Voilà, c’est fini, la trilogie des enfants du désastre s’est achevée. Une trilogie courant de 1918 à 1940 et un projet ambitieux dont le dernier tome ne pouvait que conclure les choses en beauté. Alors qu’
Au-revoir là-haut lorgnait par moment du côté du baroque et que
Couleurs de l’incendie se focalisait sur une sombre histoire de vengeance aux accents psychologiques, ce
Miroir de nos peines donne dans l’échevelé, le trépidant, voire le rocambolesque.
C’est l’histoire de Louise, de Gabriel, de Raoul, de Jules, d’Alice, de Fernand, de Désiré et de bien d’autres. Institutrice, soldats, restaurateur, femme au foyer, garde mobile ou mystificateur professionnel, tous vont être embarqués d’une façon ou d’une autre dans la grande lessiveuse de la débâcle. Juin 40, la France s’écroule et pour beaucoup, c’est l’exode. Chacun à sa manière porte sa croix et poursuit un objectif particulier. Tous subissent la folie de la guerre et souffrent, mais tous veulent garder espoir. De rester en vie, d’abord. D’un avenir meilleur, ensuite.
Quel plaisir de plonger dès ce début d’année dans un si bel hommage aux romans-feuilleton du 19ème siècle. Le procédé narratif est simple en apparence : prendre quelques personnages au même moment à des endroits différents, leur faire suivre leur propre chemin au gré de péripéties aussi multiples que douloureuses et faire en sorte que leurs trajectoires se rejoignent dans un final où toutes les pièces du puzzle s’assemblent.
De la littérature populaire comme on en fait de moins en moins, qui ne joue pas le registre de la densité, de la complexité et du style mais qui, malgré son accessibilité, ne cède à aucune facilité. Lemaitre mêle le secret de famille aux histoires d’amour, il associe la Grande Histoire aux petits destins individuels, entrelace le drame et la comédie et ne cesse de porter une attention particulière à chaque intrigue et à chaque personnage, même les plus secondaires. C’est à la fois son art de conteur, ses talents de portraitiste et sa maîtrise du rythme qui font le sel de ce roman clôturant de la plus belle des manières une fresque passionnante sur la France de l’entre-deux-guerres.
Miroir de nos peines de Pierre Lemaitre. Albin Michel, 2020.
540 pages. 22,90.