mardi 14 janvier 2020

San foi ni loi - Marion Brunet

Garett est un ado élevé par un père pasteur extrêmement sévère dans l’ouest américain de la fin du 19ème siècle. Lorsque le jeune homme croise la route de la hors-la-loi Ab Stenson, sa vie bascule. Kidnappée  par la pilleuse de banque, il est ramené par cette dernière après des jours de fuite à cheval dans la ville où elle a grandi. Garett découvre dans cette cité poussiéreuse des mœurs auxquelles il n’est pas habitué. Le saloon, les parties de poker, l’alcool qui coule à flot, les filles de mauvaise vie et les hommes à la gâchette facile. Il va y faire des rencontres  qui vont bouleverser son existence, trouver l’amour auprès de la belle Jenny, l’amitié auprès de Will et Sean et surtout le goût de la liberté.

Un western abrasif, incandescent, qui ne s’embarrasse pas de faux-semblant. Nulle question d’arrondir les angles pour Marion Brunet, le langage est cru, la violence bien réelle, les relations complexes. Mais au-delà des marqueurs du genre (action, aventure, grands espaces, chevauchées sauvages, cow-boys mal dégrossis, fusillades, ennemis à fuir ou à poursuivre, comptes à régler…), elle décline une partition subtile autour de sujets qui lui sont chers. A travers la figure emblématique de la fougueuse Ab notamment, incarnation de la femme de caractère, forte et indépendante, forcément inacceptable pour l’époque (et encore bien mal acceptée de nos jours d’ailleurs). Mais aussi avec des thématiques sociales et familiales telles que la misogynie donc, le racisme (envers les esclaves et les indiens), les liens indéfectibles de l’amitié ou encore la complexité des rapports parents-enfants.

Portrait de femme, hymne à la liberté, roman d’apprentissage et roman d’aventure fracassant, ce western crépusculaire est aussi beau que douloureux, aussi triste qu’émouvant. De la littérature jeunesse intelligente, sans concession, qui bouscule les lecteurs et, quelque part, les exhorte à prendre en main leur destin pour ne cesser d’en rester maître.

San foi ni loi de Marion Brunet. Pocket Jeunesse, 2019. 220 pages. 16,90 euros. A partir de 15 ans.




Une pépite jeunesse partagée avec Framboise et Noukette







samedi 11 janvier 2020

Miroir de nos peines - Pierre Lemaitre

Voilà, c’est fini, la trilogie des enfants du désastre s’est achevée. Une trilogie courant de 1918 à 1940 et un projet ambitieux dont le dernier tome ne pouvait que conclure les choses en beauté. Alors qu’Au-revoir là-haut lorgnait par moment du côté du baroque et que Couleurs de l’incendie se focalisait sur une sombre histoire de vengeance aux accents psychologiques, ce Miroir de nos peines donne dans l’échevelé, le trépidant, voire le rocambolesque. 

C’est l’histoire de Louise, de Gabriel, de Raoul, de Jules, d’Alice, de Fernand, de Désiré et de bien d’autres. Institutrice, soldats, restaurateur, femme au foyer, garde mobile ou mystificateur professionnel, tous vont être embarqués d’une façon ou d’une autre dans la grande lessiveuse de la débâcle. Juin 40, la France s’écroule et pour beaucoup, c’est l’exode. Chacun à sa manière porte sa croix et poursuit un objectif particulier. Tous subissent la folie de la guerre et souffrent, mais tous veulent garder espoir. De rester en vie, d’abord. D’un avenir meilleur, ensuite.

Quel plaisir de plonger dès ce début d’année dans un si bel hommage aux romans-feuilleton du 19ème siècle. Le procédé narratif est simple en apparence : prendre quelques personnages au même moment à des endroits différents, leur faire suivre leur propre chemin au gré de péripéties aussi multiples que douloureuses et faire en sorte que leurs trajectoires se rejoignent dans un final où toutes les pièces du puzzle s’assemblent.

De la littérature populaire comme on en fait de moins en moins, qui ne joue pas le registre de la densité, de la complexité et du style mais qui, malgré son accessibilité, ne cède à aucune facilité. Lemaitre mêle le secret de famille aux histoires d’amour, il associe la Grande Histoire aux petits destins individuels, entrelace le drame et la comédie et ne cesse de porter une attention particulière à chaque intrigue et à chaque personnage, même les plus secondaires. C’est à la fois son art de conteur, ses talents de portraitiste et sa maîtrise du rythme qui font le sel de ce roman clôturant de la plus belle des manières une fresque passionnante sur la France de l’entre-deux-guerres.

