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dimanche 9 décembre 2018

L’Herbe de fer - William Kennedy

Il a voulu noyer sa lâcheté dans la bouteille mais n’y est pas parvenu. Ancien joueur de baseball devenu clochard, Francis Phelan erre dans les rues d’Albany. Il vivote, trouve un petit boulot au cimetière, gagne quelques dollars en accompagnant un chiffonnier dans sa tournée. Il fréquente les foyers, côtoie les laissés pour compte de la grande dépression. En cette fin du mois d’octobre 1938, alors que la toussaint approche à grand pas, Francis croise les fantômes de ceux qu’il a fait souffrir. A commencé par son nourrisson de fils dont il a causé la mort en le laissant tomber sur le carrelage vingt ans plus tôt alors qu’il changeait sa couche. Accompagné de Rudy le simple d’esprit et d’Helen, avec qui il a une relation compliquée, Francis tente de reprendre le dessus en sachant que la rechute le guette à chaque coin de rue.

Un grand roman américain dont j’ignorais jusqu’alors l’existence, lauréat du National Book Award 1983 et du prix Pulitzer 1984, adapté au cinéma en 1987 avec Jack Nicholson et Meryl Streep dans les rôles principaux, rien que ça !

Un grand roman de la grande dépression mêlant le réalisme crasse du quotidien des clochards et les apparitions spectrales des âmes blessées par le comportement de Francis. Le résultat est surprenant, à la fois drôle, sordide, poétique, cruel. La misère est dépeinte dans toute sa dureté, sans lyrisme ou apitoiement malvenus, et la galerie de personnages secondaires incroyablement marquante.

Francis n’est pas un héros. Ce n’est pas non plus un salaud, juste un homme traînant avec lui son passé, ses erreurs, ses lâchetés, et surtout sa culpabilité. C’est à cause d’elle que les fantômes lui apparaissent mais c’est aussi grâce à elle qu’il reste debout : « Au plus profond de lui-même, là où il pouvait pressentir une vérité qui échappait aux formules, il se disait : ma culpabilité est tout ce qui me reste. Si je perds cela, alors tout ce que j'aurais pu être, tout ce que j'aurais pu faire aura été en vain. »

Une quête de pardon et d’impossible rédemption d’une beauté crépusculaire dont l’infinie tristesse m’a brisé le cœur. J’ai évidemment adoré.

L’Herbe de fer de William Kennedy (traduit de l’anglais par Marie-Claire Pasquier). Belfond, 2018. 280 pages. 18,00 euros.





vendredi 25 août 2017

Underground Railroad - Colson Whitehead

L’Undergound Railroad est un réseau de chemin de fer souterrain et clandestin traversant les États-Unis du Sud au nord. Un réseau construit par des abolitionnistes blancs et des esclaves affranchis pour offrir une route vers la liberté à ceux ayant l’audace de tenter leur chance. Cora l’a utilisé pour quitter la plantation de Géorgie où sa vie était un enfer. Une fuite éperdue avec sur ses traces le terrible chasseur d’esclaves Ridgeway, bien décidé à mettre le grappin sur celle dont la mère est la seule à avoir pu échapper à ses griffes des années auparavant.

Caroline du Sud, Caroline du Nord, Indiana, Cora remonte vers le nord et découvre dans chaque état une forme de racisme différente : stérilisation de masse, pendaison et lynchage pour les blancs se montrant trop conciliants avec les noirs, repli communautaire dans un état « progressiste » tenant plus du miroir aux alouettes que d’un espoir réel, Cora découvre du haut de ses 16 ans que « le monde rend les hommes méchants ».

 L’Undergound Railroad, réseau d’aide aux esclaves fugitifs, a bien existé, mais pas sous la forme d’un chemin de fer souterrain. Cette « invention » permet à Colson Whitehead de donner une dimension fantastique salutaire à un récit d’une brutale réalité. Car la fuite de Cora n’a évidemment rien d’un long fleuve tranquille. C’est une lutte farouche et désespérée contre l’adversité, un chemin semé d’horreurs où les désillusions s’enchaînent. Impossible de ne pas s’indigner devant le traitement réservé à la population noire par les états du sud avant la guerre de sécession. Impossible de ne pas mettre en parallèle ce traitement avec la question raciale toujours brûlante dans l’Amérique d’aujourd’hui. Et impossible également de ne pas voir dans la situation de Cora le reflet de celle des migrants actuels, fuyant un enfer en pensant que l’herbe est forcément plus verte ailleurs alors qu’ils ne sont en réalité bienvenus nulle part.

Un roman puissant, habité, très documenté, où l’insoutenable n’est pas un effet de style qui cherche gratuitement l’obscène et le sensationnel. On en sort secoué, ébranlé, anéanti devant autant de haine, ébloui devant autant d’abnégation, devant une telle volonté de vivre dans un monde vous faisant perpétuellement comprendre qu’il n’y aura jamais de place pour vous à la table des rois. Surtout, on sort de ce roman en se disant avec tristesse et effarement que Colson Whitehead vient peut-être de nous montrer, avec un incroyable brio, le vrai visage de l’Amérique.

 Underground Railroad de Colson Whitehead (traduit de l’anglais par Serge Chauvin). Albin Michel, 2017. 400 pages. 22,90 euros.