mercredi 18 avril 2012

O’Boys 3 : Midnight Crossroad

Cuzor et Colman © Dargaud 2012
Huck et Charley étaient partis pour la Californie. Le gamin blanc s’était fait passer pour mort afin d’éviter un placement en famille d’accueil et le journalier noir, accusé à tort de meurtre, cherchait à échapper au terrible shériff Bisley. Mais en chemin leurs routes se sont séparées. Charley a vendu son âme au diable pour devenir Lucius no Fingers, un joueur de blues incroyablement talentueux, et il a quitté Huck pour se lancer dans une carrière musicale des plus aléatoires. Incapable d’imaginer la vie sans son ami, le jeune garçon, accompagné de la jolie Suzy, retrouve sa trace à Memphis mais il découvre que Bisley et ses sbires sont eux aussi à la recherche de Charley et veulent le récupérer plutôt mort que vif…

Enfin ! Après trois ans d’attente, Steve Cuzor clôt la première partie de cette série ô combien prometteuse. S’il a perdu en route son co-scénariste Philippe Thirault, remplacé par Stépan Colman, il ne s’est pas pour autant écarté de son objectif de départ, à savoir transposer l’histoire d’Huckleberry Finn dans l’Amérique des années 30. Ce troisième volume laisse de coté l’univers ferroviaire des hobos et recentre l’intrigue dans un décor purement urbain. Au menu, l’envoutante Memphis : « point de liaison entre le Sud sauvage et le Nord paternaliste, c’était d’ici que partaient tous les trains musicaux, blues, jazz, swing, western-counrtry… Memphis allait également inventer le barbecue, les supermarchés, les chaines hôtelières, les transports express et la nostalgie infinie… » Pour Huck, la visite de la ville va se circonscrire aux quartiers noirs et aux junk joints, ses bouges infâmes où les musiciens de passage jouaient chaque soir pour quelques dollars et où l’alcool coulait à flot. Cette Amérique de la grande dépression est ici parfaitement retranscrite par le trait dense et précis de Cuzor. Il me rappelle encore et toujours par moments le Blueberry de Giraud, ce qui est quand même LA référence ultime. En dehors du dessin, l’autre qualité majeure de l’album (selon moi) réside dans le clin d'oeil fait à l'histoire du légendaire bluesman Robert Johnson. Charley vend son âme au diable et cherche le Crossroad, ce carrefour mythique où l’on doit faire des choix qui vont sceller notre destin. Selon la légende, Robert Johnson aurait rencontré le malin alors qu’il s’était assoupi au bord d’un Crossroad. Une entité surgit de nulle part lui apparut et, en échange de son âme, elle accorda sa guitare. Suite à cette rencontre, Johnson, musicien sans talent, devint l’un des plus grands bluesmen de tous les temps. Mais quand on passe un tel pacte, il faut s’attendre à payer l’addition un jour ou l’autre. Charley, comme Robert Johnson (empoisonné par un mari jaloux, il mourut dans d’atroces souffrances), l’apprendra bien assez tôt…

L‘ambiance et les références à la musique, voila tout ce que je retiendrais de cet album. Pour le reste, la platitude de l’intrigue est flagrante et les personnages (notamment Huck) n’attirent aucune empathie particulière, contrairement aux volumes précédents. J’ai survolé les événements sans jamais me sentir vraiment concerné. Une impression assez désagréable, heureusement en partie compensée par la qualité du dessin.

Il n’empêche, cette fin de cycle est pour moi une déception. C’était bien la peine d’attendre si longtemps !

Mon avis sur le tome 2.


O’Boys T3 : Midnight Crossroad, de Steve Cuzor et Stéphan Colman. Dargaud, 2012. 56 pages. 14 euros.


Cuzor et Colman © Dargaud 2012


Allez, pour ne pas finir sur une fausse note, je vous propose d’écouter Rambling on my mind version Robert Johnson, un enregistrement datant de 1936. Clapton a repris ce titre sur son album Blues Breakers.





 
 
 
 



 

lundi 16 avril 2012

Les années n°7


Au sommaire de ce septième numéro, un focus sur le dernier ouvrage d'Isabelle Marsay consacré à Jean-Jacques Rousseau, des portraits de Pascale Arguedas, d'Alban Liechti et du dramaturge Jean-Pierre Canet, une nouvelle de Mario Lucas, la chronique du professeur Hernandez et la présentation de recueils de nouvelles de Pierre Autin-Grenier. De mon coté, je vous parle de la Kililana Song de Benjamin Flao.

Si vous souhaitez recevoir chaque nouveau numéro par mèl, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique Contact.


Rendez-vous le 30 avril pour le n°8.

samedi 14 avril 2012

Un ange meilleur

Adrian © Albin Michel 2012
1979. Dans le quartier, quelqu’un s’en prend aux animaux : écureuils, chats, chiens. On les retrouve lardés de coups de couteau. Calvin, 8 ans, connaît l’identité du coupable. Il l’accompagne dans ses pérégrinations nocturnes à la recherche de ses proies. L’assassin, c’est Molly, une gamine à peine plus âgée que lui dont les parents sont morts dans un accident de voiture. Molly va crescendo. Après les petits animaux, elle s’attaque aux plus gros : vache, cheval, etc. Calvin le sait, elle va finir par s’attaquer à un être humain, c’est inéluctable…

La première nouvelle de ce recueil donne le ton. Le lecteur est sonné, envoûté par la prose au cordeau. Dans les huit autres textes, on croisera une femme dans le coma dont l’esprit vagabonde dans les couloirs de l’hôpital, un « toubib bousillé », cocaïnomane notoire, qui se rend au chevet de son père mourant, un garçon dont le frère est cinglé ou encore une ado, née grande prématurée, qui passe sa vie à l’hosto et tombe amoureuse d’un interne incompétent. On tourne la dernière page de l’ultime nouvelle qui met en scène la naissance du futur Antéchrist et on se dit : quel culot ! L’univers de Chris Adrian est sombre, torturé, unique. Oncologue spécialisé en pédiatrie, il a dû vivre des moments sacrément difficiles au cours de sa carrière pour imaginer des situations aussi tordues. Ce n’est sans doute pas pour rien que la plupart de ses personnages sont des enfants en souffrance, des écorchés vifs.

Cet auteur parle de la vie, la mort, la maladie, la fratrie, le deuil. Il semble aussi avoir été profondément marqué par les événements du 11 septembre 2001 (trois nouvelles y font directement référence). Ce qui est incroyable c’est que la construction de chaque texte, pourtant assez complexe, est parfaitement maîtrisée.

Encensé par le New York Times et le Boston Globe, classé par le prestigieux New Yorker parmi les 20 meilleurs jeunes écrivains américains, Chris Adrian propose avec Un Ange meilleur un recueil dérangeant et intense qui ne laissera aucun lecteur indifférent. Je ne pense pas que tout le monde adhère à cet univers si particulier mais il est évident que l’on ne tombe pas tous les jours sur un auteur débutant qui possède autant de talent. Je vous aurais prévenu.

