vendredi 17 juillet 2015

Personne - René Pons

Alors voila, tu obtiens un rendez-vous à l’arrache chez le médecin parce qu’à un moment donné il faut quand même se soigner et arrêter de laisser traîner, mais tu sais qu’elle va te prendre entre deux autres patients et que tu risques de poireauter. Alors avant d’y aller, tu fais un crochet rapide par la médiathèque et tu attrapes le premier bouquin que tu vois sur le présentoir des nouveautés, histoire de ne pas complètement perdre ton temps dans la salle d’attente. Tout ça pour dire qu’il faut parfois emprunter des chemins sortant de l’ordinaire pour découvrir un éditeur et un auteur dont on n’avait jusque-là jamais entendu parler.

Les éditions de L’Amourier, donc, situées à Coaraze, un village tout près de Nice si j’ai bien compris, et René Pons, octogénaire ayant publié une quarantaine d’ouvrages depuis 1962, notamment chez Gallimard et Actes sud. Un homme discret se tenant loin des milieux littéraires et médiatiques et à l’écriture pleine de retenue et de modestie.

Quatre nouvelles dans ce recueil, quatre variations autour de la solitude. Une femme qui marche toute la journée avant de regagner sa chambre d'hôtel minable. Une autre s'ennuyant à mourir pendant une soirée où son époux reçoit des amis. Un homme rendant visite à un couple pas vu depuis fort longtemps. Le mari n'est pas là et il n'a pas grand chose à dire à la maîtresse de maison en dehors d'affligeantes banalités. Dans le dernier texte, un jeune adulte vivant avec sa mère passe son dimanche au troquet avec les copains. Mais malgré l'amitié de façade et les parties de cartes, lui aussi est désespérément seul.

Vous l'aurez compris, rien de joyeux dans ces micro-histoires. Des petits riens du quotidien minutieusement décrits, des êtres qui se croisent sans communiquer, des êtres sans buts, sans projets, enfermés dans des silences et des pensées impossibles à partager. L'auteur les qualifie en postface de "héros gris", je n'aurais pas dit mieux je crois.

Ces nouvelles, inédites ou publiées dans des revues, on été écrites il y a des dizaines d'années. Elles dégagent un charme suranné, hors des modes et du temps. Et franchement, ça fait du bien.

Personne de René Pons. L’Amourier, 2015. 68 pages. 12,00 euros.









jeudi 16 juillet 2015

Amours - Léonor de Récondo

1908, dans une maison bourgeoise du Cher. Mariés sans amour depuis cinq ans, Victoire et Anselme de Boisvaillant n'arrivent pas à avoir d'enfant. Quand Céleste, la jeune bonne, tombe enceinte de Monsieur, Victoire décide que ce bébé sera celui du couple. Seulement, la maîtresse de maison ne sait pas s’en occuper et, pour éviter une catastrophe, sa mère naturelle doit prendre les choses en main.

Le cœur a ses raisons que la raison ignore... Variation originale sur un thème des plus classiques, ce roman m’a touché par son ton, son rythme très musical. Léonor de Récondo va au-delà des apparences, elle montre l’envers du décor, derrière les façades et les convenances. Il est question de chair, d’abandon et de sentiments. Pour Victoire, la liberté de corps et d’esprit passe par un corset à ôter, au sens propre comme au sens figuré. Elle y parviendra, certes, mais si les barrières sociales explosent, ce n’est que temporairement, car le carcan dans lequel elle est enfermée finira par se resserrer.

Le rapport au corps est partout présent dans ce texte, tout en pudeur. Un corps dont la fonction première et unique est d’enfanter. Mais quand l’enfant ne vient pas, ce corps n’a plus la moindre utilité. Seul le frémissement du désir et la découverte du plaisir permettront à Victoire d’accepter et de comprendre ce corps, de lui laisser prendre le pouvoir et l’emmener vers des horizons qu’elle ne pouvait soupçonner.

Un huis clos aux personnages solaires, oscillant sans cesse entre ombre et lumière. J’ai trouvé la fin too much, artificiellement tragique, mais pour le reste, je me suis laissé emporter, entre silences et non dits, passion et folie. Une atmosphère riche et fiévreuse, pleine de grâce, de douceur et de cruauté.

Amours de Léonor de Récondo. Sabine Wespieser, 2015. 276 pages. 21,00 euros.

Un grand merci à Philisine pour ce beau cadeau dédicacé par l’auteur, j’ai plus qu’apprécié la découverte !


Les avis d'Alex, Antigone, Cathulu, Clara, Cuné, Eimelle, Eva, EvalireL'irrégulière, JosteinLaure, Leiloona, Le petit carré jaune, Philisine, Tant qu'il y aura des livres, Une Comète, Zazy











mercredi 15 juillet 2015

Dessus-Dessous - Delphine Cuveele et Dawid

Une taupe qui vit sa vie de taupe, tranquille, de galeries en galeries. Un papa ne supportant pas de voir son jardin défiguré par des monticules de terre poussant comme des champignons et prêt à tout pour se débarrasser de l’intruse. Des enfants décidés à sauver un animal en détresse… Voila, tous les ingrédients sont en place, mélangez bien et servez frais, la recette est délicieuse !

Après le poignant et poétique Passe-passe,  Delphine Cuveele et Dawid reviennent avec un nouvel album muet fort différent mais tout aussi réussi. Enchaînant les scènes cocasses pour souligner les échecs successifs du papa chasseur de taupe, ils font preuve d’une imagination sans limite pour varier les situations comiques. Chaque nouveau piège appelant une réponse bien précise, les enfants et l’animal doivent sans cesse faire preuve d’ingéniosité et de malice pour notre plus grand plaisir. J’ajouterais, sans bien sûr la révéler, que la fin est on ne peut mieux amenée et boucle le récit avec une pirouette inattendue.

Dawid multiplie les trouvailles graphiques et propose un découpage privilégiant avant tout la lisibilité. Les couleurs sont douces, les illustrations pleine page superbes, et certains détails ne sauteront pas forcément aux yeux à la première lecture, qu'on se le dise !

Encore un album sans texte des éditions de la Gouttière qui fait mouche ! Et qui souligne s'il en était encore besoin à quel point la BD muette peut être d'une variété et d'une richesse infinies. Ce choix narratif audacieux fonctionne ici à merveille, si vous ne me croyez pas, allez donc le constater par vous-même.


Dessus-Dessous de Delphine Cuveele et Dawid. Éditions de la gouttière, 2015. 36 pages. 9,70 euros. A partir de 5-6 ans.

Les avis de L'ivresse des mots, Mo' et Moka.





lundi 13 juillet 2015

Les Quiquoi et l’étrange maison qui n’en finit pas de grandir - Laurent Rivelaygue et Olivier Tallec

Olive dessine le pignon et la porte d’une maison. Pétole ouvre la porte et les Quiquoi pénètrent dans une grand espace chichement décorée. De pièces en couloirs, les amis arrivent jusqu’à l’antre du « monstre monstrueux »…

Un bonheur de retrouver les Quiquoi dans une bande dessinée ! Leur livre-jeu drôlissime m’avait déjà conquis, je les trouve encore en meilleure forme dans cette histoire farfelue à souhait. Une porte dessinée et c’est tout un univers qui s’ouvre, un univers sans limite, sans logique, un univers dont on peut sans cesse repousser les frontières. Dépassé par sa création, Olive découvre le pouvoir de son crayon (et de sa gomme, très importante la gomme !). Les enfants adorent les Quiquoi car il y en a forcément un qui leur ressemble : Olive l’artiste, Pétole la tête brûlée, Pamela l’indécise, Boulard le râleur, Raoul le trouillard et Mixo l’intello, chacun apporte sa pierre à l’édifice et l’hétérogénéité de ce groupe de copains fait tout le sel du récit.

