vendredi 19 août 2016

Un paquebot dans les arbres - Valentine Goby

J’aurais dû attaquer ce billet en vous disant de ne pas le lire parce que de toute façon, connaissant mon admiration sans borne pour Valentine Goby, il ne serait en rien objectif. Mais je ne vais pas le faire car je n’aurais besoin d’aucune mauvaise foi pour vous dire le plus sincèrement du monde à quel point ce roman est formidable et à quel point je vous le recommande sans réserve.

Valentine Goby possède une place à part dans mon panthéon des auteurs français actuels, une place que les autres ne pourront jamais lui ravir. Pourquoi ? Tout simplement parce que les autres n’ont pas écrit Kinderzimmer. J’avoue que je tendais un peu le dos avant de me lancer à l’assaut de ce paquebot dans les arbres. Le roman de l’après Kinderzimmer ce n’est pas rien (même si entre deux il y a eu la très jolie Fille surexposée). Mais j’ai décidé d’attaquer ce texte sans oser la moindre comparaison, qui aurait été de toute façon aussi inutile que malvenue. Et bien m’en a pris.

L’histoire se déroule au début des années 60. On y découvre une famille heureuse : Paul, le père, Odile, la mère et leurs trois enfants Annie, Mathilde et Jacques. Les parents tiennent le café du village, centre névralgique s’il en est. Paul rayonne, attire les foules et suscite l’admiration de tous, y compris de Mathilde. Celle qui n’a malheureusement pas été le garçon attendu après la naissance d’Annie. Celle que Paul appelle son petit gars et qui se comporte comme tel. Celle prête à tout pour attirer l’attention de ce papa n’ayant d’yeux que pour les autres. Quand la tuberculose entre avec fracas dans leur vie, touchant d’abord Paul puis rapidement après Odile, le monde s’écroule. Dans la France des trente glorieuses, seuls les salariés ont droit à la sécu et aux antibiotiques. Pour les autres, direction le sanatorium. Quand les parents s’y retrouvent tous les deux, Mathilde et son petit frère sont placés en famille d’accueil. Alors que les problèmes de santé s’accumulent, que la ruine se profile, que les services sociaux prennent en main et sans humanité la destinée des enfants, Mathilde tente de faire face et de maintenir les siens à flot.

Magnifique portrait d’une jeune fille prête à tout pour affronter bille en tête la fatalité. Conserver les liens familiaux malgré les épreuves, subir la faim, le froid et la misère, soutenir les malades coûte que coûte, ne pas oublier sa propre vie en sacrifiant tout aux autres. Être forte mais pas invincible. S’écrouler et se relever, être soutenue et avancer. Tenir. Jusqu’au bout. Parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité, parce que c’est ce qui donne du sens. Mathilde, admirable de ténacité et de fragilité, femme-enfant consciente d’enfiler un costume trop grand pour elle, d’assumer des responsabilités qui ne sont pas de son âge. Elle est belle Mathilde, portée par les mots de Valentine Goby, par le rythme envoûtant de son écriture sans fausse note :

« Mathilde est un funambule en tension, oscillant entre la nécessité d’être Mathilde Blanc, puissante, enchanteresse, fidèle ; et le désir aigu d’être une autre, fragile, légère, avec des rêves à soi. C’est une danse étrange que celle de Mathilde sur ce fil, son corps penchant toujours du même côté, lesté du poids d’amour qu’elle porte à Odile, Paulot et Jacques ; du côté de l’oubli de soi. »

Un roman puissant et lumineux. En toute objectivité.

Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby. Actes sud, 2016. 270 pages. 19,80 euros.

L'avis de Clara





62 commentaires:

  1. Tellement objectif! Je pense pas être capable de passer mon chemin... De toute évidence, c'est du grand Goby, encore.

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  2. Un incontournable de cette rentrée. J'ai été bouleversée par ce texte...

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  3. Il fait partie de ceux que je lirai forcément.

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  4. Tu fais bien de ne pas comparer des romans d'un même auteur, c'est un peu pourtant le problème quand on aime d'amour un auteur ... Pour Gaudé, par exemple, j'ai la même peur avant d'ouvrir le livre, de me demander si je vais comparer, puis le doute s'efface dès les premières lignes. Puis c'est si bon de retrouver un auteur qu'on aime.

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    1. Toujours le même plaisir de retrouver un auteur qu'on aime, c'est bien vrai !

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  5. Bon, comme tu le sais, j'adore Goby donc je ne serais pas objective - quoique je moins "fan" de toi mais je l'avais déjà noté dans mes envies et là tu confirmes !

