vendredi 24 juin 2011

Les grenouilles samouraïs de l’étang des Genji

L’étang des Genji est un très vieil étang. Il y a fort longtemps y vivaient en harmonie des grenouilles, des crapauds et des rainettes vertes et rousses. Le Seigneur Yorimoto régnait sur le clan, magnanime. Mais par un bel été survint la catastrophe : un cri transperça la nuit et on trouva une rainette verte gravement blessée au bord de l’eau. Près d’elle, sur le sol, il y avait des empreintes que l’on n’avait jamais vues et un objet long et blanc que la guerrière Tomoé reconnut : le poil de la moustache d’un chat Heiké ! Alors, sur ordre du seigneur Yorimoto, dix mille grenouilles de l’étang des Genji prirent les armes pour aller attaquer le chat malfaisant. Mais l’assaut tourna à la déroute car le chat était trop fort. Il fallut alors toute l’ingéniosité d’une jeune grenouille pour venir à bout de cet adversaire qui semblait pourtant invincible.

Inspiré de la célèbre épopée du Heiké Monogatari qui décrit le combat qui s’est déroulé au XIIème siècle entre les clans Genji et Heiké pour le contrôle du Japon, cet album poétique offre une succession de tableaux se déployant sur des doubles pages. Les illustrations, aux couleurs somptueuses sont d’une rare élégance. Célébrant l’ingéniosité des plus faibles face à la force brute, voila un ouvrage dépaysant qui ravira petits et grands. Une lecture à partager en famille !

Les grenouilles samouraïs de l’étang des Genji, de Kazunari Hino et Takao Saitô, Éditions Picquier Jeunesse, 2009. 40 pages. 15,00 euros. Dès 7 ans.




Ce billet constitue ma 1ère participation à la quinzaine nippone de Choco.




lundi 20 juin 2011

Touriste

Julien Blanc-Gras revendique haut et fort son statut de touriste. Pas forcément la caricature du type en chemise à fleurs qui parcourt des milliers de kilomètres pour manger la même pizza que chez lui. Plutôt un voyageur cherchant à s’assurer que les atlas feuilletés depuis l’enfance contiennent des informations correctes : "Certains veulent faire de leur vie une œuvre d'art, je compte en faire un long voyage. Je n'ai pas l'intention de me proclamer explorateur. Je ne veux ni conquérir les sommets vertigineux, ni braver les déserts infernaux. Je ne suis pas aussi exigeant. Touriste, ça me suffit. Le touriste traverse la vie, curieux et détendu, avec le soleil en prime. Il prend le temps d'être futile. De s'adonner à des activités non productives mais enrichissantes. Le monde est sa maison. Chaque ville, une victoire. Le touriste inspire le dédain, j'en suis bien conscient. Ce serait un être mou, au dilettantisme disgracieux. C'est un cliché qui résulte d'une honte de soi, car on est toujours le touriste de quelqu'un." Tout est dit !

Angleterre, Colombie, Guatemala, Inde, Maroc, Brésil, Chine, Polynésie, Madagascar… Autant de destinations que de découvertes. Julien Blanc-Gras possède une façon bien à lui d’appréhender la dynamique du monde. Il conçoit le tourisme comme une leçon de géographie à l’échelle 1. Et il faut bien reconnaître que ses impressions de voyage sont délicieuses à partager. Refusant (et ne pouvant se permettre) le luxe des grands hôtels, il côtoie les autochtones dans leur milieu, en parfaite immersion. Quand il se rend dans un faubourg ultra violent de Cali ou dans une favela brésilienne, c’est sans à priori, oscillant entre naïveté et réelle lucidité.

