mardi 4 juillet 2017

Bianca - Guido Crepax

Un gigantesque trip sous acide, voila à quoi me fait penser Bianca. Cette intégrale regroupe l’ensemble de ses voyages oniriques. Pensionnaire dans une institution pour jeunes filles, Bianca plonge chaque nuit après s’être endormie dans un monde où elle passe son temps à se faire attacher, fouetter, caresser, déshabiller ou trainer en laisse. Bianca la soumise est souvent à quatre pattes, Bianca la mutique est une proie entre les mains de celles et ceux qui usent et abusent de son corps, mais Bianca la docile ne serait-elle pas, au final, celle qui mène la danse ?

Guido Crepax a commencé sa carrière en illustrant des pochettes de disques de jazz. Son récit ressemble à une grande impro musicale aussi spontanée qu’incontrôlable laissant l’imaginaire prendre le pouvoir. Sorti en 1970, le premier album de Bianca a tout du délire psychédélique mâtiné de sadomasochisme et saupoudré d’une belle dose de saphisme.

Autant l’avouer, je n’ai pas vraiment compris le but de ce délire. Bon, ok, je n’y ai même rien pigé du tout. Mais on s’en fiche. Car l’essentiel est ailleurs. Dans le noir et blanc élégant et ultra sophistiqué d’un maître de la bande dessinée érotique mais aussi et surtout dans la plastique d’une héroïne à la classe folle. Bianca aimante les regards, elle est le seul et unique centre d’attention, tout ce qui gravite autour d’elle n’est qu’accessoire, tant les personnages secondaires que les décors et l’histoire elle-même. D’ailleurs, pour le regretté Wolinski, Bianca possédait les plus belles fesses de la BD. Perso, je lui préfère celles de Druuna mais clairement, il y a match entre les deux !

Loin d’une pornographie gratuitement bestiale, Crepax privilégie la suggestion et l’esthétique, menant sa barque en toute liberté pour créer un univers délicieusement sulfureux. Culte et incontournable pour les amateurs du genre.

Bianca de Guido Crepax. Delcourt, 2017. 272 pages. 22,95 euros.







dimanche 2 juillet 2017

Les lectures de Charlotte (39) : Mais que font les parents la nuit ? - Thierry Lenain et Barroux

Sofia se demande ce que font ses parents pendant qu’elle dort la nuit. Elle pense qu’ils regardent des dessins animés, qu’ils se goinfrent de gâteaux et de bonbons, qu’ils se transforment en monstres pour aller dans le pays où il y a plein de dragons, qu’ils font la fête avec des copains ou bien d’autres choses encore. A chaque proposition ses parents répondent par la négative avec d’indiscutables arguments. Alors, pour être certaine d’obtenir la réponse à sa question Sofia n’a qu’une seule solution…

Un album rigolo au texte plutôt simple qui vaut surtout pour les superbes double pages fourmillant de détails d’un Barroux très inspiré. Ce dernier met en lumière avec malice l’imagination débordante d’une petite fille trop choupi avec son doudou lapinou. Un régal pour les yeux !

Nul doute que les interrogations de Sophia rejoindront celles de beaucoup d’enfants, même si je sais que Charlotte ne se posera jamais ce genre de question vu le nombre de nuits qu’elle passe dans notre lit. Au moins elle sait parfaitement que quand elle dort, nous faisons la même chose qu’elle.

Mais que font les parents la nuit ? de Thierry Lenain et Barroux. Little Urban, 2017. 30 pages. 13,50 euros. A partir de 3-4 ans.

vendredi 30 juin 2017

Transsiberian back to black - Andreï Doronine

Etre toxico à Saint-Pétersbourg au milieu des années 90. Pas simple. Pas simple de trouver sa dose, de trouver de l’argent, de gérer le manque. Tous les coups sont permis, toutes les compromissions, les lâchetés et trahisons possibles. Tokha agresse les passants en les frappant par derrière avec des chats congelés par le froid hivernal. Youkla, elle, ramène dans son appartement des pauvres types complètement bourrés croisés en boîte avant de les droguer et de prendre des photos compromettantes afin de les faire chanter. Marin est plus direct, du genre à arracher les boucles d’oreilles de ses victimes en embarquant leur lobe. Le narrateur de ces nouvelles, aussi irréversiblement accro que ses comparses, est le seul à bosser. Il multiplie les petits boulots, dans un théâtre, une télé locale, ou en jouant au « taxi vétérinaire » pour véhiculer les animaux malades de clients aisés. L’argent gagné (ou extorqué) sert à financer les injections quotidiennes d’héroïne et tous s’enfoncent chaque jour davantage, conscients de la chute finale à venir mais incapables de stopper la spirale infernale dans laquelle ils ne cessent de sombrer.

