mardi 7 mars 2017

Très intime - Solange

Il y a celle qui est restée vierge longtemps, pas par conviction mais plutôt par manque d’occasions. Celle qui s’est épanouie après trente ans de vie commune et un divorce libérateur. Celle qui a trompé son copain « virtuellement » en envoyant des clichés pornos et en entamant une correspondance très érotique avec un inconnu. Celle dont la libido est en berne, qui voit la sexualité comme l’activité la plus ennuyeuse de la terre. Celle qui a eu plus de deux cents amants. Celle qui n’aime que les filles et n’envisage pas un quart de seconde d’essayer quoi que ce soit avec un homme. Celle qui est un garçon manqué, vulgaire et bordélique, qui a trouvé l’équilibre en se mettant à la colle avec un type doux, posé et raffiné. Celle qui a horreur du cuni, celle qui au contraire adore ça et ne tolère pas qu’un gars se montre dégoutté par la pratique alors qu’il n’a jamais essayé. Celles qui repensent à leur premier contact avec un pénis en érection, celles qui ont testé les plans à trois ou la bisexualité, celle qui entre sur la pointe des pieds dans la ménopause, etc.

Vingt femmes de 18 à 46 ans, vingt témoignages. Solange est la confidente, elle questionne peu, écoute beaucoup. La parole est libérée, touchante ou vindicative. On est dans le très intime qui ne bascule jamais dans le graveleux, on n’est pas là pour exciter le lecteur, on n’est pas là pour se marrer ou se moquer mais pour parler de sa sexualité en toute sincérité et en toute simplicité. J’ai adoré la diversité des profils, la diversité des tons aussi. Le niveau de langue est très différent d’une femme à l’autre, de la beurette au langage des cités à la quadra plus posée, de celle qui se qualifie de « bourrine » à la timide qui s’excuserait presque d’avoir si peu de choses à dire sur sa vie sexuelle. Tous les cas sont particuliers mais il n’y a pas de cas « à part », pas de portraits « extrêmes ». Ces femmes sont à la fois uniques et universelles.

Je dois sans doute être un grand naïf mais je suis par contre effaré de constater, comme l’annonce l’auteure en avant-propos, que parmi ces vingt femmes, « sept ont connu une ou plusieurs situations d’abus et/ou de viol. Une sur trois doit composer avec des traumatismes pour la vie. Certaines minimisent si bien ce qu’il leur est arrivé que je me suis presque laissée berner ».

Je ne connaissais pas la québécoise Solange, qui est apparemment assez célèbre (et appréciée) grâce à sa chaîne Youtube. J’avoue qu’au départ je craignais de tomber sur une simple discussion entre copines ou sur la rubrique sexo d’un magazine féminin où s’enchaînent clichés et jugements à l’emporte-pièce. Pour le coup j’ai eu tout faux et c’est tant mieux.

Très intime - Solange. Payot, 2017. 285 pages. 15,00 euros.








lundi 6 mars 2017

Une famille explosive - Yan Ge

« Un foyer reste un foyer et une famille une famille. Tout en concorde, en harmonie, avec ses nettoyages de printemps réguliers ».

Et chez les Xue, le nettoyage s’annonce sévère. Alors que la matriarche s’apprête à fêter ses 80 ans, les événements s’accélèrent. Le fils cadet, patron de l’usine de pâte de piments familiale, a installé sa maîtresse au-dessus de l’appartement de sa mère. Accro au sexe, il multiplie les aventures extraconjugales et va évidemment finir par se faire prendre les doigts dans le pot de confiture. La grande sœur, présentatrice télé, s’apprête à divorcer mais veut cacher la vérité à sa mère jusqu’à la fête d'anniversaire. Quant à l’aîné, professeur à l’université, il n’est toujours pas marié la quarantaine passée et craint les réprimandes maternelles. Car l’octogénaire n’a pas sa langue dans sa poche et terrorise les siens. Il faut dire qu’elle est assise sur un magot conséquent et que personne n’ose lui tenir tête au risque d’être déshérité.

