dimanche 14 mai 2017

Pierre Loti : Les immensités de la nature, le soleil et la mort

Pierre Loti ou l’invitation au voyage. Des souvenirs d’enfance dans le jardin de son oncle à la Polynésie, du Golfe persique à la campagne pyrénéenne, du désert au Pays Basque, l’auteur de « Pêcheur d’Islande » s’attarde sur ces instants où le temps semble suspendu : l’aube, le crépuscule, une méditation face à une étendue désertique, une après-midi caniculaire au jardin à regarder le vol d’un papillon. Une forme d’harmonie où l’émotion et la grâce s’invitent de façon aussi inattendue qu’éphémère. La rêverie plutôt que l’action, un rapport aux objets proche d’une sensation proustienne et une écriture simple, imagée, d’une grande pureté caractérisent la plupart des textes présentés dans cet ouvrage.    

Une idée géniale je trouve cette collection de nature writing loin du Michigan et des auteurs emblématiques du genre. Ici on donne dans l’ancien et le classique, une façon malicieuse de prouver que parler des grands espaces n’a rien de nouveau. Surtout, on accède à des auteurs majeurs par un biais original, certains faisant sans le savoir de l’écologie avant l’heure, d’autres s’épanouissant dans l’observation des fleurs où la contemplation de l’océan. La forme aussi est intéressante. Dans le recueil consacré à Loti on alterne entre récit de voyage, extraits de romans et nouvelles pour un dépaysement garanti et un hymne aux immensités de la nature d’une beauté assez fascinante.

Pierre Loti : Les immensités de la nature, le soleil et la mort (textes réunis par Élisabeth Combres). Plume de carotte, 2017. 126 pages. 9,90 euros.


PS : Les deux autres titres proposés pour le lancement de la collection « Esprits de nature » regroupent des textes d’Yvan Tourgueniev et Edgar Allan Poe. Le suivant, à paraître en juin, sera consacré à George Sand.








vendredi 12 mai 2017

Chiisakobé T3 et 4 - Minetaro Mochizuki

Toujours empêtré dans les suites de l’incendie du quartier qui a ravagé la menuiserie familiale et tué ses parents, Shigeji persiste à refuser toute aide extérieure pour assurer la survie de l’entreprise dont il a hérité malgré lui. Parallèlement, Ritsu, la jeune femme qu’il a engagée pour s’occuper de sa maison et des orphelins recueillis après la catastrophe, devient de plus en distante, persuadée que Shigeji s’apprête à demander la main de la jolie Yûko et à la mettre à la rue…

Tout le récit tient sur la complexité de personnages insaisissables, retranchés derrière une carapace hermétiquement close, incapables de forcer leur nature, même quand la situation l’exige. Des êtres qui ont du mal à se dévoiler, à fendre l’armure, à communiquer.

Je vous l’accorde, il ne se passe pas grand-chose dans ces deux derniers tomes. Comme dans les précédents d’ailleurs. Tout se déroule avec lenteur, entre silences et non-dits. Et inexplicablement, cette lenteur me fascine. Les gros plans sur une main ou un pied, la façon dont un visage se tourne, dont chaque posture exprime un sentiment est bien plus parlante qu’un dialogue je trouve. A cet égard la scène de la demande en mariage (je ne spoile rien, il suffit de regarder la couverture du dernier volume^^) est d’une maîtrise époustouflante en terme de découpage et elle résume à merveille le comportement plein de retenu et de maladresse des protagonistes.

J’ai aimé aussi la réflexion profonde sur la perte et le deuil, la volonté de se relever après une tragédie et le besoin de se sentir accompagné, même par ceux qui ne sont plus là. Le tout avec une dignité et une forme d’orgueil qui, en ce qui me concerne du moins, force l’admiration.