C’est un fait, ce voyageur là possède à la fois de l’humour et une vraie profondeur, parfois cachée derrière son goût pour les bons mots et les formules à l’ironie mordante. Son écriture, d’une belle fluidité, est délicieuse. Pas de chichi, pas de langue de bois, pas d’envolée lyrique ou philosophique. Pas non plus de dénonciation outragée ou de prise de position militante. Un point de vue plein de fraîcheur qui sait se faire critique quand la situation l’exige. Sans nier la terrible réalité du monde, Julien Blanc-Gras garde un regard souvent tendre et toujours très respectueux pour les gens qu’il rencontre.

Un récit de voyages parmi tant d’autres ? Surement pas. Une vision moderne et très personnelle du tourisme alliée à un joli brin de plume font de ce recueil passé totalement inaperçu au moment de sa sortie un vrai régal de lecture. Vous serez prévenu…

Touriste, de Julien Blanc-Gras, Éditions Au diable vauvert, 2011. 260 pages. 17,00 euros.

vendredi 17 juin 2011

Où es-tu Léopold 1 : On voit ton pyjama

Trop cool de pouvoir devenir invisible quand on veut ! Léopold découvre qu'il possède ce don par le plus grand des hasards mais il voit très vite les avantages qu’il va en tirer. Attention cependant : à la manière des super héros, il lui faut garder le secret pour ne pas être kidnappé par la CIA ou devenir un objet d’étude pour les scientifiques. Seule sa sœur Céline est au courant. Et pour elle, le pouvoir de son frère devient une inépuisable source d’ennuis, Léopold multipliant les blagues de plus ou moins bon goût avec pour cible préférée sa sœur «chérie».

Des histoires courtes de trois ou quatre planches à l’humour potache, voila ce que propose ce premier volume des aventures de Léopold. Ça ne vole parfois pas bien haut mais c’est tout le charme de cette nouvelle série qui a la particularité de s’adresser aux enfants de 6-8 ans. Un dessin très simple, des cases de grande taille, seulement 30 pages, un petit format que l'on tient bien en main… tout a été pensé pour faciliter la tâche des apprentis lecteurs qui commencent à peine à lire des BD tout seul. Un petit bémol toutefois, le lettrage assez maladroit pourra poser problème à ceux ayant encore quelques difficultés à déchiffrer certaines lettres de l’alphabet.

Entre des relations frère/sœur volcaniques et un humour de cour de récré, ce premier tome fait mouche sur un créneau assez peu couru par les éditeurs. Certes rien de révolutionnaire, juste un divertissement plein de fraîcheur et adapté à son public. Mais c’est déjà pas mal, non ?


Où es-tu Léopold T1 : On voit ton pyjama de Vincent Caut et Michel-Yves Schmitt, éditions Dupuis, 2011. 30 pages. 9,50 euros. A partir de 6 ans.



Le challenge Palsèche de Mo'

mercredi 15 juin 2011

Un privé à la cambrousse, intégrale 1

A la mort de son père, Hubert hérite de l’exploitation familiale avec son frère Bertrand. Le partage est simple : à Hubert la maison et à Bertrand les terres. Un arrangement amiable est trouvé. Le frère et sa femme sont logés gratuitement et en contrepartie Hubert est nourri et blanchi par sa belle sœur. Mais cette dernière est une vraie peau de vache et pour gagner un peu d’autonomie financière et améliorer l’ordinaire, Hubert rend quelques services à droite à gauche, essentiellement surveillance et espionnage. Finalement, rien de bien excitant dans ces affaires purement rurales : des oies pendues à un arbre par un voisin indélicat, un tracteur saboté par un concurrent jaloux, un coin à truffe qui attire les braconniers... Par la suite, les intrigues vont singulièrement se compliquer : entre un trafic de gnole qui tourne mal et des tentatives de meurtres dans les milieux mycologiques, Hubert va devoir faire preuve d’un sens approfondi de la déduction et d’une volonté de fer pour éclaircir ces drôles de faits divers.

