mardi 16 juin 2015

Comment je me suis débarrassé de ma mère - Gilles Abier

Cinq nouvelles faisant voler en éclat l’image d’Épinal de la maman aimante et pleine de tendresse. Cinq nouvelles à chute dont l’amertume vous reste longtemps en bouche. Oui, il est possible de faire interner une maman trop possessive. Oui, une maman d’athlète de haut niveau, prête à tout pour la carrière de sa progéniture, n’est jamais loin de dérailler. Oui, un enfant peut avoir honte de sa mère trop moche, trop bête et trop pauvre, au point de vouloir se faire adopter. Et non, il ne faut jamais accepter sa mère comme amie sur Facebook. Surtout quand elle est prête à déballer votre intimité sans retenue.

Les narrateurs sont ici les enfants. Des enfants sans pitié, plein de rancœur, prêts à tout pour se débarrasser d’une génitrice qui, selon eux, les empêche de grandir et de se construire. Je dis bien selon eux car Gilles Abier ne jettent pas en pâture au lecteur des mères  au comportement « indéfendable ». Point ici de manichéisme, au-delà des apparences, les victimes ne sont pas forcément celles que l’on croit. Du moins pas toujours. Les ados qui s’expriment ici sont à un point de rupture dans la relation avec leur mère. Problème de communication, d’aspirations devenues tellement différentes que le fossé s’étant creusé semble ne jamais pouvoir être comblé.

Un texte en particulier m’a mis mal à l’aise. Pas celui où une fille traite sa mère de salope, ni celui où une autre la considère comme « vicieuse et perverse », mais celui qui a pour titre « Trois raisons ». Sans doute parce qu’il est trop plein de mépris, de dédain, de moqueries gratuites. Parce qu’avoir aussi peu de considération pour celle qui vous a donné la vie est difficile à accepter, même si cette nouvelle, comme toutes les autres, sonne affreusement juste.

C’est incisif, sans fioriture. Abier maîtrise l’art de la nouvelle, il va à l’essentiel et ne s’embarrasse pas de précautions inutiles. Il cogne et ça fait mal, mais c’est ça qui est bon ! Dérangeant et réaliste, ce recueil vous marque au fer rouge, profondément.

Comment je me suis débarrassé de ma mère de Gilles Abier. Actes sud junior, 2015. 125 pages. 12,00 euros. A partir de 13 ans.

Une pépite jeunesse que je partage cette semaine encore avec Noukette.















lundi 15 juin 2015

A l’école de Louisette - Bruno Heitz

Je vous ai déjà dit à quel point j’aimais Bruno Heitz (ici, ici et ici), son trait naïf, ses personnages attachants et ses polars ruraux sentant bon la France de Pompidou. Mais cet auteur touche à tout est aussi et surtout connu pour ses ouvrages jeunesse comme « L’histoire de France en BD » ou encore « Louisette la Taupe ».

Louisette est une vielle taupe vivant tranquillement dans son terrier où elle reçoit la visite de nombre d’animaux de la forêt. Calée dans son fauteuil, elle aime notamment lire des histoires à trois jeunes lapins. Car Louisette a eu la chance de passer son enfance sous une salle de classe, ce qui lui a permis d’apprendre à lire, à écrire et à découvrir des classiques de la littérature. Ces classiques sont justement le point de départ de chacun des trois albums réunis dans ce recueil. L’inventaire de Prévert, Ulysse et les frères Grimm vont déclencher des aventures au cours desquelles Louisette va retourner à l’école, devenir artiste de cirque et déjouer les plans d’une belette sournoise.

Cette série est un concentré de bonne humeur et de bon sens. Les enfants adorent l’ambiance sylvestre, la galerie de personnages animaliers attachants et souvent farfelus et l’humour tout en légèreté d’un auteur qui, à l’évidence, s’amuse énormément à mettre en scène tout ce petit monde (A la maison, pépette n°2 possède tous les albums, dont certains dédicacés, une vraie fan !). Au final, c’est beaucoup moins gnangnan, beaucoup moins répétitif et bien plus drôle que « Sylvain et Sylvette » par exemple. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que Louisette fait partie de la liste officielle de référence des œuvres de littérature conseillées par l’éducation nationale aux enseignants de CE1.

Une excellente idée que cette compilation permettant de lire trois titres à la suite. Avec son format plus grand que celui d’origine,  son joli vernis sélectif en couverture, son papier brillant et son épais cartonnage, cet album constitue une occasion parfaite pour ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir l’univers de Louisette et de ses amis.

A l’école de Louisette de Bruno Heitz. Casterman, 2015. 100 pages. 18,50 euros. A partir de 6 ans.


L'avis de Canel




samedi 13 juin 2015

La mer couleur de vin de Leonardo Sciascia

Des nouvelles écrites entre 1959 et 1972. Des nouvelles ancrées par Leonardo Sciascia dans la terre de Sicile qui l’a vu naître. Toutes sont très différentes, certaines ont des allures de conte comme la première, d’autres sont proches du vaudeville (« Un cas de conscience »), du faits divers (« Procès criminel ») où d’une réalité sociale douloureuse (« Le long voyage », « Western en Sicile »). Ma préférée est « Affaire de Saints », récit truculent de l’affrontement entre une femme bigote et son mari communiste à propos d’une statue de sainte retirée d’une église.

Sciscia le sicilien, amoureux fou de son île, n’hésite pas pour autant à en dénoncer les travers : mafia, pauvreté, envies d’exil, poids écrasant de la religion, avidité des nantis, oisiveté d’une population pas franchement prête à se tuer à la tâche (« Nous sommes ainsi faits, nous attendons que le fruit mûr nous tombe de l’arbre dans la bouche »), son regard est sans concession. Il n’empêche, on sent poindre en permanence une infinie tendresse pour ses personnages écrasés à la fois par une chaleur infernale et le poids  étouffant  des traditions.

L’écriture est légère, virevoltante, souvent drôle, et les dialogues savoureux. Je découvre avec ce recueil la voix d’un grand nom de la littérature italienne et j’avoue être tombé sous le charme d’une plume aussi élégante.

La mer couleur de vin de Leonardo Sciascia (trad. J. de Pressac). Denoël, 2015. 190 pages. 15,50 euros.





vendredi 12 juin 2015

L’agenda de la petite souris - Céline Lamour-Crochet et Anne Mahler

On perd une dent, on la glisse sous l’oreiller, le lendemain elle n’y est plus car la petite souris est passée. La routine, quoi. Sauf que pour la petite souris, c’est un boulot de dingue ! Un boulot bien plus fatiguant que celui du Père Noël. Car elle, c’est toutes les nuits qu’elle est sur le pont, pas une seule fois par an. Et dans la journée, vous vous êtes déjà demandé comment elle s’occupe, la petite souris ? Et bien elle s’entraîne, et son programme est  un programme d’athlète de haut niveau. Le lundi, tour de la terre en essayant de battre son record de vitesse. Le mardi, escalade. Le mercredi, exercices d’acclimatation aux différences de température (ben oui, elle peut passer en un rien de temps d’une hutte africaine à un igloo, et pas question de tomber malade !). Son planning pour le reste de la semaine est tout aussi chargé, je vous laisse le découvrir par vous-même…

J’aime quand un album répond avec humour à des questions que l’on ne se pose pas. Celui-ci se conclut sur une interrogation importante. Que fait la petite souris de toutes les dents qu’elle récupère ? « Sa maison serait pleine à craquer, du sous-sol jusqu’au grenier, si elle les avait toutes gardées. » Alors que deviennent-elles, ces dents ? Et bien ne comptez pas sur moi pour vous le dire…

Le texte est drôle, les situations bien trouvées, le dessin doux et très expressif. A chaque jour une double page, c’est simple et efficace. Une bien belle surprise, chez un éditeur dont je n’avais jamais entendu parler. Un album que je vais garder au chaud et que je ressortirai avec plaisir quand ma pépette n°3 perdra ses premières dents.