Dans cet album, l’imagination prend le pouvoir accompagnée d’un humour plus fin qu’il n’y paraît à première vue. Les dialogues sont savoureux, les Quiquoi n’ayant pas leur langue dans leur poche. Graphiquement, c’est aussi épuré que dynamique, « la patte » Tallec, reconnaissable au premier coup d’œil, offre des trognes d’une rare expressivité.

L’incursion de ses gamins drôles et facétieux dans l’univers de la BD ne sera sans doute pas qu’un coup d’essai puisque l’éditeur présente cette « étrange maison qui n’en finit pas de grandir » comme un premier épisode. Le premier d’une longue série, c’est tout ce que je souhaite.

Les Quiquoi et l’étrange maison qui n’en finit pas de grandir de Laurent Rivelaygue et Olivier Tallec. Actes sud junior, 2015. 32 pages. 12,00 euros. A partir de 5 ans.

samedi 11 juillet 2015

Finir la guerre - Michel Serfati

« La masse lourde du cadavre pendait au bout de la corde, chargée d’un silence définitif, bras et jambes immenses. A coté de la chaise renversée, sous les pieds nus, gonflés et noirâtres, les deux pantoufles et une flaque. Alex s’immobilisa sur le pas de la porte, pétrifié devant cette scène incompréhensible. Il ne vit pas tout de suite le visage, le corps faisait face à la fenêtre, mais il sentit l’âcreté de la pisse, mêlée à une odeur de renfermé, non, une odeur de merde qui giflait, il étouffa un cri. A pas feutrés, comme pour ne pas réveiller le défunt, il avança et le contourna à distance prudente… »

Je ne sais pas vous mais moi, quand un premier roman commence avec un tel paragraphe, ça me botte ! Alex trouve son père pendu. Pour ce prof de lycée strasbourgeois divorcé à la vie déjà bien triste, le coup est rude. Ce suicide est pour lui un mystère. Son père, il ne l’a jamais vraiment compris : « Les rires ne perçaient qu’exceptionnellement la carapace sombre chez cet homme courbé de toujours, secret, rarement brutal, le plus souvent taciturne, un homme aimant mais à sa manière, rêche et bourrue ». Aucune véritable complicité entre eux, Alex gardant en grandissant bien peu de considération pour celui qu’il appelait « le vieux ».

Mais une lettre découverte dans les papiers du défunt pousse son fils à partir pour l’Algérie. Il retrouve sur place Kahina, l’auteure de la lettre, une femme de son âge lui révélant le lien qui unissait leurs pères respectifs depuis la guerre. En racontant leur rencontre au cœur d’un conflit d’une violence indicible, elle transforme en héros cet homme qu’Alex prenait pour un taiseux sans intérêt. Les choses ne sont pour autant pas si simples et au fil de son enquête sur le passé algérien de son géniteur, Alex va voir ses nouvelles certitudes vaciller…

Un premier roman absolument remarquable, dressant les ponts entre l’Algérie de l’indépendance et celle d’aujourd’hui, sans mettre un voile sur les problèmes actuels ni nier la beauté qui se dégage de cette terre et de ses habitants. Sombre et lumineux comme le pays qu’il découvre, le cheminement intérieur d’Alex est semé d’embûches mais reste chargé d’espoir. Le texte est magnifique, il interroge sur la lâcheté, l’amitié, la trahison, sur la frontière ténue entre héros et bourreaux, sur l’idée de résistance, de responsabilité individuelle face à la soumission aux ordres de l’autorité « légitime ». Il dit aussi magnifiquement l’Alger d’aujourd’hui, ses ruelles sales écrasées de chaleur, sa jeunesse désœuvrée mais pas abattue, le goût du partage de sa population. C’est beau, très fort, lucide et sans jugement de valeur.

Même si, comme le dit Kahina, « nous ne sommes pas coupables des actes de nos pères », nous portons en nous l’histoire de nos parents, qu’on le veuille ou non, et nous la subissons toujours plus ou moins. L’important finalement étant de ne jamais juger sans savoir. Plus facile à dire qu’à faire, Alex y parviendra, se libérant enfin de la chape de plomb qu’il sentait peser sur ses épaules depuis l’enfance et amorçant enfin une métamorphose aussi salvatrice qu'indispensable.

Finir la guerre de Michel Serfati. Phébus, 2015. 137 pages. 15,00 euros.















vendredi 10 juillet 2015

Bulles et blues - Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini

Soan et Chloé vivent ensemble au sein de leur famille recomposée depuis qu’ils ont huit ans. Tout les opposait à priori et pourtant ils ont développé au fil du temps une complicité incroyable : « Soan et moi, on est si proches que je me dis parfois qu’on est deux âmes sœurs ».  Sauf que depuis peu, Soan semble mettre de la distance entre eux, il trouve Chloé trop exubérante, trop encombrante. La jeune fille n’arrive pas à saisir les raisons réelles de ce changement de comportement. Elle confie ses peines, ses interrogations et ses craintes à son journal intime. Plus son incompréhension grandit, plus la souffrance lui pèse…

Après Rouge Tagada et Mots rumeurs, mots cutter, Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini continuent de développer leurs réflexions pleines de finesse sur les affres de l’adolescence. Ici, l’histoire de Chloé rejoint celle de Léa, héroïne malheureuse de l’album précédent, harcelée à cause d’une photo d’elle dénudée diffusée sur les réseaux sociaux. On retrouve l’univers graphique aux couleurs acidulées qui fait le charme de la série et la sensibilité à fleur de peau de collégiennes criantes de réalisme. Sans oublier des personnages secondaires toujours très travaillés (avec une mention particulière pour la documentaliste d’une irrésistible gentillesse).

Pour autant, ce volume est un cran en dessous des précédents. Le scénario semble moins abouti, plus fouillis, tout va trop vite et surtout la fin n’apporte aucune réponse aux soucis de Chloé et Léa. Il est très frustrant de les laisser en plan toutes les deux, à moins qu’un quatrième tome viennent conclure « proprement » l’ensemble. Si tel est le cas, je m’y plongerais avec plaisir car je garde beaucoup de tendresse pour l’univers adolescent dépeint par les auteurs.

Bulles et blues de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini. Gulf Stream, 2015. 72 pages. 15,00 euros.


L'avis de Moka


jeudi 9 juillet 2015

Coal Creek - Alex Miller

Queensland, années 50. Depuis la mort de son père, Bobby Blue a dû arrêter de parcourir le bush à cheval à la recherche de taureaux sauvages. Avec son paternel et son meilleur copain, le bagarreur Ben Tobin, il passait ses journées en pleine nature, bivouaquant devant un feu de camp le soir venu avant de s’endormir à la belle étoile. Une jeunesse libre et tumultueuse dont il s’est amendé en entrant dans la police. Son nouveau chef, Daniel Collins, arrive d’une grande ville côtière avec sa femme et ses deux filles, dont la belle Irie âgée de 13 ans et avec laquelle Bobby va nouer une profonde complicité. Esprit étroit manipulé par sa femme, Daniel ne cherche pas à s’imprégner des mœurs et coutumes locales, il se considère avant tout comme un homme civilisé face à des rustres mal embouchés. Le jour où les policiers sont appelés à Coal Creek pour arrêter Ben qui aurait frappé sa petite amie, Bobby se retrouve pris au piège entre la loyauté qu'il doit à son supérieur et l'inébranlable amitié qui le lie à celui qu’il connaît et apprécie depuis l’enfance.

J’ai eu du mal au départ. Le rythme est assez lent, il y a pas mal de digressions, de retours en arrière pas forcément passionnants, de réflexions un peu cucul. La caricature est poussée à l’extrême entre les blancs-becs de la côte pensant tout savoir et prenant tout le monde de haut, et les cul-terreux du bush, authentiques cow-boys australiens à l’ancienne, amoureux d’un environnement sauvage que les premiers nommés ne pourront jamais comprendre. Et puis je n’aime pas du tout ce procédé consistant à annoncer l’air de rien des événements à venir, du genre « si j’avais su alors que... » ou « je ne pouvais pas me douter à ce moment là que... ». J’ai toujours l’impression que l’auteur essaie de relancer notre attention avec ces tics d’écriture et je vois cela comme un aveu de faiblesse, comme s’il nous disait, « bon, là, tu t'ennuies un peu, mais ne te sauve pas, tu vas voir, des choses géniales vont arriver ! ».