Un ange meilleur, de Chris Adrian, Albin Michel, 2012. 284 pages. 22 euros.

L'avis de Clara.

vendredi 13 avril 2012

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier

Dagerman © Actes sud 1989
« Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux ». Ainsi commence cet inclassable opuscule d’à peine 20 pages. Stig Dagerman, écrivain suédois anarchiste, a rédigé ce texte en 1952. Le propos est d’une insondable noirceur. Où trouver la consolation ? Dans les bras d’une femme ? Dans la compagnie d’un ami ? Dans l’écriture ? Une certitude (pour lui), l’existence est « un duel entre les fausses consolations qui ne font qu’accroître mon impuissance et rendre plus profond mon désespoir, et les vraies, qui me mènent vers une libération temporaire. […] il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites. » Pourtant, Dagerman reste persuadé que la liberté n’est qu’un leurre. « Selon moi, une sorte de liberté est perdue pour toujours ou pour longtemps. […] Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société. »

Autre constatation lucide : « Rien de ce qui est humain ne dure. » Le propos vise ici à souligner la relativité du temps et le fait que rien, au cours de notre fulgurant passage sur cette terre ne pourra jamais nous apporter une réelle consolation. La conclusion devient alors inéluctable : « Il me semble comprendre que le suicide est la seule preuve de liberté humaine. »

Stig Dagerman s’est donné la mort le 4 novembre 1954. Il avait 31 ans.

Ça va, je vous ai bien plombé le weekend à venir ? Sérieusement, ce texte d’un incroyable pessimisme m’a beaucoup touché. C’est en quelque sorte le testament philosophique d’un homme profondément dépressif (il parle d’ailleurs de la dépression dans plusieurs paragraphes) arrivé à une conclusion inéluctable. L’écriture est magnifique, les arguments avancés sont solidement charpentés et le titre est tout simplement superbe.

Les Têtes raides ont mis l’ensemble du texte en musique. Vous pouvez l’écouter ci-dessous même si, franchement, cette « lecture musicale » ne rend pas hommage à la qualité de la prose de Dagerman.


Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman, Actes Sud, 1989. 24 pages. 4,10 euros.

L'avis d'Emmyne





Ce billet signe ma première participation au challenge "Littératures nordiques" de Miyuki.





jeudi 12 avril 2012

Ariol, Ariol, Ariol !

Guibert et Boutavant © Bayard
Ariol, c’est le copain que tous les enfants rêvent d’avoir. Farceur, joueur, parfois chahuteur, fidèle en amitié, jamais méchant, il a tout pour plaire. Et ce n’est pas ses parents qui diront le contraire. Eux aussi adorent ce petit âne malicieux. Dans chaque volume sont regroupées des historiettes d’une dizaine de pages abordant tous les sujets : Ariol à l’école, Ariol à la maison, Ariol dans la rue, Ariol en vacances, Ariol avec ses grands-parents… Les petits bouts peuvent sans problème se projeter dans les situations imaginées par les auteurs car tout est raconté à hauteur d’enfant.

J’adore Ariol, un point c’est tout. Vous voulez vraiment savoir pourquoi ?
- Parce que la série s’adresse aux enfants avec humour et intelligence.
- Parce qu’Ariol et ses copains sont des gamins attachants.
- Parce que les adultes occupent une place importante dans la majeure partie des histoires. Ils ne sont pas là pour boucher les trous, ils sont vraiment dans une situation de communication crédible avec les enfants.
- Parce que des chapitres de 10 pages, c’est idéal pour ceux qui débutent en lecture.
- Parce que le recours très fréquent au gaufrier (quatre cases identiques par page, voir exemple ci-dessous) permet aux lecteurs peu habitués à la BD de bien saisir la façon dont s’appréhende la narration particulière de ce média.
- Parce que les albums sont jolis avec des rabats sur chaque couverture et un format carré qui tient bien dans les petites mimines.
- Parce qu’Ariol restera la première BD que ma fille de 6 ans aura lu toute seule. En plus, elle a adoré et elle a lu tous les albums en un temps record. Avouez que c’est l’argument ultime, non ?

Pas la peine d’aller plus loin, je ne cherche pas forcément à vous convaincre (quoique…). Disons que si vous avez des enfants qui lisent depuis peu et qui souhaitent découvrir la BD, je ne connais rien de mieux qu’Ariol pour leur mettre le pied à l’étrier. Testé et approuvé, comme dirait l’autre…

Ariol d’Emmanuel Guibert et Marc Boutavant. Bayard. 124 pages par volume. 11,50 euros. Dès 7 ans.


Guibert et Boutavant © Bayard

mercredi 11 avril 2012

L’Odyssée de Zozimos 2

Ford © çà et là 2012
L’odyssée de Zozimos, c’est pas de la petite bière. Jugez plutôt : manipulé par son oncle, le garçon décide de se venger de la sorcière qui a assassiné son père et lui a volé la couronne du royaume de Sticatha. Au moment où commence ce second tome, Zozimos et ses compagnons atteignent enfin Sticatha après avoir survécu à une forêt enchantée et à un désert sans fin. Pour retrouver son trône, le jeune héros et ses amis les Zozinautes doivent se lancer dans une nouvelle quête : aller jusqu’au bout du monde et rapporter la légendaire plume d’or. Mais leur chemin sera pavé d’embûches et les épreuves à surmonter ne cesseront de devenir plus dangereuses les unes que les autres. Coté cœur, Zozimos va découvrir que sa promise, la belle et farouche Alexa, n’est autre que sa propre sœur. Apprenant la vérité, Alexa se crève les yeux pour ne plus jamais avoir à regarder en face son bienaimé. Une vraie tragédie, je vous dis !  

Voila enfin la suite (et peut-être la fin) des aventures de Zozimos dont le premier volume faisait partie de la sélection jeunesse du festival d’Angoulême 2012. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le problème de Zozimos, c’est qu’il tient plus du loser que du héros. Une sorte d’ado qui se cherche et doit affronter chaque nouvelle épreuve avec un évident manque de confiance en lui. Tout l’intérêt de l’album tient dans ce numéro d’équilibriste permanent entre la présence d’épreuves dignes de l’odyssée d’Ulysse, de figures mythologiques classiques (Athéna, zéphyr, Hélios, Nix, les Dryades, les sirènes…) et le traitement très moderne de l’intrigue.

A part ça, vous êtes sûrs qu’il faut aborder la question du dessin ? Si je me la pétais, je pourrais (sans préciser ma source, évidemment) vous citer un extrait du magazine Casemate parlant du travail de Mathieu Sapin sur la série Akissi : « Si l’on considère le dessin avant tout comme un outil de narration censé porter une histoire hors de toute considération esthétique, alors le trait de Sapin est parfaitement adapté à la vivacité et la fraîcheur du personnage-titre. » Remplacez juste Sapin par Ford et le tour est joué. Plus simplement, de mon coté, je comparerais le trait de Ford à ces pubs de la MAIF mettant en scène des bonhommes fil de fer (je sais, c’est moyen comme référence mais que voulez-vous on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a…). Une certitude tout de même, malgré la simplicité du dessin et l’absence de couleur, la fluidité et la lisibilité sont de mises. A noter également la qualité des dialogues qui ne sont par pour rien dans l’aspect moderne de cette agréable comédie d’aventure.
        