L’agenda de la petite souris de Céline Lamour-Crochet et Anne Mahler. Les Minots, 2015. 36 pages. 13,50 euros. A partir de 3-4 ans.






jeudi 11 juin 2015

Un été 63 - Tracy Guzeman

Natalie et Alice Kessler sont tombées amoureuses du même artiste peintre aux cours de l’été 63, près d’un lac du Connecticut. Elles n’étaient que des ados à l’époque et lui avait une vingtaine d’années. Quarante ans plus tard, le peintre est devenu une célébrité mondiale, vivant reclus et n’ayant pas réalisé le moindre tableau depuis des décennies. Quand il révèle à un expert l’existence d’un triptyque inédit et qu’il charge ce même expert de retrouver les « morceaux » de ce triptyque, une minutieuse enquête commence, une enquête où les sœurs Kessler vont tenir le rôle principal et révéler un passé douloureux que chacun pensait profondément enfoui.

Un premier roman américain qui ne casse pas trois pattes à un canard. Les secrets de famille, ce n’est pas ma tasse de thé. Et puis tout est trop romancé, il y a trop de rebondissements « hasardeux » qui font bien les choses, et les personnages sont trop stéréotypés. Tout ça manque d’aspérité, c’est tellement, tellement lisse sous des faux airs de tragédie brûlante. De toute façon, quand j’ai du mal à rester attentif, que je saute quelques lignes et que je me fiche de l’intrigue comme de ma première chemise, ce n’est pas bon signe du tout.

Je reconnais néanmoins le louable effort de construction du récit. Cette narration entrelacée, ce va-et-vient entre les époques et les protagonistes, ce n’est pas follement original mais ça dénote une certaine ambition littéraire. Dommage que tout sonne faux et que je n’y ai pas cru une seconde. Je n’ai pas détesté, je suis resté totalement indifférent face à l’enchaînement des événements. A la limite, c’est pire que si j’avais détesté…

Un été 63 de Tracy Guzeman. Flammarion, 2015. 385 pages. 22,00 euros.

Les avis de Canel et Nahe





mercredi 10 juin 2015

Nouvelles graphiques d'Afrique - Laurent Bonneau

Tout est dans le titre. Laurent Bonneau a parcouru l’Afrique pour réaliser des courts-métrages. C’est suite à ces voyages qu’il eu envie de coucher sur le papier son ressenti sous forme de bande dessinée. Le résultat est loin du documentaire, loin du reportage. A travers ces histoires relevant davantage du témoignage, il dresse un portrait tout en suggestion de ce continent protéiforme et fascinant.

L’exil, la corruption, l’élection d’Obama, les enfants soldats, les richesses naturelles sources de conflit, la présence chinoise de plus en plus importante, le foot… autant de sujets plus effleurés que traités en profondeur, autant de portes ouvertes pour pousser le lecteur à la réflexion, sans jugement définitif.

Il se dégage de l’ensemble beaucoup de sérénité, de silences. Il y a même trois histoires totalement muettes. La plupart des pages se décomposent en deux cases dans un format proche de la carte postale. Graphiquement, Laurent Bonneau navigue du croquis au portrait détaillé, il change de technique à chaque nouvelle, passant par exemple des pastels aux crayons en noir et blanc. La palette de couleurs va quant à elle du vert intense de la forêt tropicale au jaune poussiéreux de l’Afrique subsaharienne. Le résultat est d'une variété bluffante et montre le talent multicarte d'un dessinateur passant avec une facilité déconcertante d'un style à l'autre.

Un album magistral, contemplatif, laissant le plus souvent l'image prendre le pas sur le texte. L'Afrique n'est ici ni sublimée ni fantasmée. Elle apparaît dans toute sa diversité, sa richesse, sa complexité. Une invitation au voyage des plus dépaysantes.

Nouvelles graphiques d'Afrique de Laurent Bonneau. Des ronds dans l'O, 2015. 164 pages. 25,00 euros.

L'avis de Noukette, qui m'a donné envie de le découvrir.


La BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie 





mardi 9 juin 2015

Nouveau look pour Petite Poche

Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises avec Noukette de l'excellente collection "Petite Poche" (ici, ici et ici). Des textes courts, s'adressant à un public varié (de l'école élémentaire au lycée professionnel), faits pour être lus d'une traite, présentés dans une pagination aérée, abordant des thématiques variées, actuelles, et signés par de grands noms de la littérature jeunesse.

Alors que la collection fait peau neuve en cette fin de printemps (nouvelle charte graphique et "relooking" complet des couvertures, mise en ligne d'un site dédié, réédition de certains titres depuis longtemps indisponibles et baisse de prix !), petite présentation de deux des cinq inédits sortis récemment :


Victor ne peut pas, comme ses camarades, donner son avis sur la prise d'otages en cours dans une école d'Orléans. Chez lui il n'y a pas de télé, pas de portable et interdiction d'utiliser l'ordinateur tout seul. Alors forcément, difficile voire impossible de se tenir au courant de l'actualité. Tout ça parce sa mère "estime qu'il faut protéger les enfants de la folie du monde". Victor prend difficilement son mal en patience et il trépigne en attendant le retour de son père. Car il le sait, ce dernier pourra lui raconter bien des choses à propos de cette prise d'otages...

Un joli texte sur l'angoisse vécue par les enfants en quête d'explication et de compréhension des faits divers les plus sordides, surtout quand ces faits divers les touchent de près. Bon, j'avais deviné la chute, mais elle est quand même bien trouvée et bien mise en scène.

Trop fort, Victor ! de Mikaël Ollivier. Thierry Magnier, 2015. 44 pages. 3,90 euros. A partir de 8 ans.



"Les problèmes n'empêchent pas de de vivre, au contraire ! Tant qu'on a des problèmes, on est bien vivants. A un moment, ça finit toujours par s'arranger."
Théodora a beaucoup de problèmes dans la vie, mais sa mère lui a certifié que tous les problèmes ont une solution. Elle décide donc d'en dresser la liste et de s'y attaquer un par un : le frigo toujours vide ? pas un problème ; la belle-mère acariâtre ? pas un problème ; cette grosse brute de Kevin ? pas un problème ; les leçons de piano qu'elle déteste ? pas un problème...

Une belle façon de relativiser. Pas forcément évident de trouver une solution, mais en y mettant du sien, en affrontant les situations qui nous causent des soucis, on parvient à faire face. Le message est simple sans être simpliste, optimiste sans être moralisateur. Du Susie Morgenstern dans le texte !

Pas de problème ! de Susie Morgenstern. Thierry Magnier, 2015. 44 pages. 3,90 euros. A partir de 8 ans.

Une lecture commune que je partage évidemment avec Noukette !











dimanche 7 juin 2015

Myrmidon T4 : Myrmidon sur l'île des pirates - Dauvillier et Martin

Dans ce nouvel album, Myrmidon trouve son déguisement au fond de l'eau. Un costume de pirate avec sabre, veste et chapeau. Mais en le remontant avec sa canne à pêche, le petit garçon va aussi faire surgir d'affreux squelettes. Pour leur échapper, il décide prendre la mer. Pas forcément une bonne idée...

Après les cow-boys, les extraterrestres et les dragons, voilà donc Myrmidon aux prises avec des pirates. Aucune lassitude malgré le schéma narratif se répétant à chaque fois : entrer dans un costume, se projeter dans un univers imaginaire et vivre de nombreuses péripéties, l'impression de déjà-vu possède au contraire un aspect rassurant. Parce que l'on sait d'avance que malgré les événements et des éléments perturbateurs parfois anxiogènes (surtout ici des squelettes!), tout va bien se terminer. D'ailleurs Myrmidon affronte les épreuves que lui offre son imaginaire avec le sourire. Lui aussi sait que l'aventure n'est qu'une parenthèse avant le retour à la situation initiale et au réel.

