vendredi 5 avril 2019

Court vêtue - Marie Gauthier

Félix débarque chez le cantonnier du village pour entamer son apprentissage. Un village écrasé de chaleur et une maison qui sera la sienne pour quelques mois. En plus de son patron, il va vivre sous le même toit que la fille de ce dernier, Gilberte. A seize ans la gamine travaille chez l’épicier. Félix découvre qu’elle s’éclipse souvent avec des hommes, toujours différents. Pour le garçon Gilberte devient un objet de fascination. Il se doute de ce qu’elle fait avec ces hommes et s’il n’en espère pas autant, il aimerait au moins qu’elle partage quelques moments avec lui. Fébrile, en quête du moindre signe, Félix vit dans l’attente d’un éventuel rapprochement à venir.

Un premier roman bien écrit, rien à redire là-dessus, mais pour le reste et en ce qui me concerne du moins, ce sera un grand bof. Le sujet est vu et revu cent fois, j’avais deviné la fin au bout de 30 pages et j’ai cherché en vain la montée de tension sexuelle qui aurait accéléré ma pression sanguine. Félix est un ado naïf et mou comme une chique et Gilberte, malgré les apparences, froide comme un glaçon. L’un comme l’autre n’ont suscité chez moi ni empathie ni intérêt, ce qui est quand même fort dommage.

Un texte sans prétention mais sans envergure. Bien écrit donc, mais prévisible. Qui se voudrait chargé d'un érotisme à la fois suggestif et sulfureux mais qui se révèle au final aussi excitant qu'un discours de François Fillon sur la dette publique. Un mauvais signe qui ne trompe pas, j’ai mis un temps fou à avaler ses 100 petites pages. D’ailleurs, s’il y en avait eu 50 de plus je ne serais pas allé au bout je pense.

On va dire que c’est un rendez-vous manqué entre ce livre et moi, ce n’est pas bien grave, ça arrive. Je lui souhaite évidemment bon vent et je me réjouis pour cette jeune auteure de le voir dans la liste des sélectionnés pour le Goncourt du premier roman. Personnellement je ne l’y aurais pas mis mais il va de soi que l’on ne me demande pas mon avis sur ce genre de question et il va de soi que c’est une bonne nouvelle pour tout le monde.

Court vêtue de Marie Gauthier. Gallimard, 2019. 105 pages. 12,50 euros.

mercredi 3 avril 2019

Mes héros ont toujours été des junkies - Ed Brubaker et Sean Phillips

Keith Richards, David Bowie, Lou Reed, Elliott Smith, Billie Holiday, Jean-Paul Sartre, Gram Parsons, Judy Garland, Marilyn Monroe, Janis Joplin, Van Gogh, Nick Cave ou Burroughs. Les héros d’Ellie sont tous des junkies. Pour elle, ces camés sont romantiques, ils brûlent la chandelle par les deux bouts et la drogue fait d’eux des êtres à part, touchés par la grâce. Dans le centre de désintox où son oncle l’a traînée de force en lui promettant que ce serait « sa seule chance », elle fait figure de rebelle. Pas question pour elle de décrocher, être « clean » rend la vie trop triste.

Dans son  groupe de parole, elle fascine autant qu’elle agace. Pour Skip, c’est une plante vénéneuse irrésistiblement attirante. Le garçon sait pourtant qu’il doit se tenir à carreau s’il ne veut pas rechuter. Mais la mauvaise influence d’Ellie et son aura magnétique sont plus fortes que sa bonne volonté. S’échapper du centre n’est pas l'idée du siècle. Pourtant, il ne pourra s’empêcher de la suivre dans sa fuite en avant. Et une fois le pas franchi, plus de retour en arrière possible, il faut foncer, quitte à se brûler les ailes. Définitivement.

Le scénario se présente comme une longue nouvelle se déroulant dans l’univers de la série « Criminal ». Le récit n’est pas aussi simple que les apparences peuvent le laisser supposer. Au-delà de l’idéalisation des junkies et de l’histoire d’amour tragique, Ed Brubaker et Sean Phillips tricotent un polar noir, serré, amer. Ellie est bien plus complexe que sa posture et son discours le suggèrent, ses zones d’ombres cachent des dessins aussi sombres qu’inavouables.

Un polar comme je les aime aux personnages torturés, porté par la figure toxique d’une héroïne au charme fatal. Brubaker et Phillips m’avaient récemment conquis avec l’excellent « Fondu au noir », ils confirment ici la qualité de leur collaboration et je compte bien les retrouver très bientôt , notamment avec la série « Killed or be killed » (tout un programme !).