Un manga vraiment à part, dont le rythme et l’esthétique particulière pourront à l’évidence désarçonner plus d’un lecteur. Je me garderais donc bien de le conseiller à qui que ce soit mais pour ma part, je le classe parmi les petits bijoux du genre.

Chiisakobé T3 de Minetaro Mochizuki (traduit du japonais par Miyako Slocombe). Le Lézard noir, 2016. 236 pages. 15,00 euros.
Chiisakobé T4 de Minetaro Mochizuki (traduit du japonais par Miyako Slocombe). Le Lézard noir, 2017. 236 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec A_girl_from_earth.



jeudi 11 mai 2017

L’amour et autres blessures - Jordan Harper

« Dans les Ozarks, on a environ deux semaines de printemps avant qu'il se mette à faire plus chaud que dans la culotte d'une putain. C'était justement une de ces belles journées d'avril, après le froid mais avant les orages et la chaleur. Une belle journée pour les embrouilles. »

Un junkie poursuivi par des dealers dans le désert, un couple de braqueurs de stations-service, des combats de chiens, une petite frappe qui veut se faire un surnom, un règlement de comptes sanglant, une femme fatale venant se percher sur un tabouret de bar, un plan tout cuit qui tourne au vinaigre, un « nettoyeur » au cœur d’artichaut, une décision radicale pour sauver une histoire d’amour, une bonne poire pas si naïve que ça, un taulard trop sûr de lui, la vengeance d’un mari trompé, un grand-père inconsolable... Les Monts Ozarks, le Texas, Détroit, New-York, Hollywood, autant de lieux différents pour ces quinze nouvelles décapantes dont on ne sort pas indemne.

Avec Jordan Harper, rien ne se passe comme prévu. Ça dérape, ça part en sucette, les projets, sur le papier si bien huilés, finissent en catastrophe. C’est dramatiquement drôle, sans pitié ni répit pour personne. Ceux qui me connaissent savent que j’y ai trouvé mon compte. Les losers pathétiques, j’en raffole. Surtout quand on les enrobe d’une atmosphère électrisante à souhait, d’un humour corrosif et d’une noirceur jusqu’au-boutiste totalement assumée.

Cupidité, solitude, drogue, violence, désespoir, recherche vaine d’un avenir meilleur, on pourrait tomber dans le cliché mais l’auteur évite ce piège en trouvant l’angle d’attaque original qui fait mouche. Son sens de la formule et son écriture à la fois nerveuse et très orale m’ont embarqué de la première à la dernière page, avec une mention spéciale pour la magnifique nouvelle qui donne son titre au recueil.

Pas à dire, il y a du Donald Ray Pollock et du Daniel Woodrell chez Jordan Harper. Une filiation qui a de la gueule pour un jeunot roublard comme un vieux routier à qui on ne la fait pas. Un nouvel auteur américain à suivre de près, de très près même…

L’amour et autres blessures de Jordan Harper (traduit de l'anglais par Clément Baude). Actes sud, 2017. 190 pages. 19,00 euros.




mercredi 10 mai 2017

J’aime le nattō : une aventure au Japon - Julie Blanchin Fujita

Dans mon esprit étriqué, impossible pour quiconque de surpasser les carnets de voyages nippons de Florent Chavouet. Pire même, je restais persuadé que toute tentative pour mener un projet similaire à celui de l’auteur de Manabe Shima et Tôkyô Sanpo ne pourrait-être, au mieux qu’une pâle copie et au pire qu’une imbuvable potion. Alors en me lançant dans cette « aventure au Japon » signée Julie Blanchin Fujita, je m’apprêtais à sortir les couteaux pour tailler des croupières à la jeune impétueuse (que voulez-vous, on ne se refait pas).