Ce coté « structurant » offre un cadre dans lequel le petit lecteur va se sentir à l'aise. Il va apprécier retrouver un personnage « mascotte » auquel il est facile de s'identifier, retrouver les décors minimalistes lui permettant de se focaliser sur l'action et retrouver les codes graphiques utilisés depuis le début de la série pour différencier les éléments du rêve et ceux de la réalité. Bref, dans cet univers muet et pourtant très parlant, il va être chez lui, prêt à passer un bon moment avec un bon copain. Aussi efficace qu'imparable !

Myrmidon T4 : Myrmidon sur l'île des pirates de Dauvillier et Martin. Éd de la Gouttière, 2015. 32 pages. 9,70 euros. A partir de 3-4 ans.

L'avis de Mo'



vendredi 5 juin 2015

Le principe - Jérôme Ferrari

Un roman retraçant le parcours de l’allemand Werner Heisenberg, prix Nobel de Physique 1932 et fondateur de la mécanique quantique, il aurait normalement fallu se lever tôt pour que je m’y colle. Moi pour qui les sciences en général et les maths en particulier sont un mystère totalement incompréhensible (oui, j’ai eu 2/20 au bac, même pas honte !), je n’allais pas me laisser embarquer dans une lecture pareille. Sauf que l’auteur se nomme Jérôme Ferrari. Et parce que je considère ce monsieur comme l’un des plus grands écrivains français actuels, je suis prêt à le suivre sur tous les terrains, même les plus improbables. Si son prochain roman aborde la reproduction de l’escargot d’aquarium, je foncerais les yeux fermés, comme j’ai foncé ici pour découvrir ce qui se cachait derrière « Le principe ».

Et le pire c’est que j’ai presque tout compris (enfin, en gros, il ne faut pas pousser non plus). En gros, donc, Heisenberg découvrit en 1927 le principe d’incertitude selon lequel on ne peut connaître en même temps la vitesse et la position d’une particule élémentaire. Une découverte qui changea la face du monde, conduisant quelques années plus tard à la fission nucléaire et à Hiroshima. Je vous la fait courte mais je ne suis pas, intellectuellement parlant, dans la capacité de développer davantage (il ne faut pas pousser non plus – bis). Sachez juste qu’à travers Heisenberg, Ferrari dresse le portrait de ces scientifiques auxquels il « fut donné pour la première fois de regarder par-dessus l’épaule de Dieu ».

Quand l'auteur d'Où j'ai laissé mon âme s’empare d’un tel sujet, il ne donne pas dans le documentaire pédagogique. Il bouscule la chronologie et offre à son récit la prose majestueuse et exigeante qui le caractérise. Des phrases à la beauté foudroyante, s’étalant sur une demi-page ou ramassées sur elles-mêmes, sèches comme un coup de trique. J’ai adoré le vouvoiement du narrateur à l’adresse d’Heisenberg, cette proximité s’installant, presque intime, entre un petit personnage d’aujourd’hui interpellant un grand personnage d’hier pour mieux comprendre un monde où « rien ne peut sauver de la solitude l’homme qui ne rencontre que lui-même. C’est ainsi. Ce monde qui nous prolonge et nous reflète est plus terrifiant, plus étranger, plus hostile que ne le fut jamais la nature sauvage ».

Oui, Heisenberg a mis sa science au service des nazis. Mais conscient du danger potentiel que pourraient engendrer ses travaux, il a fait traîner les choses, incapable de répondre à une question fondamentale, bien plus philosophique que scientifique : un savant doit-il renoncer au progrès à partir du moment où il prend conscience que sa découverte peut détruire le monde ? De toute façon, il n’y a aucun jugement, aucune condamnation dans cet ouvrage. Comme si le principe d’incertitude s’appliquait aussi à celui qui l’a découvert.

Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails. Ce texte, il faut s'en délecter, se laisser porter par son rythme harmonieux, par son ampleur, sa mélodie d’une grâce sidérante. Le ton est altier, ne s’embarrassant ni de dialogues ni de descriptions, dans une forme d’épure qui va à l’essentiel. Le dernier chapitre offre un ultime et sublime trait d’union entre deux époques (l’actuelle et celle de la bombe) où la folie des hommes, même si les temps ont changé, reste toujours aussi incontrôlable. Vertigineux !

Le principe de Jérôme Ferrari. Actes Sud, 2015. 160 pages. 16,50 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Hélène, Philisine et Une Comète.















jeudi 4 juin 2015

Le premier Dieu - Emanuel Carnevali

Une mère morphinomane, un père et un frère violents, les pensions sordides où il fut très tôt placé… Emanuel Carnevali, né à Florence en 1897, eut une triste enfance avant son départ pour l’Amérique à l’âge de 16 ans. Il débarqua seul à New-York et vécut dans un dénuement extrême, enchaînant des petits boulots de serveurs qu’il était incapable de conserver et naviguant de meublés crasseux en logis insalubres, sans jamais rien posséder d’autre que ses quelques vêtements. C’est à Chicago qu’il trouva un certain équilibre, se maria et commença à être reconnu en tant que poète. Mais frappé d’encéphalite en 1920, il retourna en Italie pour enchainer les séjours en maisons de santé jusqu’à sa mort, le 11 janvier 1942.

Comme presque toujours lorsque j’attends beaucoup d’un ouvrage, c’est la déception qui prédomine au final. Il avait pourtant tout pour me plaire Carnevali avec sa vie chaotique comme c’est pas permis : la misère, l’exil, la rage au ventre, la poésie chevillée au corps, la mort à 45 ans des suites d’une longue maladie dans la solitude d’un sanatorium, que d’arguments pour me faire grimper aux rideaux ! Sauf que j’ai d’autres références en la matière. L’italien qui bouffe de la vache enragée aux États-Unis dans la première moitié du 20ème siècle, c’est pour moi John Fante qui l’incarne le mieux. D’ailleurs entre les deux, il n’y a pas photo tant Fante est intouchable. Et l’éditeur qui annonce que « Carnevali allie la puissance évocatrice de la poésie de Bukowski avec le sens du familier que l'on trouve par exemple chez Philip Larkin ». Euh… je ne connais pas Larkin mais pour le reste, on est à des années lumière de Bukowski. Où sont l’humour, l’autodérision, l’écriture qui marche droit au but, sans la moindre fioriture, comme si elle suivait une voie ferrée traversant l’enfer ? Pas chez Carnevali en tout cas. Il est bien trop geignard, il se prend trop au sérieux, il disserte trop sur des petits rien sans intérêt.

J’ai dû lutter pour voir le bout de ce recueil regroupant l’ensemble des ses écrits en prose, la plupart totalement autobiographiques. Tellement de longueurs et de précisions inutiles. C’est dommage car certains passages sont d’une grande beauté et portés par un souffle littéraire remarquable (par exemple lorsqu’il décrit les charmes de Venise), mais noyés dans la masse, ils ne parviennent pas à sortir véritablement du lot. Une déception donc. Je suis néanmoins ravi d’avoir découvert une figure importante de la poésie italienne que je ne connaissais pas du tout.

Le premier Dieu d’Emanuel Carnevali. La Baconnière, 2015. 320 pages. 18,00 euros.

