vendredi 13 janvier 2017

Confessions de Nat Turner

Dimanche 21 août 1831. Alors que la nuit tombe, un groupe d’esclaves mené par Nat Turner pénètre dans les maisons des familles blanches du comté de Southampton, en Virginie. Surprises dans leur sommeil, les victimes sont massacrées sans la moindre pitié. Au fil de la nuit la troupe grossit et progresse méthodiquement, de plantation en plantation, tuant tous les blancs qui croisent sa route. Ils ne seront stoppés que le lundi après-midi, une fois l’alerte donnée. Caché dans les bois, Nat Turner parviendra à s’échapper. Il sera capturé le 30 octobre. Deux jours plus tard, un avocat blanc le rencontre dans sa cellule et recueille la confession « libre et entière des origines, du développement et de la mise en œuvre de la révolte d’esclaves dont il a été l’instigateur et le meneur ».

Que retenir de cette confession ? Que Nat Turner, impassible, se livre froidement, sans colère ni haine, sans fierté ni glorification de ses actes. Sans regrets non plus. D’ailleurs, le jour de son procès, il plaidera « non coupable » en indiquant qu’il ne ressentait aucune culpabilité. Ses motivations sont avant tout mystiques. Considéré par les siens depuis sa naissance comme un être à part, il a appris à lire et à écrire seul. A la fois esclave et pasteur, il a longuement étudié la bible et trouvé dans les écritures une légitimité du recours à la violence. Prophète en « mission de mort », persuadé d’être « promis à un destin exceptionnel », présenté  par les blancs comme un fanatique illuminé, il est devenu un symbole pour une grande partie de la communauté afro-américaine. Loin de la « simple » révolte, l’insurrection de Southampton a été portée par une volonté manifeste et assumée de rendre à l’oppresseur la souffrance qu’il a fait subir aux esclaves : « Mon objectif était de semer la terreur et la dévastation où que nous allions ».

La préface et le commentaire final de Thomas R. Gray , l’avocat ayant recueilli la confession, montre à quel point la communauté blanche n’a à aucun moment cherché à comprendre les causes de la révolte et a réduit les agissement des esclaves à un simple manque de discernement. Pour Gray, Turner et sa clique meurtrière ne sont que des « sauvages », des « mécréants sanguinaires » et la confession de leur chef « se lit comme une leçon terrible, mais, on l’espère, utile, sur la façon dont fonctionne un esprit comme le sien lorsqu’il tente de saisir des choses qui sont hors de sa portée ». Tout est dit, fermez le ban…

Le massacre de Southampton aura fait 55 victimes blanches, hommes, femmes, enfants et nourrissons. Nat Turner, après sa pendaison, sera écorché et démembré, les différentes parties de son corps dispersées à travers le pays pour que personne ne puisse honorer sa sépulture et faire de lui un martyr.

Confessions de Nat Turner. Allia, 2017. 80 pages. 6,50 euros.

PS : Birth of a Nation, film sorti cette semaine, retrace (et héroïse) le périple sanglant de Turner. Je préfère m’en tenir à ces confessions, matériau brut loin de toute interprétation et à la portée bien plus puissante, il me semble.











mercredi 11 janvier 2017

Sweet Tooth T1 - Jeff Lemire

Depuis sept ans la terre est ravagée par un virus inconnu ayant fait disparaitre la quasi-totalité de la population. Les enfants nés après le début de l’épidémie semblent immunisés. Ce sont des enfants hybrides, mi-humains, mi-animaux. Gus est l’un d’eux.  Enfant cerf, il n’a jamais quitté les bois. Son père le lui a toujours interdit car, « en dehors des bois, il y a le feu et l’enfer ». A la mort de ce dernier Gus est capturé par des chasseurs. Secouru par le mystérieux Jepperd, il se résigne à désobéir aux recommandations paternelles et à suivre son sauveur jusqu’à la réserve, un endroit où, théoriquement, il sera en sécurité.