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  6. j'ai beaucoup aimé son traitement tout en pudeur d'un sujet vraiment casse-gueule dans Kinderzimmer. Le thème de celui-ci spontanément me tentait moins, mais je le lirai, et vite - on l'a mis à l'affiche du prochain Bibliomaniacs.

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  7. OU, il est lumineux et très puissant.

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  8. Wow, l'émotion qu'il y a entre chaque ligne de ce billet, c'est beau, c'est fort, ça donne envie : faut que je le sorte de ma PAL <3

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  9. Je m'étais lancée dans Kinderzimmer tardivement, avec beaucoup de retenue, d'appréhension (sur la violence du texte, pas sur l'auteure) et j'avais beaucoup aimé. Il fait déjà partie de ma PAL de rentrée et ce que tu en dis donne trèès envie. Bonne rentrée mon beau Jérôme!

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  10. Je sais, je sais, je vais le lire !

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  11. Après mon coup de coeur pour Kinderzimmer, j'avais bien l'intention de lire celui là, tu enfonces le clou, merci :-)

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  12. Ton billet me ravit. Ce roman aura une place particulière sur mon blog (tu comprendras bientôt pourquoi - à moins que tu ne le devines déjà mais chut...).

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    1. Je ne devine pas, non, mais la surprise sera d'autant plus belle ;)

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  13. On connait ton affection pour Valentine Goby et pour autant, on attendait ton avis avec impatience. Moi aussi je crains l'après Kinderzimmer mais pas tant que ça, d'abord parce que tous vos billets vont dans le même sens, ensuite parce que son écriture ne peut pas s'être dégradée. J'attends encore, je veux me dire encore un peu qu'il me reste à le lire, mais je vais évidemment le lire.

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    1. Son écriture n'a pas perdu en qualité, non, je ne vois pas comment cela aurait pu être possible d'ailleurs ;)

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  14. Toujours en attente de Kinderzimmer à la bibli !!
    Lu un autre article sur ce livre, tout aussi élogieux

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    1. J'espère que tu auras bientôt Kinderzimmer entre les mains.

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  15. Reçu mais pas encore lu mais waouh quel beau billet!

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  16. Ah la la !! J'ai tellement aimé Kinderzimmer... Je sens que je vais craquer très vite !!

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  17. Je me sens pas très à l'aise car je nai6 pas aimé Kinderzimmer. Je n'ai pas lu ce roman mais dans les années 60 les antibiotiques étaient pour tout le monde. Le BCG gratuit et obligatoire la tuberculose était rarissime mais ca6 existait... je veux bien pleurer avec cette auteure mais je suis un peu étonnée le sanatorium était obligatoire même avec les antibiotiques . Je peux en témoigner

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    1. Je te rassure, il n'y aucun misérabilisme dans ce texte. Et l'histoire est basée sur une histoire vraie, il y avait donc bien des personnes non vaccinées et n'ayant pas accès aux soins à l'époque.

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  18. Je l'ai commandé et j'ai prévu bien sûr de le lire !!!!!

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  19. tu as l'air vraiment séduit! Et je n'ai toujours pas lu cet auteur...

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  20. Hmmm... moi je n'ai toujours pas lu Kinderzimmer (je sais, je sais, ça ne t'étonne pas) alors faut voir.:-)

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    1. ça ne m'étonne pas mais ça me choque. Profondément :p

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  21. Kinderzimmer était un roman très marquant, je n'en ai pas lu d'autres de l'auteur mais lirai sans doute celui-ci.

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  22. Une lecture évidente... Bientôt, hâte de retrouver la plume de Valentine Goby !

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    1. Je sais qu'il est maintenant entre tes mains. Yapluka :)

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  23. On sit que Valentine Goby est une valeur sure merci de nous le rappeler. J'aime ce titre intrigant

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  24. Celui-là je ne pourrai pas passer à côté, c'est une évidence. Je crois même que j'irai me l'acheter dès cette semaine. Je te dois la découverte de cette grande dame! ;-)
    Coup de coeur pour le titre et la couverture, déjà...

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    1. Je serais tellement heureux si tu le lisais ce roman ;)

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  25. Je partage ton plaisir de lecture : un beau style pour une histoire de famille riche : quel personnage cette Mathilde! J'aime beaucoup la citation que tu as choisie

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  26. Je suis triste car j'ai le sentiment d'être passée à côté et je voulais pourtant l'aimer autant que tu l'as aimé, ce livre !! Bon, j'ai quand même vibré avec cette belle Mathilde !

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    1. Un ressenti différent, c'est pas grave, c'est ce qui fait la richesse et la diversité des lecteurs que nous sommes, non ?

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  27. je n'ai pas encore eu l'occasion de lire Kinderzimmer mais je pense que celui-ci me plairait presque davantage ! ;) c'est noté !

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