Bon, en toute franchise, je les ai vite rangés les couteaux. D’abord parce que comparaison n’est pas raison, ensuite parce que la demoiselle trace son chemin sans se soucier de son illustre prédécesseur et qu’elle le fait avec une légèreté qui ne pouvait que me séduire. En fait, les ingrédients sont toujours les mêmes pour que j’apprécie un carnet de voyage : pas de prise de tête, une pointe d’humour, une énorme dose d’autodérision, des trouvailles graphiques qui font mouche malgré leur simplicité apparente, une empathie pour les autochtones qui ne tombe pas dans la déclaration d’amour aveugle, suffisamment de recul pour ne pas raconter les événements « à chaud » et puis surtout qu’on me parle de la vraie vie des vrais gens au plus près de la réalité quotidienne. Ici tous les ingrédients sont réunis donc je me suis régalé.

Julie Blanchin Fujita raconte son arrivée au Japon en octobre 2009, ses colocations, ses petits boulots d’illustratrice, les cours de français donnés à droite à gauche. Elle décrit aussi bien les pièces de son appart que le fonctionnement des transports en commun, des bains publics ou que la richesse et la diversité de la gastronomie locale. Elle parle de sa difficulté à apprendre la langue, relate des événements marquants comme une excursion sur le Mont Fuji ou le terrible tremblement de terre de mars 2011 ayant déclenché la catastrophe de Fukushima. La jeune femme vit les choses avec une spontanéité qui fait un bien fou. En plus, loin d’un simple regard de « touriste », elle s’inscrit dans un véritable projet de vie, une réelle volonté de s’installer durablement.

Un carnet de voyage instructif, dépaysant et dénué de la moindre trace de cynisme. Cette aventure au Japon m’a fait passer un délicieux moment de lecture, exactement ce dont j’avais besoin en ce moment.

J’aime le nattō : une aventure au Japon de Julie Blanchin Fujita. Hikari éditions 2017. 230 pages. 18,90 euros.

L'avis de Mo























mardi 9 mai 2017

Car Boy - Anne Loyer

Il a atterri dans cette casse sans le vouloir. Le décès de sa mère a précipité les choses. Ce père bourru qui l’a recueilli sans le moindre enthousiasme, il ne le connait pas. Et entre eux, les premiers contacts sont électriques. Alors Raphaël trouve refuge dans des carlingues de voitures aussi cabossées que lui et broie du noir. Heureusement il y a Mylène, une demi-sœur tombée du ciel dont le charme ne le laisse pas insensible, et la petite voisine Kathia, toujours de bonne humeur du haut de ses huit ans malgré son fauteuil roulant. Son nouvel univers, Raphaël a du mal à s’y faire. Quant à l’avenir, mieux vaut ne pas y penser, vivre au jour le jour est déjà suffisamment compliqué…

Des accidents de voiture et des accidentés de la vie, des adultes et des enfants qui avancent en traînant des bagages trop lourds pour eux, un décor tout sauf anodin qui participe grandement à la l’atmosphère du récit, des dialogues aussi réalistes que percutants, une écriture fluide et tendue : le sujet est maîtrisé à la perfection. Raphaël ne sera jamais un «  héros », c’est juste un ado en souffrance qui se débrouille comme il peut pour rester debout, trouvant parfois du soutien sans le demander : « Tu subis. Tu te débats. Mal parfois. Mais personne ne te juge. »

Et comme d’habitude chez Anne Loyer, l’espoir demeure, la lumière finit par apparaître mais les problèmes ne sont pas résolus d’un coup de baguette magique. J’apprécie cette retenue, la lucidité dont font preuve les personnages : « Quelque chose dont je me passerais bien nous relie. Cette lâcheté, cette ignorance, cette culpabilité aussi… c’est ça qui nous rassemble, c’est pour ça qu’on se ressemble. Et c’est moche. »

J’ai aimé cette fin où la porte ne fait que s’entrouvrir vers un futur incertain. Non, père et fils ne tombent pas dans les bras l’un de l’autre. « Pas le genre de la baraque ». Mais l’apaisement est de mise, un climat plus serein envisageable. Pour le reste, c’est au lecteur d’imaginer la suite des événements, une liberté d’interprétation bienvenue et une façon intelligente de clore cette histoire touchante ne sombrant à aucun moment dans la facilité et le gnangnan.

