mercredi 22 septembre 2010

Rentrée littéraire 2010 (épisode 4) : Nagasaki d'Éric Faye

Shimura Kobo est un météorologue vivant à Nagasaki. Ce vieux garçon de 56 ans à l’existence réglée comme du papier à musique constate depuis quelques temps que son stock de nourriture baisse de façon incompréhensible sans qu’il y touche : quelques centilitres en moins dans une brique de fruits, une part de poisson qui disparaît… Sachant pertinemment que son frigo n’est pas hanté, Shimura se demande s’il n’est pas en train de perdre la boule. Pour en avoir le cœur net, il installe une webcam dans sa cuisine afin de surveiller son logis depuis son lieu de travail. C’est ainsi qu’il découvre à l’écran la silhouette d’une femme évoluant tranquillement dans le champ de la caméra. Il avertit immédiatement la police et les forces de l’ordre interpellent la « cambrioleuse » qui s’était réfugiée au fin fond d’un placard.

L’enquête révèlera que cette femme vivait depuis près d’un an dans la maison sans que son propriétaire ne se soit jamais aperçu de sa présence. Cachée dans le placard quand le météorologue rentrait du travail, cette SDF profitait dans la journée du confort de l’habitation laissée vide par son occupant.

Inspiré d’un fait divers rapporté par plusieurs journaux japonais en 2008, ce court roman est une réflexion sur la solitude et la déshumanisation de la société. La femme qui investit la maison de Shimura de manière clandestine est une des nombreuses victimes de la crise économique qui touche de plus en plus de japonais. Le météorologue est quand à lui un homme seul, très seul, menant une existence terne et monotone.

L’approche proposée par Eric Faye de ce fait divers original est passionnante dans la mesure où il exprime le point de vue des deux parties. Le célibataire endurci se révèle très perturbé par cette intrusion dans sa vie privée. Il avoue plusieurs fois après l’arrestation qu’il ne se sent plus chez lui. Il réagit finalement comme la plupart des victimes de cambriolages. Mais en donnant la parole au « coupable », l’auteur éclaire l’affaire d’un jour nouveau. Les raisons qui ont poussée cette femme à agir de la sorte sont au demeurant on ne peu plus humaines et ne relèvent en aucun cas d’une quelconque intention criminelle.

L’auteur relate au final le carambolage malencontreux de petites vies. Un carambolage qui va laisser des traces des deux cotés et qui pousse le lecteur à s’interroger sur l’évolution de notre monde où individualisme, solitude et injustice sociale sont devenus la norme.

Nagasaki, d’Eric Faye, Stock, 2010. 108 pages. 13 euros.

L’info en plus : Nagasaki fait partie des douze romans sélectionnés pour le prix Wepler-Fondation La Poste. Ce prix vise à faire émerger, parmi les nouveautés de la rentrée littéraire, des auteurs et des titres peu médiatisés. Le prix sera remis le 22 novembre à la brasserie Wepler, dans le 18ème arrondissement.

lundi 20 septembre 2010

Petites et grandes histoires des animaux disparus

Si vous aimez offrir des livres à Noël, ne cherchez plus, j’ai ce qu’il vous faut pour cette année. Avec les Petites et grandes histoires des animaux disparus, vous êtes certain de faire des heureux. Voila un documentaire d’une qualité rare, extrêmement bien pensé et fort instructif.

Près de trente animaux disparus sont présentés ici sous forme de doubles pages ludiques et didactiques. Sur la page de gauche, on trouve une planche de BD répondant à une question en rapport avec l’animal présenté : Qui surnomme-t-on « Lonesome George » ? (réponse : la tortue solitaire de l’île Pinta) ; Qui étaient les oiseaux disparus de l’archipel d’Hawaï ? (réponse : les Drépanide Mamo) ; Quel est le plus gros trésor de la Sibérie ? (réponse : le mammouth laineux). Bref, des informations qui relèvent souvent de l’anecdote ou de la légende en proposant une approche « plus légère » de la découverte ou de la disparition de l’espèce. Sur la page de droite, une énorme illustration et un commentaire plus scientifique expliquant les causes exactes ou supposées de la disparition. Une petite pastille dresse la carte d’identité de l’animal (taille, poids, lieu d’habitation…) et deux ou trois blocs-textes à l’intérieur de l’illustration apportent des précisions sur le comportement où les caractéristiques morphologiques du spécimen représenté. Les animaux sont classés par continent et une carte au début de l’ouvrage permet de les situer précisément. Un glossaire et une frise historique des disparitions viennent compléter le tout. Du vrai bon et beau boulot dont la qualité saute aux yeux !