Encore du post apocalyptique, encore une pandémie destructrice et des enfants livrés à eux-mêmes. Je ne suis ni fan ni spécialiste du genre mais je suis en train de lire « Dans la forêt » qui aborde le même thème et ma fille m’avait traîné au cinéma l’an dernier pour voir la « Cinquième vague », à peu près dans le même créneau. Sans compter le fait que Gus m’a, par bien des aspects (naïveté et découverte du monde dans toute sa sauvagerie et sa complexité), rappelé Le garçon de Marcus Malte. Bref, il y avait un vrai risque de saturation avec ce Comics que Mo a eu la gentillesse de déposer au pied de mon sapin il y a 15 jours. Et pourtant je me suis régalé de bout en bout.

Je retrouve dans cette série des thèmes récurrents chez l’auteur de Jack Joseph, à savoir le difficile rapport au père, la religion, la construction de l’identité, le sentiment d’abandon lié à la perte d’un proche, la violence et même le hockey sur glace. La dimension post apocalyptique est ici un prétexte pour aborder la question de la culpabilité, du passage de l’innocence à « l’expérience », de l’ignorance à la prise de conscience. Jepperd est le guide de Gus, son protecteur, celui sans lequel le garçon ne pourrait affronter le monde des hommes et leur méchanceté primaire. Mais ce n’est évidemment pas si simple. Chaque épisode de la série (il y en a onze dans ce premier tome) pousse plus loin l’ambivalence des rapports humains et souligne l’ampleur des désillusions, même si une infime trace de lumière continue de vaciller dans les ténèbres sans jamais s’éteindre totalement.

Graphiquement c’est brut de décoffrage, le trait est aiguisé comme une lame et le cadrage sans faille tient le lecteur en haleine, jouant sur l’alternance entre des séquences pied au plancher et d’autres presque contemplatives. Et j’aime toujours autant cette représentation de la violence sans complaisance ni esthétisation excessive qui est un peu la marque de fabrique du dessinateur.

Il y a quelque chose de poignant et d’unique dans ce récit au départ des plus classiques. Lemire s’empare du sujet avec une maîtrise, une puissance et un angle d’attaque qui lui donne une véritable originalité. Un tour de force absolument épatant qui m’a laissé pantelant au moment de tourner la dernière page. Le troisième et dernier tome vient tout juste de sortir, mon banquier ne va pas remercier Mo de m’avoir fait découvrir une série aussi addictive parce qu’il est évident que je vais me jeter sur la suite sans plus attendre.

Sweet Tooth T1 de Jeff Lemire (traduction Benjamin Rivière). Urban Comics , 2015. 280 pages. 22,50 euros .

Mo a déjà lu toute la série, la veinarde. Son avis ici.



mardi 10 janvier 2017

Sauveur et fils, saison 2 - Marie-Aude Murail

Il n’y avait qu’un cochon d’inde (et non un hamster !) sur la couverture du premier tome, il y en a cinq sur celle du second. En une seule portée la famille de Mme Gustavia s’est agrandie, comme celle de Sauveur d’ailleurs. Car le psychologue, en plus de son fils Lazare, a désormais une femme dans sa vie, la jolie Louise, elle-même maman de deux enfants. Sans compter que Gabin, le lycéen dont la mère est internée, s’est installé dans son grenier. Et qu’un certain Jovo va trouver refuge pour quelques temps dans sa cave.

Beaucoup de monde dans la vie privée de Sauveur donc, presque autant que de patients défilant dans son cabinet. Parmi eux on retrouve Ella, Blandine, Samuel, Charlie et Élodie ainsi que madame Dumayet. Quelques nouvelles têtes aussi, Raja la petite irakienne ayant fui les horreurs de la guerre, Pénélope Mottin la mythomane ou encore madame Germain et ses tocs. Des cas aussi différents que complexes qu’il traite avec une bienveillance et un professionnalisme jamais mis en défaut.

