personnel, même si j’aime beaucoup cette série, je n’ai pas envie d’enchaîner les tomes de Pin-up jusqu’à la fin de ma vie. » A la lecture de ce dernier opus, on comprend que la lassitude puisse le gagner et qu’il ait envie de passer à autre chose.


Pin-up T10 : Le dossier Alfred H. de Yann et Berthet, Dargaud, 2011. 64 pages. 14 euros.

Yann et Berthet © Dargaud 2011






dimanche 8 janvier 2012

Le procès de Valérius Asiaticus

Goudineau © Actes Sud 2011
Rome, 47 après J-C. Des accusations mettent en cause la probité du consul Valerius Asiaticus, un gaulois à la carrière fulgurante qui fut un ami proche de l’Empereur Caligula. Le successeur de ce dernier, Claude, charge la cité de Massalia (Marseille) de mener une enquête indépendante et objective afin de démêler le vrai du faux. C’est le philosophe Charmolaos qui est désigné ambassadeur officiel de Massalia et doit rédiger un rapport circonstancié sur Valérius Asiaticus, sa famille, ses proches, sa fortune et son influence sur certains nobles romains. Après une visite à Vienne, ville natale du gaulois, Charmolaos rend son rapport et est convoqué à Rome par l’empereur pour assister au procès...

Christian Goudineau est professeur honoraire au collège de France, où il a notamment occupé la chaire d’antiquités nationales. Autant vous dire qu’il maîtrise son sujet. Dans une intéressante postface, il précise que parmi les raisons qui l’ont conduit à écrire ce livre figure son exaspération devant « tant de romans historiques fondés sur une documentation indigente, et dont les auteurs sont capables de passer à des rythmes record d’une époque, d’un sujet ou d’un grand homme à d’autres. » Rigueur et précision sont donc ici de mise. L’érudition de l’auteur, disséminée tout au long du texte, est assez passionnante pour peu que l’on s’intéresse à la Gaule romaine et à son fonctionnement. Gastronomie, architecture, cynisme (déjà !) des politiques, place des lettrés dans la société, lourdeur (déjà !) de l’administration… on apprend énormément de choses. Pour autant, l’historien renommé est-il un romancier de talent ? Je suis beaucoup plus sceptique sur ce point.

Le problème, c’est que tout cela est trop feutré. Ça manque de bruit et de fureur, ça manque d’orgies et de luxure. Les mondanités s’enchaînent dans une sorte de ronronnement un peu mou. Nausicaa, la sœur de Charmolaos, semblait être le personnage parfait pour pimenter le récit. Malheureusement, cette jeune femme moderne et excentrique reste au final très sage. Le texte est composé pour l’essentiel de dialogues qui, à la longue, se révèlent fastidieux. De plus, la multiplicité des personnages et la difficulté à identifier clairement leur statut rend à certains endroits la lecture pénible. Il manque ce soupçon de souffle romanesque qui aurait permis de faire de ce récit un ouvrage réellement tout public. Pour autant, je ne ressors pas déçu de ma lecture. Mon but premier était de trouver un roman sur la Gaule romaine à la rigueur historique indiscutable. A ce niveau là, je ne peux qu’être comblé. Maintenant, pour les amateurs de fictions plus mouvementées, je conseillerais davantage la lecture des enquêtes de Marcus Pius ou bien encore celles du beau Kaeso, centurion de la garde prétorienne.

Le procès de Valérius Asiaticus, de Christian Goudineau, Actes Sud, 2011. 430 pages. 23,00 euros.


L'avis de Luocine

Défi "Au coeur de la Rome Antique" de Soukee

vendredi 6 janvier 2012

Marche ou rêve

Laurel et Elric
© Dargaud 2011
Harold, jeune homme rêveur de 19 ans, n’arrive pas à faire l’amour à son amie Claire dont il est pourtant très amoureux. A l’occasion de vacances en Bretagne chez sa grand-mère, il retrouve Jeanne, une copine d’enfance, découvre qu’il a un demi-frère et tombe sous le charme de la jolie Mathilde. Un séjour bref mais extrêmement riche de surprises qui fera vaciller bien des certitudes…

Une lecture pas désagréable avec un univers provincial réaliste et des dialogues plein de fraîcheur. Malgré l’aspect intime du récit l’ensemble reste d’une grande pudeur. Une bonne idée également de mettre en scène le basculement dans le monde des adultes d’un jeune homme resté avant tout un grand enfant.

