jeudi 21 septembre 2017

Sur l’écriture - Charles Bukowski

« Quand tu écris juste dans l’optique d’être célèbre tu finis par faire de la merde. Je veux pas établir de règles mais s’il y en a une c’est celle-ci : les seuls écrivains qui ont du style sont ceux qui doivent écrire pour ne pas devenir fous. »

Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Bukowski est mon héros. Enfin, pas mon héros parce que je n’idolâtre personne. Mais il est celui qui a fait de moi le lecteur que je suis devenu. Alors forcément attaquer une anthologie de textes inédits signés de sa main ne me laisse pas indifférent.

Je savais à quoi m’attendre parce que j’avais déjà lu sa correspondance dans un ouvrage publié il y a plus de dix ans. Bien sûr ici le contenu est inédit mais sur le fond, rien ne change. Le vieux dégueulasse éructe, provoque, se moque, semble bourré 24h/24, se répète beaucoup, passe du coq à l’âne, égratigne ses confrères. Il parle d’écriture. La sienne et celle des autres. Entre la fin des années 40 et le début des années 70 il n’y a que la poésie qui compte. La sienne est la meilleure, les autres sont nuls (« ça fait des années que la poésie me gonfle, depuis des siècles, mais j’ai continué à en écrire parce que les autres s’y prenaient tellement mal »). Par la suite, quand son travail en prose commence à être reconnu, il s’apaise un peu. Mais dans l’ensemble il reste égal à lui-même. Il en fait des caisses, il surjoue, passe à la moulinette poètes, écrivains, éditeurs et critiques. Il endosse son habit préféré, celui du détestable misanthrope atrabilaire se plaignant de son pauvre sort de crève-la-faim incapable de garder un job, en permanence au bord de la folie et du suicide. Rien de neuf sous le soleil quoi.

Il faut dire aussi que ne suis pas fan de correspondance. D’abord parce que ça relève du domaine privé, donc ça ne me regarde pas. Ensuite parce que ce type d’échanges ne m’intéresse pas vraiment. Pour autant tout n’est pas à jeter dans cet amas de lettres. Je me suis amusé à le trouver obséquieux dans ses courriers à Henry Miller, j’ai apprécié ses références constantes aux très rares auteurs trouvant grâce à ses yeux (le Hemingway des débuts, Céline, Dostoïevski, Knut Hamsun et Sherwood Anderson) et j’ai adoré sa lettre la plus sincère et la plus poignante adressée à celui qu’il considère comme le plus grand de tous, John Fante (« Je ne sais pas d’où vous tenez votre talent mais les dieux vous en ont assurément bien doté. Vous avez représenté et représentez pour moi plus que n’importe quel homme mort ou vivant. Il fallait que je vous le dise »).

J’ai aussi apprécié ses réflexions sur l’écriture disséminées au fil des pages, son refus obstiné de l’académisme (« Il n’y a aucune excuse pour une création mutilée par les directives de l’académisme, de la mode, ou le livre de messe valétudinaire qui dit : la forme, la forme, la forme !! Autant foutre les mots en cage. Autorisons-nous l’espace et l’erreur, l’hystérie et la peine. »), sa soif de simplicité (« Je ne crois pas aux histoires de techniques, d’écoles ou de divas… Je crois plus au fait de s’accrocher aux rideaux comme un moine ivre… pour les réduire en morceaux encore, encore, encore… »), son humour toujours aussi ravageur, sa capacité à rire de lui-même, à savoir d’où il vient, à ne jamais se voir plus beau qu’il n’est (« C’est du côté des incultes que je me range, les incapables, les gens si avides de jeter leurs pensées sur papier qu’ils n’ont pas eu la patience d’attendre des années pour acquérir une base solide »).