Les avis de Nahe et Syl










mardi 2 juin 2015

Le premier mardi c'est permis (37) : Mademoiselle S. : Lettres d’amour, 1928-1930

« Il n’y a pas de phrases, si éloquentes soient-elles, qui puissent exprimer toute la passion, toute la fougue, toute la folie que contiennent ces deux mots, « notre amour ». […] Oui, je t’aime d’un amour absolu, je t’aime avec mon cœur, mais aussi et surtout avec mes sens, avec ma chair, et je te veux tout entier, entends-tu, cher amour. Je veux qu’aucun repli de ta chair n’échappe à mes caresses, à mes baisers. »

En vidant l'appartement d'une amie, le diplomate Jean-Yves Berthaud a découvert dans la cave une lourde sacoche en cuir contenant 185 lettres, toutes signées d’une certaine Simone. Des lettres oubliés depuis des décennies, écrites entre 1928 et 1930, adressées à un homme prénommé Charles et racontant une relation torride dont la montée en puissance permanente atteignit des sommets de luxure difficilement imaginables. La grande majorité de ces lettres n’étant pas datées, Mr Berthaud  passa près d’un an à en reconstituer la chronologie. Pour écarter tout canular, il les fit authentifier par un cabinet parisien spécialisé dans les autographes et documents historiques (le certificat de l’expert est reproduit au début du recueil). Un tiers environ des lettres sont présentes dans l’ouvrage et soulignent le caractère incroyablement moderne d’une femme de l’entre-deux-guerres libérée et qui s’assume pleinement.

Mais qui était Simone ? A l’évidence une jeune femme de bonne famille, lettrée, dont la prose élégante se pare sans crier gare d’une folle obscénité, faisant voler en éclat toute forme de bienséance. Charles, son amant, semble moins âgé qu’elle. Adepte de la brutalité et des jeux pervers, il n’est apparemment pas célibataire, n’habite pas Paris et leurs rencontres, aussi incandescentes que clandestines, sont tout sauf régulières. Pour le reste, difficile d’être plus précis faute d'informations supplémentaires.

Quoi qu’il en soit, au-delà des passages sauvagement pornographiques et d’une totale transgression, ces lettres de l’aimée à « son adoré » soulignent les doutes, les craintes et la douleur ressentis par Simone. Peur de la lassitude, de ne plus être à la hauteur, de voir le désir de Charles « s’éteindre comme une flamme sous le souffle brusque du vent ». C’est ici que la confession prend une autre dimension. Car au fil du temps, on sent poindre la tragédie à venir, on voit affleurer quelques fêlures, on passe de l’extase au désespoir et l'on découvre une dernière lettre absolument bouleversante (« j’attends ta décision et je l’accepterai sans faiblir si ton cœur a cessé de battre à l’unisson du mien »). Fabuleux portrait d’une amante à la fragilité touchante et à l’audace sans équivalent. Témoignage inédit d’une femme prête aux sacrifices et aux abandons les plus extrêmes par amour, et pas seulement l’amour de la chair. Impossible d’oublier les lettres de mademoiselle S., elles m’ont marqué au fer rouge. Un recueil unique, à mettre entre les mains de tout amateur de littérature érotique. Franchement, c'est du très, très grand art !

Extrait très, très soft…

« J’ai joui de toutes mes forces, sous tes coups, sous ta brutalité. J’ai joui surtout par ta possession savante. Je veux revivre cette jouissance que jamais je n’avais connue dans l’étreinte ordinaire qui me laisse froide et insensible. Jamais, entends-tu, je ne veux la connaître avec toi. Parce que je sais que nous serions déçus l’un et l’autre. Et puis nous descendrions au niveau des amants ordinaires alors que nous planons dans les sphères défendues, que nous sommes des « hors-la-loi », des vicieux, des passionnés, tout ce qui fait notre amour. »

Mademoiselle S. : Lettres d’amour, 1928-1930. Gallimard, 2015. 250 pages. 19 euros.

PS : pour être tout à fait honnête, j’ai quand même de gros doutes sur l’authenticité de certains passages. Je me demande s’il n’y pas eu par moments quelques rajouts, ou des scènes réécrites pour être davantage dans l’air du temps. Mais le sérieux de l’auguste maison Gallimard me laisse aussi à penser que je me goure totalement et que tout est absolument véridique dans ces lettres. J’en serais encore plus baba…



Tous chez Stephie pour fêter aujourd'hui le
4ème anniversaire de son incontournable rendez-vous !








lundi 1 juin 2015

La grammairienne et la petite sorcière - Alain Bonnand

« Je tiens à être léger jusque dans le sac à main de mes lectrices ! » (p.62)

Toute l’ambition littéraire d'Alain Bonnand tient dans cette phrase il me semble, et n’y voyez aucune moquerie de ma part, bien au contraire. Il m’avait enchanté avec le délicieux « Il faut jouir Edith » et c’est un vrai plaisir de le retrouver ici dans le même registre épistolaire, certes moins explicitement érotique mais tout aussi agréable à lire.

Une universitaire contacte un écrivain auquel elle voudrait consacrer une étude. Ne souhaitant pas répondre favorablement à sa demande, il n’engage pas moins avec elle une correspondance espiègle, tout en suggestion et qui, à l’évidence, ne laisse pas la jeune femme indifférente…

J’ai adoré retrouver l’esprit d’approche tout en nuance de ce narrateur/charmeur un brin cabot et un brin canaille. Alain Bonnand lance ses filets sans lourdeur, sans gros sabots. Il ramène sa prise (et non pas sa proie, ce n’est pas chasseur) en douceur, en dragueur à l’ancienne, certain de parvenir à ses fins sans jamais avoir l’air d’y toucher.

Une belle écriture, une belle déclaration d’amour aux femmes empreinte d’un soupçon de nostalgie, et une belle leçon de séduction. Comment aurais-je pu ne pas succomber ?

La grammairienne et la petite sorcière d’Alain Bonnand. Serge Safran, 2015. 134 pages. 15.90 euros.

Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.








samedi 30 mai 2015

Portrait de lecteur


Vu hier chez Moka, qui m'a donné envie de me prêter à mon tour au jeu des questions/réponses.


1. Plutôt corne ou marque-page ?
Je corne à mort. Même les livres empruntés à bibli (je suis un rebelle). Vous êtes prévenus si vous me prêtez un bouquin un jour !

2. As-tu déjà reçu un livre en cadeau ?
Voui, ça m’arrive très souvent. Toujours le même bonheur. Je ne jardine pas, je ne bricole pas, je ne suis pas sportif pour deux ronds, je n’ai aucun DVD à moi, je ne suis pas fan de sucreries… bref, offrez-moi un livre et vous serez certain de me faire plaisir.

3. Lis-tu dans ton bain ?
Toujours. Impensable d’aller dans le bain sans un livre, je m’occuperais comment sinon ? En regardant le plafond ? La seule exception possible, c’est quand je ne suis pas seul dans le bain…

4. As-tu déjà pensé à écrire un livre ?
Jamais. Ça ne m’intéresse pas une seconde.

5. Que penses-tu des séries de plusieurs tomes ?
En BD ça ne me pose aucun souci. En littérature j’ai tendance à fuir les séries. J’ai lu quelques trilogies de Fantasy dans le temps, je ne le ferais plus aujourd’hui.

6. As-tu un livre culte ?
Plusieurs même. Le voyage de Céline, les nouvelles de Bukowski, le Septentrion de Calaferte, Selby et son « Last Exit », « Demande à la poussière » de Fante…

7. Aimes-tu relire ?
Oui, j’aime bien, notamment pour voir si mon ressenti a changé ou si le bouquin a mal vieilli.

8. Rencontrer ou ne pas rencontrer les auteurs de livres qu’on a aimés ?
La plupart sont morts et étaient de toute façon d’affreux salopards qu’il ne valait mieux pas fréquenter. Et parmi les vivants, je ne conçois pas une rencontre comme quelque chose d'indispensable. Du tout même.