Mes héros ont toujours été des junkies d’Ed Brubaker et Sean Phillips. Delcourt, 2019. 80 pages. 12,00 euros.











mardi 2 avril 2019

L’arrêt du cœur ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine - Agnès Debacker

Simon a perdu Simone. Le garçonnet de 10 ans a du mal à accepter le décès de sa voisine, avec laquelle il partageait une grande complicité. Il a gardé d’elle son plus précieux trésor, la théière qui recueillait leurs souhaits. Dans cette « théière à vœux » Simone, Simon et quelques autres ont glissé des petits papiers au contenu secret pas forcément très avouable. Depuis que Simon a récupéré l’objet, il n’ose l’ouvrir. Mais le jour où il franchit le pas, il découvre un pan de la vie de son amie dont elle ne lui avait jamais parlé. Tous les vœux de Simone tournent autour du même sujet : Farid. Qui était Farid ? Pourquoi une telle obsession à son égard ? Pourquoi n’y-a-t-il aucune trace de lui dans l’appartement de la vieille dame alors qu’il semble être le centre de son univers ? Simon voudrait savoir. Mais il a beau se démener comme un beau diable, Farid reste un insaisissable fantôme.

Un bel objet-livre, parfait écrin aux superbes illustrations et à la finition soignée renfermant un fort joli texte. Simon vit le deuil à sa façon, en cherchant à percer un mystère qui le dépasse. Sa tristesse n’est pas que douleur, il émane de sa quête une douceur et une réflexion pertinente sur les secrets que chaque destin cache précieusement. L’enfant va aussi comprendre que les histoires d’amour finissent rarement bien, que le bonheur ne tient qu’à un fil et que ce fil peut se rompre au moindre soubresaut.

Ni guimauve ni potion trop amère, Agnès Debacker a su trouver un délicat équilibre aigre-doux. Un dosage subtil, sans vision gratuitement idyllique et sans pessimisme déprimant, portant un regard lucide sur la vie et ses aléas, sur ces occasions que l’on saisit et celles qui restent à jamais des actes manqués. Le titre résume parfaitement le propos, Simon découvre ce que peut être l’amour et à quel point cet amour peut briser un cœur, au sens propre comme au figuré. Un roman jeunesse aussi intelligent que touchant.

L’arrêt du cœur ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine d’Agnès Debacker (ill. Anaïs Brunet). MeMo, 2019. 108 pages. 11,00 euros. A partir de 9 ans.





Une pépite jeunesse partagée avec Noukette.






samedi 30 mars 2019

Portrait de lecteur de « A à Z »


Un tag découvert chez Delphine. Des années que je ne m’étais pas prêté à un tel exercice. D’habitude je trouve ça bien plus contraignant que plaisant mais dans celui-ci les questions m’ont parlé d’emblée et je dois dire que les réponses de Delphine n’y sont pas étrangères. On va dire qu’elles m’ont inspiré.

A pour « auteur » : l’auteur(e) dont tu as le plus de livres : 

J’ai les 50 romans de la série « 87ème District » d’Ed McBain mais ils sont regroupés en 9 volumes de la collection Omnibus. Du coup si je dois compter en nombre de livres je vais revenir à mon cher Bukowski. J’ai tout ce qui a été publié de lui en français, ça doit faire près de 25 bouquins en tout.

B pour « best » : la meilleure suite de série :

Je ne sais pas si une trilogie peut être considérée comme une série mais « La tristesse des anges »,  le 2ème tome de celle de Stefansson, est pour moi un pur bijou.

C pour « current » : ta lecture en cours : 

Je viens de commencer « Âpre cœur » de la chinoise Jenny Zhang et je peux déjà dire que ça sent le gros coup de cœur.

D pour « drink » : la boisson qui accompagne tes lectures :

Je bois rarement en lisant mais quand ça arrive j’ai près de moi un tasse de café très chaud et sans sucre.

E pour « e-book » : e-book ou roman papier :

Roman papier et rien d’autre. Définitivement. Il n’y a que la presse et éventuellement la BD que je peux lire en numérique.

F pour « fictif » : un personnage fictif avec qui tu serais sorti au lycée :

La « Nana » de Zola m’a beaucoup fait fantasmer quand j’étais au lycée. Une femme aussi sulfureuse ne s’oublie pas.