C'est un fait, il n’y a rien de transcendant dans ce recueil. Rien de nouveau pour ceux, comme moi, qui ont tout lu de lui et sur lui. Mais cette somme est représentative de ce qu’il a toujours été et de ce qui m'a toujours séduit chez lui : un gars qui n’en a jamais rien eu à foutre. Des gens, des élites, des penseurs, des modèles à suivre, des casse-couilles et des culs serrés. Un gars qui a mené sa barque sans s’occuper de personne et a marqué de son empreinte indélébile tout un pan de la contre-culture américaine.

Sur l’écriture de Charles Bukowski (traduit de l’anglais par Romain Monnery). Au diable Vauvert, 2017. 320 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.









38 commentaires:

  1. Je ne m'étonne pas de trouver ce titre ici (on connaît tes préférences! ^_^)

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  2. De lui je n'ai lu que les contes de la folie ordinaire et peut-être le journal d'un vieux dégueulasse ou bien les mémoire d'un pas grand chose je ne sais plus, j'adorais son écriture quand j'étais ado :-) je ne sais pas ce que ça donnerait maintenant :-) mais j'imagine assez bien le ton de cette correspondance :-D

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  3. C'est certainement un auteur important et tu le raconte bien.

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  4. C'était une découverte pour moi et comme j'aime beaucoup les lettres, une jolie entrée en matière. Merci d'avoir accepté de m'accompagner.

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  5. Je partage ton avis sur la correspondance privée. Et pourtant, Mme de Sévigné.....

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  6. Belle déclaration d'amour ! Je ne savais pas que Bukowski était, non pas ton idole, ni ton dieu, donc, mais quelqu'un de vraiment important pour toi. En même temps, c'est drôle, mais ça ne me surprend pas du tout !

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  7. Bon, tu n'as pas eu de révélation particulière mais tu as bien été content de retrouver ton vieux pote, Buko, quoi.:-)

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  8. Bukowski est ton héros? Et c'est maintenant que j'apprends ça? J'habite vraiment à l'autre bout du monde, car l'info ne s'est pas rendue!
    Alors, pour mon initiation, lequel de ses classiques me conseilles-tu? Un bien trash, stp!

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    1. Puisque tu aimes les nouvelles je te conseille de commencer par les contes de la folie ordinaire.

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  9. Je tenterai peut-être un jour une lecture, mais pas très sûre d'apprécier.

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  10. Charlie et toi.. Je suis un peu dans la même optique avec J.D Salinger, j'aime garder une part de mystère même si tout le monde dorénavant écrit sur lui, leurs liaisons, leurs correspondances. J'aime tellement ses mots.. joli billet en tout cas !