Mais pourquoi il est trop bien ce livre ? (je reprends ici la phrase de ma fille de 8 ans qui l’a eu entre les mains ce week-end). D’abord, c’est un magnifique ouvrage : papier épais, grand format cartonné, pages pleines de couleurs qui sentent bon l’encre. Ensuite, et surtout, son contenu fascine. Le dodo, représenté sur la couverture, est la « star » des animaux disparus. Mais que dire du mammouth, du Tratratratra ou du lion d’Europe. Et l’éléphant nain de Sicile, le castor géant, la perruche de Caroline… On en prend plein yeux, on voyage dans le temps et à travers les continents. Et l’on apprend tellement de choses. Très rapidement, les enfants vont se rendre compte que derrière la majorité de ces disparitions se cache l’activité humaine. L’air de rien, beaucoup seront surpris d’apprendre que la pression que l’homme exerce sur l’environnement depuis la préhistoire a fait des ravages dans les populations animales.

Autre aspect positif, l’organisation du livre permet le « picorage ». Ceux dont l’attention pour la lecture ne dépasse pas cinq minutes peuvent lire une double page, oublier le livre pendant quelques temps et y revenir en l’ouvrant au hasard. A chaque fois, la magie opère et on replonge avec plaisir en écarquillant les yeux.

Vous voulez vraiment des défauts ? Son prix peut-être. 19,50€ ce n’est franchement pas donné, mais pour le coup, le livre les vaut. Son format aussi. Trop grand pour être rangé debout dans la plupart des bibliothèques. C’est toujours pénible de devoir coucher un si beau livre et ne pas le présenter dans toute sa splendeur. Mais c’est vraiment pour chipoter.

Vous n’êtes bien sûr pas obligé de me croire quand je vous dis que ce livre est un petit bijou. Le mieux est que vous testiez par vous-même. Si vous tombez dessus dans une librairie, sa couverture attirera votre regard. Une fois en main, quelques minutes de feuilletage achèveront de vous convaincre. J’ouvre les paris !

Petites et grandes histoires des animaux disparus, d’Hélène Rajcak et Damien Laverdunt, éditions Actes Sud Junior, 2010. 78 pages. 19,50 euros. A partir de 7 ans.

jeudi 9 septembre 2010

Rentrée littéraire 2010 (épisode 3) : Mon vieux et moi de Pierre Gagnon


Le narrateur est un tout jeune retraité célibataire et sans enfant qui décide d’adopter un vieux. Après la visite des services sociaux et quelques aménagements domestiques, il accueille chez lui Léo, 99 ans. Au fil des jours, les deux hommes apprennent à mieux se connaître et vont partager de bons moments, entre silences entendus et complicité naissante.

Dans un texte tenant plus de la longue nouvelle que du roman, Pierre Gagnon aborde un sujet délicat (la vieillesse) avec tendresse mais sans angélisme. Certes, l’altruisme semble être la motivation première du narrateur. Il veut clairement profiter de sa retraite pour accomplir une sorte de BA en accueillant à domicile une personne âgée. Mais on peut se demander s’il n’y a pas derrière ce semblant de charité chrétienne une part d’égoïsme. Ne prend-il pas quelqu’un chez lui pour affronter la solitude engendrée par sa nouvelle situation ? Avoir une présence, pouvoir partager, échanger mais aussi chercher à donner un sens à une existence qui peut sans cela sembler être proche d’un grand vide. Finalement, c’est le choix du compagnon qui est original et surprenant. Là où beaucoup se contentent d’un chat ou d’un chien, lui a préféré prendre à ses cotés un être humain. Et c’est ce choix qui suscite l’admiration, car au bout du compte, il n’accueille pas Léo pour se donner bonne conscience. Force est de constater qu’il porte une réelle affection au vieil homme.

