jeudi 2 novembre 2017

Ostwald - Thomas Flahaut

Simon Johannin, David Lopez, Timothée Demeillers et maintenant Thomas Flahaut. Quatre jeunes écrivains, à peine ou pas encore trentenaires. Trois ont signé cette année leur premier roman, un autre son second. Leur point commun ? Tous les quatre tournent le dos à la branlette autofictionnelle en vogue pour donner dans le roman social, pour montrer de façon parfois crue une jeunesse sans avenir, un monde du travail sans pitié, une condition ouvrière à l’agonie. Ce retour du roman social dans le paysage littéraire français me ravit, ces gamins osent, ils grattent là où ça mal et surtout, ils le font avec talent.

Dans Ostwald, Thomas Flahaut mélange réalité et fiction. La réalité, c’est la fermeture de l’usine Alstom à Belfort et l’onde de choc qu’elle a engendrée dans l’économie locale. La fiction, c’est l’incendie de la centrale nucléaire de Fessenheim qui provoque une évacuation massive de population, des Vosges à Strasbourg en passant par l’Allemagne et la Suisse. Noël est le narrateur. Il vient de terminer ses études et ne sait pas de quoi demain sera fait. Évacué avec son frère Félix dans un camp gardé par l’armée en lisière de forêt suite à l’incendie, il doit fuir après avoir été témoin d’un événement tragique. Son frangin et lui vont traverser une Alsace désertée, croisant juste quelques clochards ou des singes échappés d’un zoo…

A travers leur errance se dessinent à la fois le manque d’ambition d’une jeunesse provinciale perdue et le délitement des liens sociaux. Les parents ont divorcé après le plan social de l’usine, les enfants sont allés jusqu’à l’université parce qu’ils n’avaient rien de mieux à faire et à l’heure de se lancer sur le marché du travail, ils savent que leur région n’a rien de solide à offrir. Disparition d’un monde, disparition d’un modèle familial, vision pessimiste et même apocalyptique de l’avenir, Flahaut raconte le cheminement vers une impasse à l’aide d’une écriture sobre. Phrases courtes et parfois sans verbe, chapitres d’une ou deux pages, poésie sèche centrée sur le réel  qui ne s’autorise aucun éparpillement lyrique, on va à l’essentiel sans fioriture et j’avoue que j’adore ça.  

Un premier roman injustement passé inaperçu dans le flot de la rentrée littéraire et un jeune auteur (né en 91 !) à suivre de très près, qu’on se le dise.


Ostwald de Thomas Flahaut. L’Olivier, 2017. 170 pages. 17,00 euros. 





mercredi 1 novembre 2017

Été - Cadène, Safieddine, Duvelleroy et Surcouf

« Deux mois de liberté totale… Puis nous deux ensemble, sans regret, pour toujours. »

Abel et Olivia décident de faire un break le temps d’un été. Chacun de leur coté, sans le moindre contact. Le temps de faire des choses remises jusqu’alors à plus tard, de se retrouver seul face à soi-même, de profiter, de s’interroger et de lâcher prise. Le temps aussi de savoir si leur amour peut résister à une telle épreuve.

Un album qui se décline en historiettes d’une page, un coup avec Abel, un coup avec Olivia. Pendant que l’une va à confesse l’autre prend l’avion sur un coup de tête, pendant que l’une emmène sa tante en Islande, boit des coups avec ses copines en parlant de cul et rentre pour la première fois de sa vie dans un cinéma porno, l’autre fait du rock comme quand il était ado, va au casino et saute sur la moindre occasion de finir dans le lit d’une inconnue.

C’est bête à dire mais je crois que j’ai passé l’âge de ce genre de trucs, de ces histoires de couples presque trentenaires qui ne savent pas où ils en sont, qui ne savent pas où ils vont et surtout qui ne savent pas ce qu’ils veulent. En fait je m’en tamponne de leurs états d’âme, de leurs questionnements existentiels et de leur relation compliquée. Et puis j’ai du mal avec les phrases à la con genre « faut pas avoir peur, si on a peur, on ne fait plus rien » ou « le temps passe trop vite, on se construit plus de regrets que de souvenirs ». Franchement qui dit ça dans une conversation normale en sirotant un apéro entre potes ????

Un album aux dessins sans relief et aux couleurs qui piquent les yeux, qui était en fait au départ un feuilleton BD en ligne publié sur Instagram et co-produit par Arte. Un album dans l’air du temps que je qualifierais de « branchouille », encensé par les Inrocks et d’autres magazines à la mode, ce qui est tout sauf surprenant. Mais ce n’est pas du tout ma came, vous l’aurez compris. Pour moi ce n’est qu’une accumulation de clichés et de petits riens sans intérêt, portrait d’une jeunesse très autocentrée dont le sort m’indiffère. De l’anecdotique aussi vite lu qu’oublié en somme.