Au final, les clins d’œil à Homère disséminés par Christopher Ford tout au long de l’album feront le délice des enfants qui connaissent la mythologie sur le bout des doigts. Pour les autres, pas de panique, l’Odyssée de Zozimos peut aussi se déguster sans compétences particulières dans le domaine. L’auteur a su mixer les genres. Entre récit légendaire et roman d’apprentissage, il ratisse large, mais toujours avec finesse et intelligence, c’est bien là l’essentiel.       

Un grand merci à Libfly et aux éditions ça et là pour la découverte !

L’Odyssée de Zozimos T2  de Christopher Ford. Editions ça et là, 2012. 228 pages. 14 euros. Dès 10 ans.

Ford © çà et là 2012



samedi 7 avril 2012

De Goupil à Margot de Louis Pergaud

Pergaud © Folio 2006
Affublé d’un grelot par un chasseur cruel, le renard Goupil va connaître un sort pitoyable. Nyctalette la taupe va quant à elle subir la brutalité du viol commis par l’un des siens. Fuseline la petite fouine doit s’amputer elle-même la patte qui la retient prisonnière d’un piège avant de livrer un dramatique combat avec un busard. Et que dire de Margot la pie, tombée entre les mains d’un homme qui, après l’avoir mise en cage, lui rognera les ailes pour l’empêcher de s’échapper et la poussera vers une mort aussi ignoble que libératrice. Huit nouvelles en tout, terribles et belles. Autant de petits drames où l’on découvre les mœurs des animaux de la forêt.

On réduit trop souvent la bibliographie de Louis Pergaud à la seule Guerre des boutons. Mais le célèbre écrivain francomtois, mort dans le charnier de Verdun en 1915 à l’âge de 33 ans, avait accédé au succès dès en 1910 en remportant le prix Goncourt avec ce recueil de nouvelles où ses talents d’écrivain animalier furent reconnus à leur juste valeur.

Ces récits poignants ont tout des contes tragiques. Naturaliste convaincu, Pergaud est parvenu à retranscrire le comportement des animaux dans leur milieu naturel. Aucun anthropomorphisme chez les bêtes qu’il met en scène. Les attitudes sont décrites avec une précision à l’évidence riche des expériences vécues par l’auteur.

La langue de Louis Pergaud est classique et tout simplement superbe. Jugez plutôt : « Le soir était revenu. Un soir de dégel au ciel livide chargé de gros nuages : des paquets de neige saturés s’égouttaient des grands arbres comme le linge d’une immense lessive, où s’abimaient sur le sol avec le bruit gras de poches qui crèvent en tombant ; des filets d’eau susurraient de partout ; la terre semblait couvée par une grande aile mystérieuse faite de tiédeurs et de bruissements, et il planait sur tout ceci l’angoisse d’une genèse ou d’une agonie. »

Pergaud a su saisir l’âme des petits habitants de la forêt. De Goupil à Margot propose une évocation réaliste de la vie animale d’une grande dureté. La prose est magnifique mais les situations dramatiques décrites mettront à mal la sensibilité des amoureux des animaux. Je vous aurais prévenu !

De Goupil à Margot de Louis Pergaud, Folio, 2006. 180 pages. 5.95 euros.

jeudi 5 avril 2012

Le père Goriot : l'intégrale en BD

Lamy - Thiraut - Duhamel
© Delcourt 2012
Vous savez quoi ? C’est Marie qui m’a donné envie de retourner voir Balzac. Son enthousiasme pour cet auteur est tel qu’il m’a convaincu. Pour moi, Balzac, c’est typiquement un écrivain du Bac. D’ailleurs je n’ai pas rouvert un de ses romans depuis cette époque fort lointaine (1992 pour tout vous dire).

Courageux mais pas téméraire, j’ai préféré replonger dans La comédie humaine par le prisme de la BD. Téméraire, je le serai un peu plus tard dans l’année en m’attaquant à La Duchesse de Langeais pour une lecture commune. Pour l’instant donc, j’en reste au Père Goriot en bande dessinée.

Le père Goriot s’ouvre sur la description de la Maison Vauquer, une sordide pension du quartier latin regroupant une galerie de personnages hauts en couleur. Il y a là l’inquiétant Vautrin, ancien forçat échappé du bagne, le jeune et désargenté Eugène de Rastignac, la timide Mlle Taillefer et bien sûr le fameux Père Goriot, pitoyable vieillard se ruinant pour satisfaire les caprices de ses deux filles, Delphine et Anastasie. Rastignac est la pierre angulaire du récit, c’est autour de lui que les intrigues et les relations entre les personnages se nouent. C’est lui qui, peu à peu, va percer les différents mystères et mettre à nu la réelle personnalité de chacun. Et pour tout dire, le tableau n’est pas reluisant. De la triste pension aux salons aristocratiques, Rastignac évolue entre deux mondes finalement pas si éloignés que cela. Partout, c’est l’égoïsme, la cupidité et les manigances qui dominent. Finalement, Le père Goriot, au-delà de l’étude de mœurs, est un roman d’initiation et de formation. Confronté à l’apprentissage du réalisme, Rastignac voit dans la mort du Père Goriot et l’absence inexcusable de ses filles à son enterrement, l’achèvement de son éducation : « A nous deux maintenant ! » lance-t-il en contemplant Paris, prêt à défier cette société qu'il méprise et dont il a compris le fonctionnement. 

Faire tenir le texte de Balzac en 95 planches, voila un pari délicat à relever. L’adaptation est-elle réussie ? Je ne pourrais pas me prononcer car je n’ai gardé aucun souvenir du roman. Ce que je peux constater c’est que le déroulement de l’intrigue reste limpide malgré la multiplicité des personnages et des événements. Bruno Duhamel restitue avec talent le Paris du 18ème siècle. Il se révèle aussi à l’aise pour représenter la triste pension que les maisons bourgeoises ou l’opéra. Son travail sur les costumes et le mobilier est par ailleurs remarquable.

Qui l’eut cru, j’ai dévoré cette intégrale d’un seul trait. Un vrai plaisir de lecture aussi inattendu qu'agréable. Marie, je crois que je suis prêt à passer à la suite, La duchesse de Langeais n'a qu'à bien se tenir !


Le père Goriot : l’intégrale de Lamy, Thirault et Duhamel, d’après Balzac. Delcourt, 2012. 96 pages. 16,95 euros.