Il se dégage du texte beaucoup de bienveillance désintéressée. C’est sans doute l’aspect le plus important, celui qui permet de balayer l’apparent égoïsme de la démarche au départ. De plus, même si le thème du roman peut paraître grave, le ton reste d’une incroyable légèreté. Rédigé à la première personne, le texte alterne les passages joyeux et ceux, plus pesants, soulignant le lent déclin de Léo :
« Certains jours, en après-midi, il n’a envie de rien. Il s’installe alors au salon pour ne plus bouger. Il peut y demeurer pendant des heures. Je glisse un oreiller derrière son dos pour l’aider à tenir. Il attend quelqu’un… Plus tard, devant l’évidence que personne ne viendra, il se remet en route pour sa chambre ou la salle de bain. Voila, c’est tout. Ça s’appelle vieillir. Jamais on ne raconte ces choses-là, bien sûr. Ça n’intéresse personne. »

Au final reste la délicieuse impression d’avoir partagé avec ces deux hommes quelques instants d’humanité. Et croyez-moi, par les temps qui courent, ça fait vraiment du bien !

Mon vieux et moi, de Pierre Gagnon, Autrement, 2010. 88 pages. 9 euros.

L’info en plus : Né en 1957, Pierre Gagnon a connu un énorme succès au Québec avec le récit de son combat contre le cancer, 5-FU. Mon vieux et moi est son 4ème livre, le premier publié par un éditeur français.

mardi 7 septembre 2010

King Kong Théorie

Il aura fallu un partenariat entre Blog-o-book et le livre de poche pour que je découvre le monde de Virginie Despentes. Certes, King Kong théorie est un ouvrage particulier dans la bibliographie de l’auteur. Ce « manifeste pour un nouveau féminisme » (dixit la 4ème de couverture) n’est peut-être pas l’œuvre la plus représentative de sa courte bibliographie. Il n’empêche, les différents articles de ce court recueil permettent de cerner assez précisément le mode de fonctionnement et de pensée de cet(te) écrivain(e) atypique.

Après une brève introduction, Virginie Despentes entre dans le vif du sujet pour présenter en cinq chapitres et une conclusion sa vision des relations hommes/femmes ou plutôt pour dénoncer l’attitude de la gent masculine à l’égard des femmes. Le premier article au titre fleuri (Je t’encule ou tu m’encules ?) est un état des lieux général sans grand intérêt. C’est dans les trois suivants que le propos devient vraiment intéressant. Abordant successivement les questions du viol, de la prostitution et de la pornographie, Virginie Despentes ne mâche pas ses mots, mais son point de vue, bien que décalé par rapport au discours bien pensant, est d’une grande lucidité et sonne fort juste. Il faut dire aussi que la jeune femme a eu le malheur d’être la victime d’un viol collectif. Elle s’est également prostituée et a côtoyé de très près le monde du cinéma X. Elle sait de quoi elle parle et ça se sent. On est donc très loin des doctrines défendues par des pseudo-spécialistes qui théorisent de loin sans jamais avoir vécu ce dont il parle. Le propos est sincère et réfléchi, parfois très dur sans jamais devenir haineux, bref très structuré et fort instructif.

Finalement, seuls les deux derniers textes me posent problème. Par exemple, l’attaque en règle contre la féminité y est aussi stupide qu’éloignée de la réalité : « Après plusieurs années de bonne, loyale et sincère investigation, j’en ai quand même déduit que la féminité c’est la putasserie. L’art de la servilité. On peut appeler ça séduction et en faire un machin glamour. Ca n’est un sport de haut niveau que dans très peu de cas. Massivement, c’est juste prendre l’habitude de se comporter en inférieure ». Dans le même ordre d’idée, la sentence définitive qui fait de tous les hommes des homos refoulés est trop lapidaire pour être crédible. Pour le coup, l’argumentation est un peu légère et tient plus du café du commerce que de la réflexion profonde.

Conclusion définitive de l’auteur : la vie n’a de raison d’être que si elle est punk rock. Certes, pourquoi pas. Mais on a quand même le droit de penser différemment.

Au niveau du style, il faut reconnaître que la prose est très « relâchée ». Le niveau de langue est sur certains passages très peu soutenu et les grossièretés s’enchaînent sans temps mort, ce qui ne m’a pas du tout perturbé. D’ailleurs l’ensemble reste fluide et coule tout seul, il faut juste ne pas s’attendre à lire l’essai d’un universitaire au vocabulaire abscons.

Bref, il y a à prendre et à laisser dans ces textes volontairement (et parfois gratuitement) provocateurs. Mais il n’empêche, la démarche est courageuse. Et je ne regrette pas du tout d’avoir découvert l’avis de Virginie Despenstes sur ce que doit être le nouveau féminisme, même si je ne partage pas toujours son point de vue.

King Kong Théorie, de Virginie Despentes, Le livre de poche, 2010. 150 pages. 5 euros.