G pour « glade » : un roman auquel tu es content d’avoir laissé une chance :

Ce n’est pas un roman mais un carnet. Celui d’Éric Cantona. Je n’avais aucune envie de le lire mais après coup je ne le regrette pas , il m’a tellement fait rire !

H pour « hidden » : un roman que tu considères comme un joyau caché :

Sans hésitation « L’agneau carnivore » d’Agustin Gomez-Arcos. C’est un chef d’œuvre, ni plus ni moins, épuisé depuis plus de 30 ans. Je ne comprends pas qu’un éditeur n’ait pas sorti de l’oubli un texte aussi exceptionnel.

I pour « important » : un moment important dans ta vie de lecteur :

Le jour où j’ai compris que la lecture n’était pas une contrainte mais un plaisir. C’est ballot parce que ça coule de source mais si ce moment-là n’avait pas existé je ne serais jamais devenu un lecteur passionné.

J pour « juste » : le livre que tu viens juste de finir :

« Partiellement nuageux », le nouveau roman d’Antoine Choplin.

K pour « kind » : le genre de roman que tu ne liras jamais :

Je ne sais pas si c’est vraiment un genre mais je me rappelle de mon frangin qui engloutissait les romans de la collection « épouvante » de J’ai Lu dans les années 90 et je me disais à l’époque que jamais je ne lirai des trucs pareils, bien trop effrayants à mon goût. Je ne sais pas si cette collection existe encore mais je n’ai pas changé d’avis depuis.

L pour « long » : le plus long roman que tu aies jamais lu :

C’était pas plus tard que l’an dernier. « Brasier noir » de Greg Iles. Le pire c’est que je ne l’ai pas trouvé bon du tout ce roman.

M pour « major » : le livre qui t’a causé le plus gros « hangover » : 

Le dernier livre que j’ai refermé en me disant « les suivants vont devoir s’accrocher pour me faire autant d’effet » est sans conteste le phénoménal « Un jardin de sable » d’Earl Thompson.

N pour « nombre » : le nombre de bibliothèques que tu possèdes :

Une bonne douzaine je pense, si je compte celles qui sont dans les chambres de mes filles.


O pour « one » : un roman que tu as lu plusieurs fois :

« Demande à la poussière » de John Fante. Un roman culte qu’il faut lire à 20 ans et que j’ai pris plaisir à relire à 40.

P pour « préféré » : ton endroit préféré pour lire :

Mon canapé, dans une maison vide et silencieuse. Autant dire que ça arrive très rarement.

Q pour « quote » : une citation d'un livre que tu as lu qui t’inspire ou te fait ressentir plein d’émotions :

« Les gens se dépêchent de juger pour ne pas l’être eux-mêmes ». Camus a écrit cette phrase dans « La chute » et je constate tous les jours à quel point elle est d’une absolue pertinence.

R pour « regret » : un regret de lecture : 

Le regret de lecture serait sans doute un livre qui m’a donné l’impression de perdre mon temps, même si regret est un mot trop fort. Si je ne devais en citer qu’un, je dirais « Les enfants qui mentent n'iront pas au paradis » de Nicolas Rey. Un très mauvais livre qui m'a vraiment fait perdre mon temps.

S pour série : une série que tu as commencée mais jamais finie (et dont tous les tomes sont sortis) :

« A la recherche du temps perdu ». Pour tout avouer je n’ai lu que « Le  temps retrouvé », le dernier volume de la série. C'était pour un devoir à la fac et il ne m'en reste aucun souvenir.

T pour « trois » : trois de tes livres préférés de tous les temps :

- « Last Exit to Brooklyn » de Selby (dans la nouvelle traduction de Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet)

- « Septentrion » de Calaferte.

- « Don Quichotte » de Cervantes. N'en déplaise à Moka, c'est un très grand livre qui m'a offert un très grand moment de lecture.

U pour « unapology » : quelque chose dont tu es fan sans aucun remord :

Il n’y a rien dont je sois fan à vrai dire. A part peut-être le gâteau aux petits-suisses de ma mère.

V pour « very » : un livre dont tu attends la sortie avec une grande impatience :

Je ne sais pas s’il y en a un de prévu mais j’attends toujours avec impatience un nouveau roman de Stefansson.

W pour « worst » : ta pire habitude livresque :

Je corne les pages. A mort. Et j’adore ça.

X pour « x » : commence à compter à gauche en haut de ton étagère la plus proche et prends le 27ème livre :

« Il ne pleuvra pas toujours » d’Edward Anderson, roman largement autobiographique sur la Grande dépression vécue par un hobo. 