Lamy - Thiraut - Duhamel © Delcourt 2012

Lamy - Thiraut - Duhamel © Delcourt 2012

mercredi 4 avril 2012

Les meilleurs ennemis : une histoire des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient

Filiu et David B. © Futuropolis 2011
Vous saviez que le début des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient remonte au 18ème siècle ? Moi pas. En même temps je ne suis pas du tout un spécialiste de la question. Pour tout dire, le sujet m’intéresse moyennement. Heureusement, j’ai gagné le Loto BD de Mo’ et c’est elle qui m’a fait parvenir cet ouvrage. Je dis heureusement car sans cela je ne me serais jamais lancé dans la lecture de cet album et j’aurais perdu l’occasion d’approfondir mes connaissances en géopolitique qui sont pour le moins médiocres.

Tout commence avec Gilgamesh. Les points communs entre son épopée il y a 2400 ans et l’invasion américaine en Irak en 2003 y sont soulignés de manière stupéfiante. Dans le second chapitre est abordée la guerre menée par la flotte américaine contre la piraterie « barbaresque » en méditerranée. Les premières captures de bateaux de commerces américains par les musulmans datent de 1785. A cette époque, 20% du budget de l’état est consacré à l’achat de la paix avec les barbaresques. Difficile de comprendre pourquoi la jeune nation américaine emploie autant d’énergie (et d’argent) pour régler un conflit relativement mineur se déroulant à des milliers de kilomètres de son sol. Une question d’orgueil, déjà !

Le troisième chapitre est sobrement intitulé « Pétrole ». Il revient sur l’alliance entre l’Arabie saoudite et l’Amérique de Roosevelt en 1939 qui sera le point de départ de l’exportation du pétrole saoudien vers le pays de l’Oncle Sam. Le dernier chapitre se focalise sur la question iranienne et se déroule entre l’immédiat après-guerre et le coup d’état contre Mossadegh en 1953. La politique moderne entre en scène et les officines américaines (notamment la CIA) y jouent un rôle fondamental.

C’est ce dernier chapitre qui m’a le plus intéressé. On découvre l’intelligence avec laquelle les américains ont mené leur barque pour apparaître comme des alliés du Moyen-Orient en opposition aux grandes puissances coloniales honnies (France et Grande-Bretagne). Évidemment, il ne faut donner à cette bonne volonté de façade aucune dimension philanthropique. Si les américains sont autant actifs dans la région, c’est, d’une part, pour le pétrole, et, d’autre part, pour développer une politique impérialiste qui va peu à peu les entraîner dans un engrenage dont ils ne sortiront pas indemnes.

Jean-Pierre Filiu, professeur à sciences po, est un spécialiste du monde arabo-musulman. Autant vous dire que son texte allie rigueur historique et clarté. C’est en rencontrant David B. au festival de Blois que l’idée lui est venue de mettre en images une histoire des relations entre l’Amérique et le Moyen-Orient.

Niveau dessin, il n’est pas évident de représenter autant d’événements et de situations d’un simple coup de crayon. David B. suggère, il illustre, sans jamais vraiment être dans la narration. Il y a quelques trouvailles graphiques intéressantes et de superbes scènes de bataille mais j’avoue que je me suis davantage focalisé sur le propos de Jean-Pierre Filiu et que j’ai parfois eu quelques difficultés à bien cerner la relation texte/image.

Au final, j’ai beaucoup apprécié cette traversée de quelques siècles focalisée sur l’évolution de la politique américaine au Moyen-Orient. Surtout, cette BD m’a rendu moins ignorant que je ne l’étais sur la question. Et rien que pour ça, je remercie chaleureusement Mo' pour la pertinence de son choix. 


Les meilleurs ennemis de Jean-Pierre Filiu et David B. Futuropolis, 2011. 116 pages. 20 euros.


Filiu et David B. © Futuropolis 2011





mardi 3 avril 2012

Le premier mardi, c'est permis (6) : Un goût d'interdit

Bradley © Harlequin 2012
Cette fois-ci c’est pas de ma faute, c’est celle de Noukette. C’est à cause d’elle que j’embarque une fois de plus pour le rendez-vous inavouable de Stefie. Elle n’avait qu’à pas parler de la collection Spicy le mois dernier. Son billet a titillé ma curiosité et une fois de plus j’ai cédé à la tentation.

Me voila donc avec entre les mains Un goût d’interdit (c’est le titre du livre, commencez pas à vous faire des films). Premier réflexe, j’ausculte la bête. La couverture est bof, on dirait un vieux Harlequin de ma grand-mère. La 4ème de couv est plus intéressante. J’apprends que je vais découvrir l’histoire de Bettina, une romancière passant ses vacances dans une superbe villa au bord de l’océan avec un groupe d’écrivains branchouilles. Parmi eux, il y a la sulfureuse Audrey et surtout le beau Jack, un séducteur auquel personne ne résiste... Le premier paragraphe ? « Des mains inconnues me caressent dans le noir. L’air sent le sexe, l’encens et la sueur. Des bouches sans visage dévorent de baisers mon ventre et mes seins nus, et je me cambre pour offrir mes mamelons affamés à ces lèvres chaudes et audacieuses. Oh oui... La tension monte entre mes jambes. Un souffle chaud effleure mes cuisses ouvertes, s’approche de ma chair frissonnante. Des doigts écartent mes replis les plus intimes et le plaisir se répand dans mes veines comme du feu liquide. Je tremble de la tête aux pieds, brûlante, haletante. »

Alors, ça le fait non ? Au moins, on est tout de suite dans le bain. Et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. J’ai assez persiflé sur la mollesse du pompier névrosé dont je vous narrais les aventures il y a deux mois. Là, pour le coup, on sait où on met les pieds. Une héroïne accro à son vibromasseur, qui se découvre une attirance pour les ébats saphiques et qui finit par passer ses journées à forniquer avec un beau mec dont elle va évidemment tombée amoureuse, c’est classique mais efficace. Surtout quand on a une scène de sexe toutes les 20-30 pages. Là au moins, on en a pour son argent. Bien sûr, il ne faut pas être regardant au niveau du style, on n’est pas chez Flaubert, c’est une évidence. Pareil pour la jolie Bettina, une jeune femme naïve comme c’est pas possible. On dirait une ado qui découvre les premiers émois de la sexualité. Et puis on ne peut pas dire que la demoiselle soit frigide. Elle aurait plutôt tendance à démarrer au quart de tour : « Le plaisir m’emporte comme un raz de marée. » ; « Le plaisir me transperce comme une lame. » ; « Le plaisir et la douleur me transpercent à force égale. » ; Un éclair me transperce et je me cabre, secouée par les spasmes du plaisir. » ; « Le plaisir est une vague qui monte et reflue comme l’océan. » ; « Le plaisir me traverse de part en part et soudain tout mon corps se contracte. » Qui a dit que le champ lexical était limité ? En même temps, je vous avais prévenus, on est pas chez Flaubert.