Car Boy d’Anne Loyer. Thierry Magnier, 2017. 136 pages. 12,00 euros. A partir de 13 ans.


Une pépite jeunesse une fois encore partagée avec Noukette.













dimanche 7 mai 2017

Chaussette - Loïc Clément et Anne Montel

Toujours un plaisir de retrouver des auteurs que l’on apprécie dans un registre différent de ce qu’ils proposent d’habitude. J’avais beaucoup aimé Le temps des mitaines, un peu moins Les jours sucrés (uniquement parce que ce n’était pas mon genre) et je m’étais promis de suivre de près ce duo aussi jeune que prometteur. C’est chose faite avec la découverte de la touchante Chaussette et de son univers aigre-doux. De la douceur d’abord avec le quotidien de cette vieille dame et de son chien Dagobert décrit à travers le regard de son petit voisin Merlin. De l’amertume ensuite avec un épisode empreint de tristesse mais décrit avec sensibilité et pudeur.

Les journées de Chaussette se déroulent toutes de la même façon. Parc, boucher, marchand de journaux, boulanger... une routine qui donne des repères, des rituels rassurants. Alors le jour où elle sort seule de chez elle et se comporte étrangement, Merlin la suit et s’inquiète.

Une jolie réflexion sur la solitude, la vieillesse, le temps qui passe. Les auteurs mettent en lumière les petites gens, ces "invisibles" que l'on ne remarque pas, qui vivent leurs joies et leurs peines sans faire de bruit. L'empathie se ressent à chaque page, portée par les illustrations pleines de tendresse et de poésie d'une Anne Montel dont le trait ne cesse de s'affirmer à chaque nouvel album.

De la BD jeunesse touchante, tout en finesse, qui laisse affleurer l'émotion et pousse à la réflexion avec une subtilité remarquable. Des qualités pas si courantes finalement.

Chaussette Loïc Clément et Anne Montel. Delcourt, 2017. 32 pages. 10,95 euros.


Les avis de Mo et Noukette.







vendredi 5 mai 2017

La cucina d’Ines - Philippe Fusaro

« Mon année avec Ines se résume à cette complicité immédiate, jamais envahissante, à des plats cuisinés ensemble ou à ces portes ouvertes sur un miracle offert dans une assiette, à nos confidences et à nos fous rires […]. J'ai pris sept kilos, cette année-là, et je n’ai jamais su dire non quand surgissait l’énième plat, ni comment j’ai pu survivre à certains repas parce que refuser de manger aurait été une offense. »

C’est plus fort que moi, dès qu’un livre parle de bouffe, je suis partant. Bon, pas pour les bouquins pratiques avec les belles photos, non, ce que j’aime ce sont les fictions ou les témoignages dans lesquels on nous raconte ce plaisir infini que peut provoquer la nourriture à travers le choix du produit, sa préparation et tout le lien social que cela peut induire. Autant vous dire qu’avec ce petit recueil joliment illustré par Albertine, j’ai été servi.

Philippe Fusaro raconte son départ de Strasbourg et son exil volontaire d’un an à Lecce en 2005. Un retour dans les Pouilles, la région natale de son père, après la fin de son histoire avec une femme qu’il avait aimée pendant douze ans et qui « ne voulait plus de lui ». Arrivé « dans la pointe du talon de la botte italienne », Philippe s’installe dans un modeste trois pièces avec balcon et terrasse sur le toit, bien décidé à se consacrer pleinement à l’écriture de son second roman.