Marie-Aude Murail a trouvé la formule magique avec cette série. De l’empathie, des personnages attachants, une mise en scène imparable, des dialogues au cordeau, du rire et des larmes, elle mène sa barque en chef d’orchestre maîtrisant sa partition sur le bout des doigts. Rien n’est forcé, rien ne sonne faux, ni les situations difficiles des patients de Sauveur, ni les échanges savoureux qui rythment chaque page. L’équilibre est parfaitement trouvé, tout le monde en bave mais au final l’espoir demeure, la reconstruction est possible malgré les obstacles, Sauveur et sa vie de famille pour le moins alambiquée en sont d’ailleurs l’exemple le plus frappant.

Un roman jeunesse à déguster comme un bonbon fondant sous la langue, comme une potion dont on se délecte, une potion toujours plus douce qu’amère. Le seul hic, c’est qu’il reste en bouche un goût de trop peu. Une troisième saison est heureusement prévue pour l’automne prochain. Mais l’attente va être bien longue !

Sauveur et fils, saison 2 de Marie-Aude Murail. École des loisirs, 2016. 315 pages. 17,00 euros. A partir de 12 ans.


Un titre parfait pour attaquer sous les meilleurs auspices une nouvelle année de pépites jeunesse avec ma complice Noukette !









lundi 9 janvier 2017

Là où se croisent quatre chemins - Tommi Kinnunen

1895-1996. Au cœur de la Taïga finlandaise, un siècle d’histoire familiale se noue à travers les destins de quatre personnages. Maria, la grand-mère, sage-femme qui, au début des années 1900, élève seule sa fille Lahja avec une fierté et une indépendance revendiquées. Lahja qui, contrairement à sa mère, n’aura de cesse de chercher à fonder un foyer. Onni, son mari, revenu de la guerre en héros mais porteur d’un lourd secret, ne pourra malheureusement jamais lui offrir le bonheur auquel elle aspire. C’est finalement leur belle-fille Kaarina qui lèvera le voile sur les non-dits et les silences profondément enfouis depuis des décennies.

Quatre portraits pour une seule et même famille, quatre portraits pour déployer une fresque à la fois intime et universelle. Quatre personnages et trois générations, chacun ayant droit à une partie bien distincte. Au fil de courts chapitres le lecteur découvre des dates fondatrices, des lieux et événements importants ayant jalonné leur histoire individuelle et commune. Le changement de personnage ne fait pas forcément revivre les choses avec un point de vue différent, il apporte au contraire les pièces manquantes du puzzle. C’est toute la force et la finesse de ce premier roman à la narration redoutable d’efficacité et d’intelligence.

Tommi Kinnunen retrace un siècle mouvementé de l’histoire finlandaise marqué par les ravages de la seconde guerre mondiale. Il dresse de touchants portraits de femmes mais offre paradoxalement à son texte l’éclairage le plus inattendu à travers la figure d’Onni, mari et gendre mystérieux qui « s’était marié comme il se doit, avait eu deux enfants. Fait la guerre comme tout le monde. Qu’avait-il fait de mal ? Ce n’est pas de cette vie qu’il voulait ».

J’ai tout aimé dans ce roman, l’écriture, la construction, l’ambiance glaciale d’une pays couvert de lacs et de forêts, un peuple taiseux aux mœurs conservatrices dont il est difficile de s'affranchir. Décidément, la littérature nordique ne cessera de me surprendre (et de me ravir au plus haut point !).

Là où se croisent quatre chemins de Tommi Kinnunen (traduction de Claire Saint-Germain). Albin Michel, 2017. 350 pages. 22,00 euros.




dimanche 8 janvier 2017

Égratignures - Simon Hureau

J’aime bien les nouvelles en BD. L’exercice n’est pas simple et peu d’auteurs s’y frottent. Chabouté par exemple est un maître du genre, ses Fables amères sont des bijoux de concision et d’efficacité. Simon Hureau décline dans ce recueil sept variations autour de l’enfance. Certaines se déroulent au début du 20ème siècle, d’autres de nos jours avec des enfants esclaves ou un gamin des rues dans un pays qui pourrait être la Mongolie. Une enfance souvent meurtrie par les adultes et des situations plus ou moins tragiques mais jamais sordides.