L’info en plus : Virginie Despentes achève en ce moment le tournage de son second film, tiré du roman Bye Bye Blondie. Il regroupera à l’affiche, entre autres, Emmanuelle Béart et Béatrice Dalle. Son premier long métrage, Baise-Moi, avait subit en 2000 les foudres de la censure et suscité de nombreuses polémiques, tant dans la presse que chez les spectateurs. Espérons que ce deuxième essai dans le 7ème art fera moins de vagues, même si, après tout, la polémique est bonne pour le buz, comme disent les d'jeunes.


lundi 30 août 2010

Rentrée littéraire 2010 (épisode 2) : Bifteck de Martin Provost

Les Plomeur, installés à Quimper, sont bouchers de père en fils. André, le petit dernier, n’échappe pas à la règle. Mais au-delà de ses compétences pour la découpe de la viande froide, le jeune homme se découvre une autre qualité rare : il fait chanter la chair des femmes. Alors que la première guerre mondiale a envoyé au front la majorité des hommes, André, devenu maître es orgasmes, voit le nombre des ses adoratrices augmenter de façon exponentielle. Lorsque le conflit prend fin, les maris reviennent et les ennuis commencent pour la famille Plomeur. Fernande, sa mère, trouve un matin sur le pas de la porte un bébé dans un couffin. Six autres suivront. Décidé à s’occuper de ses enfants avant tout, André délaisse le commerce familial. La clientèle féminine ayant subitement déserté leur boucherie, les parents voient poindre le spectre de la faillite. Devant le désastre annoncé, la mère meurt d’une crise cardiaque, suivie peu après par son époux. Et quand un mari jaloux menace de tuer un des nouveaux nés, André s’empresse de quitter Quimper avec sa progéniture sur un bateau de fortune à destination de l’Amérique…

Ce court roman est un joyeux fourre tout. Commençant comme une comédie lorgnant sur le vaudeville, le récit emprunte à l’aventure maritime façon Hemigway (Le vieil homme et la mer) avant d’accoster sur une île que n’aurait pas reniée Robinson Crusoé. Survient alors une légère dose de fantastique avant une apothéose finale qui tend allègrement vers un genre bien particulier, l’absurde.

Conte ? Fable ? Récit d’initiation ? Difficile de faire rentrer ce Bifteck dans une catégorie précise. C’est à la fois original et déstabilisant pour le lecteur. A l’évidence, le coté décousu de l’intrigue dessert le texte. C’est dommage, car Martin Provost possède un joli brin de plume.

Les meilleurs passages sont ceux qui abordent la question de la paternité. André est un papa poule prêt à tout pour protéger ses enfants. Mais le jour où il comprend que ses sept petits ont grandi et n’ont plus forcément besoin de lui, sa souffrance est touchante : « On lui signifiait son congé, comme à l’ancêtre qu’on autorise à finir ses jours paisiblement au coin de l’âtre, nourri d’eau sucrée et de croûtes de pain. Se mêler aux existences des jeunes hommes et femmes en devenir, il n’en était plus question. […] Jusqu’alors, il avait été pour eux leur seul prolongement, leur seul territoire possible. »

Pour le reste, les événements sont aussi vite lus qu’oubliés. A part peut-être la conclusion de l’histoire où, après s’être demandé où tout cela allait nous mener, on se dit : tout ça pour ça ?

Voila donc un texte original dans sa construction et joliment écrit qui ne semble malheureusement pas tout à fait abouti. Agréable mais dispensable.

Bifteck, de Martin Provost, édition Phébus, 2010. 125 pages. 11 euros.

L’info en plus : Romancier, Martin Provost est aussi et surtout cinéaste. Il est notamment le réalisateur du long métrage Séraphine, récompensé en 2009 par sept César.

jeudi 26 août 2010

Rentrée littéraire 2010 (épisode 1) : Ouragan de Laurent Gaudé

A La Nouvelle-Orléans, en 2005, alors que la terrible tempête Katrina arrive, des vies vont être bouleversées. Il y a Joséphine Linc. Stelson, la négresse centenaire, fière et têtue comme une mûle, qui refuse d’évacuer. Il y a aussi le révérend dont on ne connaîtra jamais le nom, Buckeley, un prisonnier qui s’échappe du pénitencier pour ne pas finir noyé dans sa cellule, et puis Keanu Burns. Ce dernier, manutentionnaire sur une plateforme pétrolière du Golfe du Mexique, décide de revenir en ville pour retrouver Rose Peckerbye, la femme qu’il a quittée six ans plus tôt. Autant de vies qui vont se croiser à un moment ou un autre, déambulant dans une ville touchée par l’apocalypse.