En gros, j’ai peiné, me demandant même si j’allais aller jusqu’au bout. Mais au moment où la tragédie se déploie (dans les 75 dernières pages), où les faits s’enchaînent sans temps mort, cela devient excellent. C’est douloureux, plein d’émotion contenue et surtout on va à l’essentiel. Rien que pour ça je ne regrette pas d’avoir découvert cet auteur dont j’avais beaucoup entendu parler au moment de la sortie en France de son premier roman il y a deux ou trois ans (« Lovesong »). Et puis je fréquente trop peu la littérature australienne, c’est un plaisir de m’y plonger de temps en temps.

Coal Creek d’Alex Miller. Phébus, 2015. 245 pages. 20,00 euros.





mercredi 8 juillet 2015

Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet T1 - Zidrou et Van Liemt

Ric Hochet est un héros de ma jeunesse. Bon, ses premiers faits d’armes datent de 1963 (soit bien avant ma naissance !) mais je l’ai découvert dans  les années 80 lorsque ses albums étaient prépubliés dans le journal de Tintin. C’est donc avec beaucoup de curiosité que je me suis plongé dans cette nouvelle aventure imaginée par Zidrou. Un Zidrou touche à tout qui s’est lancé depuis peu dans la résurrection de classiques de la BD franco-belge avec plus ou moins de bonheur (sa reprise de « Chlorophylle » par exemple ne m’avait pas entièrement convaincu). Ici, je l’ai senti bien plus à l’aise avec l’univers du journaliste-enquêteur et le résultat est plutôt bon.

Le scénariste connaît la série par cœur et il s’est à l’évidence beaucoup amusé à mettre en scène ses protagonistes les plus emblématiques. Ric bien sûr mais aussi l’incontournable inspecteur Bourdon, la jolie Nadine et le Caméléon, qui fut le tout premier criminel à croiser la route de notre héros blondinet dans l’album « Traquenard au Havre ». Une histoire de double maléfique, une situation inextricable dont personne ne pourra (à première vue) sortir vivant, des rebondissements en pagaille, beaucoup de clins d’œil au passé et un dynamitage en règle de l’image lisse qui caractérisait les personnages des BD à papa, Zidrou jongle sans cesse entre classicisme et modernité. Son irrévérence le pousse à se moquer de la célèbre tenue de Ric, cette affreuse veste noire et blanche dont il ne se sépare jamais, à faire de Nadine une jeune fille qui n’a pas froid aux yeux ou encore à offrir à l’inspecteur Bourdon un passé peu reluisant, quitte à égratigner l’image exemplaire de l’inspecteur. Le tout sans forcer le trait, avec un naturel qui emporte d’emblée l’adhésion du lecteur.

Niveau dessin, Van Liemt n’est pas Tibet, c’est incontestable, et même s’il a bien fait de ne pas chercher à le copier coûte que coûte, le résultat n’est franchement pas folichon.

Au final, une reprise plus que correcte. Le dépoussiérage, parfois tonitruant, pourra faire hurler les puristes, mais personnellement j’ai passé un bon moment et je suis ravi de savoir qu’au moins deux autres nouvelles enquêtes de Ric Hochet sont en préparation.

Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet T1 de Zidrou et Van Liemt. Le Lombard, 2015. 56 pages. 12,00 euros.




mardi 7 juillet 2015

Le premier mardi c'est permis (38) : Porno Graphique

Un cadeau de Noukette. On se connaît suffisamment maintenant pour s’offrir ce genre de bouquin sans ambiguïté ni arrière pensée. Bon, d’habitude, elle et moi parlons de littérature jeunesse le mardi. Mais en matière de lecture(s), c’est comme dans la vie, il faut varier les plaisirs.

Franchement au début j’ai craint le pire. Les trois premières nouvelles de ce recueil graphique ne m’ont pas titillé la moindre seconde. Aucun intérêt, voila ce que je me suis dit, inquiet d’avoir à enchaîner encore près de 100 pages du même acabit. Arrive alors l'histoire ayant pour titre « Deux rythmes » et là, les choses s’accélèrent, la température monte clairement de quelques degrés. Une femme et un homme en pleine action. On ne voit que le bas de son visage à elle chuchotant à l’oreille de son partenaire. Elle le guide, l’encourage de la voix en toute sensualité, sans aucune vulgarité. J’avoue, ça m’a donné chaud…  Rebelote juste après avec ce dessinateur en train de croquer (avec son stylo !) la vulve de sa chérie. Elle se laisse faire, la situation l’excite à tel point qu’elle commence à se masturber. Là encore, c’est très caliente ! Le reste est à l’avenant, avec notamment un trio qui fera fantasmer bien des hommes…

Incroyable de constater à quel point Nacho Casanova parvient à créer une atmosphère aussi torride en jouant uniquement sur la suggestion. Car les gros plans utilisés ici de manière quasi systématique n’ont paradoxalement rien de pornographiques. En se focalisant sur une partie du corps, il laisse l’imagination du lecteur faire le reste et embrasser mentalement l’ensemble de la scène. C’est vraiment fort !

Mauvaise idée de lire cet album en pleine canicule. Moi qui rêvais ces derniers jours de faire chambre à part tellement se retrouver à deux dans le même lit par cette chaleur me devenait pénible, je me suis infligé avec cette lecture une poussée de fièvre plutôt malvenue. Mais bon, comme je suis généreux, j’ai partagé cette lecture avec madame. Pas question d’être le seul à avoir chaud. Et ne comptez pas sur moi pour vous donner des détails supplémentaires, la suite des événements ne regarde que nous.

Merci Noukette !


Porno Graphique de Nacho Casanova. Diabolo éditions, 2013. 125 pages. 14,00 euros.





lundi 6 juillet 2015

Marcelin Comète se balade dans le cosmos - Marc Lizano et Elodie Shanta

Marcelin et son chien Mikado se réveillent dans une maison vide. Papa et maman sont au travail et mamie n’est pas encore arrivée. Profitant de la situation, le garçon s’amuse comme un petit fou jusqu’au moment où un grand bruit se fait entendre dans le jardin : un vaisseau spatial vient de s’y écraser avec à son bord un petit Robot prénommé Ulysse. Remettant la fusée sur pied, Ulysse invite Marcelin et Mikado à se joindre à lui pour faire un tour dans l’espace, vers l’infini et au-delà !


Marc Lizano m’avait enchanté avec « L’enfant cachée » et « La petite famille », je le retrouve ici dans un registre totalement différent, s’adressant à de plus jeunes lecteurs, comme il l’avait déjà fait avec « Hugo et Cagoule ». Marcelin est un gamin de son temps, impatient (il se plaint du temps de trajet trop long dans l’espace) et prompt à s’ennuyer dès qu’il n’a rien à faire. Mais c’est aussi un gamin comme tous les autres, à l’imaginaire sans limite, qui vit les événements sans distance, capable de s’inventer une vie et une aventure inoubliable en un clin d’œil. Sur ce point, il rappelle d’ailleurs fortement le facétieux Myrmidon.

Un voyage farfelu qui fait rêver et une fin qui appelle une suite, m’est avis que l’on retrouvera Marcelin à l’avenir. Cet album constitue une première approche de la BD idéale pour les primo lecteurs (dessin aussi naïf qu’expressif, nombre de pages raisonnable, lettrage parfaitement lisible et découpage simple permettant de ne jamais perdre le fil). Une jolie découverte qui ravira les enfants dès cinq ans.