Ines est sa voisine de palier. Une mama de 89 ans qui frappe à sa porte chaque jour et lui tend une assiette en lui disant « Mangia, beddhru mio » (mange, mon beau). Parce que pour Ines, un homme seul est incapable de se préparer à manger. Philippe va lui expliquer et lui montrer ce qu’il cuisine, et même si elle ne voudra jamais goûter ses plats, elle finira par accepter son « statut » de cuisinier. Surtout, une amitié solide va naître entre l’écrivain et la vieille femme chez qui il finira par passer le plus clair de son temps. Derrière les fourneaux.

Le récit de cette année, tout en pudeur, tient en à peine cinquante pages. Le reste du recueil se compose des recettes apprises auprès d’Ines et, loin d’une écriture purement fonctionnelle, la description de la conception des plats est aussi savoureuse que la dégustation, assaisonnée de conseils élémentaires de bon sens qu’il vaut mieux ne pas oublier de respecter, comme le service de la pasta, à  faire impérativement dans des assiettes creuses, sous peine de s’attirer les foudres de Dieu et l’anathème du pape Francesco. Un délicieux petit livre, parfait pour les amoureux des mots, de la cuisine et de l’Italie.

Rien que pour le plaisir, je vous donne quelques intitulés de recettes qui, même si je ne parle pas un mot d’italien, me font saliver : Cicorie al pignatto / Orechiette con le cime di rapa / Ciceri e tria / Pasta coi peperoni / Spaghetti alle cozze / Carciofi e patate / Parmigiana di melanzane. Alors, on mange ?

La cucina d’Ines de Philippe Fusaro. La fosse aux ours, 2017. 88 pages. 15,00 euros.

















jeudi 4 mai 2017

Les lectures de Charlotte (36) : Le dessert - Florence Koenig

Le printemps est arrivé. Dans sa grotte, l’ours se réveille. Il est tout maigre et meurt de faim. Mais il a trop dormi et ne se souvient plus de ce qu’il doit manger. Heureusement, il voit des poissons dans la rivière. En plongeant sa patte dans l’eau, il en attrape un et l’avale tout rond. C’est un bon début, cependant il lui faut un dessert. Le lapin a beau proposer une carotte, la grenouille une libellule et l’écureuil une noisette, rien ne lui convient. Pas plus que les nèfles du renard, le pissenlit de la souris ou le ver dodu du canard. Non, ce qu’il faut à l’ours, c’est du miel bien sûr ! Ça tombe bien, le papillon lui indique l’emplacement d’une nouvelle ruche. Mais peut-on se servir sans demander l’autorisation ? La réponse va être douloureuse…

Un ouvrage qui vaut surtout pour ses illustrations en papier découpé invitant à la rêverie. Le vernis sélectif sur chaque page pour représenter l’ours permet de se focaliser sur ses faits et gestes. Le petit format, l’épais papier cartonné et les coins arrondis achèvent de faire de cet album un superbe objet-livre que les enfants auront plaisir à manipuler. Charlotte en tout cas adore voir cet ours sans gêne être châtié par les abeilles.





Le dessert de Florence Koenig. Thierry Magnier, 2017. 24 pages. 11,90 euros. A partir de 3 ans.








mercredi 3 mai 2017

L’érection Tome 2 - Jim et Lounis Chabane

On avait laissé Léa et Florent en pleine engueulade. Pour les 40 ans de sa douce, il avait gobé une pilule bleue dans le but de lui faire l’amour toute la nuit. Le découvrant en érection devant leur aguichante amie Alexandra invitée pour le dîner, Léa avait pensé que son homme en pinçait pour « l’allumeuse ».