Andreï Doronine raconte sa vie de drogué, sa vie d’avant. Une vie bête et méchante. Une vie pathétique faite de souffrance et de douleur pour quelques instants de plénitude. Une vie passée à abandonner toute dignité, toute hygiène, toute illusion. Une vie de galère, pitoyable, misérable, violente.

L’autobiographie, à peine romancée, est trempée dans une autodérision et un humour noir qui peuvent choquer : « Comment peut-on plaisanter sur les drogues ? C’est horrible, horrible ! ». Doronine a reçu beaucoup de lettres de lecteurs indignés par sa légèreté de ton. Heureusement, il n’en a rien eu à cirer et a continué à tracer le sillon d’une tragi-comédie minable et désespérée, « sans la moindre sentimentalité inutile ». Alors oui, ça pique, et pas seulement parce que l’aiguille s’enfonce dans la veine. Mais il y a dans son écriture une urgence teintée d’ironie qui raconte la déchéance avec une forme de distance évitant le misérabilisme, évitant surtout à l’auteur de s’appesantir sur son sort. C’est cash, trash, sans concession, nihiliste. Les écrivains punks ne sont pas morts. En Russie du moins.

Transsiberian back to black d’Andreï Doronine. La Manufacture des livres, 2017. 170 pages. 16,90 euros.






mercredi 28 juin 2017

Crache trois fois - Davide Reviati

Guido, Grisou, Katango et les autres. Des ados en échec scolaire qui fréquentent le même lycée technique et laissent filer leurs journées entre virées au bar, au billard ou au bord de la rivière accompagnés par l’alcool, la fumette et un avenir à l’horizon bouché. Des gamins fascinés par la mystérieuse Loretta, une tsigane installée avec sa famille dans une ferme abandonnée. Plusieurs époques se croisent, plusieurs destins se nouent pour souligner le difficile passage de l’adolescence vers le monde des adultes.

565 pages en noir blanc. Une bonne dose de concentration et  pas mal de temps devant soi sont nécessaires pour se plonger dans ce roman graphique plein de souffle qui dit l’adolescence dans tout son ennui, son indolence, sa bêtise crasse, ses amitiés indéfectibles, sa violence, ses excès et sa fragilité. Un roman graphique qui vous embarque comme une lame de fond. Un roman graphique auquel il ne faut pas chercher à résister. Se laisser chahuter par ses remous, ses circonvolutions, son rythme fait de ruptures, d’accélérations et d’apaisement. Et ne pas s’étonner de croiser John Wayne, des loups-garous ou un singe qui se rince les couilles dans un verre de bière.

Crache trois fois incite le lecteur au lâcher prise. Le récit est à la fois profond, instructif, poétique et universel. Le racisme ordinaire des campagnes côtoie l’histoire tragique du peuple rom, la virilité affichée cache sous le vernis de la fanfaronnade une vulnérabilité à fleur de peau. Davide Reviati décrit une jeunesse italienne rurale désœuvrée, sans repère, immature, dans un noir blanc souple et hachuré, basculant du réalisme le plus trivial à un onirisme d’une grande poésie. Un album ambitieux et dense qui se mérite, certes, mais laissera au final à ceux ayant accepté de se laisser emporter par sa puissance un inoubliable plaisir de lecture.