Marcelin Comète se balade dans le cosmos de Marc Lizano et Elodie Shanta. Des ronds dans l’eau, 2015. 32 pages. 10,00 euros. A partir de 5-6 ans.






samedi 4 juillet 2015

Changer la vie - Antoine Audouard

Changer la vie, c’est un regard nostalgique jeté par-dessus l’épaule vers une jeunesse pleine de promesses dont aucune ne semble avoir été tenue. Antoine raconte ses vingt ans sous la France de Mitterand. 81, le grand chambardement politique et social, l’été du départ vers New-York  pour le narrateur. Accompagné de son meilleur ami François, il débarque à Manhattan sous une chaleur suffocante, invité par une riche Texane qui va lui prêter un appart et accessoirement devenir son amante d’un soir. Antoine est embauché pour recueillir les souvenirs d’une résistante, son patron pensant qu’avec ce témoignage de première main, il tiendra un best seller pouvant sauver sa maison d’édition du naufrage. Antoine rencontre beaucoup de monde, il navigue dans l’undergound culturel d’une ville fiévreuse qui ne dort jamais. Un été inoubliable, de ceux qui vous marquent à vie.

Franchement, j’ai trouvé l’exercice futile, un peu vain, sans grand intérêt. Antoine Audouard évite l’écueil du pénible « c’était mieux avant », il adopte un ton léger et emprunt d’une autodérision bienvenue mais cela n’a pas suffit pour que j’y trouve mon compte. Trop anecdotique, trop en surface, trop de digressions, de parenthèses, de notes en bas de pages… Trop de choses pour un arrière goût final de « pas assez », c’est le comble.

Cette histoire d’illusions et de déceptions interroge sur l’écart permanent entre nos rêves de jeunesse et notre réalité d’adulte, avec tout ce que cela comporte de renoncements et de compromissions. Déjà-vu, déjà-lu, je sais pertinemment qu’il ne m’en restera pas grand-chose d’ici peu.

Changer la vie d’Antoine Audouard. Gallimard, 2015. 200 pages. 18,00 euros.

Les avis de CanelJostein, Léa Touch Book, Nadael, Sharon et Sylire




vendredi 3 juillet 2015

Cry Father - Benjamin Whitmer

« La vie est un sandwich à la merde dans lequel on finit tous par être forcés de croquer »

Outch ! Après Pike, Benjamin Whitmer en remet une couche et nous montre une Amérique en perdition. Ses personnages se laissent submerger par la tristesse, ils baissent les bras, sachant le combat perdu d’avance. Aucun espoir dans ce roman, même si les figures féminines apportent une petite note de sagesse, elles ne se font pas d’illusions, disons juste qu’elles sont peut-être un poil plus combatives que leurs hommes. Des hommes qui ont eux depuis longtemps baissé les bras, trouvant leur salut dans une fuite en avant semée d’embûches et d’excès en tout genre.

Depuis le décès de son jeune fils suite à une erreur médicale, Patterson Wells sillonne les zones sinistrées par les ouragans et autres catastrophes naturelles afin de déblayer les décombres et de remettre en état les réseaux électriques. A la fin de chaque saison, il retourne avec son chien dans la cabane en bois qu’il a construit de ses propres mains, au fin fond des forêts du Colorado. Il survit en ermite, enchaînant les cuites en attendant le prochain lever de soleil. Le jour où il rencontre Junior, dealer, bagarreur et grand consommateur de cocaïne, Patterson sait qu’il noue une relation avec le diable. Une relation toxique qui va l’entraîner toujours plus près d’un précipice l’attirant comme un aimant.

Cry father, c’est l’Amérique dont personne n’a rien à cirer. Bienvenue chez les camés, les paumés, les sans grades. Bienvenue dans un monde régit par une violence qui surgit sans crier gare. Mettre une raclée ou prendre une branlée, tel est le quotidien de Patterson et Junior. Un duo à la dérive, ayant parfaitement conscience de filer droit sur les récifs, mais ne faisant rien pour résister au courant. La haine d’un monde dans lequel ils n’ont pas leur place chevillée au corps, ces deux-là avancent de concert vers l’inéluctable et le lecteur, pas dupe, sait très bien que les choses vont mal tourner…

Cry father, c’est une noirceur totale, brutale, sans aucun brin de lumière. L’écriture, âpre et concise, se fait parfois lyrique tandis que chaque dialogue est d’un réalisme criant. Il y a quelque chose de profondément immoral dans ce texte abrasif. Il y a aussi tout ce que j’aime dans la littérature américaine d’aujourd’hui.

Cry Father de Benjamin Whitmer. Gallmeister, 2015. 315 pages. 16,50 euros.


Les avis d'Alex et Marie-Claude











mercredi 1 juillet 2015

Maus T1 et T2 - Art Spiegelman

Deux ans, peut-être plus, que Mo’ a eu la gentillesse de m’offrir ces deux albums. Deux ans au moins qu’ils prenaient la poussière sur mes étagères. Difficile d’expliquer pourquoi, disons que certains livres semblent parfois trop grands pour nous, et c’est ce qui m'est arrivé avec Maus. Mais ce week-end j’ai pris le taureau par les cornes, j’ai cessé d’avoir peur et je me suis lancé. Je me demande bien maintenant comment je vais être capable d’en parler…

Maus, c’est l’histoire de Vladek Spiegelman, soldat juif polonais fait prisonnier de guerre par les allemands en 39, qui réussit par miracle à retourner dans sa ville de Sosnowiec et y retrouve sa femme avant de connaître avec elle un long calvaire : traque, confinement dans le ghetto, rafles et déportations auxquelles ils parviennent à échapper sur le fil. Pensant trouver une porte de sortie en Hongrie, ils sont arrêtés dans le train suite à une dénonciation et transférés à Auschwitz,  où, comme l’annonce le titre du tome deux, « c’est là que les ennuis ont commencé ».

Art Spiegelman a recueilli le témoignage de son père. Il dit l’horreur, la perte absolue de liberté et d’espoir, les coups, les privations, la faim, la certitude de ne pas ressortir vivant des camps. Il dit l’amour qui aide à tenir, la malice, l’opportunisme et surtout la chance et le hasard qui ont permis la survie du couple. Ce premier niveau du récit aurait suffi à faire de Maus une œuvre poignante, mais l’auteur va plus loin, et c’est ce qui fait toute la différence. Le fils relate les moments passés avec son père lorsqu’il enregistre son histoire. Il dresse le portrait « au présent » et sans complaisance d’un vieil homme malade, tyrannique, raciste, empêtré dans des querelles sans fin avec sa seconde épouse et d’une avarice sordide le faisant ressembler à la caricature du juif que se plaisent à entretenir les antisémites.

Cette description à première vue ambiguë met mal à l’aise le dessinateur lui-même, mais elle donne une dimension supplémentaire et une profondeur incroyable au propos. Maus restitue à la fois la parole du père et le travail du fils. A un moment, la compagne d’Art déclare : « D’une certaine manière, il n’a pas survécu. » Et c’est exactement ça je crois, tant l’évocation de la Shoah permet de découvrir les racines tragiques de la personnalité difficile du père et témoigne de l’impact psychologique de l’holocauste sur les survivants et leur descendance. Art précise d’emblée qu’il s’entend mal avec son géniteur, il se montre rongé par la mauvaise conscience d’être né après guerre, après la disparition en 1943 de Richieu, son « frère-fantôme ». Son père et lui souffrent de stigmates ayant marqué à jamais leur famille (stigmates encore plus profonds depuis le suicide de la mère en 1968).

Graphiquement, sobriété et économie de moyens dominent. La métaphore animale délivre d’un réalisme pesant et renforce l’expressivité dans la mesure où victimes (souris) et bourreaux (chats) sont immédiatement identifiables.

Maus est un chef d’œuvre qui dépasse largement les frontières de la BD. Ni dénonciation explicite, ni réflexion sur l’Histoire (même si l’horreur du génocide occupe une place centrale), c’est surtout et avant tout la retranscription fidèle d’une expérience et d’une mémoire individuelle. Mais c’est également une façon aussi unique qu’exceptionnelle de dessiner l’indicible.