Y pour « your » : ton dernier livre acheté :

« Un silence brutal », le dernier Ron Rash. 

Z pour « Zzz » : le dernier livre qui t’as tenu éveillée bien trop tard dans la nuit :

Aucun livre ne me tient éveillé jusqu’au bout de la nuit car aucun livre ne peut lutter contre le sommeil quand il me prend. Il n’y a qu’une partie de jambes en l’air endiablée, une soirée pleine de mojito ou une virée à Angoulême avec des blogueuses surexcitée qui peut me tenir éveillé jusqu'au petit matin. D'ailleurs parmi ces trois propositions certaines peuvent aller de pair...



Un tag que j'ai grand plaisir à partager avec Noukette












mercredi 27 mars 2019

Fables amères : Détails futiles - Chabouté

Des nouvelles en BD, quelle drôle d’idée.  Des nouvelles de quelques pages en noir et blanc, la plupart sans texte. Des moments du quotidien, comme une succession de de tout petits riens (c’était d’ailleurs le sous-titre du premier tome paru il y a près de 10 ans). Chabouté y montre les solitaires, les invisibles, les isolés, les exclus. On trouvera aussi dans ces nouvelles des fiers-à-bras ridicules, ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, un gros dur au cœur d’enfant, un cul de jatte admirant la vitrine d’un magasin de chaussures ou un paraplégique à qui l’on reproche de ne pas se lever pendant la marseillaise.

Les choses tiennent souvent à des broutilles mais les « détails futiles » accompagnant le titre sur la couverture ne le sont pas vraiment. Chabouté joue des silences, des angles de vue, des gros plans et des expressions des visages pour dire le grotesque et l’insignifiant, les maladresses qui font mal, la bêtise ordinaire.

Graphiquement on va à l’essentiel. Après m’avoir fasciné en racontant pendant plus de 300 pages l’histoire d’un banc public avec Un peu de bois et d’acier, Chabouté démontre une fois encore sa maîtrise du noir et blanc et du découpage. Son sens de la narration est un modèle du genre et son art de l’épure éblouit une fois de plus. Il fait mouche sans chichi ni fioriture, sans le moindre effet de style inutile, en gardant le regard à hauteur d’homme.

Comme disait le grand Raymond Carver, maître ès nouvelles s’il en est, « c’est pas grand-chose mais ça fait du bien. »

Fables amères : Détails futiles de Chabouté. Vents d’Ouest, 2019. 102 pages. 13,90 euros.










mardi 26 mars 2019

Renversante - Florence Hinckel

Dans le pays de Léa et Tom les femmes dirigent l’état et les hommes s’occupent des enfants. Dans le pays de Léa et Tom les filles font du foot pendant que les garçons jouent à la corde à sauter et s’habillent en rose. Dans ce pays les femmes sont mieux payées que les hommes et si ces derniers représentent la moitié de la population, ils sont minoritaires dans tous les domaines, absents des manuels d’histoire et aucun n’a une rue ou une école à son nom. Sans compter qu'en grammaire, le féminin l’emporte toujours sur le masculin puisque « le genre féminin est réputé plus noble que le masculin à cause de la supériorité de la femelle sur le mâle ». Pour faire court, dans le pays de Léa et Tom la domination féminine est sans partage et personne ne s’en offusque.

Pourtant Léa et Tom s’interrogent. Sur cette société matriarcale injuste, sur les maigres progrès que peut revendiquer la cause masculine, sur la façon de résister à l’ordre établi, voire sur la façon de le remettre en cause pour pouvoir rêver, un jour peut-être, d’égalité entre les sexes. Et comme le dit si bien Léa, « est-ce que tout ce que l’on vit ne serait pas juste une question de point de vue ? ».

Florence Hinckel imagine un monde miroir du nôtre en inversant les rôles. Elle pousse à la réflexion et détricote avec humour des clichés qui ont la vie dure. C’est malin et rondement mené mais je regrette un peu qu’on en reste à une sorte de catalogue thématique où l’enchaînement des chapitres ne raconte pas une véritable histoire.

Après, il faut reconnaître que l’exercice n’était pas simple et particulièrement casse gueule. Le résultat ne peut donc qu’être salué, tant par la finesse et la pertinence de son analyse que par l’invitation au débat qu’il suscite.