Apprenant la vérité sur l’état de Florent, la jeune quadra ne s’était pas calmée pour autant, considérant que s’il fallait un stimulant à monsieur pour se mettre à l’ouvrage, c’est qu’elle n'était plus désirable. Bref, un vrai sac nœuds et une situation qui s’embourbe davantage encore au début de ce second volume quand Alexandra revient chez eux en pleine nuit après avoir quitté son « connard » de mec. Commence alors des heures difficiles ou, entre prises de tête, réconciliations, attitudes équivoques et petits secrets plus ou moins bien gardés, chacun fini par aggraver son cas…

Autant  vous l’avouer d’emblée, l’érection est passée en deux tomes de prometteuse à mollassonne. Et c’est tout sauf une bonne nouvelle, n’est-ce pas ? La faute à une intrigue qui ne décolle pas, à un enchaînement des événements pas franchement surprenant ou pas vraiment crédible (notamment la virée de Léa chez les voisins du dessus), à la forme proche du théâtre qui fonctionnait si bien dans le premier et qui m’a ici souvent semblé trop bavarde. Entendons-nous, je ne me suis pas ennuyé une seconde, j’ai trouvé quelques passages drôles et j’ai retrouvé avec plaisir les personnages mais la nuit explosive promise par l’éditeur sur la quatrième de couv n’a pas pour moi été à la hauteur.

Une érection qui ne tient pas le choc sur la longueur ne laisse jamais de souvenirs impérissables, non ? Je ne dis ça parce que je suis bien placé pour le savoir (ce serait mal me connaître !) mais plutôt parce que cela relève de l’évidence. Attention, on est quand même loin de la purge et ce diptyque reste très agréable à lire mais à la fin du premier je m’attendais à une conclusion en apothéose. Pour le coup c’est raté. Dommage.

L’érection Tome 2 de Jim et Lounis Chabane. Bamboo, 2017. 70 pages. 16,90 euros.

Mon avis sur le tome 1











mardi 2 mai 2017

Natural Woman - Rieko Matsuura

Un roman en trois longs chapitres, presque des nouvelles pouvant se lire indépendamment et relatant trois moments particuliers de la vie de Yôko, dessinatrice de manga d’une vingtaine d’années. Dans la première histoire, elle se réveille pour la dernière fois près de sa petite amie hôtesse de l’air avec laquelle elle ne s’entend plus. Dans la seconde, elle accompagne une collègue de travail au cours d’un week-end de repos et n’ose pas lui avouer à quel point elle l’attire. Dans la dernière, elle revient sur sa liaison avec Hanayo qui l’éveilla, parfois brutalement, à la sexualité entre filles.

Étrange roman sur la difficulté des relations amoureuses à travers le portrait d’une jeune homosexuelle fragile et hypersensible. Étrange parce qu’à la fois très pudique et très cru, tout en retenu et en même temps n’hésitant pas à décrire de façon précise des ébats souvent proches du sadomasochisme. Yôko se cherche, Yôko aime mais ne sait comment le dire, Yôko subit, cède et agit sous la contrainte psychologique de ses partenaires. Le récit, à la première personne, fonctionne comme un journal intime. Yôko se livre et expose son manque de confiance en elle, sa difficulté à se sentir pleinement femme, à devenir une « natural woman » accomplie et sereine. Les scènes lesbiennes sont totalement suggérées ou parfaitement explicites, toujours déstabilisantes, à l’image de ce livre où le malaise plane en permanence, où le lecteur devient par la force des choses voyeur malgré lui.

Entre désir et répulsion, entre douceur et cruauté, entre lutte effrénée et convergence des sentiments, entre douleur et plaisir, la vie sentimentale exposée de la sorte apparaît aussi fascinante que complexe. Un roman publiée pour la première fois au japon il y a trente ans, assez typique je trouve d’une certaine littérature japonaise underground des années 80 qui, dans le sillage de l’icône Ryu Murakami, n’a pas hésité à s’affranchir de toute forme de classicisme pour bousculer l’ordre établi. Tout ce que j’aime !

PS : Rieko Matsuura a écrit un autre roman dont le titre pour le moins intrigant (Pénis d’orteil) justifie à lui seul que je me penche sur son cas au plus vite.

Natural Woman de Rieko Matsuura (traduit du japonais par Karine Chesneau). Picquier poche, 2015. 192 pages. 7,00 euros.