Crache trois fois de Davide Reviati. Ici Même éditions, 2017. 568 pages. 34,00 euros.












mardi 27 juin 2017

Quart de frère, quart de sœur - Sophie Adriansen

Ça ne pouvait pas coller entre eux. L’espiègle Viviane, débarquant des Antilles avec son père, son grand frère et son excentricité avait tout pour froisser la susceptibilité d’Arthur, « détenteur du titre d’élève le plus cool de l’école depuis le CP ». Viviane, ses robes à fleurs, ses élastiques colorés dans les cheveux, sa bonne humeur permanente et ses projets pour la classe validés par l’enseignant Mr Tourniquet allaient de toute évidence faire de l’ombre à la « star » de la cour de récré. Une star bien décidée à garder son statut, quitte à se mettre à dos la nouvelle venue.

Ces deux-là n’étaient pas fait pour s’entendre, ces deux-là ne pouvaient même que se détester. Et malheureusement, ils ne pouvaient pas savoir que leurs parents divorcés allaient tomber amoureux l’un de l’autre. Et pire que tout, qu’ils décideraient de s’installer ensemble, faisant d’eux des voisins de chambrée. L’horreur !

Une série pétillante, pleine de fraîcheur et de bonne humeur malgré les chamailleries et les coups bas. Avec une touche d’humour et de légèreté qui donne le sourire, Sophie Adriansen imagine une famille recomposée où la cohabitation entre les enfants s’avère des plus difficiles. Au final, après bien des péripéties et malgré les conflits, chacun finit par se convaincre qu’il est préférable de mettre de l’eau dans son vin pour vivre au mieux sous le même toit.

La narration, alternant les voix de Viviane et d’Arthur, offre une différence de point de vue qui pimente le récit. C’est tonique, enjoué, plein d’allant et les caractères bien trempés des deux enfants réjouiront les jeunes lecteurs qui n’hésiteront pas à prendre position pour l’un ou l’autre. Une pépite jeunesse parfaite pour se détendre les zygomatiques à la veille des vacances.

Quart de frère, quart de sœur T1 : une rivale inattendue de Sophie Adriansen (ill. de Maurèen Poignonec). Slalom, 2017. 100 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.
Quart de frère, quart de sœur T2 : mon pire anniversaire de Sophie Adriansen (ill. de Maurèen Poignonec). Slalom, 2017. 100 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.


L'avis de Noukette













dimanche 25 juin 2017

Empress - Mark Millar et Stuart Immonen

La préface annonce un récit fortement inspiré de Star Wars. Au moins le décor est planté. Nous voila donc avec « un passé rétrofuturiste, à la fois lointain et exotique ; une héroïne noble et courageuse qui doit retourner chez elle ; des acolytes un peu loufoques qui aident la jeune femme à s’échapper ; et un étrange droïde duquel dépend le destin de la princesse ». Avec en plus aux pinceaux Stuart Immonen, dessinateur de la série Star Wars.

Le pitch est simple : la reine Emporia décide de fuir son tyran de mari, un despote faisant régner la terreur sur toute la galaxie. Aidée de son fidèle garde du corps, elle entraîne ses enfants dans une course éperdue vers sa planète d’origine, où elle pense pouvoir trouver refuge auprès de sa sœur. Mais le roi ne l’entend pas de cette oreille et se lance à ses trousses.

Si on voulait donner un peu d’épaisseur au récit, on pourrait y voir une réflexion sur la famille, une dénonciation du patriarcat, voire une prise de position virulente contre les violences domestiques. Mais on pourrait aussi se contenter de prendre ce one shot pour ce qu’il est de prime abord, à savoir une course poursuite intergalactique pleine de vaisseaux spatiaux et de cascades en tout genre. En réduisant Empress de la sorte on se retrouve avec un comics tout sauf original, multipliant les scènes de combat sur des planètes aux profils et aux populations très différents, l’ensemble étant saupoudré d’une touche d’humour au niveau des dialogues. En gros, rien de neuf sous le soleil, du vu et revu qui n’arrive pas à la cheville du somptueux Saga par exemple, qui décline à peu près les mêmes sujets (fuite, thèmes de la famille, etc.) mais d’une façon bien plus profonde et subtile.

Une variation de Star Wars qui, loin de renouveler le genre, ravira peut-être les fans de Space opera pétaradant où l’action prime sur toute autre considération. Personnellement, il ne m’en restera pas grand-chose d’ici peu, c’est une certitude.