Pas facile d’être un privé dans un village de 800 âmes. Comment opérer avec discrétion quand tout le monde vous connaît ? Sans compter que les commérages vont tellement vite qu’il vaut mieux ne pas s’afficher avec le Maigret du coin. Pour couronner le tout, l’autochtone peut être tour à tour taciturne, moqueur, vindicatif, alcoolique et facilement violent. Pas évident, dans ces conditions, de lui tirer les vers du nez.

Bruno Heitz propose une plongée au cœur de la France profonde des années 50. Une époque où l’épicier ambulant et sa camionnette faisait office de lien social fondamental, où les repas du soir était parfois bien pauvres et où les heures passées au bistrot étaient plus importantes qu’une éventuelle vie de famille. Les portraits de femmes sont féroces : la belle sœur vacharde qui se tire après avoir mis la main sur un magot, la commerçante pingre qui ne fait pas souvent crédit, la fille adoptive qui veut venger son père à coup de chevrotine… Pour autant, l’auteur n’y va pas avec de gros sabots. Il y a une vraie finesse dans son analyse quasi sociologique de la société rurale de l'après-guerre.

Graphiquement, d’aucuns qualifieront le dessin au mieux de minimaliste, au pire de franchement mal maîtrisé. Personnellement, je lui trouve beaucoup de charme. Un noir et blanc simple, efficace, au service de l’intrigue, qui rend bien les atmosphères grises et tristounettes de Beaulieu sur Morne et de ses environs. On peut toujours se dire que les aventures d’Hubert auraient eu plus de gueule sous le trait hyper réaliste de Gibrat ou celui plus torturé de Lax, mais je persiste à croire que le travail de Heitz mérite un large crédit et est adapté au propos.

Conjuguer humour et drames paysans avec un dessin limite enfantin tenait de la gageure quasi insurmontable. Pourtant, le challenge est relevé haut la main et l’on suit avec délectation les aventures d’Hubert, ce privé de la cambrousse atypique et franchement attachant.

Cette intégrale reprend les trois premiers tomes de la série qui en compte neuf en tout. Publiés initialement aux éditions du Seuil, les titres encore disponibles végétaient au fond des tiroirs. Suite à un accord tripartite entre le Seuil, l’auteur et Gallimard, la publication de ces intégrales a pu enfin aboutir et constitue une sorte de « collector » qui donne à cette série trop longtemps ignorée l’écrin qu’elle mérite.


Un privé à la cambrousse, intégrale T1 de Bruno Heitz, Éditions Gallimard, 2011. 336 pages. 21.00 euros.




Le challenge Palsèche de Mo'


La BD du mercredi de Mango





dimanche 12 juin 2011

La radio des blogueurs : c'est bientôt l'été

Pour cette nouvelle session de la Radio des blogueurs, Leiloona
propose de créer "une playlist qui nous met de bonne humeur dès le matin". En ce moment avec mes filles de 5 et 8 ans on aime écouter Black Joe Lewis. Un son péchu, du rock soul bluesy qui fait évidemment penser au grand James Brown mais pas seulement.
Sa bio parle d'influences à chercher du coté du Texas Blues, de la soul de Memphis et du punk rock de Detroit. Mais plutôt que les longs discours, mieux vaut écouter ce son qui vous fait taper du pied et vous donne la pêche dès le matin.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

vendredi 10 juin 2011

Petits ruisseaux

C’est un petit ruisseau qui rêve de sortir de son lit pour parcourir le monde, de devenir un fleuve géant se jetant dans la mer.

C’est un petit garçon à moitié endormi. Son ventre le chatouille et l’envie se fait de plus en plus pressante. Mais il fait nuit et il n’ose pas se lever. Il faudrait quelqu’un pour lui allumer la lumière.

Finalement, le cours d’eau et le garçonnet vont fusionner. Le premier va inonder la prairie et le second son pyjama et même ses draps. L’un comme l’autre, ils ne se sont pas retenus et il faut bien reconnaître que ce lâcher-prise semble les réjouir au plus haut point !

