« Si mon opinion est un délit, je continuerai à le
commettre. »
Poursuivi en justice pour avoir soutenu le mouvement NO TAV
qui s'oppose à la construction de la ligne à grande vitesse du val de Suse devant
permettre de relier Lyon à Turin, Erri de Luca a rédigé pour sa défense un pamphlet de 40 pages sur la liberté d’expression et la responsabilité de l’écrivain.
Un texte publié par tous ses éditeurs dans le monde à la veille de son procès.
Il risque cinq ans de prison pour « incitation au sabotage ».
« Un écrivain possède une petite voix publique. Il peut
s’en servir pour faire quelque chose de plus que la promotion de ses œuvres.
Son domaine est la parole, il a donc le devoir de protéger le droit de tous à
exprimer leur propre voix. Parmi eux, je place au premier rang les muets, les
sans voix, les détenus, les diffamés, les analphabètes et les nouveaux
résidents qui connaissent peu ou mal la langue. […] Telle est la raison sociale
d’un écrivain, en dehors de celle de communiquer : être le porte-parole de
celui qui est sans écoute. »
Tout tient dans cette affirmation. A la responsabilité
pénale, De Luca oppose sa responsabilité d’écrivain. Ce projet ferroviaire est
une aberration environnementale. Par exemple, le percement et la pulvérisation
de gisements d’amiante va disperser dans l’air des milliards de fibres
toxiques. Depuis des années, l’auteur de Montedidio participe à la lutte menée
par les habitants de la vallée. Dans une interview, il a déclaré : « La
TAV (ligne à grande vitesse) doit être sabotée. Voila pourquoi les cisailles
étaient utiles : elles servent à couper les grillages. Pas question de
terrorisme […] elles sont nécessaires pour faire comprendre que la TAV est une
entreprise nuisible et inutile […] les discussions du gouvernement ont échoué,
les négociations ont échoué : le sabotage est la seule alternative. »
La question est : y-a-t-il eu, à travers ces
déclarations, incitation publique à commettre un délit ? Pour la défense,
la réponse est non : « Pour parler d’incitation à la violence, il
faut démontrer le rapport direct entre les mots et les actions commises. »
Or, il est, dans ce cas précis, impossible de démontrer ce rapport tant il y a eu
de faits et de délits commis sur le chantier par des militants NO TAV avant et
après la publication de l’interview.
Pour étayer son propos, De Luca convoque les figures ayant marqué
sa vie de lecteur et sa vie tout court, Orwel et Pasolini en tête. Il réclame
aussi le droit d’utiliser les mots dans un sens qui n’est pas celui que leur
attribue la justice : « Les procureurs exigent que le verbe "saboter" ait un seul sens. Au nom de la langue italienne et de la raison, je refuse la
limitation de sens. Il suffisait de consulter le dictionnaire pour archiver la
plainte. »
Je ne connais pas suffisamment le dossier pour me prononcer
sur le fond de la question mais je dois bien reconnaître que la défense de l’auteur
par lui-même est brillamment menée et que la lecture de ces quelques pages est
une magnifique incitation à la réflexion.
La parole contraire d’Erri de Luca. Gallimard, 2015. 42
pages. 8,00 euros.
Mais je ne connaissais absolument pas cette histoire là! Merci.
RépondreSupprimerMoi non plus à vrai dire.
SupprimerIl y a plein de projets aberrants qui voient le jour juste pour le profit de quelques uns au détriment de la santé de tous. Je lirai ce livre en espérant que j'apprécie plus la plume d'Erri de Luca que lors de ma première fois avec lui !!!! Bisous
RépondreSupprimerTu n'aimes pas la plume d'Erri de Luca ? Mais comment est-ce possible ?
SupprimerJe ne connaissais pas mais cette lecture doit être vraiment intéressante !
RépondreSupprimerElle m'a passionné !
SupprimerUn sujet passionnant.
RépondreSupprimerQuel talent Erri De Luca et quel grand homme !
Un très grand écrivain.