Trêve de persiflage. L’ensemble est sans saveur mais au moins l’auteur ne se prend pas plus au sérieux que nécessaire. Et le lecteur me direz-vous ? Et bien il sait ce qu’il a entre les mains (je parle encore et toujours du livre, je préfère préciser, on ne sait jamais...) et il n'y a pas tromperie sur la marchandise, c'est déjà pas mal. De toute façon, pas la peine de jouer la vierge effarouchée qui ne savait pas à quoi s’attendre. Quand on écume les blogs qui participent au 1er mardi c’est permis, c’est qu’on a déjà une petite idée derrière la tête...

Un goût d’interdit d’Eden Bradley. Harlequin, 2011. 294 pages. 8,10 euros.



Si vous voulez découvrir d'autres lectures inavouables, il faut faire un saut chez Stephie


lundi 2 avril 2012

Les années n°6


Au sommaire de ce sixième numéro, des portraits d’Alessandro Baricco et de René Vautier, une nouvelle de Stéphane Cugnier, la chronique du professeur Hernandez, deux chroniques livres consacrées aux Carnets de notes de Pierre Bergounioux et à Dans la peau d’un noir de John Howard Griffin, une réflexion sur la place de l’adjectif dans la littérature et la présentation de recueils de nouvelles de Marie-Hélène Laffon et de Dino Buzzatti. De mon coté, je vous parle de la BD Milady de Winter.

Si vous souhaitez recevoir chaque nouveau numéro par mèl, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique Contact.


Rendez-vous le 15 avril pour le n°7.

samedi 31 mars 2012

Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille

Fontenaille ©
Le livre de poche 2012
Le Downtown Eastside est le pire quartier de Vancouver. « Un quartier à haut risque en plein centre ville, un trou noir entre Chinatown et le quartier des affaires, un maelström urbain. » Les filles y vendent leurs corps pour payer leurs doses de crack et d’héroïne. Les premières disparitions datent des années 80. Des filles qui semblent se volatiliser et dont on ne retrouve jamais aucune trace. Les bad dates, les clients violents, elles en ont toutes rencontrées. Certaines sont parfois battues à mort mais au moins on retrouve les cadavres. Les disparitions, c’est autres chose. Le problème c’est que la police ne s’intéresse pas à ces filles. La plupart sont des indiennes qui ont fugué de leur réserve, des anonymes dont personne n’a cure.

En 2002 pourtant, un concours de circonstances va permettre d’élucider l’affaire. Le pire serial killer d’Amérique du Nord est arrêté le jour où l’on retrouve six têtes de femmes dans son congélateur. 69 prostituées en tout sont tombées entre ses griffes. Lorsque l’affaire est révélée, l’onde de choc est monumentale. Pour l’opinion publique, la sentence est indiscutable et résonne comme un slogan : « honte au Canada ». L’inaction des élus et des forces de l’ordre est pointée du doigt. « Un quart des canadiens ont du sang indien dans les veines, les trois quarts restants ont du sang indien sur les mains. »

Le procès s’est tenu de mai à décembre 2007. Le coupable a été condamné à 25 ans de prison. « Depuis l’affaire, Vancouver se sent souillée, honteuse, meurtrie ». Même la tenue des jeux Olympiques d’hiver en 2010 n’a pas permis d'apaiser les tensions.

Elise Fontenaille a choisi de rester au niveau de la simple chronique. Il y aurait pourtant eu matière à concocter une enquête beaucoup plus dense et fouillée en disséquant notamment la personnalité du tueur et la réalité sociologique du Downtown Eastside. Elle a préféré retracer les événements de ce terrible fait divers par le petit bout de la lorgnette en se focalisant sur l’histoire de Sarah, l’une des victimes. Un choix discutable qui me convient parfaitement et qui lui permet de rendre à ces filles l’hommage et la dignité qu’elles méritent. Son récit est aussi un cri de rage poussé contre le traitement réservé aux femmes indiennes. Les premières pages sont superbes, comme scandées entres deux sanglots. On pourra toujours reprocher à l’auteur de survoler la réalité des faits mais son témoignage m’est apparu émouvant et terrible, douloureux et nécessaire. Le lecteur en sort fortement secoué, révolté et ému. C’est simple, ce petit texte m’a bouleversé.

Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille, Le livre de poche, 2012. 140 pages. 6 euros.

vendredi 30 mars 2012

Gamba et les rats aventuriers

Atsuo © Picquier 2012
Gamba est un rat des villes qui mène une existence paisible dans une cave où il dispose de tout le confort nécessaire. Lorsque son copain Manpuku le persuade de l’accompagner au grand rassemblement des rats marins sur les docks, Gamba ne se doute pas que sa vie va basculer. En plein milieu de la fête, un rat en piteux état apparaît et supplie ses congénères de l’accompagner sur son île où les siens sont chassés et tués par le clan de Noroi, une impitoyable belette au pelage immaculé. Touché par la demande du rat insulaire, Gamba décide de lui venir en aide et embarque pour la première fois de sa vie sur un bateau…

De l’action, de l’aventure, le combat désespéré d'une communauté contre ses oppresseurs... Ce roman jeunesse japonais datant de 1982 possède de nombreux atouts. Le style est simple et parfaitement adapté aux jeunes lecteurs mais surtout les valeurs qu’il dispense restent universelles. Le groupe de rats mené par Gamba fait preuve d’un incroyable courage. L’amitié et l’altruisme sont aussi de la partie. De plus, la dure réalité n’est pas occultée : certains ne sortiront pas vivant de la lutte contre les belettes. Sans être moralisateur, l’auteur propose une réflexion intelligente sur la fraternité et la liberté.

Roman animalier trépidant et accrocheur, Gamba et les rats aventuriers est une jolie trouvaille des éditions Picquier que je recommande chaudement aux bons lecteurs dès 9 ans.


Gamba et les rats aventuriers de Sitô Atsuo (ill. Yabuuchi Masayuki). Picquier jeunesse, 2012. 322 pages. 19,50 euros. A partir de 9 ans.


Ce billet signe ma dernière participation aux 10 jours japonais de Choco

jeudi 29 mars 2012

Boy de Takeshi Kitano

Kitano © Wombat 2012
Avant de devenir un cinéaste reconnu mondialement (Lion d’or à la Mostra de Venise pour son film Hana-Bi en 1997), Takeshi Kitano a beaucoup écrit, notamment des nouvelles. Les trois histoires contenues dans le recueil Boy ont été publiés au Japon en 1987. Elles ont toutes pour héros des adolescents lambda aux parcours parfois chaotiques. Dans la première, deux frères devenus adultes se souviennent d’une fête des sports de leur école où l’un d’eux, réputé pour sa nullité en éducation physique, avait failli contre toute attente remporter une épreuve d’athlétisme. Dans la seconde, ce sont encore deux frères qui, suite à la mort de leur père et à un déménagement à Osaka, se font maltraiter par  leurs nouveaux camarades de classe. Seule échappatoire à ce douloureux quotidien, une passion commune pour l’astronomie qui les poussera, un soir glacial, à quitter leur foyer pour aller observer Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel après le soleil. La dernière nouvelle est un récit d’initiation assez classique où un collégien fugueur rencontre une jeune fille délurée qui lui procurera ses premiers émois.