Maus T1 et T2 d’Art Spiegelman. Flammarion, 1987 et 2001. 160 et 135 pages. 15 euros chaque volume.

L'avis de Moka


Et parce que Mo’ est la générosité incarnée, elle m’a aussi offert MetaMaus, une somme publiée vingt-cinq ans après Maus et dans laquelle Spiegelman revient sur son travail et explore les questions cruciales qu’il soulève : Pourquoi des souris, pourquoi la BD, pourquoi ses relations conflictuelles avec son père ? Il parle également de son propre voyage à Auschwitz, du complexe d’infériorité qui l’a miné toute sa vie. Surtout, il décrit avec minutie son processus créatif, illustré d’un incomparable matériel iconographique (carnets personnels, photos, croquis, etc). En bonus, un DVD, les enregistrements de son père et de nombreux documents historiques sur lesquels il s’est appuyé tout au long de la réalisation des albums. Riche et passionnant, cet ouvrage a été pour moi un complément indispensable à la lecture de Maus.

« Ma vie professionnelle a consisté pour l’essentiel à trouver la chose la plus dure que j’étais capable de faire […]. Quand j’ai eu trente ans, j’ai cherché un défi qui soit à la hauteur, et Maus répondait à ce critère. Il m’était difficile de devoir penser à mon passé, et il m’était difficile de devoir être en présence de mon père, métaphoriquement mais aussi concrètement. Donc tous ces éléments m’ont conduit à m’attaquer à une histoire trop importante pour que je la comprenne. »

MetaMaus : un nouveau regard sur Maus, un classique des temps modernes. Flammarion, 2012. 300 pages + 1 DVD. 30,00 euros.





mardi 30 juin 2015

Ronde comme la lune - Mireille Disdero

Saskia n’a pas un problème de taille mais un problème de poids. Trop gourmande, incapable d’ouvrir un paquet de chips sans l’engloutir en entier. Ses excès de nourriture se reflètent sur son apparence. Un corps de lycéenne qu’elle déteste mais pour lequel elle n’est pas vraiment prête à faire d’efforts, tant pis pour les moqueries, les surnoms idiots, les blagues humiliantes ou les phrases griffonnées au tableau. Jusqu’au jour ou ses bourreaux franchissent la ligne rouge en créant un faux site internet pour la ridiculiser…

Beaucoup de choses m’ont plu dans ce texte. Et pourtant j’ai craint le pire au départ, persuadé d’avoir affaire à une énième variation autour d’une ado en souffrance, à un récit plein de geignardise et de portes ouvertes que l’on enfonce à grands coups de pathos. Mais je me suis vite rendu compte que Mireille Disdero ne cèderait pas à la facilité et qu’elle jouerait une partition tout en finesse et surtout extrêmement réaliste.

Le rejet de son apparence (« Mon corps ? Un boulet que je devais porter comme si je l’acceptais ; un boulet qui avait le droit d’exister et de m’écraser. »), la relation compliquée aux parents, la vie sociale qui continue malgré tout, l’attirance pour un garçon et l’incompréhension devant l’intérêt que lui-même manifeste alors qu’en théorie il devrait se sauver en courant, tout cela est relaté le plus naturellement du monde et rend Saskia incroyablement attachante.

J’ai aussi aimé le fait qu’elle rejette avec force l’empathie de ses proches et affirme son besoin d’être mise en difficulté pour pouvoir enfin avancer, une posture originale et qui sort des sentiers battis (« Le problème, avec ceux qui nous aiment, c’est la guimauve. Ils nous trouvent des circonstances atténuantes, refusent de nous faire du mal, nous protègent de la vie mais celle-ci est bien là, entière et cruelle, avec ses coups. Résultat ? Leur affection ne nous aide pas. »). Cerise sur le gâteau, je trouve la fin parfaite : non, elle ne devient pas une jolie jeune fille mince à force de régimes et d’une volonté sans faille ; non elle ne sombre pas dans une dépression profonde et ne se jette pas du haut d’un pont… Là encore, la finesse l’emporte, rien n’est tout blanc ou tout noir, et c’est d’autant plus crédible.

Un texte magnifique et particulièrement intelligent que je recommande chaudement (c’est de saison !), et ce n’est pas ma complice préférée qui vous dira le contraire.

Ronde comme la lune de Mireille Disdero. Seuil jeunesse, 2015. 176 pages. 12,50 euros. Dès 11 ans.

L'avis de Noukette avec qui je partage une fois de plus cette lecture jeunesse.




lundi 29 juin 2015

Les lectures de Charlotte (7) : Le gâteau perché tout là-haut

Qu’il a l’air appétissant ce gâteau perché tout là-haut ! L’ours aimerait bien le goûter mais il est trop petit pour l’atteindre. Heureusement, le cochon arrive et lui saute sur la tête. Pas suffisant cependant pour arriver jusqu’au gâteau. Avec l’aide du chien, du lapin, de la poule et de la grenouille, la fenêtre est enfin accessible. Sauf qu’elle se ferme d’un seul coup et…

Un album très drôle qui joue sur l’effet d’accumulation. Chaque double page offre le même décor fixe auquel vient s’ajouter un nouvel animal. Beaucoup d’efforts mis en commun pour, à première vue, une terrible frustration. Sauf que l’entraide finit toujours par payer, c’est bien connu. L’histoire est facile à suivre et le minimalisme du  graphisme se révèle au final très parlant. J’aime beaucoup aussi les détails hilarants comme la position des animaux qui change dans la « pyramide » dès que l’on tourne une page. Sans oublier ce petit oiseau sur le fil électrique qui ne cesse de se rapprocher du gâteau et en obtient un morceau à sa façon.



Lu, relu et rerelu des dizaines de fois depuis son arrivée à la maison, cet album fait un tabac auprès de ma petite lectrice préférée, qui a pourtant des goûts déjà très tranchés dès qu’il s’agit de choisir un livre. Et j’aime autant vous dire que quand elle en tient un qui lui plait autant, elle ne le lâche plus !

Le gâteau perché tout là-haut de Suzanne Straber. Tourbillon, 2015. 20 pages. 13,00 euros. A partir de 2 ans.


L'avis de Faelys


samedi 27 juin 2015

L’ampleur du saccage - Kaoutar Harchi

Ils sont quatre et leurs liens semblent ténus. Un fil, pourtant, relie l’histoire de Riddah, Ryeb, Si Larbi et Arezki. C’est de l’autre coté de la méditerranée, là-bas, en Algérie, où trois d’entre eux sont nés, que leurs destins vont se rejoindre et basculer une dernière fois. A l’origine, un acte collectif abominable perpétré trente ans plus tôt. Un acte sur les lieux duquel ils vont revenir depuis la France pour faire face à la vérité. Une vérité douloureuse et tragique, point de départ de tous leurs maux.

Difficile de rentrer dans ce texte choral tant il n’est pas simple à première vue de trouver des connexions entre chaque personnage. Mais peu à peu le puzzle se met en place, les interactions prennent sens et la tragédie à venir apparaît inéluctable. Kaoutar Harchi possède un sens aigu de la mise en scène. Elle avance ses pions avec une maîtrise narrative éblouissante, tissant un canevas dont la forme définitive surgit comme une évidence dans les toutes dernières pages. J’aime son écriture au lyrisme contenu, ses phrases brèves qui disent la douleur et le chagrin.

L’ampleur du saccage est une réflexion sur la quête des origines, la relation à la mère, l’exil, la violence des hommes. Des hommes perdus, souffrant de carences affectives et sexuelles, tellement en manque de repères qu’ils marchent en permanence au bord du précipice. Des hommes sans espoirs, torturés par le remords, certains de ne jamais trouver le repos, de ne jamais pouvoir expier leurs fautes. C’est beau, intense et triste comme la vie.