SupprimerJ'aime beaucoup cet auteur , mais je ne connais pas du tout le projet contre lequel il lutte. Je vais surtout recroiser ce livre à ma médiathèque.
RépondreSupprimerJ'espère qu'il finira par arriver jusqu'à ta médiathèque.
SupprimerSimple mais engagé. Un auteur comme je les aime!
RépondreSupprimerIl est toujours très humble et très simple, c'est vrai.
SupprimerJe n'ai pas particulièrement été enthousiasmée par l'écrivain à travers Montedidio mais cette lecture pourrait me l'éclairer sous un autre jour.
RépondreSupprimerIl faut que tu lises "Le poids du papillon", c'est un texte somptueux !
Supprimer(et très court, idéal pour ta pal...)
au -delà du cas ici soulevé je trouve intéressant de se souvenir qu'un auteur n'est pas seulement le créateur d'un livre mais une personne qui peut, par sa parole, influer sur le monde
RépondreSupprimerC'est exactement ce qu'il dit et je suis tout à fait d'accord avec ça.
Supprimerc'est diablement intéressant et qui plus est j'aime beaucoup cet écrivain... m'en vais aller voir de plus près...
RépondreSupprimermerci et un joli dimanche
M'étonne pas que tu aimes De Luca, tu es une femme de goût ;)
SupprimerJ'ai lu un article l'autre jour, et je suis perplexe aussi...
RépondreSupprimerC'est incroyable qu'il risque une telle peine.
SupprimerJe ne savais pas qu'il risquait autant. J'admire son courage.
RépondreSupprimerIl fait front avec beaucoup de dignité je trouve.
SupprimerJ'ai eut du mal avec les 2 précédents romans de cet auteur, alors j'hésite beaucoup à le lire, même après ton billet.
RépondreSupprimerLà il n'est pas du tout dans un texte de fiction, tu apprécierais peut-être davantage.
SupprimerJ'aime beaucoup cet auteur qui a souvent une écriture autobiographique. Je ne savais pas qu'il avait sorti ce livre. Intéressant.
RépondreSupprimerIl vient tout juste de sortir, juste avant le procès.
SupprimerJ'ai aussi découvert que le vocabulaire utilisé dans le monde du droit est très précis et que chaque définition a son importance. C'est pour ça que je suis fascinée par ce milieu et que je jubile des subtilités provoquées par l'usage différent des mots de deux mondes qui s'affrontent. Il faut que je trouve ce livre !
RépondreSupprimerChacun joue sur les mots, c'est certain.
SupprimerJ'aime beaucoup cet auteur de j'aime l'idée que un auteur s'investisse dans la société au sens large ou pas ! Je l'ai noté !
RépondreSupprimerJe sais que tu aimes beaucoup de Luca et j'espère bien que tu liras ce texte !
Supprimerc'est assez ardu, non? J'aime bien l'auteur découvert il y a peu...
RépondreSupprimerNon, ce n'est pas ardu du tout, c'est limpide au contraire.
SupprimerLe procès a lieu le 28 janvier, il risque réellement la prison, il a décidé de ne pas faire appel.
RépondreSupprimerIl dit dans le texte qu'il ne fera pas appel, quoi qu'il arrive, même en cas de prison ferme. Le procès a été reporté en mars semble-t-il.
SupprimerCa m'intéresse beaucoup beaucoup comme sujet, et j'aime vraiment la façon dont il écrit : je te pique ton lien pour RL 2015 ;-)
RépondreSupprimerAh oui tu as bien fait, j'ai oublié de l'ajouter au challenge !
SupprimerTu m'intrigues. Même si le sujet ne me tente pas a priori, la réflexion sur le rôle de l'écrivain et de ses mots m'intéresse.
RépondreSupprimerLa réflexion est très joliment menée en tout cas.
SupprimerC'est très intéressant ce pont finalement entre l'écriture et la politique peut-on dire.
RépondreSupprimerC'est un pont qui a toujours existé il me semble, même s'il est beaucoup moins présent de nos jours.
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