Difficile d’être un garçon dans les récits de Kitano ! Entre violence, tendresse et sensibilité, le propos est empreint d’une nostalgie douce-amère. Le format de la nouvelle correspond parfaitement au style de l’auteur, tout en subtilité. C’est ce que j’aime dans ce genre si particulier : on brosse un portrait comme on peint une aquarelle et on laisse les héros en suspend, figures éphémères qui ne font que traverser l’écran...

Un beau recueil où l'innocence de l'enfance est souvent malmenée par la dure réalité.
Une découverte que je dois au billet de nath choco. Merci à elle pour la tentation. 

Boy de Takeshi Kitano, éditions Wombat, 2012. 122 pages. 15,00 euros.


mercredi 28 mars 2012

Les amis de Pancho Villa

Chemineau et Blake
© Rivages / Casterman 2012
Rodolfo Fierro a sans doute été le plus fidèle compagnon d’arme du général Pancho Villa. Tout commence en 1910, alors que Fierro sort de prison et qu’il rencontre Tomas Urbina, un des lieutenants de Villa. Très vite, l’ex-prisonnier montre sa bravoure et se révèle un tueur sans état d’âme. Devenu le bras droit du général, il va accompagner ce dernier jusqu’à sa mort en 1923. Ensemble ils vont traverser les moments les plus terribles de la révolution mexicaine. Du soutien au constitutionnaliste Carranza à l’alliance avec Zapata, cette petite quinzaine d’années sera pour eux l’occasion de vivre une aventure humaine d’une rare violence.

En adaptant le roman de James Carlos Blake, Léonard Chemineau propose une plongée au cœur d’une des plus grandes révoltes du 20ème siècle. L’indépendance du Mexique restera à jamais pavée du sang de nombreuses victimes innocentes. Impossible d'oublier que pendant cette période le pays est en plein chaos. Pillages, viols, massacres… la guerre civile laisse chacun exprimer ses plus bas instincts. Fierro joue le rôle du narrateur. Son point de vue est intéressant car il n’est pas celui d’un idéologue. Son but n’est pas de délivrer une population opprimée, il veut simplement profiter au maximum de ce mode vie sans aucune contrainte : « La révolution nous a donné des armes, les meilleurs chevaux, des bottes, des vêtements et des chapeaux texans. A manger et à boire autant que nous voulions. Elle nous a fait voir du pays, elle nous a donné de l’or et des femmes, partout... Mais surtout elle nous a donné la liberté. » La fin de l’insurrection est pour lui une mauvaise nouvelle : « Si c’est vraiment fini, ça va être le retour de la loi, du papier, des directeurs, des tribunaux, des prisons, de toute cette merde. » Ce personnage sulfureux est sans doute représentatif de la majorité des hommes s’étant engagés dans le conflit : aucune conscience politique, juste la volonté de vivre les choses à cent à l’heure. Born to be wild, en quelque sorte…
   
Léonard Chemineau signe ici sa première BD. Cet ingénieur spécialisé dans l’environnement et le développement durable a été repéré lors du concours Jeunes talents du festival d’Angoulême en 2009. Pour un débutant, il maîtrise déjà sacrément la narration. Beaucoup de cases en cinémascope, des scènes de bataille très dynamiques, une représentation de la violence réaliste qui ne tombe jamais dans le gratuitement gore, des couleurs chaudes qui emmènent le lecteur au cœur du désert mexicain… les qualités de son adaptation son nombreuses. Son trait élégant rappelle parfois celui de Mathieu Bonhomme (Le marquis d’Anaon, Le voyage d’Esteban). Il y a pire comme comparaison !  
Finalement, le problème majeur tient dans la densité du roman original. Comment résumer autant d’événements et d’années de lutte en si peu de pages ? L’histoire de l’indépendance mexicaine défile à vitesse grand V et il n’est pas toujours évident d’en saisir les subtilités. Pour autant, grâce à ses personnages haut en couleurs et à son intérêt historique, cet album restera pour moi une bonne pioche. Je ne peux malheureusement pas en dire autant toutes les semaines…         

Les amis de Pancho Villa  de Léonard Chemineau et James Carlos Blake. Rivages/Casterman, 2012. 124 pages. 18 euros.

Chemineau et Blake
© Rivages / Casterman 2012



lundi 26 mars 2012

Mercredi, c’est raviolis !

Tachibana et Hasegawa
© L'école des loisirs 2008
Chez ces deux petites filles japonaises, le mercredi, c’est raviolis. Mais attention, pas des raviolis tout prêt que l’on réchauffe aux micro-ondes. A la maison, les raviolis (les gyôza), on les fait soi-même ! Pour préparer la pâte, il faut juste de la farine, du sel, de l’eau et de l’huile de coude. On doit pétrir la pâte quelques minutes et quand elle fait une boule souple et lisse, on la couvre avec un torchon mouillé et on la laisse reposer. Comme maman a déjà préparé la farce au poulet, il ne reste plus qu’à faire des petites boulettes de pâte que l’on aplati d’abord avec la paume de la main puis au rouleau pour en faire de fines crêpes. On dépose la garniture, on replie les bords de la crêpe et le tour est joué. Reste plus qu’à les bouillir ou les frire. Simple comme bonjour !


Chaque page de l’album reprend une étape de la préparation de la pâte. Le dessin est minimaliste. Juste les deux enfants à l’œuvre, sans décor. En même temps, ça permet de se focaliser sur l’essentiel. En fin d’ouvrage, on vous propose la recette complète des vrais Gyôza. Comme tout cela avait l’air d’être un jeu d’enfant, je me suis dit que j’allais essayer. Résultat ? Je vous laisse découvrir par vous-même les dégâts !


Voila mes raviolis. J'assume totalement l'esthétisme douteux de ces gyôza.

Pour tous les esprits moqueurs qui vont se gausser à la vue de ma photo, deux petites précisions. D’abord, j’ai très peu d’amour propre donc vos sarcasmes me laissent de marbre. Ensuite, essayez donc par vous-même et on en reparle après. Ma pâte était trop épaisse, même en l’étalant au maximum avec le rouleau, elle manquait d’élasticité. Après, j’ai mis trop farce, du coup, quand j’ai voulu refermer, ça a débordé de tous les cotés. Au final mes raviolis ne ressemblaient pas à grand-chose. Je les ai fait bouillir avant de les proposer à la dégustation. Mon jury exclusivement féminin, dans sa grande bonté, les a trouvés excellent. Personnellement, j’ai beaucoup aimé la farce. Si je recommence, une certitude, je mettrais un peu plus d’eau dans la pâte pour la rendre plus élastique. Je ne désespère pas de réussir à faire des crêpes aussi fine que du papier à cigarette.


Allez, pour conclure et parce que je suis une bonne pâte (vous avez remarqué le trait d’humour, des fois je me demande où je vais chercher tout ça !), je vous donne la recette. Si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à m’envoyer une petite photo, je serais ravi de voir à quoi ressemblent vos raviolis.