La simplicité est le maître mot de cet album. Simplicité de l’écriture mais aussi simplicité du trait. Les dessins réalisés à quatre mains par Laurel et Elric sont d’une grande lisibilité et leur aspect « jeunesse » tranche agréablement avec la gravité du propos. Beaucoup de qualités donc et pourtant, j’ai terminé le récit sur une impression mitigée en me disant « tout ça pour ça ? ». Difficile de développer une quelconque empathie pour Harold, un garçon sans relief et trop mollasson. Autre problème, Laurel charge un peu trop la barque niveau scénario : la panne sexuelle, le secret de famille, le coup de foudre en vacances, le père violent, le demi-frère suicidaire et la grand-mère tueuse de chatons qui elle-même meurt la veille du départ de son petit fils, ça fait beaucoup en à peine 80 pages. Trop de choses sont abordées de manière superficielle, il y a un vrai manque d’épaisseur. Et puis la fin est sans aucun intérêt. A la limite, si un second tome était prévu, cette fin abrupte pourrait passer mais à priori, Marche ou rêve est un one shot.

Je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai perdu mon temps avec cet album, ce serait manquer de respect pour le travail des auteurs. Néanmoins, il ne me laissera pas un souvenir impérissable, c’est une certitude.


L’avis de Mo’ qui m’a gentiment offert cet album.

Marche ou rêve, de Laurel et Elric, Dargaud, 2011. 80 pages. 12.95 euros.


Laurel et Elric © Dargaud 2011

mercredi 4 janvier 2012

Texas Exil

Daeninckx et Mako
© Emmanuel Proust 2011
Paris, 1871. A quelques jours de la semaine sanglante qui sonnera le glas de la commune, Fulbert Jolras, un insurgé, rencontre l’Andalouse, une femme sublime ayant notamment posé pour le célèbre tableau de Courbet « L’origine du monde ». Leur coup de foudre sera de courte durée car dès le lendemain le communard est gravement blessé sur une barricade. Miraculeusement sauvé par l’un de ses camarades, il embarque après une longue convalescence du Havre vers l’Amérique. Entraîné dès son arrivée à New York dans un braquage qui va mal tourner, Fulbert devient un fugitif recherché dans tout le pays. Après un passage à St Louis et une longue errance vers le sud, il atterrit finalement à Dallas, dans une communauté utopique de français exilés au Texas. C’est au sein de cette communauté devenue depuis peu la 46ème section de l’Association Internationale des Travailleurs que Fulbert se lance dans l’industrie de la conserve, où il fera fortune

Quelle densité ! Faire tenir en 120 pages une vie aussi riche est un véritable exploit. Heureusement, Didier Daeninckx n’est pas né de la dernière pluie. Il sait y faire, le bougre, pour installer une histoire et lui donner du souffle. Comme à son habitude, il prête une couleur très sociale à son propos et ne cesse de mêler la petite et la grande histoire. La trajectoire de Fulbert est de l’ordre de l’imaginaire mais nombre de personnages qu’il croise au cours de son existence sont eux bien réels : Mohamed Ben Ali, son camarade insurgé d’origine africaine, Courbet, Auguste Renoir, Jules Allix, le maire du IXème arrondissement de Paris ou encore Ben Long, élu maire de Dallas en 1872. De même, certains éléments relatés se sont vraiment déroulés : la Commune, évidemment, mais aussi la manifestation de l’Internationale des Travailleurs à New York le 17 décembre 1871 ou la communauté utopique baptisée La Réunion et créée par des Français à Dallas au début des années 1850. D’ailleurs, aujourd’hui encore, un quartier de la ville a gardé le nom (en français) de cette communauté. Les tatillons pointeront du doigt les grosses ficelles scénaristiques qui viennent, ici ou là, relancer l’intrigue de manière un peu artificielle. Personnellement, j’ai préféré fermer les yeux sur ces quelques improbables coïncidences pour mieux me laisser mener par le bout du nez jusqu’à la dernière page.