9. Aimes-tu parler de tes lectures ?
Ça se voit non ? J’aime essayer de donner envie de lire et pour cela, rien à faire, il faut parler de ses lectures. J’adore me rendre dans les classes et tenter de convaincre les élèves d’aller vers un livre. J’en fais des caisses, je survends le truc parfois, au risque qu’ils soient déçus après au moment de la lecture mais tant pis, ce sera trop tard. J’aime créer un horizon d’attente autour des livres.

10. Comment choisis-tu tes livres ?
Les conseils des copines en premier, la presse écrite, les sites des éditeurs et bien sûrs les nouveautés des auteurs que j'apprécie. J’aurais aimer rajouter mon libraire mais malheureusement il n’y en a aucun de compétent par chez moi.

11. Une lecture inavouable ?
Non. J’assume toutes mes lectures. Et pourtant parfois il ne vaudrait mieux pas…

12. Des endroits préférés pour lire ?
Le canapé, le lit, la voiture, les transports en commun, la plage, une salle d’attente chez le médecin, n’importe où en fait. Si la salle n’était pas plongée dans le noir, je pourrais même lire au cinéma.

13. Un livre idéal pour toi serait…
Un livre pas encore écrit et dont la découverte me mettrait les poils au garde à vous à chaque page.

14. Lire par-dessus l’épaule ?
J’adore ! Dès que je vois quelqu’un lire j’essaie de regarder le titre sur la couverture. Pas toujours évident, pas toujours très discret, mais je ne peux pas m’en empêcher.

15. Télé, jeux vidéo ou livre ?
Juste livre.

16. Lire et manger ?
Pas mon truc, trop difficile de se concentrer sur ces deux activités en même temps.

17. Lecture en musique, en silence, peu importe
Peu importe, je peux lire dans tous les environnements.

18. Que deviendrais-tu sans livres ?
Une coquille vide.

19. Tu achètes un livre sur le Net et tu le reçois un peu abîmé. Que fais-tu ?
Ben je le lis et après je le range sur mes étagères. Pour moi le livre n’est pas un objet sacré à manipuler avec les plus grandes précautions (Vous êtes prévenus si vous me prêtez un bouquin un jour - bis)

20. Quel est l’élément qui t’a donné le goût de la lecture ?
L’ennui. La recherche d’une occupation sans trop d’efforts physiques. Et une libraire qui a su me guider au départ.

21. Que penses-tu de toutes ces adaptations cinématographiques ?
Je n’en pense strictement rien, je ne regarde jamais de films. Je constate juste que la littérature est un filon inépuisable pour le cinéma alors que l’inverse ne fonctionne pas du tout, ce qui est finalement une très bonne chose.

22. Si tu ne devais retenir qu’un seul personnage rencontré dans tes lectures, ce serait lequel ?
Sans réfléchir, le premier qui me vient à l’esprit est Ignatius Reilly, l’antihéros de « La conjuration des imbéciles ».

23. Quels sont les cinq livres de ta PAL qui te font le plus envie ?

– Maus d’A. Spiegelman (promis, promis, promis je m’y lance bientôt !).
– Confiteor de J. Cabre
– La préface du nègre de K. Daoud
– Annabel de K. Winter
– Incandescences de R . Rash

24. Si tu ne pouvais plus lire qu’un seul type de livre, lequel ce serait ?
Impossible de répondre à cette question, je ne vois pas pourquoi ça m’arriverait d’ailleurs !!!!!

25. Comment classes-tu tes livres dans ta bibliothèque ?
Par ordre alphabétique pour tout ce qui est littérature. Les BD, je les mets un peu partout où je trouve de la place, même dans les chambres de mes filles.

26. Livres papier ou ebook?
Papier, définitivement. Je lis en numérique de temps en temps mais j’ai l’impression de ne pas avoir la même attention, de survoler les choses.

27. Que fais-tu de tes livres une fois lus ?
J’en garde (la plupart), j’en offre, j’en donne. Je fais une brocante par an pour faire un peu de place. Dans ma ville certaines boulangeries proposent des paniers dans lesquels on peut laisser des livres, j’utilise beaucoup ce procédé pour faire voyager mes livres vers d’autres cieux.

28. Connais-tu la règle de la page 99 ? Et si oui, est ce que tu l’appliques parfois à tes lectures ?
Jamais entendu parler.

29. Quel est, parmi toutes tes lectures, ton « méchant » préféré ?
Préféré, ce n’est pas le mot mais le père Thénardier des misérables m’a traumatisé pendant très longtemps.

30. Que penses-tu des challenges littéraires ?
Je n’en fais plus. Je préfère de loin les lectures communes et les rendez-vous récurrents avec certaines personnes que je ne raterais pour rien au monde.

31. Quel est le livre que tu as le plus détesté ?
Zones Humides de l’allemande Charlotte Roche. Une nana sur le point de se faire opérer des hémorroïdes et qui dissertent sur sa vie. Nul, nul, nul ! Je me suis fais berner par le titre, que je voyais comme une invitation au stupre et à la luxure, ça m’apprendra à être si faible !

32. Tes derniers coups de cœur littéraires ?
Mes derniers énormes coups de cœur sont « Je refuse » de P. Peterson et la BD « Ce n’est pas toi que j’attendais » de F. Toulmé. En littérature jeunesse j’ai été récemment très secoué par « Trop tôt » de J. Witek.

33- Quel livre lis-tu en ce moment ?
J’en lis plusieurs, je lis toujours plein de livres en même temps en fait. En ce moment c’est « Un été 63 » de T. Guzeman, « Finir la guerre » de M. Serfati, « Saphira, sa fille et l’esclave » de W. Cather et « Le principe » de J. Ferrari.

Voila, voila, je passe le flambeau si le cœur vous en dit...




vendredi 29 mai 2015

Le panier à pique-nique - Gabriele Rebagliati et Susumu Fujimoto

J’aime passer d’un extrême à l’autre. Hier, une lecture coquine pour adultes, aujourd’hui un album pour enfants. Varier les plaisirs, il n’y a rien de mieux pour éviter de s’ennuyer, non ?

Première chose à propos de cet album : il en impose ! Du grand format que l’on a envie de porter à bout de bras pour profiter, avec le recul nécessaire, des somptueuses illustrations aux couleurs pétaradantes. Un trait vintage plein de charme, des personnages et des décors dessinés sans encrage pour un rendu particulièrement chaleureux. Absolument magnifique !

Mais de quoi il parle cet album au fait ? D’une petite fille qui découvre par hasard un pré à l’abandon. Chaque jour elle y retourne et chaque jour elle le voit se métamorphoser : des fleurs s’y installent, puis des légumes. La petite fille se doute alors que ce pré n’est pas si abandonné que ça et qu’un jardinier s’en occupe. Ce jardinier, au panier à pique-nique si appétissant, elle va commencer à l’espionner, l’admirer. Puis elle va peu à peu nouer le contact, d’une façon pour le moins étrange…

Un très beau texte prônant des valeurs aussi simples qu’essentielles : le partage, le bonheur d’une rencontre, l’amour de la terre. Il se dégage de cet album une atmosphère doucereuse, hors du temps. Un petit quelque chose de désuet, une parenthèse enchantée où l’on se plait à déambuler dans un jardin extraordinaire. Un album qui fait du bien.




Le panier à pique-nique de Gabriele Rebagliati et Susumu Fujimoto. Grasset jeunesse, 2015. 40 pages. 15,90 euros.




jeudi 28 mai 2015

Les provocations d’Ava - Ava Castel

Les provocations d’Ava, c’est une longue lettre de rupture. Sans cris ni larmes. Au contraire, c’est une lettre de libération, du corps et de l’esprit. Ava écrit à William, son amour, son mentor, celui qui lui a tout appris. Elle n’était qu’une oie blanche, il en a fait une experte en matière de sexe, l’a initiée à des jeux coquins et à des pratiques jusque-là inimaginables pour elle. Entre eux, une fidélité absolue, William, jaloux à l’excès, n’aurait de toute façon pardonné aucun écart. Mais si Ava n’a jamais dérogé au contrat moral qui les liait, lui a fauté. Et il s’est fait prendre en flagrant délit. Aujourd’hui, il est temps de solder les comptes, son ex-chère et tendre prend la plume pour lui raconter ses frasques depuis leur séparation. Et le pauvre homme va boire le calice jusqu’à la lie.