Été de Cadène, Safieddine, Duvelleroy et Surcouf. Delcourt, 2017. 80 pages. 15,50 euros.

PS : Il y a quand même un truc intéressant à souligner, le fait que l’ensemble des planches fonctionne comme un palindrome, c’est-à-dire que l’on peut relire l’album "à l'envers" en commençant par la dernière page et voir l’histoire sous un angle fort différent. C’est original, très bien fait et tout sauf gadget.




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mardi 31 octobre 2017

Les optimistes meurent en premier - Susin Nielsen

« Ensemble, nous avons réussi à ne pas tomber. »

C’est la dernière phrase de ce roman et elle dit tout. Tout de ces ados cabossés qui, après s’être rapprochés non sans difficulté, ont fini par se soutenir les uns les autres et par avancer malgré leurs drames respectifs. Pour une fois je vais faire court et essayer de vous donner envie de découvrir  ce superbe texte en en disant le moins possible.

Sachez donc que l’on suit au fil des pages Pétula, qui ne se remet pas du décès de sa petite sœur. Sa route va croiser celles de Jacob, Koula, Alonzo et Ivan. Des gamins « à problème », comme elle, des gamins paumés qui semblent tous être dans une impasse et incapables d’en sortir.

C’est un livre plein d’amour, de culpabilité, de douleur, d’amitié et de chats. Un livre plein d’espoir qui se tourne résolument vers l’avenir sans rien résoudre d’un coup de baguette magique. C’est un livre qui vous serre le cœur, vous fait sourire et grimacer, engendre un incontrôlable excès de tendresse pour Pétula et ses comparses. C’est un livre rare et précieux, de ceux que l’on voudrait recommander et faire lire à la terre entière. Une pépite jeunesse indispensable.    


Les optimistes meurent en premier de Susin Nielsen (traduit de l’anglais par Valérie Le Plouhinec). Hélium, 2017. 192 pages. 14,90 euros. A partir de 14 ans.






Une lecture commune évidemment partagée avec Noukette !









dimanche 29 octobre 2017

Par le vent pleuré - Ron Rash

Il a suffi de fragments d’os ramenés sur la berge par une rivière en crue pour qu’une vieille affaire ressurgisse...

 1969. Ligeia la hippie débarque dans un petit bled des Appalaches, envoyée par ses parents chez son oncle pour calmer ses démons. Bill et Eugène, deux frères, la rencontrent et sont attirés par son magnétisme. La jeune femme leur fait tourner la tête. Eugène, le plus jeune, cède à tous ses caprices, allant jusqu’à voler pour elle des opiacés dans la pharmacie de son grand-père médecin. Un jour Ligeia disparaît sans laisser la moindre trace. Une fugue sans doute. Mais des décennies plus tard, quand la rivière rend ses ossements, Eugène croit comprendre ce qu’il s’est passé. Pour en avoir le cœur net, il va devoir reprendre contact avec ce frère auquel il n’a pas parlé depuis des années.

Un roman entre présent et passé. Le passé d’une jeunesse où Bill et Eugène, sous la coupe d’un grand-père tyrannique, grandissent sans avoir droit au moindre écart. Un présent où leurs trajectoires respectives ont suivi des chemins bien différents, le premier étant devenu un chirurgien reconnu alors que le second a brisé son mariage et a failli tuer sa fille dans un accident de voiture à cause de l’alcool. Bill n’a jamais cessé de briller alors qu’Eugène n’a fait que sombrer. La découverte de la dépouille de Ligeia va les mettre face aux fantômes qui les hantent, sans pour autant amorcer entre eux la moindre réconciliation, bien au contraire.

Ron Rash parle de culpabilité, de chagrin, de mensonge, du sens des responsabilités également. J’ai pour une fois trouvé que tout allait trop vite, que le récit aurait mérité de se déployer de façon plus ample (en gros je l’aurais aimé un peu plus épais ce livre, comme quoi je ne suis plus à une contradiction près !). Le personnage de Ligieia ne m’a fait ni chaud ni froid et le papy autoritaire m’a semblé à la limite de la caricature. J’ai par contre adoré cette relation complexe entre frangins n’ayant aucun point en commun, aucune affinité, aucune envie de se rapprocher malgré les liens du sang. Elle a fait raisonner beaucoup de choses de ma propre histoire et c’est de loin ce que je garderais de plus marquant de ce texte sans grande originalité, tant au niveau du fond que de la forme, mais dont l’écriture élégante et les dialogues ciselés m’ont au final fait passer un agréable moment de lecture.

