Je ne suis pas un spécialiste mais c’est sans doute à cela que l’on reconnaît un grand polar : un titre superbe, emprunté à un poème d’Aragon, une intrigue tendue comme un arc dont le résumé tiendrait sur un timbre. Pas de chichi ni de blabla inutile mais une écriture à la précision chirurgicale d’où rien de superflu ne dépasse, loin de toute démonstration futile.
Le pitch est donc réduit au minimum. Franck est libéré après cinq ans de taule pour braquage. Il aurait pu écourter sa peine en donnant son complice mais il ne l’a pas fait, hors de question pour lui de balancer Fabien, son frère aîné. Il sort en pensant le retrouver et enfin profiter de la part du pactole qui lui revient. Mais devant la prison, c’est une certaine Jessica qui l'attend. La nouvelle petite amie du frangin lui explique que Fabien est en Espagne pour régler quelques affaires. Hébergé dans la maison que Jessica partage avec ses parents dans un coin paumé de Gironde, Franck est mal à l’aise. Les beaux parents de Fabien le dégouttent, Jessica l’attire irrésistiblement et la gamine de cette dernière, prénommée Rachel, est loin de respirer la joie de vivre. Au fil des jours, alors que le frérot ne donne aucun signe de vie, Franck réalise qu’il a échoué «
dans un nid de couleuvres aux prises avec des crotales ». Et encore, il est loin du compte…
Les premières pages sont traversées par une tension sexuelle hallucinante. Jessica, femme fatale, bipolaire et junkie, rend l’ex-taulard totalement accro. Mais la belle est «
une fleur toxique. Un fauve doux capable de te dépecer à tout moment ». Dans la fournaise d’un été torride, Franck bascule peu à peu. Il sait qu’il noue une relation destructrice mais est incapable d’y résister. Jessica l’entraîne sur une pente glissante et ses fréquentations sont encore plus dangereuses qu’elle, c’est dire.
Punaise, j’ai ADORÉ ce roman ! Un noir amer, terriblement serré, loin de la mécanique bien huilé d’un thriller. Ici les engrenages coincent, ripent, grincent et déraillent, rien ne coule de source. Les éclats de violence explosent sans crier gare et alternent avec des scènes où la tension retombe, où chacun semble reprendre son souffle avant de remonter dans le grand huit.
Hervé Le Corre frappe fort. Il plante un décor étouffant, poisseux, sous un soleil de plomb et une chaleur écrasante exhalant la puanteur moite des sous bois. Il raconte les sans grades, les salauds, les petites frappes malingres, un univers où chacun est réduit à ses plus bas instincts. Il dit la précarité, la solitude, la misère affective, les blessures d’enfance mal cicatrisées. Il dit une France qui n’est même pas la France d’en bas mais une France des invisibles, des sans espoir ni bienveillance, uniquement guidés par leur capacité à survivre en milieu hostile.
Un roman où la bestialité le dispute à la sauvagerie, où s’exacerbent le désir et la brutalité. Dans une langue simple et directe comme un uppercut qui vous cueille au menton et vous laisse KO pour le compte. Un roman digne d’une tragédie où la fatalité a toute sa place. Beau et cruel, terriblement addictif. Un immense coup de cœur, je n’ai clairement rien lu de mieux depuis le début de l’année.
Prendre les loups pour des chiens d’Hervé Le Corre. Rivages, 2017.
320 pages. 19,50 euros.
PS : Prendre les loups pour des chiens a été élu meilleur roman policier de l’année par le magazine Lire. Une récompense amplement méritée, ce n'est pas moi qui vais dire le contraire.