mercredi 15 novembre 2017

Et si l’amour c’était aimer ? - Fabcaro

- Sandrine, quand allez-vous quitter votre mari ?
- Michel, ça n’est pas si simple… on a le crédit de la Mercedes, un PEL à la Poste, et puis… j’ai peur de faire souffrir les enfants…
- Les enfants ?? Mais vous n’en avez pas…
- Oui non mais les enfants en général je veux dire.
- Qu’importe, je vous attendrai le temps qu’il faudra.
- Oui, on a l’éternité devant nous. 
- Ah… moi je pensais plutôt à genre 15 jours…
- Moi aussi je brûle d’impatience, mais notre histoire est inéluctable, nous sommes liés, rien ne pourra jamais se mettre en travers de notre route…
- Sandrine… je nous vois déjà dans les allées d’IKEA en train de noter des références de tables basses…
- Michel, on se fait du mal.

Il ne fallait pas que Sandrine ouvre la porte au livreur de macédoine (pas au livreur macédonien, hein, mais au livreur de Speed Macédoine). C’était pourtant une bonne idée au départ de commander de la macédoine pour le diner. Seulement derrière la porte se tenait Michel, et avec Michel le coup de foudre fut immédiat : « Le regard de cet homme, noir comme une nuit sans lune, la magnétisait tel un aimant dont elle ne pouvait se détacher ». Commence alors une relation aussi passionnée qu’interdite entre Sandrine et Michel. Henri, le mari de Sandrine, n’y voit d’abord que du feu. Mais lorsqu’il apprend la vérité sur cette liaison, il oblige sa femme à y mettre un terme. Michel, le cœur brisé, tente de se reconstruire auprès de ses amis tandis Sandrine peine à tirer un trait définitif sur son bel amant…

Ce résumé volontairement cucul la praline n’arrive pas à décrire le millième de cette  BD clairement  inspirée des romans-photos à l’eau de rose qu’adorait ma grand-mère. Surtout, il ne dit rien du traitement irrésistible que fait subir Fabcaro à cette idylle dont la trame semble de prime abord usée jusqu’à la corde. Parce que pour ce qui est de bousculer les codes, l’auteur de Zaï, zaï, zaï, zaï n’y va pas de main morte.

Des années, je dis bien des années que je n’avais pas autant rigolé en lisant un livre. C’est un festival de la première à la dernière page. Et d’ailleurs le tour de force est là. Trouver une chute hilarante ne relève pas de l’exploit mais en imaginer une à chaque planche sans jamais que le niveau baisse d’un millième, c’est inespéré. Attention, il faut aimer l’absurde, le non-sens et  l’humour parfois très noir. En fait pour être plus parlant je dirais qu’il faut aimer l’humour des Nuls de la grande époque, de la fin des années 80 au début des années 90. Pour moi c’est la référence ultime, personne ne m’a jamais autant fait rire depuis. Et là je retrouve cet esprit, ce grand n’importe quoi qui est en fait extrêmement construit et sans la moindre fausse note.

C’est le type d’album (extrêmement rare) qui fait de moi un gars super lourdingue. Parce que je passe mon temps à en parler à toute personne ayant le malheur de croiser ma route : « Purée, il faut que tu lises ça, c’est génial ! » ou « Tiens, je te prête le dernier Fabcaro, c’est une tuerie ! ». Résultat, ma femme a trouvé ça débile, ma grande pépette n’a pas tout compris et mes collègues l’ont gentiment posé sur leur bureau en me disant qu’ils y jetteraient un œil dès qu’ils auraient deux minutes (et moi de bouillir intérieurement avec l’envie de leur hurler « Mais bordel de m…, laisse tomber ce que t'es en train de faire et ouvre-moi ce bouquin !!!! »).

Bref c’est un indispensable, un incontournable, un essentiel (ne rayez aucune mention inutile, il n’y en a pas). Ma BD de l’année 2017.

Et si l’amour c’était aimer ? de Fabcaro. 6 pieds sous terre, 2017. 56 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune et un enthousiasme partagés avec Noukette.