Vous voulez une confidence ? Je connais Ava, je l’ai déjà rencontrée. Pas le personnage de cette histoire bien sûr, mais l’auteure qui se cache derrière ce pseudo. Je peux même vous dire qu’il lui arrive de me demander conseil. Pas en matière d’écriture, cela va de soi, je suis totalement incompétent dans ce domaine (et surtout, elle n’a pas besoin de moi), mais en matière de lectures. De lectures érotiques pour être plus précis. Il m’est déjà arrivé de lui recommander quelques titres et elle m’a toujours fait confiance, une confiance qui m’honore sincèrement. Alors forcément, au moment de me lancer dans ce texte, il serait facile d’imaginer que mon regard critique n’allait plus vraiment l’être. Sauf que je ne vois rien de constructif dans la complaisance. Et que je n’aime pas faire semblant, je déteste quand on simule. Donc je ne vais pas faire semblant et vous dire le plus sincèrement du monde pourquoi j’ai apprécié cette longue nouvelle.

C’est frais et léger. Le sexe est joyeux, décomplexé, assumé, sans entrave mais dans le respect de l’autre. Une question d’envie, de désir partagé. Rien de douloureux là-dedans, rien de glauque, rien de maladif. Ava n'est pas une nympho, elle choisit ses proies, elle ne saute pas sur le premier venu. Et elle ne se lance jamais sans préservatif, ce n’est pas un détail, loin de là. Elle est joueuse, gourmande, se soumet en gardant toujours le contrôle, affichant une forme d’égoïsme pleine d’assurance. Une femme d’aujourd’hui, moderne et bien dans sa peau, quoi.

Aucune vulgarité ni surenchère, le texte est émoustillant, explicitement coquin. On varie les plaisirs, les lieux, les positions, les partenaires, les situations. Seule la scène des photos m’a laissé de marbre, question de sensibilité personnelle.

Au final, j’ai beaucoup aimé le ton de cette lettre un poil ironique, un poil cynique, un poil méchante. La lettre non dénuée d’humour d’une femme trahie, d’une femme trompée devenue garce sublime éprise de liberté. La lettre que j’espère ne jamais recevoir un jour, même si, pour le coup, je sais que (théoriquement) je ne risque rien…

Les provocations d’Ava d’Ava Castel. Collection Paulette, 2015 (livre numérique). 40 pages. 2,99 euros.

Disponible sur le site de l’éditeur









mercredi 27 mai 2015

Un amour exemplaire - Florence Cestac et Daniel Pennac

Pennac et Cestac se retrouvent dans une brasserie. Daniel veut proposer à Florence d’illustrer une histoire d’amour, le genre de truc qu’elle déteste. Mais attention, pas n’importe quelle histoire, l’histoire de Jean et Germaine, un couple hors du commun auquel il s’était lié, enfant, lorsqu’il passait ses vacances chez sa grand-mère dans l’arrière pays niçois. Une histoire d’amour selon lui exemplaire, celle d’un couple excentrique qui faisait jaser le voisinage.

Comment Germaine a pu tomber amoureuse de ce gaillard moche comme un pou ? Pourquoi personne n’a jamais vu Jean travailler ? Que faisaient tous ces bouquins dans leur minuscule maison, envahissant chaque pièce, de la cave à la cuisine ?  Pourquoi Jean et Germaine n’ont jamais eu d’enfants ? Le petit Pennac, à force de stratagèmes plus ou moins finauds, parvint à tirer ces mystères au clair et à entrer de plain-pied dans l’intimité de ces inclassables énergumènes.

Quel plaisir de plonger dans cet album franchouillard et un poil foutraque. On sent tout l’attachement que porte Pennac à ce couple qui aura marqué son enfance et durablement influencé sa vision de l’amour. Cestac l’écoute et retranscrit ses propos, mais elle s’autorise aussi quelques digressions dont elle a le secret. C’est enjoué, bourré d’argot, plein de bonne humeur et de joie de vivre, hors des modes et du temps… tout simplement délicieux.

Graphiquement, pour la première fois l’auteure des « Déblok » abandonne sa marque de fabrique, « les tarbouifs en pomme au four » (autrement dit les gros nez ronds) pour affubler l’un de ses personnages (jean en l’occurrence) d’un pif en quart de brie. Aucune autre concession pour le reste, on retrouve ce trait reconnaissable au premier coup d’œil et ce découpage quasi systématique en gaufrier qui est son autre marque de fabrique.

Une ambiance doucereuse qui fleure bon les années 70, loin de toute mélancolie ou d’un pénible « c’était mieux avant ». Un amour idéal parce que tout sauf banal. Un amour sincère et durable, sans intermédiaire (entendez sans être pollué par les enfants ou le travail), comme l’explique Jean au petit Daniel. Un amour scandaleux pour l’époque et difficile à imaginer aujourd’hui. Exemplaire, quoi.

Un amour exemplaire de Florence Cestac et Daniel Pennac. Dargaud, 2015. 58 pages. 15,00 euros.


Les avis de L'irrégulière, Mo' et Violette.








mardi 26 mai 2015

La pyramide des besoins humains - Caroline Solé

Selon la théorie de Maslow, les besoins humains se classent en cinq catégories : besoins physiologiques, de sécurité, d’amour, de reconnaissance et de réalisation. Cette théorie est le principe d'un nouveau jeu de télé-réalité, "La pyramide des besoins humains", auquel s’est inscrit Christopher. Christopher a 15 ans, il vit sur un morceau de carton, à Londres, après avoir fui le domicile familial et les coups de son père. Passant les cinq niveaux pour se retrouver en finale, cet ado SDF que personne ne parvient à identifier fascine un public en mal de sensations fortes. Une gloire soudaine synonyme de raz de marée incontrôlable et dévastateur.

Caroline Solé porte un regard plein d’acuité sur les dérives de nos sociétés modernes : la célébrité qui crépite comme un flash et s’éteint aussitôt ; une télé-réalité, machine à broyer les candidats, prête à tout pour entretenir le buzz permanent ; des réseaux sociaux où l’on étale sa vie devant de pseudos amis que l’on ne rencontrera jamais « en vrai ». Et autour de nous la misère, la faim, le froid, la violence, ces hommes et femmes sans toit ni ressources à coté desquels on passe sans même se retourner.

J’ai beaucoup aimé entendre la voix de Christopher, lucide et sans misérabilisme, offrant de nombreux retour vers une enfance certes difficile, mais aussi pleine de jolis moments passés avec son frère. La vie dans la rue, malgré son réalisme et sa rudesse, révèle une belle dose d’humanité et d’entraide. Un premier roman très maîtrisé qui se dévore d’une traite. Un vrai plaisir de découvrir une jeune auteure avec autant de culot et de maturité.

La pyramide des besoins humains de Caroline Solé. L’école des loisirs, 2015. 125 pages. 12,80 euros. A partir de 13 ans.

Et une nouvelle lecture jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis d'Hélène et Leiloona














lundi 25 mai 2015

Les lectures de Charlotte (6) : Porte-bébés

Porte-bébés est le livre préféré de Charlotte actuellement. Depuis qu’il est arrivé à la maison, impossible de la coucher le soir sans lui avoir lu.