Un petit livre plein de gaieté qui use de la métaphore pour démontrer que le pipi au lit, pour régressif qu’il soit, n’a rien de honteux. La construction de l’album alterne les passages dans la chambre de l’enfant et ceux décrivant la progression du ruisseau. C’est à la dernière page que leurs chemins, jusque là parallèles, se rejoignent dans une apothéose libératrice.

Les illustrations de Vincent Mathy sont fraîches et colorées et accompagnent à merveille un texte simple où le champ lexical est en osmose avec le sujet traité : se retenir, grossir, sortir de son lit, éclabousser, inonder...

Une belle occasion de dédramatiser ces fuites nocturnes qui sont souvent très mal vécues par les enfants et les parents. Alors tant pis pour les bien-pensant (qui a dit pisse-froid ?) qui vont y trouver à redire, mais vive le pipi au lit !

Petits Ruisseaux de Cathy Ytak et Vincent Mathy, éditions Sarbacane, 2011. 40 pages. 12,90 euros. A partir de 3 ans.

L'avancée du ruisseau

L'angoisse du petit garçon

mercredi 8 juin 2011

Le viandier de Polpette 1 : L’ail des ours

Après avoir officié comme cuistot dans l’armée pendant la guerre, Polpette échoue un peu par hasard à l’auberge du coq Vert. Dans cet établissement isolé au pied des montagnes, ses talents font de lui un cuisinier renommé. La vie s’écoule paisiblement au sein de la petite communauté présente dans l’auberge. Son propriétaire, le comte Fausto de Scaramandra, est un personnage fantasque, épicurien dans l’âme. Mais l’annonce de l’arrivée prochaine de son père, vieux chef militaire qu’il n’a pas revu depuis des années, semble le préoccuper au plus haut point…

Le viandier de Polpette, c’est de la fantasy pas héroïque du tout. Pas d’elfes ni d’orcs, pas de nains, de dragons ou de sorciers. Juste des amis dont le but premier est de profiter des petits plaisirs qu’offre l’existence. S’il y avait une comparaison à faire, il faudrait regarder du coté du village d’Astérix ou de celui des schtroumpfs. Un endroit où le lecteur se sent bien, où la simplicité des relations fait plaisir à voir. Les enjeux humains sont à l’évidence le cœur du récit. D’ailleurs, les fans de Julien Neel retrouveront la thématique de la filiation qui est déjà fortement présente dans sa série Lou ! Autre élément fondamental, la nourriture. Les auteurs avouent qu’ils ont voulu donner faim à leurs lecteurs. L’histoire est parsemée de recettes illustrées et décrites avec précision. Au-delà de l’aspect purement culinaire, c’est un moyen originale de rythmer l’album.

Graphiquement, les amateurs de Lou ! ne seront pas dépaysés. Ils retrouveront ces bouilles que l’on reconnaît au premier coup d’œil, ces couleurs pastel et ce découpage varié mais finalement très classique. Petit reproche, certaines cases de grande taille apparaissent un peu pauvres en terme de décors.

Au final, d’aucuns qualifieront le scénario de simplet, un brin naïf et manquant singulièrement d’épaisseur. C’est un fait. Pour ma part, je vois dans cet album une ode à l’amitié et à la simplicité, un contre pied aux séries dont l’action à tout prix est la seule raison d’être. J’ai beaucoup aimé ce parti pris narratif qui peut, à quelques égards, être comparé au travail de Régis Loisel et Jean-Louis Tripp sur leur Magasin général.

Le Viandier de Polpette devrait compter en tout trois volumes. Inutile de vous dire que je suis partant pour la suite !

Le viandier de Polpette T1 : L’ail des ours d’Olivier Milhaud et Julien Neel, Éditions Gallimard, 2011. 142 pages. 18.00 euros.