Miroir de nos peines de Pierre Lemaitre. Albin Michel, 2020. 540 pages. 22,90. 





mercredi 8 janvier 2020

Hey June - Evemarie et Fabcaro

June n’a rien d’une Working Girl. Cette illustratrice freelance trentenaire n’est  pas du genre à attaquer une journée de travail pied au plancher. Cool, décontracté, sans prise de tête, c’est son style. Fainéante diront certains. Procrastinateuse professionnelle pour d’autres. Elle-même le reconnaît, elle n’est pas un exemple d’efficacité. Elle traîne au lit, prend une pause après le petit déjeuner, bâcle les boulots de commande pour mieux glander en fumant comme un pompier. Son hygiène de vie laisse à désirer, son frigo est aussi vide que son compte en banque et sa vie sentimentale un désert sans fin. Le Pérou quoi !

Une journée dans la vie de June tient dans ces 100 pages. Comme elle le dit sur la 4ème de couv, il n’y a « pas de quoi en faire un bouquin ». Ou alors vite fait, en survolant chaque heure et chaque non-événement qui règle son quotidien. Du réveil au coucher nous suivons donc la jeune femme chez elle, chez ses parents, avec une copine et en soirée. Pour en arriver au même constat qu’elle, à savoir que si sa vie était adaptée en film, ça ressemblerait sûrement à un documentaire d’Arte sur les amibes.

Le format de gag en trois cases est similaire aux strips à l’américaine (Snoopy, Garfield…), même si le rajout d’un titre à chaque page permet une disposition en carré. Le dessin est simple, les décors minimalistes et la lisibilité maximale. Fabcaro est au scénario et j'avoue que je l'ai connu en meilleur forme. L'autodérision est bien présente mais l'absurde beaucoup moins et certaines chutes tombent franchement à plat. A noter que l’auteur de Formica joue son propre rôle et se dessine lui-même dans quelques cases (inutile de préciser qu’il n’y est pas à son avantage).

Un album léger, sans prétention, qui dresse sous le vernis de l'humour le portrait pas vraiment passionnant d’une trentenaire un peu paumée et sans véritable ambition. La lecture est loin d'être déplaisante mais je ne suis pas certain qu'il m'en reste grand chose d'ici peu. 

Hey June d’Evemarie et Fabcaro. Delcourt, 2020. 104 pages.  9,95 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo et Noukette.


Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie








mardi 7 janvier 2020

Petites luxures : histoires intimes

Point de départ de ce projet, le compte instragram Petites Luxures où l’illustrateur Simon Frankart combine avec talent sexe, dessins et jeux de mots souvent très oulipiens. Pour célébrer le passage à un million d’abonnés, il a demandé à ces derniers de lui raconter en 100 mots une anecdote marquante de leur vie amoureuse ou sexuelle. Sur les neuf cents histoires reçues, cinquante ont été sélectionnées pour être publiées en recueil. Des histoires érotico-poétiques vécues et écrites par des hommes et femmes du monde entier acceptant de livrer un tout petit rien de leur intimité.

Le livre est superbe vu de l’extérieur. Couverture en tissu d’un rouge flamboyant, papier ivoire plutôt épais, noir et blanc profond des illustrations. Le problème c’est qu’il faudrait rester à la surface, parce que quand on plonge à l’intérieur, il y a de quoi vite déchanter. Pas au niveau du dessin, le minimalisme et l’inventivité de chaque illustration étant souvent bien plus suggestif que l'anecdote à laquelle elle est associée. C’est là tout problème, le corpus de textes n’a rien de folichon. Une fellation dans un ascenseur ou un cuni au bord de la piscine, du sexe par écrans interposés, un bain de minuit coquin, une partie de jambes en l’air dans la cabine d’une péniche, etc. C’est varié  mais plutôt cliché et ça ne m’a pas déclenché le moindre frémissement sous la ceinture.