Toutes les BD de la semaine sont aujourd’hui chez Stephie




mardi 14 novembre 2017

Miss Pook et les enfants de la lune - Bertrand Santini

Paris, 1907. Une sorcière kidnappe les enfants pour les emmener dans son château sur la lune. Dans quel but ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire. Sachez juste qu’Élise, la dernière victime de Miss Pook, ne sera pas au bout de ses surprises une fois arrivée sur place. Non seulement elle va faire des rencontres aussi effrayantes qu’inattendues, mais elle va aussi découvrir que la terre est en grand danger…

Ouvrir un roman de Bertrand Santini c’est entendre une petite voix vous dire « Allez viens, je t’emmène, fais-moi confiance ». Avec Miss Pook il emmène ses lecteurs à la rencontre de sorcières, de dragons, de sphinx, de vampires, de faunes, de Mordrols et de Golgomes. Comme d’habitude son imagination sans limite nous en fait voir de toutes les couleurs, les scènes improbables s’enchaînent aussi vite que les traits d’humour. Comme d’habitude on discerne entre les lignes  ce regard désabusé sur la nature humaine et ses comportements insensés car comme d’habitude ce roman véritablement tout public offre plusieurs niveaux de lecture.

Un texte foisonnant et maîtrisé, sans fausse note ni temps mort. J’ai aimé la personnalité complexe de Miss Pook et davantage encore la malice d’Élise, gamine pétillante et débrouillarde qui m’a rappelé (désolé, je m’adresse aux fins connaisseurs de l’œuvre de Bertrand Santini) l’inoubliable petite Charlotte du non moins inoubliable Yark. Et comme avec le Yark, Jonas le requin mécanique ou Hugo de la nuit (une fois encore, clin d’œil aux connaisseurs), j’ai tourné la dernière page à regret, triste de quitter les enfants de la lune. Mais le coup de théâtre final appelle obligatoirement une suite, je me réjouis donc de les retrouver, et le plus tôt sera le mieux. Car une fois encore l’enchanteur Santini a su me mener par le bout du nez dans son univers unique et inclassable.

Miss Pook et les enfants de la lune de Bertrand Santini. Grasset jeunesse, 2018. 190 pages. 13,90 euros. A partir de 8-9 ans.


Une indispensable pépite jeunesse comme toujours partagée avec Noukette.









dimanche 12 novembre 2017

Les lectures de Charlotte (43) : Patate pourrie ! - Stephanie Blake


Le pauvre Simon rentre à la maison triste et en colère car sa copine Lou n’a pas été gentille avec lui à l’école. Non seulement il n’a plus droit au moindre regard ni au moindre bisou mais en plus elle préfère jouer avec Mamadou plutôt qu’avec lui. Alors quand sa mère lui demande s’il a fait ses devoirs, la réponse fuse : Patate pourrie ! Forcément maman se fâche et Simon est puni. Le lendemain dans la cour de récré le petit lapin compte bien régler ses comptes avec son ex-dulcinée. Il va encore y avoir du « patate pourrie » dans l’air…

Ah, Simon ! C’est une star à la maison, au même titre qu’Émile et Boris. Un personnage au fort caractère qui s’emporte, agit plus vite qu’il ne réfléchit, dit ce qu’il pense et boude plus vite que son ombre. Je dois me rendre à l’évidence, ma petite Charlotte n’apprécie que les sales gosses. Les rebelles, les écorchés vifs, les durs à cuir. Les badass comme dirait son ado de grande sœur.



Heureusement Simon n’est pas qu’un sale gosse.  Il est drôle, il multiplie les bêtises, c’est un adepte du pipi-caca-prout. Et dans ce nouvel album, avec son cœur brisé, il est touchant comme tout. Une fois encore, Stephanie Blake va à l’essentiel. Trait minimaliste, pas de décors, des personnages toujours dessinés en entier et des émotions qui passent essentiellement par le regard. Simple, lisible et efficace, idéal pour focaliser l’attention des petits sur l’image et rien que l’image.

Un album qui montre que les chagrins d'amour n'attendent pas le nombre des années. Heureusement pour Simon tout est bien qui finit bien, vous vous en doutez.

Patate pourrie ! de Stephanie Blake. L’école des loisirs, 2017. 32 pages. 12,70 euros. A partir de 3 ans.






vendredi 10 novembre 2017

Demain c’est loin - Jacky Schwartzmann

J’ai tellement adoré le précédent roman de Jacky Schwartzmann que je me réjouissais de le retrouver avec un nouveau titre, même si celui-ci est catalogué « polar » et que ce genre n’est franchement pas ma tasse de thé.