Par le vent pleuré de Ron Rash (traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez). 200 pages. 19,50 euros.




vendredi 27 octobre 2017

Pas bête(s) ! - Christophe Léon

Une poule de batterie heureuse de l'enclos de 50 cm² dans lequel elle passe ses journées à picorer et à pondre. Un zoo censé participer activement à la préservation des espèces rares où les visiteurs pensent davantage à consommer et à se bâfrer qu’à découvrir les animaux. Des cadres supérieurs qui pratiquent la tauromachie. Un abattoir ultramoderne où rien n’est laissé au hasard. Un papa victime de l’économie libérale aux prises avec des cafards. Un mouton mégalo et fasciste à la rhétorique persuasive. Un chien de chasse à la retraite qui découvre les affres de la téléréalité.

Christophe Léon propose sept fables dont la morale n’est pas forcément explicite. Il faut fournir un petit effort de réflexion pour comprendre les enjeux de chaque texte, ce qui n’est pas plus mal. D’ailleurs est-ce vraiment des fables ? On est sans doute ici plus proche de la parabole, mais peu importe finalement. Ce qui compte, c’est la limpidité du propos. Pas de dénonciation grossière à coup de gros sabots mais plutôt un discours tout en finesse dont l’évidence se dévoile peu à peu. D’où une lecture de chaque histoire nécessairement attentive voire accompagnée pour certains enfants qui auront peut-être du mal à en saisir les subtilités. 

Le ton est caustique, souvent drôle. Il y a aussi une certaine gravité et de jolies trouvailles, comme cette « passerelle » imaginée entre les deux textes qui ouvrent et ferment  le recueil où la poule et le chien se rejoignent dans un final inattendu.

De la littérature jeunesse engagée qui appuie avec intelligence là où ça fait mal et qui reste dans la lignée de ce que proposent les éditions Le muscadier depuis leur création. Personnellement, çà me convient tout à fait.

Pas bête(s) ! de Christophe Léon. Le muscadier, 2017. 145 pages. 11,50 euros. A partir de 10-11 ans.






mercredi 25 octobre 2017

Le Petit Nicolas : la bande dessinée originale - Sempé et Goscinny

La première histoire « écrite » du Petit Nicolas a été publiée le 29 mars 1959 dans le journal « Sud-Ouest Dimanche ». Mais le personnage avait fait ses débuts deux ans et demi plus tôt dans les pages du magazine belge « Le Moustique » sous forme de bande dessinée. Cet album réunit pour la première fois l’ensemble des  28 planches  parues entre  septembre 1955 et mars 1956.

Loin des copains, de l’école et des scènes savoureuses que l’on retrouve dans les histoires illustrées, ces débuts en BD, où le trait balbutiant de Sempé manque quelque peu de maîtrise, se concentrent uniquement sur l’environnement familial. Le voisin Blédurt est déjà présent et Alceste fait une courte apparition mais pour le reste, tout tourne autour de Nicolas, sa mère et surtout son père. Ce dernier subit à chaque page les conséquences des bêtises de son fiston. Un comique de répétition gentillet qui montre un Petit Nicolas d’une sagesse plus que relative, trouillard devant le docteur, râleur chez le photographe et terrorisant son coiffeur.

Le gag en une planche n’a pas la même force que les récit longs déclinés par la suite, même si certaines histoires en BD ont inspiré des nouvelles publiées en recueil. A ce titre les deux exemples repris en fin d’album montrent bien comment s’est opéré le passage d’une forme à l’autre.

Un livre parfait pour découvrir les origines d’un personnage culte qui a traversé les décennies avec un succès indémodable. Un livre idéal pour les inconditionnels de ce facétieux gamin et pour les nostalgiques de l’humour un brin désuet des années 50. A l’évidence ce Petit Nicolas en BD va se retrouver sous de nombreux sapins au moment de Noël.

Le Petit Nicolas : la bande dessinée originale de Sempé et Goscinny. IMAV éditions, 2017. 48 pages. 12,90 euros.