Le problème majeur, c’est que tout est trop condensé, tout manque d’épaisseur et de longueur (deux éléments importants l’air de rien). Dans chaque histoire on ne fait que survoler les choses, on papillonne et au final on ne retient rien de ces confessions intimes pour la plupart extrêmement classiques. En gros, ça se révèle aussi frustrant qu’une éjaculation précoce après des préliminaires expédiés par-dessus la jambe.

Je ne suis pas contre un petit quickie de temps en temps à la hussarde entre deux portes cochères, mais là j’ai eu l’impression de m’en enfiler cinquante d’un seul coup alors forcément, ça lasse (et puis je vieillis l’air de rien). L’idée de départ était très sympa, dommage que le résultat se révèle si creux et si anecdotique.

Petites luxures : histoires intimes. Éditions Hoëbeke, 2019. 110 pages. 15,00 euros.



























samedi 4 janvier 2020

L’extase du selfie : et autres gestes qui nous disent de Philippe Delerm

 J’aime bien Delerm mais là, franchement, la promesse de l’extase n’a pas dépassé le titre en couverture. Certes, la micro-fiction est devenue son fonds de commerce depuis La dernière gorgée de bière et il sait y faire pour raconter les petits riens ou, comme annoncé en sous-titre, ces « gestes qui nous disent ». Le problème c’est qu’il est incapable de renouveler son stock. Le fond et la forme, rien ne change et au final ça devient vite lassant.
Il faut dire que la micro-ficiton est un exercice de style à part entière.

Certains comme Régis Jauffret donnent dans le sarcastique ravageur alors que d’autres comme David Thomas préfèrent l’humour teinté d’une grosse dose d’autodérision. Chez Delerm, on est dans le cucul la praline, dans l’observation minutieuse et la description encore plus minutieuse. De l’épluchage d’une clémentine par exemple. Ou de la conduite d’un caddie dans un supermarché. Des exemples de cucul la praline, il y en a des tas d’autres dans ce recueil, de l’enfilage d’un duffle-coat à l’art de remonter ses manches de chemise en passant par l’infinie satisfaction de laver les carreaux un jour de beau temps. Sérieusement ????

Après, c’est bien écrit, très littéraire, un poil verbeux, toujours suranné, ce qui peut avoir un certain charme. Mais ça manque d’aspérité, c’est d’une platitude affligeante et parfois bien trop surjoué. Comme le premier paragraphe de ce texte intitulé « Orgasme en public » : « C’est souvent à l’évocation d’une douceur simple, très pure, biologique, et plutôt à l’ancienne : du vrai pain perdu, une mousse au chocolat, mais une vraie de vraie, des framboises trempées dans de la vraie crème fermière. Alors, c’est plus fort qu’elles. Rien qu’à l’idée, elles ferment les yeux, renversent la tête en arrière, se cambrent délicieusement, et poussent un mmh presque guttural, venu du plus profond de la plus irrépressible volupté. »

Bon Philippe, je sais pas avec qui tu traînes mais perso j’ai jamais vu une femme jouir devant moi au resto en se tapant une mousse au chocolat, même une vraie de vraie. Non vraiment, je suis désolé mais je n’ai rien trouvé à sauver de ce recueil bourré de clichés, totalement anecdotique et frôlant parfois le ridicule.

L’extase du selfie : et autres gestes qui nous disent de Philippe Delerm. Seuil, 2019. 110 pages. 14,50 euros.








mardi 31 décembre 2019

Samedi soir, dimanche matin - Alan Sillitoe

« Car c’était un samedi soir, le meilleur moment de la semaine, celui où l’on s’amuse pour de bon, l’un des cinquante-deux jours de gloire dans la grande roue de l’année qui tourne si lentement, le prologue échevelé d’un morne dimanche. Le samedi soir, les frénésies contenues toute une semaine se déchaînent sans contrainte, vous purgez à grand renfort de libations confraternelles votre individu de l’emprise de toute une semaine de boulot monotone à l’usine. »

Être un prolo de 21 ans à Nottingham dans l’Angleterre de l’après-guerre offre peu de perspectives. Arthur le sait et, quelque part, il s’en fout. La semaine de boulot l’esquinte mais le week-end, la pinte le requinque. Arthur vit chez ses parents, dans une cité ouvrière construite autour de l’usine. Les cadences infernales et le bruit de l’atelier l’abrutissent mais sa paie suffit pour payer un petit loyer à sa mère et s’offrir deux soirées au pub. Le vendredi et le samedi, tout est permis. Boire trop bien sûr, faire le coup de poing si nécessaire et papillonner auprès de femmes peu farouches. Le dimanche est en général plus calme, il préfère rester seul et aller à la pêche.