Le titre est parlant, il annonce des blessures pas forcément superficielles mais qui ne laisseront pas non plus de traces indélébiles, des blessures qui participent à la formation de petits êtres en devenir. Dans ces morceaux de vie, Simon Hureau met en avant l’ingénuité et la réflexion, il cherche le positif dans un tableau plutôt sombre et fait en sorte que chacun de ses récits se termine bien.



Racontées à la première personne, les histoires expriment le ressenti profond du narrateur, sans distance ni jugement venus de l’extérieur, dans une forme proche du journal intime. Pas de cases clairement dessinées, pas de dialogue, un trait rond reconnaissable au premier coup d’œil et un noir et blanc somptueux, Simon Hureau signe un recueil touchant qui s'aventure sur le chemin ô combien tortueux des moments clés de l'enfance, de ceux qui posent les jalons d'une future vie d'adulte. L'exercice est périlleux mais parfaitement maîtrisé. Et l'objet-livre (format carré, dos toilé) est superbe, ce qui ne gâche rien.

Égratignures de Simon Hureau.  Jarjile éditions, 2015. 120 pages. 18,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo, fan absolue du travail de Simon Hureau.
Son avis ici.




vendredi 6 janvier 2017

Parmi les loups et les bandits - Atticus Lish

Elle est arrivée en Amérique en passant par le Mexique. Chinoise de confession musulmane, sans papiers ni contacts avec sa communauté, Zou Lei débarque à New-York après un an de prison. Boulot minable à Chinatown payé bien en dessous du minimum légal, logement dans un dortoir exploité par un marchand de sommeil, incertitude liée à sa condition de clandestine, Zou Lei s’accroche, se bat pour survivre, prête à toutes les concessions et à tous les sacrifices pour se construire un avenir.

Lui revient d’Irak. Il y a vu des horreurs. En a commis aussi. Il descend du bus son sac sur le dos et trouve une chambre à louer dans un sous-sol du Queens. Skinner est en plein stress post-traumatique, hanté par des visions de corps déchiquetés sous la mitraille. Insomnie, paranoïa, dépression, il noie son mal être dans l’alcool et parcourt la ville sans but.

Ils se sont rencontrés par hasard et ont partagé leurs angoisses. Ils se sont accrochés l’un à l’autre pour ne pas sombrer. Ils ont osé tirer des plans sur la comète malgré leurs situations précaires, malgré l’évidence de la chute à venir…

Je ne suis pas un adepte de l’emphase, je ne suis pas du genre à m’emballer facilement (enfin je crois) mais je n’hésiterais pas une seconde à qualifier ce premier roman d’exceptionnel. Même si je sais d’avance qu’il ne plaira pas à tout le monde et que les amateurs de psychologie n’y trouveront pas leur compte.

Car Atticus Lish s’en tient aux faits. Sans juger, sans interpréter. Il montre ce que font les personnages et laisse au lecteur le soin d’en déduire ce qu’ils sont. En multipliant les descriptions, il sait que les postures, les attitudes, les dialogues se suffisent à eux-mêmes. Skinner va mal, Zou Lei est terrorisée, il est en colère, elle souffre. Pas besoin d’entrer dans leurs pensées, de les décortiquer. J’adore cette manière « factuelle »de raconter une histoire, cette littérature quasi documentaire. C’est une écriture à la fois très orale et très visuelle, brute, organique, rugueuse, spontanée. Le chapitre entier consacré à l’errance nocturne et hallucinée de Zou Lei dans un New-York stupéfiant de réalisme est à ce titre un modèle du genre. D’ailleurs, la ville est tout sauf un simple décor, c’est le troisième personnage principal du roman, un personnage aussi violent qu’indifférent au sort des sans grades arpentant ses rues.