Demain c’est loin raconte les mésaventures de François Feldman, pas le chanteur mais un trentenaire au nom juif et à la tête d’arabe qui a grandi parmi les racailles d’une cité lyonnaise et qui se retrouve malgré lui en cavale dans la voiture de sa banquière avec une bande de dealers aux trousses. Pas la peine d’en dire plus, il serait dommage de déflorer davantage ce scénario déjanté qui ne brille pas par sa finesse mais se révèle d’une redoutable efficacité.

J’ai aimé retrouver l’écriture très orale et pleine de verve déjà présente dans « Mauvais coûts ». Une fois encore un discours social sans langue de bois se cache sous le vernis de la rigolade, même si les personnages sont parfois caricaturaux. Après, je préfère vous prévenir, mieux vaut être amateur d'humour pas forcément de bon goût pour apprécier cette histoire. Sans tomber dans le lourdingue, le franc-parler un poil vulgaire et la répartie sans filtre de ce cher François pourraient froisser les âmes sensibles. Perso je suis toujours bon client quand on donne dans ce registre et qu’on l’assume de bout en bout, donc je me suis régalé.

Un polar divertissant, sans temps mort ni prise de tête et surtout très drôle. Du trash marrant, trivial, survolté, politiquement incorrect et violent, j’ai l’impression d’avoir réuni les ingrédients du parfait roman feelgood. Selon mes critères du moins…

Petit extrait qui donne le ton :

« Brigitte s’est mise à quatre pattes pour que je la prenne en levrette et j’ai découvert qu’elle avait le visage de Johnny Hallyday tatoué dans le dos. En énorme. Un putain de poster, c’était. Mais bon, je n’étais pas là pour faire la fine bouche, je me suis exécuté et j’ai pris Brigitte par les hanches comme on prend un chariot à Carrefour. Je l’ai secouée, car c’était ce qu’elle voulait, mais ce bon vieux Johnny s’est mis à vivre, à bouger, sa bouche remuait sur la peau de Brigitte. Plus je la besognais, plus Johnny avait des trucs à me dire. »

Demain c’est loin de Jacky Schwartzmann. Seuil, 2017. 184 pages. 17,00 euros.












mercredi 8 novembre 2017

Sérum - Cyril Pedrosa et Nicolas Gaignard

Paris, en 2050. La dictature s’est installée en France et Kader, suite à une condamnation dont on ne connaît pas les causes, a subi une injection de sérum l’obligeant à dire en permanence la vérité. Ne pas pouvoir mentir est pour lui un calvaire : « Vous savez ce que c’est d’être obligé de dire la vérité à des gens qui ne veulent surtout pas l’entendre ? ». Kader vit seul, reclus, déprimé. Il ne parle jamais à personne, ce qui est pour lui le meilleur moyen de ne pas s’attirer d’ennuis. Parallèlement, un groupuscule clandestin prépare une action d’envergure susceptible de renverser le régime. Et ce groupuscule semble avoir fait de Kader un maillon essentiel de son plan…

J’ai beaucoup apprécié le fait que rien ne soit offert d’emblée au lecteur. On découvre cet homme seul dans un univers étrange, on déambule avec lui dans un champ d’éoliennes, on le voit « cueillir » un papillon et le glisser dans sa poche. C’est une entrée en matière aussi déstabilisante que plaisante, j’ai eu l’impression de naviguer à vue et de voir apparaître des indices au compte-goutte, comme autant de petits cailloux laissés sur mon chemin pour éclairer ma compréhension de l'histoire.

Au-delà de cette narration ambitieuse, il faut évidemment souligner la dimension politique du propos, la réflexion sur le pouvoir, sur l’importance du mensonge dans les relations humaines (ou du moins l’importance de ne pas toujours dire la vérité selon les circonstances) ou encore sur le pragmatisme qui a tôt fait de rattraper les idéalistes une fois arrivés au pouvoir : «  Il est trop tôt pour dire la vérité. Il faut reconstruire le pays, préserver la démocratie. Elle est fragile. »

Le dessin de Nicolas Gaignard m’a souvent rappelé celui de l’excellent Frederik Peeters. J’avoue avoir été fasciné par sa capacité à installer une ambiance étrange, angoissante, avec une économie de moyens remarquable. En quelques traits il croque un monde gris, froid et hostile dominé par des couleurs ternes. Il montre la solitude, les regards vides, le quotidien morne. Graphiquement c’est très sombre et totalement raccord avec la France anesthésiée et sans âme imaginée par Cyril Pedrosa.