Bienvenue au bal des faux-culs ! Une chronique familiale épicée dans une région de Chine (le Sichuan) réputée pour sa cuisine relevée. Il est d’ailleurs beaucoup question de gastronomie, car c’est souvent autour de la table que se nouent les drames et les intrigues. Le fils cadet est de loin le plus pathétique. Macho, queutard invétéré, alcoolique, d’une vulgarité crasse, c’est LE beauf dans toute sa splendeur. D’ailleurs, naïvement, je ne pensais pas que de tels personnages pouvaient exister en Chine.

Un roman où on lave son linge sale en famille, où chacun règle ses comptes en se cachant derrière une hypocrisie à toute épreuve. De la grand-mère chef de clan à la belle-fille plus intéressée par l’argent de son mari que  par ses infidélités à répétition, il y n’y en a pas un pour rattraper l’autre.

Amateurs de raffinement à la chinoise et d’ambiances tout en délicatesse et en retenue, passez votre chemin. On donne ici dans l’ironie, le mauvais goût et l’ordurier, dans l’excès et le mauvais esprit. Un humour vache et moqueur et une plume outrancière qui, assurément, ne plairont pas à tout le mode. Personnellement, et même si ce n’est pas le roman du siècle,  j’ai passé un savoureux moment auprès de cette famille on ne peut plus dysfonctionnelle.

Une famille explosive de Yan Ge (traduit du chinois par Alexis Brossolet). Presses de la cité, 2017. 320 pages. 20,00 euros.






dimanche 5 mars 2017

Jolly Jumper ne répond plus - Bouzard

Jolly Jumper fait la gueule. Et Lucky Luke se demande bien pourquoi. Voila l’album résumé en deux phrases. Du moins son point de départ. Que dire de plus ?

Ça fait drôle de voir Lucky Luke torse nu et hirsute dès la première case.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke porter une chemise rouge et un foulard jaune (normalement c’est l’inverse).
Ça fait drôle de voir Lucky Luke marcher plus vite que son ombre.
Ça fait drôle de voir Jolly Jumper mutique.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke en colère essayer de descendre ce même Jolly Jumper.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke en petite forme.
Ça fait drôle de voir le Dalton Averell (vous savez, le plus grand et le plus neuneu) en obèse demandant à ce qu’on lui pose un anneau gastrique.

Pour dire les chose autrement, ça fait drôle de voir un auteur s’emparer d’un personnage aussi mythique et se permettre autant de libertés, de décalages, de pas de coté par rapport à la version originale. Mathieu Bonhomme avait déjà apporté quelques variations dans « L'homme qui tua Lucky Luke » mais Bouzard va plus loin. Il garde l’univers de base, convoque quelques personnages secondaires emblématiques (Ma Dalton ou Phil Defer), mais il jette tous les ingrédients ensemble dans la marmite et les remue sans ménagement.

Ainsi le flegmatique cow-boy solitaire et sûr de lui devient un angoissé du bulbe inquiet de ne pas comprendre ce que lui reproche sa chère moitié, inquiet de voir que son jean lui fait de gosses fesses, inquiet de ne pas trouver un bon plan pour mener sa mission à bien, bref un pauvre homme pétri d’incertitudes (et au QI assez limité aussi, il faut bien le reconnaître).

Bouzard se lâche, donc. Égal à lui-même oserais-je dire. Et pour un fan de Lucky Luke comme moi (j’ai tout lu, sauf les albums scénarisés par Laurent Gerra, il y a des limites quand même) le choc est violent. Heureusement je suis bon client avec l’humour absurde, les jeux de mots pourris (les Dalton daltoniens, fallait le trouver) et ce graphisme très relâché (pour ne pas dire plus) qui m’a rappelé le Jack Palmer de Pétillon.

Bref, gros kiffe en ce qui me concerne pour ce Lucky Luke à la mode Bouzard qui, je ne n’en doute pas une seconde, filera la nausée à certains puristes de la première heure amoureux du duo Morris/Goscinny.