Une fillette s’amuse à porter ses doudous comme les animaux portent leurs bébés. A chaque page elle questionne : Quel animal porte son bébé dans sa poche ? Sur ses pieds ? Sur son ventre ? Sur son dos ? La tête en bas ? Pour découvrir la réponse, il suffit de déplier un rabat. Un système classique, simple et efficace. Même après la dixième lecture, même en le connaissant par cœur (surtout parce qu’ils le connaissent par cœur d’ailleurs !), les enfants y reviennent toujours.

Les illustrations sont à croquer, douces et colorées, et les postures de la petite vraiment rigolotes. Et puis l’air de rien, j’ai appris des choses. Au moins une question m’a posé une colle. Vous savez, vous, qui porte son bébé entre ses ailes ? Et bien moi je ne savais pas.

Un livre-surprise à la mécanique parfaitement huilée. Un livre-objet solide, aux coins arrondis et au petit format idéal pour les mains de bébé. Un livre testé et approuvé par le public auquel il s’adresse. Que demander de plus ?





Porte-bébés de Sylvie Misslin et Géraldine Cosneau. Amaterra, 2015. 26 pages. 9,50 euros. A partir de 2 ans.







vendredi 22 mai 2015

Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony Doerr

St-Malo, août 1944. La ville fortifiée, dernier bastion tenu par les allemands après la libération de l’ouest de la France, est sur le point de rendre les armes. Tandis que les bombes pleuvent sur les toits, Werner Pfenning et Marie-Laure Leblanc sont sur le point de se rencontrer pour la première fois. Lui est un soldat spécialisé dans la traque des transmissions radio de la résistance. Elle, aveugle, a été recueillie par son oncle après avoir fui Paris avec son père en juin 40. Le roman suit le destin de ces deux êtres que tout sépare, emportés par le tourbillon de la seconde guerre mondiale. Au fil des chapitres, à l’aide de flash-backs remontant jusqu’en 1934, le lecteur découvre comment, chacun de leur coté, ils sont arrivés dans la cité malouine…

Alors oui, ce roman phénomène vendu à 1,5 million d’exemplaires et couronné « livre de l’année » par l’Association des libraires américains est un best-seller en puissance. Un rouleau compresseur à la mécanique parfaitement huilée qui se dévore comme un feuilleton impossible à lâcher. La construction en micro-chapitres rend le récit addictif, comme le fait de suivre sans temps morts les trajectoires parallèles de ses deux personnages qui finiront par se croiser avant de s’éloigner à nouveau. C’est diablement efficace et il est évident que quiconque met le nez dans ce texte sera happé dès les premières lignes.

Après, qu’il ait décroché le Pulitzer 2015 avec un enthousiasme unanime de la presse et des professionnels du livre, j’avoue que cela m’interpelle un peu. Disons que j’attends plus de « littérature » d’un Pulitzer, plus de complexité (comme par exemple avec « Les foudroyés », récompensé en 2010). L’écriture est fluide mais simple, extrêmement simple. Certains passages frôlent le mélo (pour ceux qui l’ont lu, j’ai trouvé l’épisode de la petite Autrichienne assassinée vraiment « too much ») et le coté mécanique de la narration finit par devenir aussi répétitif que prévisible.

Finalement, c’est un grand roman tout public (et il n’y a rien de péjoratif là-dedans) et un formidable page turner. Mais je m’attendais à autre chose. J’avais apprécié la puissance et la maîtrise d’Anthony Doerr dans ses nouvelles (Le mur de mémoire), et le retrouver ici jouer dans un registre efficace mais un peu « facile » m’a dérouté. Maintenant, c’est une certitude, ce roman va connaître en librairie la belle carrière qu’il mérite, je m’en réjouis et je vous fiche mon billet que l’on n’a pas fini de voir cette jolie couverture avec la photo de St Malo sur les plages tout l’été.

Toute la lumière que nous ne pouvons voir d’Anthony Doerr. Albin Michel, 2015. 620 pages. 23,50 euros.





jeudi 21 mai 2015

L’incroyable journal (top secret) de monsieur Cochon - Emer Stamp

J’enchaîne les journaux intimes animaliers cette semaine. Après la chienne Gurty, je me suis frotté à la prose de monsieur Cochon. Depuis qu’il a trouvé un carnet et un stylo derrière les poubelles de la ferme, le brave animal couche son quotidien sur le papier. Un quotidien tranquille et agréable qu’il partage entre son copain Canard, les bains de boue à côté du champ aux moutons et la pâtée généreusement offerte par le fermier. S’il n’y avait pas les méchants poulets, la vie à la campagne serait paradisiaque.

Plus les jours passent, plus la ration de pâtée augmente et plus cochon grossit. Il s’en réjouit car il n’y a rien de mieux à faire au monde que de se bâfrer, mais Canard finit par lui faire comprendre que si le fermier l’engraisse à ce point, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Et devant l’évidence, Cochon est horrifié ! La seule échappatoire possible est de s’allier aux poulets qui ont construit une fusée spatiale et cherchent un pilote…

Vous l’aurez compris, l’anglaise Emer Stamp ne fait pas dans la dentelle avec ce premier roman jeunesse déjanté. Naïf, pas très fufute, Monsieur Cochon est un personnage haut en couleur. Bon, il est sale, glouton, pétomane et il rigole pour un rien, je vous le concède. Son journal est plein de tâches d’encre et de gras, Il écrit comme il parle et son style oral est particulièrement relâché, autant vous prévenir que si vous cherchez un livre au niveau de langue soutenu, mieux vaut passer votre chemin.

Si vous avez quelques réticences bien légitimes après le tableau peu ragoûtant que je viens de dresser, sachez juste que vos petits bouts vont adorer, c’est une évidence. C’est drôle, mené tambour battant, sans fioriture. Cochon interpelle son lecteur sans cesse avec des réflexions hautement philosophiques du genre : « Je ne peux pas faire ma crotte sans péter. Je parie que toi aussi, non ? »

De l’humour potache, une aventure aussi improbable que farfelue, des animaux de la ferme et un cochon-couillon attachant en diable, les ingrédients sont réunis pour que ce journal intime illustré emporte l’adhésion des enfants, quitte à froisser la susceptibilité des parents rabat-joie.

Personnellement, n'étant pas rabat-joie pour deux sous, je vais m'empresser de le mettre dans les mains de ma fille...

L’incroyable journal (top secret) de monsieur Cochon d’Emer Stamp. Seuil, 2015. 188 pages. 12,00 euros. A partir de 8 ans.










mercredi 20 mai 2015

Le jardin de Minuit - Edith

Parce que son frère a la rougeole, Tom doit s’exiler quelques temps chez son oncle et sa tante afin d’échapper à la maladie. Une perspective qui ne l’emballe pas plus que cela, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans une maison découpée en appartements, sans espaces verts et avec des barreaux aux fenêtres de sa chambre, Tom trouve le temps long. La seule chose qui l’intrigue est l’énorme pendule prenant la poussière dans l’entrée commune, une pendule appartenant à la vieille et très maniaque madame Bartholomée. Une pendule qui, Tom va le découvrir, sonne 13 fois à Minuit et ouvre une porte l’entraînant, non pas dans la courette bétonnée habituelle mais vers un somptueux jardin de l’époque victorienne. Un lieu étrange et un saut dans le temps dont le garçon se délecte chaque nuit, surtout depuis qu’il y a découvert la turbulente et ravissante « princesse Hattie ».

Adaptation d’un classique de la littérature jeunesse anglaise, cet album onirico-fantastique possède le charme suranné des récits d’antan. On y retrouve avec Tom le bonheur de l’exploration solitaire d’un lieu magique, on y rencontre ces amis imaginaires (ou pas !) qui parfois peuplent l’enfance. Beaucoup de souvenirs et de nostalgie, des passerelles qui se créent entre passé et présent et l’impression pour le lecteur d’être le seul à partager les mystères du jardin secret dans lequel le garçon pénètre chaque nuit.