Après « Le voyageur » j’enchaîne une seconde BD qui ne brille pas par son optimisme débordant, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais cette triste vision de l’avenir  est une fois encore exprimée avec finesse et intelligence, elle pousse à la réflexion sans poncifs ni militantisme maladroit. Une belle réussite qui ravira les amateurs de récit d’anticipation.

Sérum de Cyril Pedrosa et Nicolas Gaignard. Delcourt, 2017. 160 pages. 18,95 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo.




Toutes les BD de la semaine sont aujourd'hui chez Noukette








mardi 7 novembre 2017

D’un trait de fusain - Cathy Ytak

« S’habituer… S’habituer à passer du rire aux larmes en quelques secondes. De la plaisanterie la moins fine à la peur la plus forte. Avec la mort infiltrée. Mais sérieusement, quand on a dix-sept ou dix-huit ans, ça veut dire quoi, mourir, si on n’a rien vécu ? »

Mary, Monelle, Julien et Sami. Ils sont quatre. Lycéens. Au début des années 90. Dans leur quotidien débarque sans prévenir cette saloperie de sida dont trop peu de monde parle. C’est l’heure des premiers amours, des premières fois, des premières confrontations avec l’hypocrisie des adultes, des premiers engagements politiques, de la prise de conscience effrayante qu’avec ce virus la jeunesse n’est plus forcément synonyme d’avenir et  d’insouciance.

Cathy Ytak signe avec ce Trait de fusain un splendide roman. C’est beau, triste, touchant, à la fois d’un réalisme cru et traversé par beaucoup de douceur. Elle montre la surprise, le coup de massue, l’impossibilité d’y croire (« Parce que ce genre de chose, ça n’arrive pas à des gens comme eux. Ils sont trop jeunes, trop ordinaires, trop… quelconques. »). Elle dit la rage, la colère et la résignation, la joie de vivre, les amitiés qui se fissurent ou se renforcent, la perte définitive de l’innocence. Elle revient aussi sur les premiers pas d’Act Up en France, ses actions coup de poing pour frapper l’opinion, l’élan de vitalité qui portait les militants malgré l’ombre de la mort planant sur beaucoup d’entre eux.  

Plus que tout, j’ai trouvé ce texte d’une grande dignité, loin du tire-larmes vers lequel il aurait été facile de basculer. Pas de pathos ni de jugement mais une empathie débordante et contagieuse qui met du baume au cœur en dépit de la douleur et de l’injustice qui laboure les tripes. Un bijou de sensibilité.  


D’un trait de fusain de Cathy Ytak. Talents hauts, 2017. 255 pages. 16,00 euros.  


Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.










lundi 6 novembre 2017

8 ans !

Huit ans. Huit ans que je vous accueille ici, que je m’amuse à parler de mes lectures en toute simplicité, sans chercher à élargir coûte que coûte le cercle de mes visiteurs  et  sans jamais me soucier de l’esthétique (affreuse) de ce blog qui n’a pas bougé d’un iota depuis la première seconde où il a été mis en ligne.

Quitte à enfoncer des portes ouvertes, ce que je retiens de ces huit ans ce sont  les moments de partage et d’échanges, les lectures communes et surtout les belles rencontres qui sont pour certaines devenues des amitiés solides en passant du virtuel au réel.

Si je pense par exemple à l’année écoulée, les souvenirs les plus marquants sont mon Montreuil avec Noukette (je ne peux pas envisager un Montreuil sans Noukette de toute façon), un festival d’Angoulême mémorable avec  une bande de frapadingues que j’adore et qui se reconnaîtront, un salon du livre avec les délicieuses Electra et Eva et les rendez-vous BD d’Amiens avec ma très chère Moka. De jolis moments rendus possibles grâce à ce blog qui continuera d’exister tant que je ne serai pas gagné par la lassitude ou l’envie de passer à autre chose.

J’espère donc être encore là l’an prochain pour souffler mes neuf bougies mais en attendant et comme à chaque anniversaire, je vais me faire un plaisir d’offrir à trois d’entre vous un de mes coups de cœur de l’année. Pour cela rien de plus simple, il suffit de m’indiquer en commentaire votre volonté de participer au tirage au sort. Pour le reste, je m’occupe de tout.