L’ampleur du saccage de Kaoutar Harchi. Babel, 2015 (première édition en 2011). 120 pages. 6,80 euros.

Un livre offert par une blogueuse chère à mon cœur pour des tas de raisons qui ne regardent qu’elle et moi. Merci encore, comme d’habitude, ton choix était parfait.

Extraits :

« Je ‘n’appartiens à aucune terre, je ne descends d’aucune lignée, je suis là, simplement. Cause abandonnée au bon vouloir des mystères mutiques, je dérive le long des impostures, épuisé, car tous les ports d’accueil ont disparu : j’ignore d’où je viens. »

« Nous étions des êtres nus, nos corps ne voulaient plus continuer. La décomposition et le pourrissement guettaient, seules nos âmes croyaient qu’il était encore possible de surmonter la boue, les puces et les rats. Criminels en fuite, nous portions en nous des cadavres, nos cadavres, car nous étions en avance sur la mort, nous lui avions mâché le travail. […] Comment ne pas tomber, ne pas creuser et s’enfouir soi-même, sans l’aide de personne, d’aucun Dieu, sous cette terre aux abois ? »





vendredi 26 juin 2015

Un été 42 - Herman Raucher

« Hermie fut pris d'une violente nausée. Il eut des vertiges et dut s'asseoir. Il avait la tête embrumée, folle, malade. C'était soit l'amour, soit le choléra - il avait une préférence pour ce dernier parce qu'au moins, on pouvait en guérir. »

Hermie, Oscy et Benjie. Des gamins de 15 ans qui voudraient devenir des hommes, pendant cet été 42 passé sur une île en face de la Nouvelle Angleterre, alors que leur pays vient d’entrer en guerre. Des ados se baladant au bord de la plage avec leur bistouquette greffée sur le front, ne pensant qu’à « ça ».  « Ça », qui les travaille beaucoup, mais dont ils ne connaissent strictement rien. Heureusement, Benjie a son manuel d’anatomie. Tout l’acte sexuel y est expliqué en douze étapes. Hermie est persuadé qu’il ne dépassera pas la seconde de ces étapes, que s’il arrive à la cinquième ce sera un miracle. En attendant, il fantasme comme ses copains sur la belle Dorothy. Une femme, une vraie, à la plastique parfaite et au charme torride.

Ce texte sent le vécu à plein nez et c’est ce qui le rend si attachant. Bien sûr, aujourd’hui, une éducation sexuelle (ou plutôt pornographique, ce qui n’a strictement rien à voir) peut se faire en deux clics mais il n’empêche, les questionnements de l’adolescence gardent une portée universelle. Par exemple Hermie qui pelote le bras de sa voisine au cinéma pensant que c’est un sein et s’étonne à peine de ne pas trouver le téton, ça aurait pu être moi. Ce même Hermie qui joue avec une capote, l’enfile et la trouve tellement grande qu’il a l’impression de voir pendre un « accordéon détendu », ça aurait pu être moi aussi. J’ai bien dit « aurait pu », n’allez pas vous imaginer des trucs sur mon adolescence (et mon anatomie).

Quoi qu’il en soit, j’ai adoré cet humour pas spécialement léger mais qui ne cherche pas non plus à en faire des caisses. L’enchaînement des épisodes peu glorieux donne tout le sel au récit. On suit nos pieds nickelés de la drague le sourire aux lèvres, on se délecte de leurs échanges savoureux, de leurs réflexions hautement intellectuelles sur les choses de la vie, de leurs angoisses, de leurs échecs et de leurs pseudo certitudes : « Il quitta sa chambre avec la conviction que lorsqu’il reviendrait, il serait un homme. Des pieds à la tête, il n’était qu’une érection ambulante qui respirait le sexe, la confiance en soi et la maturité. » On rit beaucoup donc, et à la fin on pleure, parce c’est beau et qu’il y a de quoi (enfin pas moi parce que je ne pleure jamais en lisant un livre, faut pas pousser non plus, mais j’en connais qui écraseraient facilement une petite larme).

Un roman d’initiation qui m’a fait passer un excellent moment de lecture. Quel plaisir de découvrir ces garçons « douloureusement à cheval sur le fil de fer barbelé qui sépare l’enfance de l’âge adulte », ces garçons « en train de se départir de l’atroce chrysalide de la jeunesse ». Réjouissant et plein de vie !

Un été 42 d’Herman Raucher. La belle colère, 2015 (1ère édition française en 1971). 345 pages. 20,00 euros.

Une lecture comme que j’ai le plaisir de partager avec La Fée Lit. Une grande première dont je me réjouis au plus haut point (et on remettra ça très vite j’espère !)




jeudi 25 juin 2015

L’arabe du futur T2 : une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) - Riad Sattouf

Dans ce tome 2, le petit Riad a maintenant six ans, et il est toujours installé en famille dans la Syrie natale de son père. Un papa prof de fac et plein de projets ambitieux, une maman d’origine bretonne qui s’ennuie ferme dans ce pays si éloigné du sien, et un Riad aux « cheveux blonds d’actrice californienne qui volent dans le vent », à « l’air un peu trop sûr de son charme », à « la voix de petite fille », qui a des « lacets faits par sa maman chérie » et qui « doit se retenir très fort de pleurer quand il tombe par terre ».

Riad vit comme un petit syrien, va à l’école, s’intègre comme il peut et gravite parmi des connaissances de son père faisant partie de « l’élite » du pays. Avec lui on découvre une institutrice voilée et coquette qui ne badine pas avec la discipline, faisant régner l’ordre à coups de bâton, un général mégalo et son garde du corps aux bacchantes impressionnantes, un hôtel de luxe pour riches autochtones ou encore une station balnéaire aux allures très occidentales.

Par rapport au premier tome, j’ai trouvé que la mère s’affirmait davantage et que, sans doute par ricochet, le père semblait plus à l’écoute, et de fait plus sympathique. Ce que j’adore dans cette autobiographie, c’est le mélange de candeur et d’acuité. Riad observe. Il n’a rien d’autre à faire car ses origines et son physique de « sale juif » l’excluent le plus souvent des jeux et des conversations de ses camarades. Comme toujours, Sattouf propose différents niveaux de lecture. Derrière la légèreté du propos affleure une réalité politique et sociale décrite sans complaisance : président réélu avec 100% des voix, bourrage de crâne pour entretenir un antisémitisme d’état, place de la femme, crimes d’honneur, etc.

Au final, il reste en bouche une tendresse lucide portée par ce petit garçon découvrant le monde à hauteur d’enfant. L’arabe du futur, c’est de l’ethnographie mâtinée d’humanisme, un regard à la fois naïf et sans concession, mais aussi sans jugement. Très, très fort monsieur Sattouf !

L’arabe du futur T2 : une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985) de Riad Sattouf. Allary, 2015. 158 pages. 20,90 euros.

Mon avis sur le tome 1

Une lecture commune que j'ai l'énormissime plaisir de partager avec Framboise. Sa toute première lecture commune, et c'est avec moi, autant vous dire que je n'en suis pas peu fier. Et on a beau dire, une première fois, c'est toujours spécial !




mercredi 24 juin 2015

Histoires de famille : huit nouvelles dessinées - Pelle Forshed

Huit nouvelles qui mettent en scène des auxiliaires de vie suédois intervenant auprès de personnes âgées maintenues à domicile. Toilettes, courses, repas, médicaments, etc. Surtout, une présence pour briser la solitude de ces hommes et femmes en fin de vie dont la décrépitude physique et/ou morale fait peine à voir. Une décrépitude dont le reflet nous éclabousse de plein fouet tant il est difficile de ne pas imaginer ce qui nous attend à plus ou moins long terme. C’est du moins l’impression que j’ai eue et inutile de vous dire que c’est sacrément plombant.