Un grand merci à la très chère personne qui a pensé à moi après l’avoir lu et me l’a gentiment offert, avec en bonus dans l’enveloppe un présent inestimable. Comprenne qui pourra…

Jolly Jumper ne répond plus de Bouzard. Lucky Comics, 2017. 48 pages. 14,00 euros.






samedi 4 mars 2017

Les lectures de Charlotte (33) : Le chat le plus mignon du monde - Vincent Pianina

- Est-ce qu’on peut avoir un petit chat ? 
- Non !

Mille fois la fillette a posé la question, mille fois ses parents ont répondu non. Jusqu’au jour où, enfin, le non est devenu oui. Alors tout le monde est monté dans la voiture, direction l’animalerie. Sur place, un seul critère a guidé le choix de la famille : le chat devait être MIGNON ! « On est tombés sur le plus mignon des mignons alors c’est lui qu’on a voulu ramener à la maison ».

Arrivé dans son nouveau chez lui, le chaton joue, mange et fait des câlins, comme tous les chatons. A une différence près : jamais il ne montre sa trombine. « Mince, c’est vrai ça ! On n’avait pas pensé à le regarder bien en face, notre petit chat… il était déjà tellement mignon de dos ». Et le pire, c’est que le chenapan use de tous les stratagèmes pour ne pas se laisser regarder de face. Pourquoi tant de coquetterie ? Mystère…

Un album au ton décalé et à la loufoquerie assumée. C’est vif et coloré, on frôle parfois l’absurde, les doubles pages sous forme de listes insérées au fil de l’histoire offrent des ruptures rigolotes sur lesquelles on s’attarde longuement et la chute fonctionne à merveille. Bref, on se régale de bout en bout.

C’est simple, « Le chat le plus mignon du monde » est devenu le livre de chevet de Charlotte. Chaque soir, on n’y coupe pas. A force, ma femme et moi le connaissons par cœur et la pépette aussi, à tel point qu’elle se marre toujours aux mêmes endroits, c’est devenu un rituel où la lassitude n’a pas (encore) sa place. Rares sont les livres qui lui ont fait un tel effet. A bon entendeur...

Le chat le plus mignon du monde de Vincent Pianina. Thierry Magnier, 2017. 48 pages. 12,50 euros. A partir de 3-4 ans.




jeudi 2 mars 2017

Chiisakobé T2 - Minetarô Mochizuki

Après l’incendie de l’entreprise familiale et la mort de ses parents, le charpentier Shigeji tente de maintenir à flot la société sans aide extérieure. Mais les temps sont durs et ses meilleurs ouvriers, attirés par les salaires plus lucratifs de la concurrence, le laissent en plan alors que les chantiers en cours sont loin d’être achevés. Parallèlement, le jeune homme continue d’entretenir une relation ambigüe avec Ritsu, une amie d’enfance qu’il a engagée comme cuisinière et femme de ménage. Les orphelins turbulents recueillis par cette dernière logent dans la maison de Shigeji , qui semble enfin s’intéresser à eux. Et si Ritsu ne parvient pas vraiment à dompter les garnements, ce n’est pas le cas de leur enseignante Yûko, que le charpentier semble de plus en plus apprécier.

Un triangle amoureux tout en suggestion se noue au fil de ce second tome. Entendons-nous, rien n’est clairement exprimé, Shigeji le taiseux et Ritsu la timide n’étant pas du genre à s’épancher. Plus en retrait, Yûko n’en reste pas moins présente et son mutisme en dit bien plus que de longs discours.

Un manga inclassable au charme indéfinissable. Il ne se passe pas grand chose, tout est question d’atmosphère. La narration extrêmement sobre porte le récit, les gros plans sont d’une grande expressivité et le langage corporel est fondamental, chaque infime mouvement se chargeant de sens. Les silences s’imposent avec naturel et sont sources de communication, tout comme l’inclinaison d’une tête, la fuite d’un regard ou la moindre posture. Je crois que c’est pour cela que j’adore cette série, sous ses airs de rien, elle dit la complexité des sentiments avec une profondeur qui force l’admiration.

La ligne claire de Mochizuki ne s’embarrasse pas de trames ou de décors surchargés. C’est dans l’épure que son art se déploie avec finesse. Une façon unique de parler aussi bien de l’amour que du deuil, de l’enfance en danger ou de l’artisanat et des traditions.