L'avis de PG Luneau




La BD du mercredi, c'est chez Mango



Festival BD Boum 2011
Prix du Conseil Général


lundi 6 juin 2011

Les foudroyés : prix Pulitzer 2010

George agonise. Le cancer qui le ronge a atteint sa phase terminale. Entouré des siens, installé dans un lit médicalisé planté au milieu du salon, il vit ses dernières heures. George Washington Crosby est né à West Cove, dans le Maine, en 1915. En 1936, il a déménagé dans le Massachusetts et y a fondé sa famille. Ancien ingénieur, il a opéré une reconversion sur le tard dans le commerce et la réparation d’horloges. Avant de fermer les yeux une fois pour toutes, George laisse les souvenirs remonter à la surface. Il repense à son père, Howard, vendeur ambulant dans une carriole tirée par un âne. Un homme souffrant d’épilepsie qui faillit un jour lui trancher les doigts avec ses dents lors d’une terrible crise. Un homme qui, un soir en revenant de la « tournée quotidienne qui l’emmenait par les chemins de traverse vendre ses brosses et son savon aux matrones de l’arrière-pays, et apercevant sa famille dans la pénombre de la fenêtre de la cuisine, avait cravaché sa mule […] et poursuivi sa route à bord de sa carriole pour ne s’arrêter qu’une fois arrivé, anonyme, à Philadelphie. »

Pénible, voila comment je qualifierais mon entrée dans ce roman couronné aux États-Unis par le prix Pulitzer 2010. La narration est totalement décousue, oscillant entre le présent, le passé et des considérations ultra techniques sur l’horlogerie. Une sorte de maelstrom indigeste et sans grand intérêt. Et puis, alors que j’étais sur le point d’abandonner, le miracle s’est produit. A la page 70, au début de la seconde partie, l’histoire se focalise sur la jeunesse de George, et plus particulièrement sur les événements qui ont poussé son père à fuir le foyer. L’écriture devient fluide, limpide, et l’on découvre la rudesse de la vie dans l’Amérique profonde des années vingt. Cinquante pages lumineuses qui justifient à elles seules la lecture du roman.

Paul Harding prend son temps. Il oscille avec talent entre les descriptions contemplatives de la nature, la violence incontrôlable d’une crise d’épilepsie ou encore les fulgurances de l’esprit en perdition d’un mourant. Son texte, à la fois pastoral et lyrique, enchaîne les tableaux comme autant d’images miniatures ciselées avec une précision d’orfèvre.

Un roman inégal mais qui mérite d’être lu pour peu que l’on aime la littérature, loin de tout effet de mode et d’une quelconque recherche d’action ou de divertissement à tout prix. .

Les foudroyés, de Paul Harding, Éditions Le cherche midi, 2011. 186 pages. 15,00 euros.

vendredi 3 juin 2011

Salvatore 1 : Transports amoureux

Salvatore est un chien garagiste vivant au fin fond de la Haute Savoie. Réputé comme le meilleur mécano de la région, c’est un solitaire taciturne et misanthrope qui adore réparer les moteurs mais déteste ses clients. Au-delà de sa passion pour les voitures, Salvatore n’a qu’un but : retrouver Julie, son amour d’enfance partie depuis des lustres en Amérique du sud en lui faisant promettre qu’ils se reverraient un jour.

Pour mener à bien ce rêve un peu fou, le garagiste va croiser sur son chemin une truie enceinte jusqu’aux yeux, un taureau camarguais en bien mauvaise posture ou encore une vachette jalouse comme une tigresse.

Des personnages improbables, animaux anthropomorphes vivant parmi les humains comme si de rien n’était. Un narrateur omniprésent qui commente et anticipe les événements. Une succession de situations plus abracadabrantes les unes que les autres. Une histoire d’amour aussi simple que touchante. Les ingrédients de ce premier volume sont nombreux et variés mais pas indigestes pour autant. Entre poésie, absurde, surréalisme et humour, Nicolas de Crécy tricote un drôle de canevas qui, au final, tient franchement la route. Il faut juste accepter de se laisser emporter sans à priori dans cet univers invraisemblable pour passer un délicieux moment de lecture.