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mardi 24 octobre 2017

A quoi tu ressembles ? - Magali Wiéner

Ils s’appellent Théo, Mario, Yoan, Maël, Diane, Yannis, Antonin, Jeff, Mika, et Benjamin. Neuf garçons et une fille de la même classe de troisième. Une bande de copains où les profils diffèrent, forcément. Chacun à tour de rôle, au fil de l’année scolaire, ils prennent la parole et s’interrogent sur la puberté, l’amour, l’avenir, la première fois, la violence. Tous parlent surtout de la relation avec leurs parents, de la difficulté à cohabiter, à les supporter, ou à s’en passer. Parce que les parents aussi sont différents les uns des autres. L’ouvrier en colère, le playboy qui tient à son apparence, celui qui force sur la bouteille, celui dont le métier fait honte, ceux qui ont l’esprit trop étroit, celle qui a besoin de confiance en elle, les trop gentils et ceux dont les secrets bien gardés finissent toujours par être révélés.

Un roman choral mené de main de maître. Les voix des ados sont variées, chacun possède sa propre identité, sa propre sensibilité. Chacun exprime ses doutes, ses inquiétudes ou ses angoisses à travers le prisme d’un épisode compliqué toujours lié à l’attitude de ses parents. Les témoignages se complètent, se font écho, se répondent parfois lorsque l’on retrouve les mêmes personnages d’une histoire à l’autre. Et dans l’ensemble le ton est plus mesuré que colérique malgré le malaise ou la frustration.

Un fort joli recueil, touchant et réaliste, qui dit à quel point il n’est pas simple de grandir, de se construire avec ou contre des figures parentales qui, depuis la petite enfance, tiennent plus ou moins solidement un rôle de modèle. Un modèle dont on cherche à se détacher à l’adolescence, un modèle qui se fissure peu à peu, comme une coquille qu’il importe de briser pour prendre son envol.

A quoi tu ressembles ? de Magali Wiéner. Le Rouergue, 2017. 144 pages. 10,70 euros. A partir de 13 ans.


Une pépite jeunesse partagée comme chaque mardi avec Noukette.










samedi 21 octobre 2017

Les lectures de Charlotte (42) : Bienvenue chez Maman Ours - Ryan T. Higgins

Dans l’album précédent paru il y a an l’ours Michel, grand amateur et grand voleur d’œufs, s’était retrouvé malgré lui à la tête d’une portée d’oies qui avaient fait de ce gros râleur leur maman d’adoption.

Lorsque débute cette nouvelle aventure, notre ours grognon part migrer vers le sud avec sa progéniture. Pas que ça l’emballe, bien au contraire, mais en tant que « maman », il n’a pas le choix. C’est un moment vraiment pénible cette migration, surtout qu'il préférerait hiberner. Mais pire encore, en rentrant chez lui au printemps suivant, Michel constate que des souris ont transformé sa maison en hôtel forestier. C’en est trop, l’ours à la mauvaise humeur légendaire s’énerve pour bon, mieux vaut ne pas traîner dans les parages !

Excellent, vraiment excellent cet album. Un humour décapant avec ces plages bondées, ces souris roublardes, ces opossums joueurs, ce renard fin gourmet, ces éléphants en goguette et surtout cet ours bougon aux sourcils toujours froncés qui ne dessert les dents que pour râler ou s’énerver. Les illustrations fourmillent de détails, tous les animaux sont d’une hilarante expressivité et la liaison texte/image fonctionne à merveille.



J’ai beaucoup plus apprécié ma lecture que Charlotte, les gags sont trop subtils et l’implicite un peu trop présent pour qu’une enfant de 4 ans saisisse toute la finesse de l’histoire. Mais je lui garde au chaud, je sais que dans quelques temps elle rigolera autant que moi des malheurs de ce pauvre ours mal léché.

Bienvenue chez Maman Ours de Ryan T. Higgins. Albin Michel jeunesse, 2017. 48 pages. 12,00 euros. A partir de 5-6 ans.







vendredi 20 octobre 2017

Une histoire des abeilles - Maja Lund

1851, en Angleterre. William, commerçant au bord de la faillite, se passionne pour l’apiculture et élabore les plans d’une ruche révolutionnaire qui devrait faire sa fortune.

2007, aux États-Unis. George, apiculteur bio, apprend avec stupeur que son fils unique ne souhaite pas prendre sa relève et constate avec effroi que ses abeilles disparaissent du jour au lendemain par colonies entières.

2098, en Chine. Les insectes ayant été rayés de la surface de la terre, Tao, comme tous ses compatriotes, passe ses journées à polliniser manuellement des hectares de vergers. Le jour où son fils s’écroule pendant une sortie en forêt et est évacué en hélicoptère vers la capitale sans qu’on lui donne la moindre information, la jeune femme plonge à la source de « L’Effondrement », cet événement majeur qui, des décennies plus tôt, bouleversa à jamais le destin de l’humanité.  