Renversante de Florence Hinckel. L’école des Loisirs, 2018. 94 pages. 10,00 euros. A partir de 9 ans.




Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.







samedi 23 mars 2019

Les dévastés - JJ Amaworo Wilson

« Ce sont tous des désaxés. Des ex-drogués. Des ex-alcooliques. Des malades mentaux. Des nécessiteux. Des infirmes. C’est ce que nous sommes. »

Les dévastés partirent à 600 et finirent bien plus nombreux. A leur tête Nacho l’estropié. Un boiteux qui les mena jusqu’aux portes d’un gratte-ciel abandonné de soixante étages dans la mégalopole de Favelada. Pour s’y installer ils durent chasser des loups puis faire face à un déluge, à des nuées de moustiques et à une armée corrompue. Leurs rangs ne cessèrent de grossir, la communauté ne cessa de lutter pour sa liberté dans un combat que chacun pensait perdu d’avance. Protégés par la figure tutélaire de Nacho, prophète malgré lui, ils s’obstinèrent, envers et contre tout. « Des dévastés. Au plus bas de l’échelle. Sicaires. Agresseurs au couteau. Assassins. Bandits. A la détente facile, au regard froid. Des impies, des sans-logis à la botte d’un éclopé. »

Une odyssée épique, picaresque, traversée par le souffle du réalisme magique latino-américain. JJ Amaworo Wilson, anglo-nigérian vivant aux États-Unis, signe un premier roman plein d'humanité,  ambitieux et maîtrisé. Nacho, son frère Emil, le chinois qui n’en est pas un et tous les dévastés forment une galerie de personnages attachants aux personnalités et aux parcours complexes. On alterne les moments d’action, les échanges quasi philosophiques, les pauses méditatives et les intrusions d’éléments fantastiques. Ça pourrait tourner au foutoir mais c’est au contraire très structuré, parfaitement charpenté. On frémit, on sourit, on s’émeut, on pleure ou on souffre, on vit quoi !

Il y a bien sûr un petit quelque chose d’utopique dans cette improbable aventure. Mais les coups durs ont beau s’enchaîner, l’espoir demeure et force est de constater que le chemin des dévastés jusqu’à la terre promise de leur tour de Babel en ruine est un superbe exemple d’abnégation et de force collective. Un excellent premier roman, aussi abouti que surprenant. 

Les dévastés de JJ Amaworo Wilson (traduit de l’anglais par Camille Nivelle). Les éditions de l’Observatoire, 2019. 400 pages. 22,00 euros.











mercredi 20 mars 2019

Bolchoi arena T1 : Caelum incognito - Boulet et Aseyn

Imaginez un lieu où à peu près tout est possible, un lieu peuplé de planètes lointaines, d’inventions futuristes, de vaisseaux spatiaux et de villes tentaculaires dans lequel vous pouvez naviguer à votre guise depuis votre lit ou votre canapé, en enfilant un casque virtuel. Ce lieu s’appelle Bolchoi Arena et est devenu l’espace de jeu le plus populaire du monde. Marje, étudiante en astrophysique, va y faire ses premiers pas, guidée par son amie Dana. Très vite elle comprend à quel point l’univers de Bolchoi Arena constitue un champ d’exploration sans limite à la hauteur de sa passion pour les astres. Elle y fait d’emblée preuve d’une dextérité surprenante, quitte à s’attirer les foudres de joueurs chevronnés voyant d’un mauvais œil débarquer cette novice aux dents longues.
Évidemment, un monde virtuel aussi fascinant rend vite les utilisateurs accros, les coupant chaque jour davantage de la réalité quotidienne. Pour Marje, cela signifie moins de temps pour les études et moins de temps pour son amoureux Colin...

Boulet s’amuse comme un fou avec ce Bolchoi Arena. Il faut dire qu’une telle invention lui offre un terrain de jeu sans limite. C’est d’ailleurs le petit bémol de ce premier tome qui ne fait que mettre en place les éléments : on s’éparpille pas mal et on laisse en suspens bien des questions sans trop creuser la psychologie des personnages. Logique pour un tome d’exposition mais la série étant prévue pour être une trilogie, il va falloir se recentrer sur un fil conducteur plus épais pour ne pas rester dans l’anecdotique. Heureusement la toute fin de ce premier opus semble aller dans ce sens.