Au premier abord, il serait tentant de qualifier le coup de crayon de l’auteur de maladroit. Un rien tremblotant, à la limite du crayonné, avec des proportions pas toujours respectées. Mais à y regarder de plus près, on se rend compte qu’il se cache derrière cette apparente naïveté graphique une sacrée maîtrise. Il suffit pour s’en convaincre de suivre la longue séquence centrale de l’album qui emmène la truie enceinte dans un voyage des plus mouvementé. De Crécy décline au long de cette douzaine de pages un art du cadrage et de la mise en scène assez époustouflant.

Bref, tout ça pour dire que j’ai beaucoup aimé ce premier tome. Alors merci qui ? Merci Mo’ bien sûr. Après Courtney Crumrin, elle m’a de nouveau gâté en m’offrant cet album qui permet d’entrer en douceur dans le monde de Nicolas de Crécy. Je sais que de son coté, ça n’a pas été le coup de foudre pour cette série (http://chezmo.wordpress.com/2010/03/18/salvatoretomes1et2/) mais pour moi ce fut une bien belle découverte. Après tout, les goûts et les couleurs…

Salvatore T1 : Transports amoureux de Nicolas de Crécy, Dupuis, 2005. 48 pages. 11,95 euros.


L’info en plus : La série est toujours en cours. A l’automne 2010, les éditions Dupuis ont publié une intégrale brochée des quatre premiers volumes avec une nouvelle colorisation dans des tons sépia du plus bel effet.




Le challenge Palsèche de Mo'

lundi 30 mai 2011

A bicyclette

« Les souvenirs d’enfance sont, semble-il, toujours coiffés de l’auréole d’un bonheur illusoire. »

Su Tong, l’auteur mondialement connu d’Épouses et concubines, revient sur sa jeunesse. Il plonge le lecteur dans la Chine rurale des années 70 à travers le quotidien du petit garçon qu’il était à l’époque. Un enfant « un peu seul et vite inquiet » vivant au sein d’une famille pauvre de six enfants. De sa première bicyclette aux séances de cinéma en plein air, de ses débuts d’écolier à son apprentissage de la natation, il porte un regard nostalgique mais lucide sur ces années où la vie des masses n’étaient franchement pas simple sous le joug d’un régime communiste omniprésent. La pénurie de nourriture et les queues interminables devant des magasins à moitié vides font partie des images fortes du recueil. Tout comme les réflexions sur la relation au père ou encore sur la passion de l’auteur pour la lecture.

Ces micro-nouvelles semblent écrites, comme le dit Su Tong, dans la paume de la main. Un exercice difficile qui nécessite à la fois fluidité et concision. Littérairement parlant, rien à dire, ça tient la route. Par contre, pour ce qui est de l’intérêt de ces différents textes, je dois reconnaître que je me suis franchement ennuyé. Et pourtant j’adore les nouvelles. Mais là, rien à faire je n’ai pas du tout accroché. Heureusement que chacun de ces « instants minuscules volés à la mémoire » ne fait que 3 ou 4 pages sinon l’ouvrage me serait plus d’une fois tombé des mains. Je suis allé jusqu’au bout en me disant que j’allais bien finir par tomber sur une perle cachée entre deux textes soporifiques parlant du coiffeur, de la bouchère ou des pharmaciennes. Résultat, l’ensemble du recueil m’est passé sous les yeux sans que j’en retienne un seul moment fort. Finalement, je l’ai refermé sans regret, me disant que tout cela avait été aussi vite lu qu’oublié.

Une déception évidente, donc. Mais je ne me suis pas juré pour autant de ne plus jamais me frotter à la littérature chinoise. Je garde de trop bons souvenirs des Contes étranges de Pou Song Lin ou de l’excellentissime roman de Lu Wenfu Vie et passion d’un gastronome chinois.

A bicyclette, de Su Tong. Ed. Philippe Picquier, 2011. 142 pages. 15 euros.