Empress de Mark Millar et Stuart Immonen. Panini Comics 2017. 200 pages. 22,00 euros.





jeudi 22 juin 2017

Sous le ciel de l’Altaï - Juan Li

« Il y aura toujours, en certains endroits, des personnes pour vivre comme si le monde ne devait jamais changer. »

Vivre dans une yourte. Suivre les éleveurs dans leur transhumance, à la frontière de la Chine et du Kazakhstan. Juan Li, sa mère et sa grand-mère ont mené cette existence nomade pendant des années. Couturières et épicières ambulantes, ces commerçantes n’ont pas hésité à se frotter à un environnement hostile très éloigné du leur. Les contraintes climatiques, le mode de vie des autochtones, les journées à l’inéluctable monotonie, les gigantesques steppes herbeuses entourées de montagnes à arpenter, autant d’éléments auxquels il a fallu s’adapter pour trouver sa place dans une communauté en perpétuel mouvement.

Juan Li relate son quotidien : les rigueurs de l’hiver, les rencontres, les animaux, les infrastructures quasi inexistantes (banque ou poste), les ravages de l’alcool, la typologie bien plus diversifiée qu’il n’y paraît de sa clientèle. Elle raconte aussi sa brève histoire d’amour avec un camionneur, la difficulté à s’occuper d’une grand-mère vieillissante et le comportement imprévisible de sa mère. Au final, elle dresse un tableau ni cauchemardesque ni idyllique, malgré l’isolement, l’ennui et les obstacles pour faire prospérer le commerce familial, malgré les longues balades dans une nature sauvage à la beauté éblouissante et les petits moments de bonheur quotidiens.

Recueil de courts textes louant le silence, la lenteur et l’immensité d’un univers où l’homme se sent minuscule, Sous le ciel de l’Altaï est une autobiographie pleine de sensibilité qui souligne la rudesse d’une existence loin de la folie et des vicissitudes du monde moderne. Dépaysant, instructif et très touchant.

Sous le ciel de l’Altaï de Juan Li. Picquier, 2017. 170 pages. 18,00 euros.




mardi 20 juin 2017

Lectures d'été...

Alors, on lit quoi cet été ? Franchement, je n’ai pas envie de vous conseiller la moindre lecture. D’une part parce qu’il est de notoriété publique que mes goûts sont plus que douteux. D’autre part parce que tout le monde est assez grand, il me semble, pour choisir ses livres de vacances sans qu’on lui souffle un titre au creux de l’oreille. Par contre, je peux vous dire ce que j’ai prévu  de lire de mon côté. Une information d’importance somme toute relative j’en conviens, mais qui intéressera peut-être quelques curieux.

Donc pour moi dans les semaines à venir il devrait y avoir :


Les pavés de l'été



Après Confiteor l’an dernier, je sais d’avance que le pavé de l’été 2017 ne pourra pas être à la hauteur. Du coup, et même si la quantité ne remplacera jamais la qualité, j’ai choisi deux pavés, un roman et une BD. Le Goncourt de Lemaitre dans sa jolie édition de poche patiente sur mes étagères depuis trop longtemps et le premier tome de l’intégrale du comics Strangers in Paradise (plus de 600 pages), que beaucoup considèrent comme le chef d’œuvre du génialissime Terry Moore, me fait très, très, très envie.


La rentrée littéraire en avance




J’ai la chance de faire partie cette année du cercle des lecteurs du Furet du nord. Dans ce cadre, j’ai reçu 4 romans de la rentrée littéraire à venir. Je n’ai pas le droit de vous donner les titres mais sachez que pour l’instant j’en ai lu deux, un roman américain pas folichon de Gallmeister et une histoire d’éléphant rose qui m’a beaucoup plu. Il me reste un premier roman français dont la teneur historique ne m’emballe que très moyennement et un auteur français archi-connu que je n’ai encore jamais fréquenté (pour info, il y a Kennedy dans le titre…).


Le plein de BD




L’été rime toujours pour moi avec BD. C’est l’occasion de se poser dans le jardin sur un transat avec un album et un verre de rosé bien frais à portée de main pour rattraper le retard accumulé pendant le reste de l’année. Je vais donc me gaver, en commençant par dévorer les albums offerts par les copines (elles se reconnaîtront).