La narration alterne la première et la troisième personne avec très peu de dialogues. Le point de vue se focalise sur les différents personnages au fil de courts paragraphe. Un récit choral qui peut paraître déstructuré de prime abord mais qui au final relève d’une construction précise et implacable.

Le texte est peut-être trop court, mais quel plaisir de lecture ! Laurent Gaudé distille sa petite musique avec un talent rare. Phrases courtes, syntaxe sobre et classique, recherche de l’épure. Le lexique n’est pas d’une incroyable richesse mais il est parfaitement adapté. L’ensemble est d’une telle musicalité que je me suis surpris à lire les différents paragraphes à voix haute. Il y a notamment chez cet auteur une maîtrise de l’usage de la virgule qui donne un rythme parfait à la lecture. Pour vous en convaincre, lisez le dernier paragraphe du roman. Près de cent lignes sans aucun point et pourtant la lecture coule toute seule grâce aux virgules. Un régal !

Que dire d’autre ? Avec un tel sujet, le danger aurait été de se lancer dans des élans plein de lyrisme. Mais cette tentation, qui pointe parfois le bout de son nez, est contenue avec maestria. On a ici affaire à un écrivain, tout simplement. C’est devenu tellement rare à l’heure où la surproduction littéraire actuelle encourage la médiocrité que l’on en serait presque surpris. Mais qu’est-ce que ça fait du bien !

NB : A ceux qui ont lu le livre et qui ont été frappé d’une empathie particulière pour le personnage de Joséphine Linc. Stelson, je ne saurais que conseiller la lecture du roman Autobiographie de Miss Jane Pittman de l’écrivain américain Ernest J. Gaines (paru en poche chez 10/18). Il y raconte la vie (fictive) d’une femme noire de Louisiane qui, ayant vécu cent dix ans, aurait connu à la fois l’esclavage et l’émergence de l’émancipation du peuple noir. Un petit bijou !

Ouragan, de Laurent Gaudé, Éditions Actes Sud, 2010. 190 pages. 18 euros.

L’info en plus : Laurent Gaudé est un auteur multicarte. A la fois romancier et dramaturge, il s’est aventuré il y a deux ans dans les méandres de la littérature jeunesse avec l’album La tribu des Malgoumi. Une vraie réussite que ce magnifique album très poétique qui plaît beaucoup aux enfants. Et puis ça permet aux parents de dire que la petite dernière de 5 ans a déjà lu un auteur qui a gagné le Goncourt. La classe !

mardi 24 août 2010

Les chroniques de Thomas Covenant T1 : la malédiction du Rogue

Thomas Covenant est un écrivain à succès dont la vie va être bouleversée par la maladie. Lorsque les médecins lui apprennent qu’il est atteint par la lèpre, son monde s’écroule : sa femme le quitte, emmenant avec elle leur fils. Vivant en reclus, n’osant plus se montrer à personne, il devient une sorte d’ermite, un paria rejeté par ses voisins et ses proches. Le jour où il décide d’aller payer sa facture d’électricité à pied, prêt pour une fois à affronter le regard des autres, il est renversé par une voiture et bascule dans une sorte de monde parallèle, le Fief. Attiré dans cet étrange univers par le maléfique Turpide le Rogue, il est chargé de délivrer une prophétie aux Seigneurs du Fief : dans 49 ans, Turpide anéantira leur royaume et Thomas Covenant sera l’instrument majeur de cette destruction. Considéré comme un demi-Dieu tombé du ciel par les habitants du Fief, le lépreux va découvrir un monde étrange peuplé de créatures surprenantes où règne la magie.