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  11. Encore un fan de Buk'! Chouette!!!
    Moi je l'ai découvert sur le tard ; je m'étais remis à la lecture de la "littérature générale" avec Nothomb/Despentes et je suis tombé par hasard sur Bukowski.
    Je me souvenais vaguement d'un type qui avait foutu le bordel chez Pivot, sans plus...
    Et comme souvent chez moi, je n'ai pas accroché tout de suite ; seulement après le 3ième livre :
    il y avait Contes de la folie / Factotum / Women...
    J'étais troublé par son écriture ; on pouvait écrire comme ça ?! (ça a été la même chose avec Frédéric Dard/San Antonio puis Céline)
    En même temps, à l'époque, je recherchais quelque chose d'anti-hollywoodien, un ras-le-bol général des films hollywoodiens ; propres sur eux et conformistes avec la fameuse pseudo-scène de sexe au milieu...
    Et quand j’ai lu ce mec, je ne sais plus où, qui raconte qu’une fois il était entrain de chier dans les chiottes d’un bar et comme il n’y avait plus de PQ, il a utilisé son slip pour se torcher… Je me suis dis (véridique) : « Putain! C’est forcement un bon écrivain ! » C’est PAS du Hollywood ça!
    Et grâce à lui j’ai découvert Céline / Fante !!! Et Hamsun pour « La Faim »
    Encore une putain de claque!…
    Bukowski a toujours raconté sa vie même si elle passe par le FILTRE de la Littérature ; c’est pourquoi j’aime sa correspondance ; c’est du Bukowski SANS filtre pour moi ! Même si il y a toujours le filtre du passage à l’écrit qui n’est pas naturel. Mais chez Bukowski, ce qui est génial, c’est presque du direct Cerveau vers Papier ; je me souviens d’une lettre où plus il avance dans son écriture plus on se rend compte qu’il est bourré… il prend une cuite au fil de la plume… et je crois qu’il finit par « il faut que je te laisse y’a la guenon qui est rentrée. »… le salaud! Il parlait de sa femme de l’époque!
    Après ses détestations ne sont pas toujours fausses/idiotes (dixit ses amis), il a plutôt un jugement sûr ; Léautaud faisait pareil, de même que Céline, l’impitoyable (avec son fameux « c’est moi qui bosse, et c’est les autres qui fout’ent rien! » Et sur son ami Blaise Cendrars : «ça fait 30 ans qu’il essaye d ‘écrire un roman. Il n’y arrivera jamais ! » (citations de mémoire) )
    De plus, je pense que sa misogynie était une misogynie de façade… Il y a d’ailleurs une théorie sur Buk’ ; 9 femmes sur 10 détestent Bukowski… et ça se vérifie souvent…. Et ça ce n’est pas de la misogynie !… il a toujours reconnu que sa femme (sa dernière) lui a fait gagné 10 ans en le mettant à la « diète ». Pour Women, c’est une partie difficile de sa vie où il était avec une femme qui lui en faisait voir de toutes les couleurs…
    …il faut prendre Buko au 2ième/3ième degré (j’aime à croire) et qu’il est le premier à se moquer de lui ! (choc pour moi, car pas très courant)
    Après commencer par sa correspondance, ce n’est pas une bonne idée : il faut mieux commencer par ses contes/nouvelles puis romans : Le postier/Souvenir d’un pas grand-chose/Factotum et finir par Le Capitaine est…/ Pulp. C’est juste mon avis.
    Mais c’est clair qu’il faut aimer le laid / le gras / le bien lourd / la « merde » pour aimer Bukowski : comme je dis souvent : « Bukowski c’est le pissenlit sur la bouse de vache… » il fait du beau avec du laid…
    Bref, toujours fan après 13 ans et content qu’il y a une nouvelle publication de Bukowski… (découvert 10 ans après sa mort ! Merde!) (et désolé pour ces propos un peu décousus)

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    1. le pissenlit sur la bouse de vache, ça lui va bien comme appellation. J'ai commencé à le lire juste avant sa mort, mais au final ça ne change rien ;)

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  12. J'apprécie Bukowski mais pas assez pour lire cet ouvrage... :))

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  13. Comme tu ne conseilles pas plus que cela ce recueil, lequel de ses livres me conseilles-tu ?

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    1. Si tu veux commencer avec un roman, "Le Postier" est parfait pour le découvrir je trouve.

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  14. je renchéris, que conseillerais tu pour les non-initiés?

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    1. En roman Le postier, en nouvelles "Les contes de la folie ordinaire".

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  15. "un gars qui n’en a jamais rien eu à foutre. Des gens, des élites, des penseurs, des modèles à suivre, des casse-couilles et des culs serrés."... c'est ce qui fait que je l'aime bien ce Bukowski.
    On est dans le vrai et on y reste!
    Bises

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    1. Toi aussi tu l'aimes bien ? ça ne m'étonne pas, tu es une femme de goût :p

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  16. J'ai lu Fante (que j'adore) avant Bukowski, dont j'ai adoré "Souvenirs d'un pas grand-chose"... Mais la correspondance, non, ça ne me tente pas plus que ça.

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  17. Je poursuivrai d'abord la lecture de ses romans avant de passer à la correspondance...

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  18. Je trouve très percutantes les quelques lignes de l'auteur que vous citez au début de votre article.
    Ce livre doit être très intéressant. Je regarderai si je le trouve à la Médiathèque. Merci.
    Bon week end.

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    1. C'est pour ce genre de lignes que j'aime autant cet auteur.

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