Autre objectif, la lecture de l’adaptation du Cid par le mythique dessinateur espagnol Antonio Hernandez Palacios. Une adaptation datant des années 70 et publiée pour la première fois dans son intégralité il y a quelques semaines.


Les oubliés de l’année passée



Comme d’habitude j’ai eu les yeux plus gros que le ventre et il me reste une douzaine de titres de la rentrée 2016. Cet été sera l’occasion de me pencher sur le cas de certains d’entre eux, à commencer par le premier roman de Gilles Marchand que plusieurs lectrices enthousiastes me recommandent avec insistance.



Voilà, le menu est copieux, certaines de ces envies de lectures resteront comme toujours à l’état d’intentions non concrétisées et nul doute que bien d’autres titres viendront se greffer entre deux mais je peux au moins me satisfaire d’avoir un semblant de programme, on va dire que c’est rassurant. 






dimanche 18 juin 2017

Les lectures de Charlotte (38) : Anna et Nougat - Kate Berube

Tous les jours après l’école, le papa d’Anna vient la chercher à l’arrêt de bus. Tous les jours après l’école, la chienne Nougat vient chercher Violette à l’arrêt de bus. Tous les jours après l’école, la maîtresse de Nougat propose à Anna de la caresser et tous les jours Anna répond « Non merci ». Jusqu’au jour où Violette annonce que Nougat a disparu. Chacun se lance alors à sa recherche. A la nuit tombée, aucune du trace du chien. Assise sur les marches de sa maison, Anna entend un drôle de bruit venant des buissons juste à côté d’elle…

Un album pour aider à dédramatiser la peur des animaux. Les dessins sont très doux, l’histoire, basée sur l’entraide, montre qu’il est parfois nécessaire de dépasser ses craintes quand la situation l’exige. C’est mignon comme tout, plein de bons sentiments, et ça fait un bien fou. Un livre pour enfants qui se conclut par un tendre câlin ne peut de toute façon qu’être hautement recommandable. Anna et Nougat est notre lecture du soir en ce moment et va à l’évidence devenir une valeur sûre de la bibliothèque de Charlotte. J’avoue que ce n’est pas pour me déplaire.




Anna et Nougat de Kate Berube. Albin Michel Jeunesse, 2017. 36 pages. 11,90 euros. A partir de 3 ans.







vendredi 16 juin 2017

Le cœur sauvage - Robin MacArthur

« Non, je ne déteste pas cet endroit ; je déteste ce qui m’arrive quand je m’y trouve. Je déteste l’attirance qu’il exerce sur moi. Le fait qu’il ne conduise nulle part ailleurs qu’à lui-même. »

Onze nouvelles qui mettent en scène des hommes et des femmes vivant en vase clos dans le Vermont, à la frontière de la civilisation et du monde sauvage. Des femmes surtout. Des filles qui aspirent à quitter cette terre natale où l’avenir ne leur réserve rien de bon, des mères depuis longtemps résignées, la plupart esseulées, dépressives et forçant sur la bouteille. On vit dans des cabanes au bord de la rivière, dans un mobile home au fond du jardin, dans une ferme aux murs branlants. Quelques légumes dans le potager, une chaise sous un arbre, la bière fraîche à portée de main. On se permet une sortie au bar, une virée en voiture le samedi soir. Rien de plus. A quoi bon de toute façon.

Des nouvelles à la première personne dominées par la solitude et la perte des illusions. C’est magnifique parce que très pudique, sans les excès de drogue ou de violence que l’on retrouve dans la plupart des ouvrages mettant en scène cette Amérique rurale pauvre, blanche et en perdition. Dans ces contrées isolées on survit sans se plaindre, on préfère le silence aux vociférations. L’écriture va à l’essentiel, mélancolique et ténue, gardant à distance les descriptions lyriques d’une nature foisonnante ou les analyses psychologiques aussi barbantes qu’inutiles.

J’ai aimé ces personnages qui touchent en plein cœur par leur vie simple, leur lucidité, leur chagrin à fleur de peau. Avec ce premier recueil de nouvelles, Robin MacArthur transforme le coup d’essai en coup de maître.

Le cœur sauvage de Robin MacArthur (traduit de l’anglais par France Camus-Pichon). Albin Michel, 2017. 220 pages. 19,00 euros.