Pour ce qui est du dessin, le noir et blanc de Mako est aussi généreux que puissant. Beaucoup de détails, des scènes de fusillades rendues limpides par un découpage d’une redoutable efficacité, bref du très beau travail.

Prévu au départ pour être une série, Texas Exil a été interrompue après le premier tome publié en 2005 sous le titre de Bravardo. Cette réédition en noir et blanc, complétée et retravaillée, permet aux lecteurs de la première heure de connaître enfin la conclusion de l’histoire. Finalement, l’échec de la mouture initiale aura été un mal pour un bien tant ce one shot romanesque à souhait y a gagné en intensité. Certes pas un chef d'oeuvre mais une bonne BD d'aventure qui ravira les amateurs du genre.


Texas Exil, de Didier Daeninckx et Mako, Éditions Emmanuel Proust, 2011. 120 pages. 16.90 euros.


Daeninckx et Mako © Emmanuel Proust 2011




mardi 3 janvier 2012

Le premier mardi, c'est permis (3) : Mona, agent X T1

Scacchia et Hopkins
© Blanche 2011
Non mais vous avez vu cette couverture ? Franchement, difficile de trouver mieux. Y a pas, le marketing, quand c’est bien fait, ça marche à tous les coups. Je déambulais tranquillement au rayon philosophie de ma librairie préférée en quête d’un ouvrage à présenter pour ma troisième participation au rendez-vous de Stephie quand je suis tombé en arrêt devant cette charmante jeune femme (bon j’avoue, je m’étais un peu éloigné de la philo, genre une dizaine de mètres, pour me retrouver les yeux en l’air à passer en revue tous les titres de BD « adultes », mais c’est un détail sur lequel il n’est pas nécessaire de s’éterniser).

Avec une couverture pareille, ce n’est pas le genre d’album que l’on prend le temps de feuilleter dans les rayons. Je suis connu comme le loup blanc dans cette librairie et chacun sait que je tiens à ma respectabilité. C’est aussi pour cela qu’avant d’aller payer, j’ai coincé Mona entre un Ducobu pour ma grande et un album de l’école des loisirs pour ma petite dernière, histoire de noyer le poisson. Le passage en caisse n’a été qu’une formalité. Comme quoi, c’est facile pour toute personne respectable d’acheter une BD porno ni vu ni connu !

Bon c’est bien gentil tout ça, mais il se passe quoi derrière la couverture ? Mona est une jeune fille plantureuse et idéaliste qui, après avoir perdu la finale d’un jeu de télé réalité genre Secret Story, déprime sérieusement. Il faut dire qu’elle a trouvé son chéri en galante compagnie en rentrant chez elle et qu’elle s’est brouillée avec sa meilleure copine, nymphomane invétérée. Mona, elle, serait plutôt du genre sainte nitouche. Alors quand elle se rend à un entretien d’embauche et quelle tombe en pleine partie de jambes en l’air, il y a comme un malaise. Ecœurée, décidée à quitter ce monde cruel, Mona s’apprête à se jeter du haut d’un pont quand soudain...

Des années que je n’avais pas lu un navet pareil ! Tous les clichés du mauvais porno sont ici enfilés (si je puis dire) comme des perles : Mona l’oie blanche découvre des couples en pleine action dès qu’elle ouvre une porte. Mona la naïve tourne un film hard sans s’en rendre compte. Mona, devenue femme fatale et objet de désir, est transformée en agent spécial au service d’une obscure officine. On saupoudre tout ça avec quelques scènes lesbiennes, un peu de SM soft et une partouze finale et le tableau est complet.

Niveau dessin, l’italien Alessandro Scacchia rend une copie correcte, sans plus. Pour les connaisseurs, il est dans la veine de ses nombreux compatriotes ayant œuvré sur la série Selen. Heureusement, sa couverture sauve les meubles. D’ailleurs pour me convaincre que je n’ai pas jeté mon argent par les fenêtres en achetant cet album, je n’ai plus qu’à l’encadrer et à l’accrocher sur un mur de ma chambre. C’est ma femme qui va être contente !


Mona, agent X T1 : Premières armes, d’Alessandro Scacchia et Betty Hopkins. Éditions Blanche, 2011. 48 pages. 14,50 euros.

Scacchia et Hopkins © Blanche 2011