J'ai scrupuleusement respecté la recette. J'ai juste remplacé le blanc de poireau
par une échalotte car je n'avais pas de poireaux sous la main


dimanche 25 mars 2012

Seins et oeufs

Kawakami © Actes Sud 2012
Natsu accueille pour quelques jours sa sœur Makiko et sa nièce Midoriko dans son petit appartement de Tokyo. Makiko a rendez-vous dans une clinique pour programmer l’opération d’augmentation mammaire dont elle rêve depuis des mois. En pleine crise d’adolescence, Midoriko s’est quant elle réfugiée dans le silence. Elle ne parle plus et communique exclusivement par écrit. Pour les trois femmes, ce court regroupement familial va être l’occasion de mettre à nu la difficile condition de chacune.

Le récit alterne entre le point de vue de Natsu et les écrits de Midoriko. Pour cette dernière, la puberté est un cauchemar. La jeune fille ne supporte pas la lubie de sa mère et n’accepte pas les changements de son propre corps : « Moi, mon corps a faim, il a des cycles hormonaux, il fonctionne sans que je lui demande rien et ça me donne l’impression d’être enfermée dedans. Pour la simple raison qu’on est née, en fin de compte, il faut vivre, manger tout le temps et gagner sa vie, rien que ça c’est l’horreur ». Makiko est une mère célibataire dont le boulot d’hôtesse lui permet à peine de joindre les deux bouts. Pour elle aussi, il est difficile d’imaginer l’avenir alors qu’elle vient de passer la quarantaine.

La relation mère/fille terriblement conflictuelle est sans doute la partie la plus intéressante de ce court roman. Le personnage de Midoriko, ado en plein questionnement existentiel, est assez touchant. L’auteur brosse le portrait de trois générations de femmes japonaises (Natsu a dix ans de moins que sa sœur) ayant pour malheureux points communs la solitude et la perte de repères. Je ne sais pas si Natsu, Midoriko et Makiko symbolisent la majorité des japonaises actuelles mais si c’est le cas, tout cela est bien triste.

Pour tout dire je n’ai pas été emballé par ce texte. Pas touché par le sujet mais surtout assez atterré par la piètre qualité de l’écriture. Quelle platitude ! Les dialogues sont sans intérêt et sonnent assez faux. Après, c’est peut-être un problème de traduction mais quand je lis trois fois le même adverbe en deux lignes, je me dis qu’il y a un problème. La quatrième de couverture vantait pourtant un livre percutant (euh…), provocant (je vois pas en quoi il est provocant) et drôle (alors là, si vous trouvez un passage drôle, faites-moi signe parce que de mon coté je n’ai rien vu). Vous avez dit publicité mensongère ? Bon ok, je suis peut-être de mauvaise foi. Peut-être que c’est tout simplement trop que Girly pour moi. Une déception, quoi !


Seins et œufs de Mieko Kawakami, Actes Sud, 2012. 108 pages. 13.50 euros.



Filez vite découvrir les billets des participants aux 10 jours japonais de Choco


vendredi 23 mars 2012

Soldats de sable

Higa © Le Lézard Noir 2011
J’avoue avoir un peu tiqué en découvrant dans ma boîte aux lettres ce manga envoyé par Choco dans le cadre du loto BD de Mo’. Un récit de guerre, pas mon truc ça ! Sur la seconde guerre mondiale et la bataille d’Okinawa en plus, encore moins mon truc. Surtout, je pensais que le point de vue serait ultra patriotique avec des kamikazes élevés au rang de martyrs à tous les coins de page. Je m’apprêtais donc à me lancer dans une lecture des plus indigestes lorsque j’ai parcouru la postface. Et là, pour le coup, j’ai été sacrément rassuré. L’auteur y précise en effet que son but était de mettre en valeur les témoignages de villageois ayant vécu et subi les horreurs de la bataille. Une sorte de devoir de mémoire, notamment envers ses parents, natifs de l’île.

Ce manga est en fait un recueil de nouvelles. La plus poignante est sans conteste celle que Susumu Higa consacre à la mémoire de sa mère, une femme remarquable qui, pendant le conflit, n’a vécu que pour protéger ses enfants. Mais le mangaka parle aussi du traumatisme ressenti par les autochtones, en grande partie à cause du jusqu’auboutisme de l’armée japonaise qui s’est souvent mêlée aux civils, en a enrôlé de force un très grand nombre et n’a pas hésité à assassiner ceux qui tentaient de lui résister. Au final, les sujets abordés sont tous très différents. Seul point commun évident, la présence de ces petites gens dont l’histoire avec un grand H ne parle que trop rarement. Le propos est limpide, la situation infernale vécue par tous les protagonistes japonais de la bataille d’Okinawa est clairement exposée et l’antimilitarisme qui affleure dans chaque nouvelle est amené avec suffisamment de finesse pour ne pas sombrer dans la prise de position simpliste.

Si je devais émettre une réserve, elle concernerait le dessin, assurément pas le point fort de cet ouvrage. Le trait de Susumu Higa manque de souplesse, les visages sont figés et laissent difficilement transparaître les émotions mais le découpage rend l’ensemble très lisible, c’est bien là l’essentiel.

Un superbe recueil proposé par les éditions Lelézard Noir. Et une bien belle découverte que je dois à Choco. Nul doute que sans elle je n’aurais jamais posé les yeux sur ce manga, ce qui aurait quand même été fort regrettable !


Soldats de sable de Susumu Higa, Le Lézard Noir, 2011. 252 pages. 21.00 euros.  


Higa © Le Lézard Noir 2011 



Rendez-vous chez Choco pour découvrir les billets des autres  participants

mercredi 21 mars 2012

Thermae Romae 1 et 2

Yamazaki © Casterman 2012
A Rome, en l’an 128 de notre ère, sous le règne de l’empereur Hadrien, Lucius Modestus est un architecte sans grand talent. Spécialisé dans la conception et la construction de thermes, ses projets sont systématiquement refusés car son employeur considère que ses idées sont d’un autre âge. Déprimé, il se rend avec un ami dans un bain public et se retrouve aspiré par un trou au fond du bassin. Transporté dans l’espace et le temps, Lucius se réveille de nos jours au milieu d’un sentô (bain public japonais). De retour dans son époque, il va s’employer à reproduire les innovations découvertes dans le japon du XXIe siècle, ce qui fera de lui une célébrité et le mènera à côtoyer l’empereur en personne.