Niveau dessin, je suis fan du trait de Aseyn, clairement inspiré de Katsuhiro Otomo, le dessinateur d’Akira et de Masamune Shirow, celui de Ghost in the Shell et Appleseed. Les couleurs pastel et le petit côté vintage de son univers graphique ont un charme fou qui me ramène à ma découverte émerveillée du manga au début des années 90 (ben oui, ça remonte à loin, je ne suis plus tout jeune que voulez-vous).

Une nouvelle série SF prometteuse où la réalité virtuelle vient télescoper le réel. Si le scénario se densifie et que le dessin reste à un tel niveau, la trilogie à venir s’annonce comme une incontournable du genre !

Bolchoi arena T1 : Caelum incognito de Boulet et Aseyn. Delcourt, 2018. 164 pages. 23,95 euros.




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie.










mardi 19 mars 2019

Mamie fait sa valise - Gwladys Constant

Mamie n’en peut plus de sa vie planplan avec pépé Hubert. Du coup c’est décidé, elle le quitte. Et quand elle débarque chez Armand et ses parents pour s’installer quelques temps, la surprise est totale et plutôt mauvaise, tant pour son gendre que pour sa fille. Armand voit les choses d’un autre œil. Avoir sa mamie à demeure c’est une bonne chose vu qu’avec elle il peut faire tout ce qu’il n’a pas le droit de faire habituellement. Mais en même temps le petit garçon s’interroge. Il voudrait savoir d’où vient le problème, savoir si les morceaux peuvent être recollés et savoir comment aider pépé à reconquérir le cœur de sa femme.

Un roman rigolo et plein de fraîcheur. La mamie qui n’a pas sa langue dans sa poche, le pépé largué, la fille qui supporte difficilement sa mère, le gendre qui veut donner le change mais peine à garder son calme et le petit fils au regard aussi naïf que malicieux forment un casting haut en couleur. L’humour est bien présent, les dialogues dépotent et les échanges entre Armand et sa grand-mère valent leur pesant de cacahuètes, même s’il est difficile d’imaginer un enfant de six ans avoir autant de réflexion et de réparti.

Au final l’amour triomphera. Mais avant cette heureuse issue les obstacles seront nombreux. Et Armand comprendra que l’amour est comme un jardin, il faut l’entretenir et lui accorder beaucoup d’attention pour ne pas le voir dépérir.

Mamie fait sa valise de Gwladys Constant. Rouergue, 2019. 75 pages. 8,50 euros. A partir de 8 ans.



Une pépite jeunesse partagée avec Noukette








mercredi 13 mars 2019

Les brûlures - Zidrou et Laurent Bonneau

Nutella et Light. Le premier est noir mais doit son surnom à un concours gagné durant son enfance. Le second est obèse mais ses collègues lui ont donné ce sobriquet parce que ce n’est pas une lumière. Nutella et Light ou un duo de flics mal assorti chargé d’enquêter sur les meurtres atroces de prostituées dans une station balnéaire. Des flics de nuit dont la vie privée est loin de briller de mille éclats qui savent depuis longtemps que la nature humaine n’a rien de bon à offrir. Pour se changer les idées, Nutella passe beaucoup de temps à la piscine. Nager pour ne pas sombrer. Et pour faire des rencontres. Des rencontres aussi inattendues qu’excitantes qui pourraient s’avérer toxiques…

Zidrou et Laurent Bonneau, en voilà un joli duo. Ils troussent ici un polar se focalisant davantage sur l’intimité de l’un des protagonistes que sur l’enquête en cours. Un polar qui ne donne pas dans l’action mais joue plutôt sur les dialogues, les petits riens, les attitudes. Un peu comme ce que Tardi a fait en adaptant les romans de Jean-Patrick Manchette : on s’attarde beaucoup plus sur les comportements que sur la psychologie des personnages, on multiplie les silences, les non-dits, et on laisse le lecteur les interpréter à sa guise. C’est particulier mais personnellement j’adore.

Le découpage est simple et les cadrages très travaillés, d’une précision clinique. Le dessin de Laurent Bonneau, parfois proche du photomontage, donne une impression assez statique, s’attardant souvent sur l’expression des visages en gros plan. Un parti pris graphique qui donne au déroulement du récit une froideur à la fois étrange et hypnotique. Un léger bémol tout de même, j’ai trouvé que l’album se lisait trop vite et se refermait avec un petit goût de trop peu un poil frustrant. Pas de quoi bouder mon plaisir néanmoins, le résultat reste à la hauteur de mes espérances.

Les brûlures de Zidrou et Laurent Bonneau. Grand Angle, 2019. 120 pages. 19,90 euros.