Parmi les loups et les bandits n’est pas une histoire d’amour, le Queens n’est pas Vérone. Ces deux-là s’apprécient, c’est une certitude, ils partagent une réelle affection, ils ont des relations sexuelles, ils ont trouvé en l’autre le contrepoids à une irrespirable solitude. Ni plus ni moins : « A leur retour, ils vacillèrent une fois de plus au bord de la tristesse. Il lui demanda s’ils pouvaient s’allonger sur le lit et se serrer dans les bras jusqu’à ce qu’elle doive partir. Ils restèrent enlacés pendant un assez long moment, la lampe de chevet toujours allumée pour le réconfort. […] Je t’aime, dit-il. Elle ne répondit pas et il se demanda si ces mots sonnaient aussi creux pour elle que pour lui ».

C’est un roman fabuleux, tout en tension, asphyxiant. Un roman profondément urbain, le roman du peuple d’en bas, une plongée dans le quart monde new-yorkais qui braque les projecteurs sur la misère sans misérabilisme. Un univers où le quotidien est une lutte sans fin, où la désillusion prendra toujours le pas sur l’espoir. C’est pour moi le portrait le plus juste de ce qu’est une vie de clandestin dans l’Amérique de l’après 11 septembre. Couronné par le prestigieux Pen/Faulkner Award, Parmi les loups et les bandits a été salué par le jury comme une œuvre qui « fouille et met en lumière une Amérique vaste et traumatisée, qui vit, travaille et aime aux portes du palais ». Un palais dont Zou Lei et Skinner ne monteront jamais les marches, pas la peine d’être devin pour imaginer la fin de leur histoire.

Incontestablement mon plus gros coup de cœur en littérature étrangère de l’année 2016 (juste devant Anatomie d’un soldat, c’est dire).

Parmi les loups et les bandits d’Atticus Lish (traduction de Céline Leroy). Buchet Chastel, 2016. 560 pages. 24,00 euros.





jeudi 5 janvier 2017

Le garçon - Marcus Malte

Le garçon est un héros sans nom ni voix. Un enfant sauvage élevé par sa mère au fin fond de la Provence, près de l’étang de Berre. A la mort de sa génitrice, il quitte sa terre natale et découvre pour la première fois ses semblables. Livré à lui-même, ne connaissant rien des usages du monde, le garçon parcourt avec innocence le début du 20ème siècle, d’un hameau perdu aux champs de foire, d’une vie de bohème aux grands boulevards parisiens, des tranchées de la Grande Guerre au bagne de Cayenne et à l’Amazonie.

En chemin il découvre l’âpreté d’une vie de rien, la bonhommie d’un lutteur invincible, la bienveillance d’un notable et la passion brûlante de sa fille, la douleur de la perte, l’horreur de la guerre. Au fil des pages affleure l’éveil d’une conscience, conscience d’une âme pure appréhendant le monde « civilisé » dans toute son horreur et sa complexité.

Pfff, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ? Le garçon m’a laissé sur le cul. A la fois conte cruel et roman d’apprentissage, ce récit hypnotique est porté par le désenchantement, traversé par une mélancolie poétique doublée d’une profonde réflexion sur l’humanité. C’est un récit fleuve qui ne cesse de gagner en puissance, à l’écriture tantôt lyrique, tantôt nerveuse,  toujours tenue. Une écriture en demi-ton, « à l’oreille », d’une sonorité délicieusement musicale, si caractéristique de Marcus Malte.

Il lui aura fallu cinq ans pour venir à bout de ce roman-monde plein de souffle à la trame narrative ample, ambitieuse, loin, si loin du minimalisme ambiant et des geignardises nombrilistes de la littérature française actuelle. Mon plus gros coup de cœur de la rentrée littéraire, sans discussion possible. Je l’ai lu début août. Cinq mois plus tard, pas besoin de le rouvrir pour rédiger ce billet, je m’en souviens comme si c’était hier. C’est pour moi la marque des grands livres, des rares livres qui marquent de façon indélébile une vie de lecteur.