Comment ne pas être admiratif devant ces infirmiers et travailleurs sociaux qui, loin d’être présentés en héros, sont d’une humanité touchante ? Le planning tellement serré qu’il est impossible de consacrer le temps nécessaire à chacun, les relations parfois tendues avec les enfants, qui n’hésitent pas à vous accuser de maltraitance pour un oui ou pour un non et vous menacent d’un procès, ces grabataires qui ne supportent pas de voir des nouvelles têtes et souhaitent accueillir toujours le même auxiliaire. Parfois l’indifférence l’emporte sur l’empathie, parfois on bâcle le travail, rêvant d’être ailleurs, parfois on souhaite se voir retirer la responsabilité de certains cas devenus trop pesants.

Il y a aussi tout au long du recueil une véritable réflexion sur la mort, la façon dont elle perçue par les proches et les accompagnants, ces derniers devant prendre le recul nécessaire pour ne pas être trop ébranlés émotionnellement. Pelle Forshed sait de quoi il parle puisqu’il a lui-même exercé ce métier. Son trait naïf et minimaliste permet de mettre une distance bienvenue entre la dureté du propos et la représentation qui en est faite.

Soyons clair, toutes les nouvelles ne se valent pas. Il n’empêche, le désarroi et les questionnements de ces auxiliaires de vie, de ces familles face à la vieillesse de leurs proches et à la maladie ont un coté universel, ils nous renvoient à notre propre manque d’implication vis-à-vis de nos aînés. En tout cas c’est comme cela que je l’ai perçu. C’est particulièrement dérangeant mais en ce qui me concerne cette lecture a permis de remettre bien des choses en perspective. Comme quoi…

Histoires de famille : huit nouvelles dessinées de Pelle Forshed. L’agrume, 2015. 140 pages. 20,00 euros.







mardi 23 juin 2015

Cher cousin caché - Dominique Brisson

En trouvant le forfait de ski d’une certaine Mathilde portant le même nom que lui dans sa doudoune, Émile découvre qu’il a une cousine de son âge et qu’il n’en a jamais entendu parler. Fâchés de longue date, ses parents et son oncle se partagent le chalet familial à chaque période de vacances sans jamais se croiser. Bien décidé à communiquer avec cette cousine dont on lui a caché l’existence, Émile lui laisse un message dans la doudoune. Commence alors entre les deux enfants une correspondance secrète où chaque lettre aura la valeur d’un trésor…

Noukette et moi changeons de registre cette semaine pour notre rendez-vous hebdomadaire autour de la littérature jeunesse : pas de texte coup de poing, de thématique qui gratte et laisse des traces mais un petit roman épistolaire avec des gamins espiègles et attentionnés particulièrement attachants. Du léger, du vivifiant, du positif. Entre Émile et Mathilde, c’est une amitié simple et sincère qui se développe. J’ai aimé voir leur complicité se renforcer au fil du temps, comme une évidence. J’ai aimé l’originalité dont ils ont dû faire preuve pour cacher leurs missives, les trouvailles qu’ils ont mis en œuvre pour faire pester les adultes, la façon dont chacun s'est confié à l’autre en toute confiance, sans aucune arrière-pensée. Et puis cet échange ne s’inscrivant dans aucune immédiateté, cet échange fait d’attente, d’impatience (des semaines voire des mois séparant deux lettres) possède un petit coté anachronique plein de charme.

Une très belle surprise donc que ce court roman dont la lecture fait le plus grand bien. Au moins, ça change de ce que l’on a l’habitude de dénicher pour cette tranche d’âge.

Cher cousin caché de Dominique Brisson. Syros, 2013 (1ère édition en 2006). 70 pages. 6,20 euros. A partir de 9 ans.


lundi 22 juin 2015

Anuki T5 : Grand-Pied de Sénégas et Maupomé

Quand le shaman raconte à Anuki et ses amis la légende du terrible Bigfoot un soir d’orage, il leur fait une peur bleue ! Une peur qui grandit encore lorsqu’ils se voient chargés par ce même shaman d’aller déposer dans la forêt les offrandes destinées à maintenir des rapports cordiaux entre la tribu et ce géant poilu. Le lendemain, les papooses se mettent en route, pas rassurés. Ils se séparent et Anuki, son panier à la main, va faire une rencontre qu’il n’est pas près d’oublier…

En cinq albums Anuki est devenu la coqueluche de la maison. Le seul héros de BD (avec Chi) dont chaque membre de la famille attend avec impatience le retour en librairie. Ce cinquième volume est de loin mon préféré. Plus dense, plus complexe, plus drôle, plus trépidant et avec un dessin encore plus abouti (si, si, c’est possible). La réapparition des poules est un clin d’œil génial au premier tome. La course poursuite avec le Bigfoot est menée de main de maître et la conclusion apporte une petite touche d’émotion bienvenue.

Un modèle de BD muette, d’une fluidité et d’une lisibilité à nulle autre pareille. Il suffit de voir un enfant s’y plonger les yeux pétillants et le sourire aux lèvres pour se convaincre qu’Anuki est une réussite totale. Chapeau bas messieurs  Sénégas et Maupomé et rendez-vous l’an prochain pour le tome 6, j'en connais qui l'attendent déjà de pied ferme.


Anuki T5 : Grand-Pied de Sénégas et Maupomé. Éditions de la Gouttière, 2015. 40 pages. 9,70 euros. A partir de 4-5 ans.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Mo’





dimanche 21 juin 2015

Histoire d’Irène - Erri De Luca

Si vous passez régulièrement par ici vous savez à quel point j’apprécie Erri de Luca (je vous l’ai dit , , et ), mais par moments il m’agace prodigieusement. Notamment quand ce fervent lecteur des écritures sacrées joue au « mystique sans religion » (c’est ainsi qu’il se qualifie) comme c’est le cas dans ce recueil.

La première des trois histoires, la plus longue (85 pages sur 120) et celle qui donne son titre à l’ouvrage, est incontestablement le truc le plus gnangan que j’ai lu depuis longtemps. Irène a été trouvée bébé sur la plage d’une île grecque après une tempête. Irène est mutique, vit en sauvageonne et passe son temps à nager avec les dauphins : « Toutes les nuits, Irène rejoint la famille des dauphins, onze avec elle, guidés par une femelle adulte. Elle vide pour eux les filets sans les couper, elle descend sur le fond et détache des hameçons les anchois et les morceaux de calamars, elle ouvre les nasses. Avec son couteau italien, elle libère et sauve les siens empêtrés dans les filets. Elle reste avec eux jusqu'à la fin de la nuit. Elle a le même âge que deux des dauphins, une femelle et un mâle. Ils ont grandi ensemble, ils ont exploré les jeux jusqu'à la venue de la maturité. » Sérieux ? Plus cucul tu meurs ! Irène est enceinte, l’opération du saint esprit sans doute, c’est du moins ce que je me suis dit au départ. Mais, non, c’est autre chose : lorsqu’elle accouche, au large, c’est d’un dauphin ! Sérieux ?

Je le savais déjà à cause de lectures précédentes dont je n’ai pas parlées sur le blog mais cela se confirme ici, je n’aime décidément pas quand de Luca donne dans le mystique, quand il fait sans cesse référence à des personnages bibliques (Jacob, Jonas, etc), quand il se demande : « Amour et Dieu sont-ils la même chose » ? Je n’ai pas envie de le suivre dans ces réflexions-là et j’ai trouvé sa fable de la femme-dauphin en tout point ridicule.

Le second texte, autobiographique, revient sur la fuite de son père, alors soldat, en 1943 au moment où Capri est libérée par les américains. Un texte important pour lui, cela va de soi, mais qui m’a laissé de marbre. Il n’y a que dans le troisième où j’ai retrouvé l’écrivain que j’aime. Il m’a touché en plein cœur ce vieux napolitain, une amande dans la bouche, trouvant refuge contre une pierre après avoir lutté contre le froid et la tramontane de février pour offrir au soleil de la méditerranée son corps fatigué et son front ridé. Superbe mais trop court. Trop peu, trop tard, oserais-je dire. Mais je ne suis pas rancunier mon cher Erri, et je serai fidèle au poste quand sortira votre prochain livre.