Créé à la fin des années 70, les Chroniques de Thomas Covenant sont devenues depuis un grand classique de la Fantasy. Le ressort essentiel repose sur la psychologie des personnages. Thomas Covenant est lépreux. Il considère être un impur et vit sa maladie comme un insupportable supplice. C’est un point de départ vraiment original de faire d’un tel personnage un héros. D’ailleurs, à aucun moment il ne s’imagine comme tel. Persuadé de vivre un rêve, il cherche juste le moyen de sortir du Fief pour retourner dans le monde réel. Il est très loin de l’archétype du guerrier invincible chargé de sauver le monde. Au contraire, c’est un misanthrope d’un égoïsme sans borne qui ne cherche qu’à sauver sa peau. Finalement (au moins dans ce premier tome), il se contrefiche de l’avenir du Fief. Toutes ses interrogations le ramènent à sa propre condition et à la façon dont il va pouvoir se sortir des différentes situations qu’il va devoir affronter. Difficile pour le lecteur d’avoir une quelconque empathie pour Covenant, c’est à mon avis un des points forts du roman. Comment peut-on trouver des circonstances atténuantes à un personnage constamment de mauvaise humeur, qui ne sourit jamais, dont l’altruisme est bien le dernier des soucis et qui ira même jusqu’à violer une gamine de 16 ans dès son arrivée dans le Fief ! Faire d’un homme si détestable le héros d’une quête est un pari risqué pour l’auteur, mais la psychologie du personnage est tellement fouillée que l’on comprend parfaitement son attitude et ses réactions. D’ailleurs, les cinquante premières pages où l’on découvre Covenant dans sa vie de tous les jours (dans notre monde) en tant que lépreux sont d’un réalisme et d’une justesse bouleversants.

L’univers du Fief est lui aussi bien pensé. Covenant débarque dans un monde dont il ne connaît absolument rien. Le lecteur découvre les traditions et les étranges habitants de ce monde si particulier en même temps que lui. Là aussi, le procédé est assez original, plutôt déstabilisant au départ (il faut parfois s’accrocher pour comprendre les us et coutumes ou visualiser certains lieux), mais il fonctionne.

Que dire d’autre ? La violence physique n’est pas omniprésente (quatre ou cinq scènes de combat tout au plus), c’est surtout une violence psychologique qui prédomine. Les personnages sont tiraillés par des sentiments contradictoires (Suilécume, Atiaran) ou des choix impossibles à assumer (Covenant). L’histoire est sombre, très sombre. Il n’y a ici aucune légèreté, pas la moindre trace d’humour. Les situations vécues sont terribles, le désespoir semble envelopper tous les protagonistes. Et puis tout se déroule lentement, très lentement. Après les cinquante excellentes premières pages, les 250 suivantes semblent interminables. Heureusement, il y a quelques coups d’accélération et des moments d’action qui viennent briser la monotonie, mais je reste persuadé que le texte pourrait être réduit d’un bon tiers sans que cela ne nuise à l’ensemble.

Au final, heureusement que j’ai emmené ce bouquin en vacances et que je n’avais rien d’autre à lire car sinon je crois que je ne serais jamais allé jusqu’au bout. Un manque certain de légèreté et un rythme beaucoup trop lent sont souvent pour moi des défauts rédhibitoires. J’en resterai donc là avec les Chroniques de Thomas Covenant, même si je reste satisfait d’avoir découvert cette saga qui dure depuis maintenant plus de trente ans.

Les chroniques de Thomas Covenant T1 : la malédiction du Rogue, de Stephen R. Donaldson, Éditions Pocket, 2008. 666 pages. 8,10 euros.

L’info en plus : Les Chroniques de Thomas Covenant se décomposent en deux trilogies et une tétralogie, soit dix romans en tout. Huit des dix volumes sont pour l’instant parus en anglais. En France, le 6ème tome a été publié par les éditions Le Pré aux Clercs en octobre 2009. Les cinq premiers volumes sont disponibles en poche. Il y a donc déjà de quoi faire dans une édition à prix réduit (plus de 10 euros d’écart entre le grand format et le poche) sauf si l’on est vraiment trop impatient pour attendre de lire le dernier titre dans sa version Pocket.

mardi 17 août 2010

Le chant des Stryges, intégrale de la saison 1

Kevin Nivek est le responsable de la sécurité du président américain. Lors de la visite d’une base secrète de l’armée, un attentat est commis et le président s’en sort de justesse. Congédié après l’incident, Nivek découvre qu’une étrange créature non humaine était présente sur les lieux au moment de l’explosion. Son corps a été rapatrié à Washington pour subir une autopsie. Le cadavre est examiné par le docteur Mélinda Chapman, ex-petite amie de Nivek. Mais la créature n’est pas vraiment morte et elle parvient à s’échapper après avoir mordu le docteur Chapman, plongeant cette dernière dans un état proche de la folie.

De son coté, Nivek mène l’enquête pour tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé dans la base. Aidé par un professeur de philosophie à la retraite et une mystérieuse tueuse, il va découvrir que des entités non humaines vivent sur terre depuis des millénaires et influent sur la marche de notre monde.