Au cours de chaque chapitre, Lucius voyage dans le temps et découvre un nouveau procédé technique qu’il met en application dès son retour à Rome. Présentées comme cela, les choses pourraient rapidement paraître très répétitives. C’était d’ailleurs ma grande crainte au début du premier volume. Mais finalement l’écueil est surmonté avec brio car l’auteur propose une vraie progression de l’intrigue. Au fil des chapitres, on voit évoluer l’état d’esprit de l’empereur ou encore la jalousie soulevée chez ses confrères par l’insolente réussite de Lucius. Surtout, ce dernier n’est pas présenté comme un simple technicien sans âme. Il doit faire face à un douloureux divorce et on le voit même tenter de régler ses problèmes d'érection ! Mélanger la petite et la grande histoire n’est pas d’une folle originalité mais la recette reste efficace. Grâce aux va-et-vient de Lucius entre son époque et la nôtre, l’auteur confronte les pratiques thermales de deux civilisations vouant aux bains publics un amour irraisonné. Entre chaque chapitre, des commentaires et des photographies enrichissent le propos et éclairent davantage encore la problématique venant d’être traitée. Pour les pointilleux, il faut bien reconnaître que la Rome antique de Mari Yamasaki est plus fantasmée qu’historiquement irréprochable, mais de mon point de vue, peu importe. De toute façon, quand on imagine qu’un architecte de l’an 128 peut voyager dans le temps, on peut se permettre quelques largesses quand à la véracité historique !

Graphiquement, le trait est réaliste et assez précis, notamment dans la reproduction des bâtiments, des vêtements et des objets de la vie courante.

Voila donc un manga plein de fraîcheur (normal, me direz-vous !), à la fois léger et instructif, qui m’a beaucoup séduit. La série, terminée au Japon, compte en tout six tomes. Le troisième sortira chez nous en juin et je serai avec plaisir au rendez-vous.


Thermae Romae T1 et T2 de Mari Yamazaki, Casterman, 2012. 190 pages. 7,50 euros.


Yamazaki © Casterman 2012
 
 
 




Ce billet signe ma seconde participation aux 10 jours japonais de Choco




mardi 20 mars 2012

Jintarô, le caïd de Shinjuku

Akiyama © Le Lézard Noir 2011
« Tu crois que je suis qui ? C’est quoi mon nom ? Dis-le ! ». Son nom, c’est Jintarô, le caïd de Shinjuku. Si vous ne savez pas qui il est, vous ne ratez pas grand-chose. Surtout, si vous ne connaissez pas son nom, c’est plutôt bon signe, ça signifie que vous n’avez pas encore eu affaire à lui. Jintarô est préteur sur gages. Un gros bourrin moche comme un pou et fringué comme un yakuza, aussi violent que vulgaire. Un obsédé sexuel qui, quand un client ne peut pas payer, demande à sa femme de régler les dettes en nature. Son quotidien est rythmé comme du papier à musique : « Je fais des bénéfices au péril de ma vie le jour et la nuit je m’adonne aux plaisirs de l’alcool et de la chair ». Tout un programme !

Dans une interview à la fin du recueil, l’auteur précise qu’il a voulu créer un personnage qui soit vraiment un sale type. Pour le coup c’est réussi. Son comportement et son faciès sont à vomir. Sans parler de son langage. Un petit exemple pour vous mettre dans le ton ? « La chatte des gonzesses c’est comme l’ouverture d’un porte-monnaie. Dès que tu montres de l’argent, elle s’ouvre grand. » La classe, non ?

Ce one-shot compte en tout et pour tout six chapitres. Comme Jintarô meurt à la fin, on se doute qu’il n’y aura jamais de suite. En même temps, difficile d’imaginer des millions d’aventures tant le personnage est stéréotypé. Et puis il vaut mieux déguster ce manga à petite dose pour éviter la nausée.

Le dessin de George Akiyama est ultra vintage. A tel point que j’ai longtemps cru que c’était un manga des années 70 avant de découvrir que la première publication des aventures de Jintarô datait de 1995. La gueule du prêteur sur gages, c’est quand même quelque chose ! Et puis les nombreuses scènes de sexe, sans être totalement explicites sont proches d’une forme de psychédélisme très étonnant.

De la série B trash et sans concession, assumée à 200% par l’auteur qui reconnaît que quand il créé son histoire, il ne réfléchit pas du tout, préférant dessiner comme il sent. Au final, je ne garderais pas un souvenir impérissable de ce titre même si je reconnais qu’il pourra séduire les amateurs de seinen atypiques. Une belle initiative en tout cas des éditions du Lézard noir que de faire découvrir en France un manga si particulier même si, chez cet éditeur, je préfère largement le sulfureux Vagabond de Tokyo.


Jintarô, le caïd de Shinjuku de George Akiyama. Le Lézard Noir, 2011. 184 pages. 18 euros.


Akiyama © Le Lézard Noir 2011




Ce billet signe ma première participation aux dix jours japonais de Choco

samedi 17 mars 2012

Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock

Pollock © Albin Michel 2012
Dans l’Amérique des années 50-60, il ne fait pas bon vivre au fin fond de l’Ohio ou de la Virginie Occidentale. On y rencontre en effet de drôles de loustics. Il y a d’abord Willard Russell, vétéran de la guerre du pacifique travaillant dans un abattoir. Lorsque sa femme contracte un cancer incurable, il se met à sacrifier des animaux dans le jardin devant son fils Arvin. Mais il y a aussi Henry Dulap, avocat véreux et sa femme nymphomane, le prédicateur Roy Laferty et son cousin invalide Theodore, le shérif alcoolique Lee Bodecker ou encore le pasteur Teagardin dont l’un des passe temps favoris consiste à engrosser les jeunes filles de sa congrégation. Surtout, il y a Carl et Sandy. Ces deux là profitent de leurs vacances pour piéger les auto-stoppeurs ayant le malheur de monter dans leur voiture. Les trajectoires de ses personnages vénéneux ne vont cesser de se mélanger dans un maelstrom ravageur.
  
Encore un premier roman américain d’une grande puissance. Une belle leçon pour nos auteurs français qui se contentent le plus souvent de barboter dans l’autofiction sans saveur. Donald Ray Pollock ne s’interdit aucun excès. Rarement un texte aura aussi bien porté son titre. Le diable est en effet  présent dans ou autour de chacun de ces êtres en perdition. Il y a bien ici où là quelques âmes pures, mais aucune ne résistera aux damnés et aux prédateurs qui jetteront sur elles leur dévolu.

La prose est affutée comme un rasoir et l’auteur déploie un incroyable talent pour lier les histoires et les destins. Le lecteur se laisse mener par le bout du nez et voit les pièces du puzzle s’assembler avec limpidité. Imparable ! Un texte violent, sans concession, aussi glaçant que fascinant. Après Le sillage de l’oubli et avant Clandestin, ce nouveau détour du coté des romans américains me conforte dans l’idée qu'en 2012 cette littérature restera encore, et de loin, ma préférée. Un dernier mot tout de même sur la jaquette de couverture qui est juste abominable et ne rend pas du tout hommage, c'est peu de le dire, au talent de l'auteur.

Le Diable, tout le temps, de Donald Ray Pollock, Albin Michel, 2012. 370 pages. 22 euros.

PS : on me souffle à l'oreille que cette couverture est un clin d'oeil à Jackson Pollock, le peintre américain fer de lance de l’Action painting. Ok, je veux bien, mais alors c'est du sous-sous Pollock !

L'avis d'Athalie

L'avis de Nathalie