Arthur fume énormément, il sirote du thé à longueur de journée et culbute la jolie Brenda dès que son mari a le dos tourné. Arthur vit au jour le jour, il ne pense pas à l’avenir et ne se voit pas faire de vieux os. Punk avant l’heure, sa conscience politique se résume au fantasme de faire sauter l’usine pour ne plus avoir à courber l’échine devant sa machine. Jeune, fougueux, rebelle sans véritable cause, Arthur traine dans les rues de Nottingham la rage au ventre, toujours prêt à s’embarquer dans des virées sans véritable but.

Alan Silitoe est connu en France pour sa nouvelle La solitude du coureur de fond mais Samedi soir, dimanche matin est son roman le plus célèbre en Grande-Bretagne. Une oeuvre culte, considérée comme le texte fondateur du mouvement des Angry Young Men qui a marqué la littérature britannique des années 50 et qui continue d’influencer nombre d’artistes du cinéma et de la musique (de Madness à Ken Loach en passant par les Arctic Monty, entre autres). Roman de la classe ouvrière par excellence, roman du désenchantement et de la désillusion qui porte un regard lucide sur l’impossible ascension sociale des oubliés du grand capitalisme, il reste d’une étonnante actualité à l’heure de la montée des populismes, du Brexit et des gilets jaunes.

Samedi soir, dimanche matin d’Alan Sillitoe (traduit de l’anglais par Henri Delgove). Éditions L’échappée, 2019. 280 pages. 20,00 euros.









jeudi 26 décembre 2019

Mes romans de l'année



50 livres lus en 2019 et une moisson assez inégale. Un chef d’œuvre, un ovni, des coups de cœur, des ratés et bien d’autres choses qui ont occupé mon année de lecture. Je garde le chef d’œuvre et les coups de cœur pour la fin de ce billet histoire de maintenir un semblant de suspens.

(pour lire mon avis il suffit de cliquer sur les couvertures)



Les pavés de l’année

Première fois que je lis trois pavés d’au moins 800 pages dans la même année. Un pur hasard mais je me surprends à aimer de plus en plus ce genre de lecture au long cours.








Le roman historique de l’année

En même temps c’est le seul roman historique que j’ai lu cette année mais il est vraiment excellent.





Le roman le plus mélancolique de l’année

Superbe, tout simplement superbe !





Le roman le plus modianesque pas écrit par Modiano de l’année

Je n’ai pas pris le temps d’en parler mais c’est clairement le roman le plus modianesque de l’année (après celui de Modiano sorti cet automne évidemment)





Le haut le cœur de l’année

Vraiment dégueu ce roman, j’en ai eu la nausée par moment.





Le Goncourt de l’année

Deux ans de suite que je lis le futur Goncourt bien avant sa consécration. Jamais deux sans trois en 2020 ?





Les Harry Crews de l’année

Pas question de passer une année sans lire un Harry Crews. J’ai même poussé le vice à en lire deux en 2019. Quand on aime…







Les lectures légères de l’année

J’ai voulu donner dans le léger cette année mais évidemment ça n’a pas été une réussite. Trop mielleux, trop fade, trop gnangnan, c’était couru d’avance.







Les ratés de l’année

Il en faut, malheureusement.













L’ovni de l’année

Impossible de savoir si j’ai aimé ou pas ce roman incroyable et inclassable. Une vraie folie !





Les coups de cœur de l’année

Quatre coups de cœur dans la même année, ça ne m’arrive pas souvent.











Le chef d’œuvre de l’année

LE roman de l’année. Dense, inventif, ambitieux, terriblement littéraire, tout simplement MONUMENTAL !



















mercredi 18 décembre 2019

Une année de BD

Plus de 200 BD lues cette année et comme d’habitude du bon, du très bon et du moins bon. Toujours une majorité de productions franco-belge dans mes lectures mais le manga et les comics indépendants m’intéressent de plus en plus. Au final le bilan est riche et varié comme j’aime.


Le top du top :











Les séries finies (ou presque) 















Du manga en veux-tu en voilà ! :










L'Amérique, l'Amérique