La série compte en tout quatre tomes, les deux derniers m’attendent sagement depuis quelques temps mais il se pourrait bien que je les ai engloutis au moment où vous lirez ces lignes.

Chiisakobé T2 de Minetarô Mochizuki. Le Lézard Noir, 2016. 215 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec A Girl From Earth.






mercredi 1 mars 2017

Les voyages d’Ulysse - Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet

Le peintre Jules Toulet, à la recherche de sa muse, quitte Istanbul sur un navire baptisé L’Odysseus après savoir été accepté à bord par la capitaine Salomé Ziegler. Cette dernière, séduite par ses toiles, espère surtout que son « invité » pourra l’aider à retrouver Ammôn Kasacz, le plus grand peintre actuel de la Rome antique dont personne n’a de nouvelles depuis des années. Car Jules possède un carnet de croquis réalisés par Kasacz, un carnet qui pourrait permettre à Salomé de remonter la piste menant à celui qui la fascine tant, sans que l’on sache réellement pourquoi.

L’obsession de Salomé  pour Kasacz est au cœur de l’album. Sa quête est liée à un drame de son enfance, point de départ de son parcours jusqu’à la barre de l’Odysseus. Grâce à de nombreux flashbacks, on comprend le destin tragique d’une jeune femme qui avait au départ tout pour être heureuse mais qui a dû faire face à de douloureuses épreuves.

Un plaisir de retrouver le trait fascinant de Lepage. Du moins au départ. Parce que son retour à la fiction après d’excellents reportages dessinés (Un printemps à Tchernobyl, Voyages aux îles de la désolation et La lune est blanche) ne m’a pas emballé plus que ça. La faute à un scénario que j’ai trouvé bancal. Tout se focalise sur Salomé et son histoire, la relation avec Jules Toulet, à la base riche de promesses, est à peine effleurée, tout comme la quête de sa muse, résolue assez artificiellement  en deux coups de cuillère à pot. La balance n’est donc pas du tout équilibrée entre les deux personnages. Et puis cette fiction reste d’un classicisme « romanesque » sans véritable surprise, jouant sur un registre émotionnel convenu et sans surprise. Loin, très loin des réflexions profondes et intimes du voyage à Tchernobyl par exemple.

Après, force est de reconnaître que l’objet-livre est splendide et que le dessin de Lepage, surtout au cours des séquences maritimes, est à tomber par terre. Magnifiques également les illustrations de René Follet, devenues pour les besoins de l’album les œuvres du fameux Ammôn Kasacz et insérées au fil des pages. Rien à dire sur la forme donc, à part une admiration sans borne pour le travail d’un dessinateur incroyable. Mais au niveau du fond, je suis loin d’y avoir trouvé mon compte.

Les voyages d’Ulysse d’Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet. Éditions Daniel Maghen, 2016. 270 pages. 29,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec la douce Moka.














mardi 28 février 2017

Théo chasseur de baignoires en Laponie - Pascal Prévot

Théo veut suivre les traces de son père et devenir chasseur de baignoire. Un métier à risques qui fait voyager à travers le monde, un métier bien plus mouvementé que celui de son grand-père qui n’était qu’un pauvre accordeur de fermetures éclair. Comment ça vous ne saviez pas que l’on chasse les baignoires ? C’est pourtant connu, certaines baignoires retournent à l’état sauvage et deviennent férocement dangereuses, au point parfois d’avaler ceux qui les approchent de trop près. D'où l'importance de les neutraliser !

D’ailleurs Théo et son père viennent d’être engagés pour une mission des plus périlleuses. Le Comte Krolock Van Rujn a fait appel à eux car une des baignoires de son immense château en Laponie sème la terreur. Pire encore, toute la salle de bain a été contaminée, elle a subitement disparu et se déplace dans le château comme bon lui semble. L’heure est grave car si les autres baignoires du manoir décident à leur tour de se faire la malle, la situation va devenir incontrôlable.  