Trois époques, trois histoires et trois personnages distincts reliés par un fil aussi ténu que solide. Cette histoire des abeilles est un texte plus éclairant qu’alarmant je trouve. Le message est limpide (et connu) : sans abeilles, les humains sont en grand danger. Pour autant tout n’est pas noir, l’espoir demeure et avec davantage de raison, il est envisageable d’éviter une catastrophe irréversible. La norvégienne Maja Lund aborde à la fois les causes et les conséquences de la disparition des insectes. Le propos est engagé, militant et écolo mais le vernis de la fiction et une narration maline à défaut d’être originale (chaque personnage prend la parole à tour de rôle) allège grandement la façon d’aborder le sujet.

L’écriture est sans relief mais l’ensemble se lit très facilement. Un roman prenant, qui pointe du doigt un danger de plus en plus imminent et dont les prédictions semblent malheureusement plus visionnaires que farfelues. A la fois instructif et effrayant.

Une histoire des abeilles de Maja Lund (traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon). Les Presses de la Cité, 2017. 400 pages. 22,50 euros.






mercredi 18 octobre 2017

C’est la jungle ! - Harvey Kurtzman

Pour Terry Gilliam (Monty Python) « Kurtzman était un dieu ». Pour Wolinski, un génie. Pour Goscinny, un ami qu’il admirait sans réserve. Pour Robert Crumb et Daniel Clowes, « un héros ».  Pour Art Spiegelman, « un père spirituel ». Pour Gilbert Shelton et Gotlib, une source d’inspiration majeure. Pour le New-York Times, « une des figures les plus importantes de l’Amérique de l’après-guerre ».

Créateur de la mythique revue MAD, Harvey Kurtzman est une icône de la contre-culture aujourd’hui tombé dans l’oubli dont l’influence a rayonné jusqu’en Europe et inspiré (entre autres) les fondateurs d’Hara-Kiri et Fluide Glacial. Cette réédition de « C’est la jungle ! », son œuvre la plus emblématique publiée pour la première fois en 1959, permet de redécouvrir ce que beaucoup considèrent comme le premier roman graphique de l’histoire, vingt ans avant Will Eisner.

En quatre récits distincts, Kurtzman fait l’étalage de son formidable sens de l’humour et de la mise en scène. Deux de ces récits sont des parodies de séries télé des années 50. La première raconte l’enquête farfelue menée par un détective privé aux compétences aussi limitées que son QI, le tout sur fond de jazz et de poulettes bien roulées. La seconde est un western où un shérif ne cesse de provoquer en duel l’ennemi public n°1, qui ne cesse de tirer plus vite que lui. Celle ayant pour titre « Le cadre supérieur au complet de flanelle grise », à l’évidence autobiographique, raconte l’arrivée chez un éditeur de revues bas de gamme d’un nouvel employé naïf et pétri d’idéaux qui se heurte à la dure réalité d’un monde régit par une impitoyable économie de marché. Quant à la dernière, qui est de loin ma préférée, elle montre des péquenauds du sud profond qui vont s’empresser de lyncher un innocent après la découverte du corps d’une jeune femme dans un fossé. « Décadence dégénérée » (c’est le titre on ne peut plus explicite de cette histoire) est une attaque en règle contre les écrivains du sud comme Tennessee Williams ou Erskin Caldwell et leurs personnages de bouseux décérébrés (si vous avez lu « Le bâtard » de Caldwell, vous savez de quoi je parle).

Le dessin est simple, souple, spontané, épuré, du noir et blanc rehaussé d’un léger lavis gris clair porté par un découpage d’où se dégage une vivacité et un sens du rythme remarquables. Pour ce qui est des scénarios, les références à la culture populaire américaine des fifties ne sont pas toujours évidentes à saisir pour un lecteur d’aujourd’hui (français de surcroît). Il n’empêche, Kurtzman propose avec « C’est la jungle ! » un mélange de parodies et de satires analysant avec perspicacité les vices de la nature humaine. C’est drôle, mordant, ça bouscule les codes, c’est plein d’ironie et de sarcasmes, le tout distillé avec une grande finesse.

La réédition classieuse de ce petit bijou d’humour décalé permet de remettre en lumière le travail incroyablement novateur, féroce et sans concession d’un des plus grands noms de la BD. Une lecture indispensable pour les amateurs (éclairés) du genre.

C’est la jungle ! d’Harvey Kurtzman. (Traduit de l’anglais par Frédéric Brument). Wombat, 2017. 176 pages. 25,00 euros.