Théorie du complot, firmes internationales surpuissantes, visite des arcanes du Pentagone et de la CIA, créatures fantastiques ayant pénétré les plus hautes sphères de l’état… tous les ingrédients sont réunis pour créer une série à succès. Une sacrée dose de mystère et une double dose d’action finissent de placer Le chant des stryges parmi les très bonnes séries politico-fantastiques de la BD franco-belge actuelle.

Il importe de lire les six de tomes de la première saison à la suite pour ne pas perdre le fil de l’intrigue. Mais finalement, l’ensemble est assez linéaire (l’histoire se déroule entre le 28 avril et le 20 juin 1997) et reste très facile à suivre.

Le dessin hyper réaliste est nécessaire pour ce genre de série, mais il est ici beaucoup trop froid à mon goût. Le trait est souvent raide, notamment dans les scènes d’action. De plus, les couleurs faites par ordinateur sont très fades. Par contre, les visages des nombreux protagonistes sont très bien différenciés et permettent de les reconnaître au premier coup d’œil.

Un pur divertissement, rien de plus. Mais c’est déjà beaucoup et j’ai passé un très bon moment à découvrir cet univers plutôt original et bien pensé que j’ai trouvé par exemple largement supérieur à la série Rapaces de Dufaux et Marini.

PS : le volume que je présente dans cette chronique est paru en 2006. C’est un tirage limité publié à l’occasion du 20ème anniversaire des éditions Delcourt. Il est aujourd’hui totalement introuvable en librairie et est vendu beaucoup trop cher sur certains sites marchands. Il est donc préférable de découvrir la série en achetant les différents volumes à l’unité, à moins d’avoir un gros coup de chance et de dénicher cette intégrale à un prix raisonnable chez un bouquiniste (c’est ce qui m’est arrivé, je l’ai payé 6 euros chez un soldeur, c’était le seul exemplaire disponible !).

Le chant des Stryges, intégrale de la saison 1, de Corbeyran et Richard Guérineau, éditions Delcourt, 2006. 288 pages. 25 euros.

L’info en plus : La série Le chant des Stryges compte actuellement 12 albums représentant deux saisons complètes. Un treizième tome, qui sera le premier de la 3ème saison, paraîtra en septembre 2010.

mercredi 11 août 2010

Le fond de la jarre

Fès, début des années 50. Le narrateur raconte la jeunesse d’un garçon de sept ou huit ans, cadet d’une famille de onze enfants. Le père, membre de la confrérie des selliers, parvient à faire vivre chichement mais dignement les siens. Surnommé Namouss (le moustique), le petit dernier découvre le monde qui l’entoure avec l’insouciance de l’enfance.

Du mariage de son frère à l’activisme indépendantiste qui va précéder la fin du protectorat français, Namouss traverse une époque charnière de l’histoire de son pays. Sa vie quotidienne est rythmée par l’école, les jeux dans le quartier avec les copains, les matchs de foot, la découverte du cinéma et l’importance primordiale de la famille.

Abdellatif Laâbi porte un regard plein de tendresse sur sa jeunesse sans jamais tomber dans l’idéalisation. Bien sûr, il y a les charmes sans fin de la médina. Bien sûr, il y a l’image de la mère, Ghita, femme au caractère bien trempé qui l’a profondément marqué. Bien sûr, le trait est peut-être parfois forcé lorsqu’est présentée une galerie de personnages plus extravagants les uns que les autres. Mais l’auteur ne cherche pas à écrire une carte postale pour lecteurs en mal de romantisme « made in Maroc ». Son ton sait se faire critique, notamment lorsque sont abordés le ramadan (un mois d’ennui où la vie s’arrête) ou l’école coranique, qu’il a d’ailleurs très peu fréquenté. Le petit garçon se languit souvent, il s’interroge aussi sur ses premiers émois sexuels et se passionne pour les leçons de choses de son maître venu de France, Monsieur Cousin.

Le fond de la jarre porte un regard lucide sur une enfance pas forcément plus difficile qu’une autre, mais que l’auteur se refuse de sacraliser.

La prose est fluide, elle coule sans accroc, embarquant le lecteur avec réalisme dans le Maroc de l’après-guerre. Point de lyrisme pour enjoliver la vie au Maghreb à cette époque. Le ton est juste, oscillant entre humour et gravité.

Au final, un très beau texte, pétrit d’intelligence et de sensibilité.