Edit du 23/11 :

Alors voila, une petite main innocente de bientôt 5 ans a plongé dans mon chapeau et en retiré trois noms parmi la soixantaine qui s'y trouvait. Les gagnantes sont donc, par ordre alphabétique :

- Emma
- Gambadou
- Moka

Mesdames, il ne vous reste plus qu'à me donner votre adresse et je m'occupe du reste !

Merci à tous les participant(e)s et aux lecteur(trice)s qui prennent le temps de passer régulièrement (ou occasionnellement) par ici. Et rendez-vous l'an prochain pour souffler les 9 bougies de mon blogounet.








samedi 4 novembre 2017

Tout est brisé - William Boyle

Pour le coup le titre est parfait. Tout est en effet brisé dans la vie d’Erica : elle vit seule à Brooklyn et a du mal à joindre les deux bouts depuis la mort de son mari, sa mère ne s’est pas remise d’une fracture du col du fémur après une mauvaise chute, son père à l’agonie la tyrannise au point de l’obliger à le sortir de l’hôpital pour le ramener chez elle alors qu’il n’est pas capable de descendre de son lit sans s’écrouler et son fils homosexuel, dont elle n’avait plus de nouvelles, revient à la maison avec sa dépression et son alcoolisme en guise de bagages. Rien que ça. Ah non, j’oubliais, il y a aussi sa sœur, qui pourrait lui donner un coup de main si elle n’était pas elle-même au chevet de son homme malade. Bref, l’horizon d’Erica est bouché. Et sa barque bien trop chargée à mon goût, dans le genre mélo, difficile de faire pire.

Après, j’ai apprécié le fait qu’elle affronte les embûches avec force et fragilité, sans se plaindre ni s’apitoyer sur son sort. J’ai aimé l’écriture beaucoup plus descriptive que psychologique s’attardant davantage sur les faits que sur les pensées des uns et des autres. Le fils, enfermé dans une spirale autodestructrice, est une vraie tête à claque et le papy invivable donne juste envie de l’étouffer avec son oreiller pour avoir la paix mais les deux sont croqués avec réalisme.

Le problème c’est que tout est sombre et désespéré, il m’a vraiment manqué quelques rayons de lumière dans l’obscurité pour apprécier ma lecture et ne pas refermer le roman avec l’envie de me noyer sous les antidépresseurs. Il y a bien le personnage de Frank, sorti de nulle part avec son optimisme à toute épreuve qui aurait pu ensoleiller ce triste tableau, mais je me suis demandé ce qu’il venait faire dans cette galère et je n’ai pas compris à quoi il servait dans la mécanique du récit. Pour tout vous dire, il m’a rappelé le personnage d’Alec Baldwin dans un épisode de Friends qui trouve tout merveilleux et finit par se mettre tout le monde à dos (désolé, on a les références qu’on peut !). En gros, il est plus ridicule qu’autre chose.

Conclusion ? William Boyle sait créer une ambiance pesante et mélancolique, son écriture m’a plu, comme sa maîtrise des dialogues, mais pour le reste j’ai moyennement apprécié cette histoire déprimante aux traits mélodramatiques bien trop forcés et manquant de nuances.

Tout est brisé de William Boyle. Gallmeister, 2017. 210 pages. 22,40 euros.




jeudi 2 novembre 2017

Ostwald - Thomas Flahaut

Simon Johannin, David Lopez, Timothée Demeillers et maintenant Thomas Flahaut. Quatre jeunes écrivains, à peine ou pas encore trentenaires. Trois ont signé cette année leur premier roman, un autre son second. Leur point commun ? Tous les quatre tournent le dos à la branlette autofictionnelle en vogue pour donner dans le roman social, pour montrer de façon parfois crue une jeunesse sans avenir, un monde du travail sans pitié, une condition ouvrière à l’agonie. Ce retour du roman social dans le paysage littéraire français me ravit, ces gamins osent, ils grattent là où ça mal et surtout, ils le font avec talent.