PS : Pour tout vous dire et au risque de spolier, si j’ai tout aimé dans ce roman, j’ai particulièrement apprécié sa conclusion. Le retour à l’état originel, animal. Le retour à la solitude, celle qui nous habite à la naissance et face à laquelle on se retrouve au moment de fermer les yeux pour la dernière fois. Entre les deux, les rencontres, l’amitié l’amour, les conflits, les bons et les mauvais moments passés dans la communauté des hommes. Mais au final le garçon est seul, il quitte cette humanité qu’il a eu tant de mal à atteindre, à apprivoiser, à comprendre. Parti de la sauvagerie, il y retourne sans regret, apaisé et serein. J’ai adoré cette façon imparable d’achever une si belle histoire.

Le garçon de Marcus Malte. Zulma, 2016. 544 pages. 23,50 euros.


Une lecture commune prévue de longue date et partagée avec la douce Moka. Après Blast et Confiteor, j'ai la chance de découvrir à ses cotés un troisième titre inoubliable. Et je sais d'avance que l'on ne s'arrêtera pas à trois.





mercredi 4 janvier 2017

Jamais je n’aurai 20 ans - Jaime Martin

Juillet 1936. Franco et les généraux putschistes lancent le coup d’état qui fera de l’Espagne une dictature militaire trois ans plus tard, après la capitulation des forces républicaines. Au début de la guerre civile, Isabella, la grand-mère de Jaime Martin, a tout juste 20 ans. Couturière illettrée, elle fréquente une bande de jeunes de son âge portés par les idéaux libertaires. Son futur époux, Jaime, s’est engagé dès le début du conflit dans une unité d’artillerie républicaine. Au moment où la dictature s’installe, tous deux vivent chichement (et dangereusement) grâce, entre autres, à la contrebande de tabac. Après la naissance de leurs deux premières filles (ils en auront trois), ils se lancent dans la récupération de bouteilles vides qu’ils revendent aux pharmacies et aux viticulteurs. Une petite entreprise qui prospère rapidement, même si le passé républicain du couple laisse planer sur leur quotidien un danger aussi insidieux que permanent.

Magnifique regard porté par l’auteur sur ses grands-parents et leur douloureuse histoire. Il met en lumière leur engagement politique, les épreuves auxquelles ils ont dû faire face et leur abnégation pour offrir à leurs enfants les meilleures conditions de vie possibles malgré une situation critique, sans pour autant en faire des héros, sans tomber dans l’exercice d’admiration. Le sujet est traité avec pudeur et délicatesse, en dehors de tout jugement, de tout parti pris. Jaime Martin dit la guerre avec une grande justesse, il dit la peur, l’horreur des combats et des exécutions sommaires, les privations, les humiliations, l’angoisse, les petits moments de bonheur, le pays écrasé par la botte fasciste, une jeunesse éprise de liberté dont les rêves ont été brisés.

La narration, respectant la chronologie des événements, reste d’une parfaite lisibilité grâce à un découpage et un dessin à la fois sobres et efficaces. « Jamais je n’aurai 20 ans » est un remarquable travail de mémoire utilisant l’histoire familiale pour offrir un témoignage à la portée universelle. Un très grand album.

Jamais je n’aurai 20 ans de Jaime Martin. Dupuis, 2016. 120 pages. 24,00 euros.



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mardi 3 janvier 2017

Noir d’ancre : Le prix de la nouvelle érotique

Un recueil regroupant la nouvelle gagnante du prix de la nouvelle érotique 2016 et dix autres textes sélectionnés par le jury. Créé par les Avocats du Diable, le Prix de la Nouvelle Érotique propose d’écrire une nouvelle inédite à l’occasion du passage à l’heure d’hiver. Une seule nuit donc pour rédiger une histoire et l’envoyer par mail impérativement avant 7h00 le lendemain matin. Un défi littéraire s’accompagnant d’une double contrainte (contexte de situation et mot final identique pour tous, tirés sous contrôle d’huissier) afin d’obliger chaque participant à développer un imaginaire de circonstance.

Pour cette première édition, la double contrainte était « Jamais sans toi, peut-être avec un autre » et le mot final « Ancre ». Entre le samedi 24 octobre 2015 à 23h59 et le dimanche 25 à 7h00, 242 participants se sont pliés au jeu et ont rendu leur copie. Six mois plus tard, le jury annonçait le nom de la lauréate, Isabelle Cousteil, pour son texte « Noir d’ancre ».