Au début le charme a opéré et je m’y suis senti bien dans ce jardin. Mais au fil des pages, j’ai commencé à m’ennuyer. Je me suis un peu perdu aussi avec les incessants allers-retours temporels et j’ai vu la fin arriver grosse comme une maison. Pas le coup de cœur auquel je m’attendais, donc. Pourtant je reste fan du dessin d’Edith, découvert il y a fort longtemps avec l’excellente série « Basile et Victoria ». Mais ici c’est l’histoire d’origine et non son adaptation qui a fini par me lasser. Tant pis, ma référence en littérature jeunesse anglaise adaptée en BD restera le fabuleux « Vent dans les saules » de Michel Plessix. Une référence tellement intouchable à mes yeux qu’aucune comparaison ne sera jamais envisageable je pense.

Le jardin de Minuit d’Edith. Soleil, 2015. 96 pages. 17,95 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' et Noukette

Les avis de Faelys, Jacques et L'ivresse des mots


Toutes les autres BD de la semaine
 sont chez Noukette







mardi 19 mai 2015

Le journal de Gurty - Bertrand Santini

Aujourd’hui Noukette et moi avons décidé de donner dans le léger. Dans le divertissant, le rigolo. Le super rigolo, même. Aucun drame à l’horizon, pas de thématique anxiogène mais plutôt un enchaînement de scénettes cocasses qui font jouer les zygomatiques. Voila qui change et qui fait du bien !

Gurty est une chienne qui va comme chaque année passer ses vacances à Aix-en-Provence avec son maître Gaspard. Sur place, elle retrouve vite ses marques, sa copine Fleur et Tête de fesse, le sale matou des voisins. Les jours passent et Gurty consigne dans son journal les petits riens du quotidien : se cacher dans le foin, songer à fuguer, faire peur à un écureuil, se coller une barbe à papa aux fesses lors d’une sortie en ville, j’en passe et des meilleures. Autant de sketches où la petite chienne pose un regard à la fois naïf et plein de malice sur son environnement. L’ensemble est rythmé, dynamique, porté par le style enlevé de Bertrand Santini, qui a illustré lui-même (et avec talent) chacun des courts chapitres.

Pourquoi ça ne peut que fonctionner avec un enfant ? Parce que c’est une lecture facile et récréative, parce que l’écriture est plaisante et coule toute seule, que les dialogues font mouches et que les situations imaginées par l’auteur du Yark sont pleines d’humour.

Si vous avez un coriace à la maison, du genre à penser que les livres c’est nul et ennuyeux, que la lecture n’est qu’une activité à vous arracher des bâillements, proposez lui donc de jeter un œil au journal du Gurty, il y a des chances qu’il change d’avis.

Allez, juste un exemple pour vous prouver que je ne mens pas :

« J’aime l’odeur des roses et des lavandes. Le parfum subtil du vent soufflant dans les figues m’enchante aussi. J’apprécie le fumet de la terre après l’orage et les senteurs nocturnes d’un jardin sous la lune. Mais mon parfum préféré, c’est celui du caca. »

Alors, franchement, ne me dites pas qu’il n’y a pas là de quoi emporter l’adhésion du lecteur le plus réfractaire ? On prend les paris ? Et encore, je ne vous ai pas parlé des jeux, tests et conseils qui offrent une dimension ludique en fin d’ouvrage. Bref, des arguments pour entraîner vers la lecture plaisir, Gurty en possède des tonnes. Sérieusement !



Le journal de Gurty de Bertrand Santini. Sarbacane, 2015. 140 pages. 9,90 euros. A partir de 7-8 ans.

L'avis de Stephie












lundi 18 mai 2015

Un thé pour Yumiko - Fumio Obata

 « Je me sens perturbée. Cet endroit… L’air, la terre… J’ai beau retourner ça dans tous les sens, mes racines sont ici, c’est certain. Je crois que je l’ai nié trop longtemps. »

Vivant depuis des années à Londres, fiancée à l’anglais Mark, la japonaise Yumiko doit rentrer dans son pays natal suite au décès de son père. Un retour particulier tant la jeune femme se sent déconnectée de ses origines.

L’enterrement traditionnel, respectant une cérémonie longue et fastidieuse, ne lui arrache aucune larme. Ce manque d’émotion de surface cache en fait une tempête intérieure où la quête d’identité va faire vaciller ses certitudes.
Un parcours sensible et subtil où, peu à peu, Yumiko tombe le masque.

Beaucoup de silence dans le parcours à la fois méditatif et introspectif d’une femme à la recherche de sens. Un portrait d’expatriée tiraillée entre ses racines et une carrière « à l’européenne » d’apparence plus émancipatrice et épanouissante, surtout pour une femme. Yumiko s’interroge, elle doute, avouant même à sa mère que si elle n’avait pas rencontré Mark, elle serait rentrée définitivement au Japon.

Le dessin à l’aquarelle est sobre et élégant, parfaitement raccord avec le propos. Une réflexion tout en pudeur sur le deuil et la construction de l’identité qui sonne juste. Touchant.

Un thé pour Yumiko de Fumio Obata. Gallimard, 2014. 155 pages. 22, 00 euros.


Les avis de ChocoMoka et Stephie


samedi 16 mai 2015

Carnaval - Ray Célestin

La Nouvelle-Orléans, 1919. Un Serial Killer provoque la panique, frappant ses victimes à coups de hache et laissant sur les lieux de ses crimes des cartes de tarot. Le policier Michael Talbot cherche à comprendre les motivations du tueur  mais il n’est pas le seul à mener des investigations. Le journaliste John Riley, la détective privée Ida Davis et l’ancien flic Luca D’Andrea, à peine sorti de prison, vont eux aussi, chacun de leur coté, tenter de résoudre le mystère. Le temps presse, un ouragan approche, les morts s’accumulent et la ville semble proche du chaos…  

Inspiré d’une histoire vraie, ce premier roman, au-delà d’un solide polar, est un roman d’atmosphère avec des personnages bien campés et une narration très maîtrisée. Ray Célestin décrit avec maestria le fourmillement unique de La Nouvelle Orléans au début du 20ème siècle : l’influence française, la musique omniprésente, une tension raciale permanente, des communautés vivant repliées sur elles-mêmes dans des quartiers spécifiques (noirs, juifs, irlandais, italiens), le rôle de la mafia, le vaudou, le bayou et ses mystères…

Pour moi, c’est typiquement un livre de vacances, un livre à glisser dans ses valises (et il n’y a rien de péjoratif là-dedans, d’ailleurs je l’ai lu pendant mes vacances). Un pavé que l’on sait pouvoir dévorer quasiment d’une traite parce que l’on va avoir davantage de temps à consacrer à la lecture. Un page-turner  que l’on retrouve avec plaisir au fil de la journée, sur la plage ou dans un transat, un verre de rosé bien frais à la main. Un livre de vacances, quoi !

Détail qui me turlupine, je me demande pourquoi il y a marqué « Thriller » sur la couverture. Je ne suis absolument pas un spécialiste du genre mais il me semble que ce texte n’a rien d’un thriller. Pas de suspense haletant, pas de considérations psychologiques à outrance, rien de véritablement angoissant, c'est simplement un bon vieux polar efficace et très documenté à la construction ambitieuse, ni plus ni moins.

Une vraie lecture plaisir, sans prise de tête, mais dont la dimension historique apporte une véritable valeur ajoutée. Je ne savais pas à quoi ressemblait La Nouvelle-Orléans de cette époque, me voila maintenant parfaitement renseigné sur le sujet. Cet aspect m’a d’ailleurs bien plus intéressé que la traque du serial killer, rien de surprenant finalement quand on sait à quel point je ne suis pas un grand fan des intrigues policières.

Carnaval de Ray Célestin. Le Cherche Midi, 2015. 495 pages. 21,00 euros.