Un grain de folie parcourt ce petit roman de la première à la dernière page. Le point de départ est ÉNORME et pas forcément évident à accepter mais en passant outre cette énormité (en gros si l’on accepte le fait que la proie à capturer est une baignoire sauvage), on plonge avec délice dans un récit d’aventure relativement classique avec son lot de situations tendues, voire dangereuses, mais aussi une bonne dose de suspens et un rythme qui jamais ne faiblit. Sans compter, ce qui ne gâche rien, que Théo est un petit gars attachant, son père un baroudeur aux souvenirs tous plus loufoques les uns que les autres et que la famille du comte vaut son pesant de cacahuètes.

Au final, sous ses airs délirants, cette chasse à la baignoire menée de main de maître ravira à coup sûr les amateurs d’action et d’humour. Autant dire une très grande majorité de petits lecteurs !


Théo, chasseur de baignoires en Laponie de Pascal Prévot. Éditions du Rouergue, 2016. 128 pages. 8,50 euros. A partir de 9 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 27 février 2017

Mascarade - Ray Celestin

C’était le roman parfait pour une semaine de vacances. Un gros pavé que je ne voulais pas laisser traîner et une histoire pas compliquée mais riche de tellement de personnages qu’il valait mieux avoir un peu de temps devant soi pour l’engloutir d’une traite et ne pas perdre le fil.

Chicago, fin des années 20. Ida Davis et Michael Talbot, détectives de la célèbre agence Pinkerton, sont engagés par une femme de la haute société pour retrouver sa fille et son futur gendre qui viennent de disparaître la veille de leur mariage. Parallèlement, un photographe de la police cherche à résoudre le meurtre d’un gangster blanc retrouvé dans une ruelle du quartier noir tandis que débarque en ville un homme chargé par Al Capone de faire la lumière sur une tentative d’empoisonnement au champagne frelaté visant les personnes les plus influentes de la ville, qu’il avait conviées dans l’un de ses hôtels. Trois intrigues à priori sans rapport qui vont pourtant peu à peu s’entremêler et rapprocher les différents protagonistes, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Mafia, prohibition, jazz, corruption, règlements de compte à coup de sulfateuse et figures mythiques du banditisme, Ray Celestin tricote un canevas sans faille dont les mailles se resserrent jusqu’à l’imparable dénouement. Un bonheur de retrouver Ida, Michael et le grand Louis Armstrong, découverts dans Carnaval, le premier volet de cette série de quatre romans dont l’ambition est de retracer « l’histoire du jazz et de la mafia pendant cinquante ans au 20ème siècle ». Après la Nouvelle Orléans et Chicago, le prochain se déroulera à New-York dans les années 40.

L’auteur propose une fois de plus un récit très documenté, mêlant personnages réels et héros de fiction. Son écriture nerveuse et cinématographique offre un rythme effréné ne souffrant d’aucun temps mort. Dialogues au cordeau, tension, violence, drames, scènes d’action hyper visuelles, tout y est. Un polar solide donc, qui se déguste cul sec, rugueux et gouleyant comme un bon vieux whisky de contrebande.

Mascarade de Ray Celestin. Le Cherche Midi, 2017. 565 pages. 21,50 euros.





samedi 25 février 2017

Le goût du Kimchi - Yeon-sik Hong

Madang et sa femme déménagent à la campagne pour offrir à leur petit garçon d’un an un cadre de vie plus épanouissant  que la grande ville. Après un rude hiver, la famille trouve ses marques, installe un potager et découvre des voisins toujours prêts à donner un coup de main. Mais le quotidien de Madang est perturbé par l’état de santé de ses parents. Cloîtrés à Séoul dans un appartement en sous-sol, presque sans ressources, ils n’ont plus la moindre activité. Le père boit comme un trou et la mère passe ses journées à dormir. Quand cette dernière enchaîne les hospitalisations, Madang et son frère peinent à régler les frais de santé. Tiraillé entre sa vie de famille à la campagne et sa volonté de ne pas délaisser ses parents, le jeune homme a de plus en plus de mal à assumer ses responsabilités.