Le fond de la jarre, d’Abdellatif Laâbi, éditions Folio, 2010. 276 pages. 5.60 euros.

L’info en plus : Abdellatif Laâbi n’est pas seulement romancier, c’est aussi (et surtout) un très grand poète. Le second volume de son œuvre poétique publié aux éditions de La Différence a notamment été récompensé par le prix Goncourt de la poésie 2009.

Ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Livraddict et les éditions Folio.
Merci à eux !

vendredi 6 août 2010

Winter

Été 1987. Rick Bass et son amie Elisabeth partent sur les routes dans une vieille guimbarde. Leur but : trouver un endroit calme et isolé, loin de tout, pour pouvoir travailler au calme. Respectivement écrivain et peintre, ces artistes à l’âme bohème se lancent dans une quête quasiment perdue d’avance. Sans un sou et cherchant plus que tout l’isolement, ils ne parviennent pas à dénicher le lieu magique qui les comblera. Visitant successivement le Nouveau Mexique, l’Arizona, le Colorado, l’Utah, le Wyoming et l’Idaho, c’est finalement au Montana qu’ils trouveront leur bonheur, en faisant le gardiennage hivernal d’une maison dont le riche propriétaire vit en Floride. Dans une vallée perdue, au fin fond d’une région montagneuse, l’écrivain originaire du sud profond (Mississipi) va vivre un hiver des plus rigoureux. Du 13 septembre au 7 mars, il relate dans son journal intime les événements qui vont jalonner sa découverte d’un univers lui étant totalement inconnu.

La vallée du Yaak compte une soixantaine d’habitants, tous semblant plus isolés les uns que les autres. Dans ce monde de montagnards taiseux où la nature tient une place prépondérante, le couple d’étrangers va trouver sa place, en douceur. L’émerveillement devant la diversité et la liberté des animaux, les paysages d’une infinie beauté, les préoccupations quotidiennes très terre à terre (couper du bois, faire de longues ballades, vivre au ralenti) et forts éloignées des turpitudes de la société consumériste qu’ils exècrent sont autant d’éléments qui vont transformer ce séjour en véritable coup de foudre pour une vallée qu’ils ne quitteront plus.

Alors que retenir de ce journal de bord ? A vrai dire pas grand-chose. Le problème avec ce genre d’exercice c’est que l’on est dans un registre hyper-intime dont le but premier n’est pas forcément la diffusion auprès d’un large lectorat. Résultat, les événements relatés sont loin d’être passionnants pour un observateur extérieur. Entre les soucis de tronçonneuse et les pannes de voiture, il ne se passe pas grand-chose. Certes la solitude des habitants de la vallée et l’aspect contemplatif qui se dégage de certaines réflexions exercent un certain charme, mais cela reste trop peu. Il n’y a surtout aucun fil conducteur d’une journée à l’autre, les non événements se succèdent sans lien apparent, donnant à l’ensemble un coté déstructuré qui constitue une vraie faiblesse. Bref, l’ennui n’est jamais très loin pour le lecteur. Il apparaît soudain à l’ombre d’un mélèze centenaire et ne vous quitte plus pendant plusieurs pages. Difficile alors d’éprouver beaucoup de plaisir à la lecture de ses mini-chroniques, certes authentiques et très réalistes, mais qui manquent singulièrement d’épaisseur. Finalement, c’est typiquement le genre d’écrit qui trouverait sa place dans un magazine proposant par exemple une chronique par semaine. Réunie en un seul recueil, la recette est trop indigeste.

Quitte à choisir un ouvrage de Nature Writting, je préfère de très loin  Indian Creek  de Pete Fromm, qui a au moins le mérite d’être un récit souvent fort drôle et dont l’histoire est parfaitement structurée.

Malgré tout, en refermant Winter, il reste l’agréable sentiment d’avoir découvert à travers ce texte une des dernières régions sauvages des États-Unis.

Winter, de Rick Bass, éditions Folio, 2010. 260 pages. 6.60 euros.

L’info en plus : En 2007, Rick Bass a publié un autre ouvrage entièrement consacré à sa très chère vallée. Intitulé  Le livre de Yaak, ces nouvelles chroniques du Montana ont été publiées en France par les éditions Gallmeister. Le recueil est dans ma PAL depuis bientôt deux ans, j’avoue qu’après la déception Winter je ne sais pas si j’aurais le courage de m’y plonger un jour.

Ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Livraddict et les éditions Folio. Merci à eux !