Honnêtement, l’histoire gagnante n’est pas ma préférée, loin de là même. Très peu d’érotisme, une esthétique très 19ème siècle avec une petite touche de fantastique en conclusion qui ne m’a pas fait le moindre effet. Après, j’ai beaucoup apprécié l’éclectisme des choix du jury. La variété est de mise et c’est un vrai plaisir de découvrir le classicisme un peu cliché mais efficace de Gilles Milo-Vacéri, l’originalité de Robert Louison avec sa variation autour du potentiel érotique du Petit Larousse, la surprenante chef d’orchestre d’Anne Bourrel, l’amant toujours prêt à se mettre en route de Sylvie Sanchez et même le SM assez poussé mais fort bien mené de Daniel Nguyen. Seul Régis de Sà Moreira et son anecdotique « Va-et-vient » m’ont semblé un cran en dessous.

Et mes lauréats rien qu’à moi ? Et bien j’aurais du mal à départager deux textes qui m’ont vraiment emballé. D’abord le très beau « Kundalini » de Diniz Galhos traitant le thème de la vieillesse tout en sensibilité. Ensuite le saphisme chic, élégant et très émoustillant de Catherine Verlaguet, une auteure de théâtre que j’apprécie depuis quelques années maintenant.

En tout cas, compte tenu des contraintes imposées par le règlement, je salue la qualité des textes produits. L'exercice n'était vraiment pas simple, le résultat est d'autant plus remarquable, au moins pour les onze nouvelles contenues dans ce recueil.

Noir d’ancre : Le prix de la nouvelle érotique. Au Diable Vauvert, 2016. 155 pages. 12,00 euros.










lundi 2 janvier 2017

Le bon fils - Steve Weddle

Le fin fond de l’Arkansas, Roy y revient après dix ans de taule. Personne n’a oublié ce qui l’a envoyé derrière les barreaux. Personne n’est décidé à lui pardonner. Roy trouve refuge chez sa grand-mère. Il est prêt à se racheter une conduite, prêt à tout faire pour ne pas replonger. Mais en dix ans le bled paumé où il a grandi a bien changé. La crise a laissé des traces, la misère gagne du terrain chaque jour, les drogues et l’alcool font des ravages et chacun tente de s’en sortir comme il peut, quitte à dangereusement flirter avec l’illégalité. Et Roy, malgré ses bonnes intentions, ne va pas faire exception à la règle.

Un roman qui déstabilise. Sa construction décousue m’a d’abord fait penser à un recueil de nouvelles. Le lieu reste en permanence le même, on retrouve des personnages d’un chapitre à l’autre et Roy fait le lien entre des textes de prime abord disparates. Au final la cohérence est bien là mais il n’est pas toujours évident de s’y retrouver. Pour le coup, il vaut mieux l’avaler d’une traite plutôt que de morceler la lecture afin de ne pas perdre le fil.

 La narration est donc ambitieuse mais elle demande de l’attention.  C’est sans doute ce qui à péché me concernant,  je n’ai pas su me rendre suffisamment disponible pour profiter d’une histoire dans laquelle j’ai peiné à me plonger totalement. Et puis je dois me rendre à l’évidence, j’ai trop lu de romans se déroulant dans l’Amérique rurale dernièrement (Viens avec moi, Corrosion, Les maraudeurs, Pottsville, Là où les lumières se perdent),  j’y retrouve toujours les mêmes ambiances et les mêmes types de personnages, voire d’intrigues, ce qui à la longue devient lassant. Clairement, ce n’était pas le bon moment pour déguster ce Bon fils dans les meilleures conditions. Impossible cela dit de nier que ce premier roman est pétri de qualités. D’ailleurs le tout premier chapitre, isolé du reste, ferait une nouvelle absolument sublime.

Le bon fils de Steve Weddle. Gallmeister, 2016. 215 pages. 20,00 euros.