Un gros pavé de 360 pages en noir et blanc qui m’a ému au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Madang est partagé entre deux mondes. Celui de la maison qui lui est si précieux et qu’il veut protéger coute que coute et celui des contraintes liées à l’état de ses parents. Avec eux il doit se rendre disponible alors que son travail lui prend beaucoup de temps (il est dessinateur de BD), supporter leur humeur infecte et les soutenir financièrement malgré ses faibles moyens, quitte à s’endetter pour régler leurs factures.

La réflexion sur le vieillissement est profonde et touchante. Le fils n’abandonne pas ses aînés mais il refuse de les laisser entrer dans sa sphère privée (impossible de se résoudre à les accueillir chez lui par exemple, car il sait que ce serait la fin de « son monde »). Au-delà, il pense à sa propre vieillesse, à la charge qu’il risque de devenir pour son fils. Son frère le persuade que la santé est leur bien le plus précieux et qu’il faut tout faire pour la préserver. Des flash-back ramènent Madang à son enfance, plus particulièrement aux délicieux repas que sa mère lui préparait. La cuisine devient une madeleine de Proust lui donnant plaisir et sourire, une éclaircie bienvenue dans un quotidien plein de nuages.


Le dessin est simple et va à l’essentiel, la narration est d’une redoutable efficacité et le noir et blanc donne au récit une sobriété bienvenue. Un album dont je n’attendais rien de particulier et qui a fait vibrer en moi une corde très sensible, me rappelant de douloureux et récents souvenirs.  Je ne sais pas si l’histoire est autobiographique mais je l’ai trouvée d’une pudeur, d’une dignité et d’une honnêteté exemplaires. Sans aucun doute une des plus belles et inattendues découvertes de ce début d’année en matière de BD.

Le goût du Kimchi de Yeon-sik Hong (traduit du coréen par Mélissa David). Sarbacane, 2017. 360 pages. 19,50 euros.




jeudi 23 février 2017

Défaite des maîtres et possesseurs - Vincent Message

Pour une fois (enfin j’espère que ce n’est pas le cas d’habitude), je vais faire un billet nébuleux. Ne rien dire du tout de l’histoire parce qu’il serait vraiment dommage de la déflorer. D’ailleurs celle qui m’a offert ce livre m’avait prévenu : « Lance-toi sans rien savoir, ne lis surtout pas la quatrième de couv ». Alors comme je suis un élève studieux j’ai respecté les consignes et je me suis jeté dans ce texte à l’aveugle.

Au début la déstabilisation a été totale. C’est simple, je n’ai rien compris. Qui est le narrateur, de quoi parle-t-il ? Où sommes-nous ? À quelle époque ? Que s’est-il passé pour que l’on en arrive là ? Le flou complet ! Je suis heureusement assez vite retombé sur mes pieds. Une grosse louche de dystopie, une fable philosophique qui ne dit pas son nom, une dénonciation de notre rapport aux animaux, une interrogation sur la notion de responsabilité, une réflexion sur la loi du plus fort qui finit toujours par desservir ceux voulant l’appliquer… rien que ça oui.

C’est donc particulièrement dense, assez perché, et le raisonnement est très construit. Trop même. Le narrateur théorise énormément, j’ai parfois eu l’impression d’être dans un essai plutôt que dans un roman. Il donne beaucoup d’explications, absolument nécessaires, j’en conviens, mais qui nuisent à la fluidité de l’histoire en elle-même. Une histoire qui avance d’ailleurs peu. Ou très lentement. Et puis c’est bien trop psychologique pour moi. Et trop politique aussi (les débats au parlement m’ont assommé).

Après, je suis obligé de reconnaître que le propos est solide, cohérent, engagé et pertinent. C’est un roman culotté, ambitieux, qui ne se cache pas comme tant d’autres derrière son petit doigt. Rien que pour cela j’admire la démarche et la prise de risque. Mais ce n’était tout simplement pas un roman pour moi, ce qui en soi n’a rien de dramatique. Même si je sais que celle qui a eu la gentillesse de me l’offrir aurait préféré que je l’adore. On va dire que ce n’est que partie remise.

Défaite des maîtres et possesseurs de Vincent Message. Seuil, 2016. 300 pages. 18,00 euros.