Histoire d’Irène d’Erri de Luca. Gallimard, 2015. 122 pages. 12,50 euros.




vendredi 19 juin 2015

Les enfants de Dimmuvik - Jon Atli Jonasson

« Le passé ne me cause plus de chagrin. Plus comme avant. Il s’en faut de beaucoup. Je pense que le cœur se revêt de callosité. Et puis elle le gagne entièrement. La corne. Jusqu’à ce que la pompe ne soit plus qu’un bloc coriace. Alors le cœur cesse de battre et on meurt. »

Au moment où elle enterre son frère, une vieille femme se souvient de sa jeunesse. Son Islande natale, une crique entre mer et lande, en 1930, dans un paysage désolé et sauvage. Elle avait douze ans à l’époque et son père venait de mettre en terre le petit dernier, emporté à la naissance. Un décès dont sa mère ne se remettra jamais, passant par la suite le plus clair de son temps clouée au lit, fixant le mur sans rien dire.

En tant qu’ainée, la narratrice veille sur son frère somnambule et sa sœur d’une maigreur de brindille. La cahute qui leur sert de maison, isolée du reste du monde, est un univers clôt, mutique. Ici les mots sont de trop. Seules parlent la misère et la faim, le cycle des saisons et l’interminable hiver qui recouvre de son linceul cœurs et âmes. Ici la solitude extrême, la souffrance, la rudesse de l’existence amènent chacun au bord de la folie. Ici pour survivre alors qu’il y a trop de bouches à nourrir, il faut parfois aller au-delà de l’acceptable, au-delà de l’humain.

Clairement, je suis fan de la littérature islandaise quand elle ne se drape pas dans les plis du polar. Je pense bien sûr à cette chère « Lettre à Helga » et au fabuleux (je pèse mes mots !) roman de Jon Kallman Stefansson, « La tristesse des anges ». Je retrouve dans cette « novella » l’âpreté des êtres, du climat et des paysages, les réflexions métaphysiques sur le sens de la vie. A quoi bon ? Semblent-ils tous se dire, poussés à rester debout par un instinct animal qui dicte leur conduite.

C’est triste et déchirant, c’est évidemment à lire d’une traite et c’est d’une beauté crépusculaire. Bref… j’ai plus qu’aimé.

Les enfants de Dimmuvik de Jon Atli Jonasson. Noir sur Blanc, 2015. 90 pages. 11,00 euros.






jeudi 18 juin 2015

Mortes saisons - Marcus Malte

« Selon la formule consacrée : si tu lis ces quelques lignes, c'est que je ne suis plus de ce monde. Mais au fond, et même si cela ne t'est pas une consolation, sache qu'il y a déjà longtemps que je l'ai quitté. Ce monde. Celui que toi et moi connaissions. Dès l'instant où j'ai posé le pied sur ce continent, j'ai cessé de lui appartenir. »

Ce texte est une conversation posthume entre Alice et Fanfan, son frère disparu il y a 50 ans pendant la guerre d’Algérie. De lui elle a récupéré une lettre et trois carnets, un jour d’août 1964. Une sorte de journal intime, sans dates. Décousu. Un journal dans lequel Fanfan couchait l’indicible, ses états de service de bourreau pour l’armée française. Sûr de lui, de sa force, de son bon droit, de la justesse de sa cause. Torturer pour obtenir des informations, lutter contre les terroristes, sauver des vies. Alice répond à son fantôme. On devine la relation fusionnelle avec ce frère qui était tout pour elle. Elle le prend à partie, cherche à lui ouvrir les yeux, reste persuadée qu’elle aurait pu le remettre dans le droit chemin s’il était revenu vivant : « Ils t’ont dressé, Fanfan. Obéir, aboyer, mordre. Tu te croyais maître de ta destinée, tu n’étais que chien. […] Même dans cet état, je t’aurais repris tu sais. Recueilli. Réadopté. Réadapté. »

A travers les reproches, une tendresse infinie affleure de la part de cette sœur marchant sans cesse au bord du vide. Une famille à jamais déchirée par cette disparition, une vie de solitude et de tristesse, un mariage raté… Alice a traversé des décennies sans parvenir à tirer un trait, à oublier celui qui est resté à jamais son seul et véritable amour.

Marcus Malte cogne comme il en a l’habitude, il appuie là où ça fait mal. Il dit le chagrin, la mélancolie, l’incompréhension, mais aussi le souvenir des moments passés ensemble. Il montre un homme face à la barbarie, faisant partie de cette barbarie, la légitimant même. Il raconte une histoire de deuil impossible, portée par une écriture d’une puissante sobriété. J’avais eu l’occasion de découvrir cette collection croisant littérature et photographie grâce au très beau texte de Thierry Magnier, « Ma mère ne m’a jamais donné la main ».  Ce « Mortes saisons » confirme que la recette fonctionne à merveille et que le dialogue s’instaurant au fil des pages entre texte et images n’a rien d’artificiel, bien au contraire.

Mortes saisons de Marcus Malte (photographies Cyrille Derouineau). Le bec en l’air, 2012. 94 pages. 15,50 euros.





mercredi 17 juin 2015

Les enfants de la résistance T1 : Premières actions - Ers et Dugomier

Juin 40. Après la débâcle, l’armistice signé par le gouvernement de Pétain fait de la France un pays occupé. François et Eusèbe voient défiler les soldats allemands dans leur village. Impossible pour ces enfants de ne pas réagir face un envahisseur se croyant tout permis. Pour lui pourrir la vie, les deux copains vont faire avec les moyens du bord et mener à bien quelques opérations, certes modestes, mais qui vont peu à peu inciter tout le village à les suivre dans leurs actions…

La démarche d’Ers et Dugomier est intéressante dans la mesure où ils ne mettent pas en scène les résistants tels que l’on a l’habitude de les voir, mitraillette en main, organisés en réseau très structurés et lançant des projets de sabotage de grande envergure. En 40, la population cherche juste à reprendre le cours d’une vie normale, s’accommodant d’un armistice qui de prime abord, et pour certains, ne semble pas changer grand-chose. Avec cet album, ils montrent le début d’un mouvement balbutiant et la montée progressive de l’exaspération face à l’attitude des allemands.

Du haut de leurs 13 ans, François et Eusèbe savent que leurs moyens d’agir sont limités. Ils font preuve d’ingéniosité et utilisent leur bonne connaissance de l’environnement local pour perturber au maximum l’occupant. Une sorte d’éveil au sentiment de révolte, un refus de se résigner qui les fera gagner en maturité et les exposera à des dangers dont ils ne saisissent pas l’ampleur.

Je connaissais ce duo d’auteurs pour leur série « Les démons d’Alexia ». On retrouve ici le trait rond et doux du dessinateur, son attention permanente à l’expressivité des visages et le dynamisme de son cadrage dans les scènes d’action. Classique et efficace.

Impossible de ne pas comparer le premier tome de cette série avec mes chers Lulus. Pour le coup, les orphelins picards gardent ma préférence. Ils ont un petit quelque chose de plus spontané, plus attachant aussi (sans compter que je ne suis jamais très objectif quand il s'agit des lulus). Et puis ici la voix off omniprésente, sous couvert d’explications et de remise en contexte historique censées éclairer le jeune lecteur, offre à la longue un discours un peu trop scolaire. Le dossier documentaire en fin d’album achève d’ailleurs de convaincre que cette série possède une dimension didactique certaine et assumée. Je préfère donc la fraîcheur des lulus mais pour autant, ces enfants de la résistance gagnent incontestablement à être connus et je suivrai avec attention leurs futurs coups d’éclat.

Les enfants de la résistance T1 : Premières actions d’Ers et Dugomier. Le Lombard, 2015. 56 pages. 10.60 euros.


La BD de la semaine est
aujourd'hui chez Noukette