Dans Ostwald, Thomas Flahaut mélange réalité et fiction. La réalité, c’est la fermeture de l’usine Alstom à Belfort et l’onde de choc qu’elle a engendrée dans l’économie locale. La fiction, c’est l’incendie de la centrale nucléaire de Fessenheim qui provoque une évacuation massive de population, des Vosges à Strasbourg en passant par l’Allemagne et la Suisse. Noël est le narrateur. Il vient de terminer ses études et ne sait pas de quoi demain sera fait. Évacué avec son frère Félix dans un camp gardé par l’armée en lisière de forêt suite à l’incendie, il doit fuir après avoir été témoin d’un événement tragique. Son frangin et lui vont traverser une Alsace désertée, croisant juste quelques clochards ou des singes échappés d’un zoo…

A travers leur errance se dessinent à la fois le manque d’ambition d’une jeunesse provinciale perdue et le délitement des liens sociaux. Les parents ont divorcé après le plan social de l’usine, les enfants sont allés jusqu’à l’université parce qu’ils n’avaient rien de mieux à faire et à l’heure de se lancer sur le marché du travail, ils savent que leur région n’a rien de solide à offrir. Disparition d’un monde, disparition d’un modèle familial, vision pessimiste et même apocalyptique de l’avenir, Flahaut raconte le cheminement vers une impasse à l’aide d’une écriture sobre. Phrases courtes et parfois sans verbe, chapitres d’une ou deux pages, poésie sèche centrée sur le réel  qui ne s’autorise aucun éparpillement lyrique, on va à l’essentiel sans fioriture et j’avoue que j’adore ça.  

Un premier roman injustement passé inaperçu dans le flot de la rentrée littéraire et un jeune auteur (né en 91 !) à suivre de très près, qu’on se le dise.


Ostwald de Thomas Flahaut. L’Olivier, 2017. 170 pages. 17,00 euros. 





mercredi 1 novembre 2017

Été - Cadène, Safieddine, Duvelleroy et Surcouf

« Deux mois de liberté totale… Puis nous deux ensemble, sans regret, pour toujours. »

Abel et Olivia décident de faire un break le temps d’un été. Chacun de leur coté, sans le moindre contact. Le temps de faire des choses remises jusqu’alors à plus tard, de se retrouver seul face à soi-même, de profiter, de s’interroger et de lâcher prise. Le temps aussi de savoir si leur amour peut résister à une telle épreuve.

Un album qui se décline en historiettes d’une page, un coup avec Abel, un coup avec Olivia. Pendant que l’une va à confesse l’autre prend l’avion sur un coup de tête, pendant que l’une emmène sa tante en Islande, boit des coups avec ses copines en parlant de cul et rentre pour la première fois de sa vie dans un cinéma porno, l’autre fait du rock comme quand il était ado, va au casino et saute sur la moindre occasion de finir dans le lit d’une inconnue.

C’est bête à dire mais je crois que j’ai passé l’âge de ce genre de trucs, de ces histoires de couples presque trentenaires qui ne savent pas où ils en sont, qui ne savent pas où ils vont et surtout qui ne savent pas ce qu’ils veulent. En fait je m’en tamponne de leurs états d’âme, de leurs questionnements existentiels et de leur relation compliquée. Et puis j’ai du mal avec les phrases à la con genre « faut pas avoir peur, si on a peur, on ne fait plus rien » ou « le temps passe trop vite, on se construit plus de regrets que de souvenirs ». Franchement qui dit ça dans une conversation normale en sirotant un apéro entre potes ????

Un album aux dessins sans relief et aux couleurs qui piquent les yeux, qui était en fait au départ un feuilleton BD en ligne publié sur Instagram et co-produit par Arte. Un album dans l’air du temps que je qualifierais de « branchouille », encensé par les Inrocks et d’autres magazines à la mode, ce qui est tout sauf surprenant. Mais ce n’est pas du tout ma came, vous l’aurez compris. Pour moi ce n’est qu’une accumulation de clichés et de petits riens sans intérêt, portrait d’une jeunesse très autocentrée dont le sort m’indiffère. De l’anecdotique aussi vite lu qu’oublié en somme.

Été de Cadène, Safieddine, Duvelleroy et Surcouf. Delcourt, 2017. 80 pages. 15,50 euros.

PS : Il y a quand même un truc intéressant à souligner, le fait que l’ensemble des planches fonctionne comme un palindrome, c’est-à-dire que l’on peut relire l’album "à l'envers" en commençant par la dernière page et voir l’histoire sous un angle fort différent. C’est original, très bien fait et tout sauf gadget.




Toutes les BD de la semaine sont aujourd'hui chez Moka