« Une heure avant l’arrivée des tueurs, John Turner
regardait le soleil se coucher sur les monts Tucson en sirotant une eau de Seltz,
debout à côté de sa piscine surdimensionnée ». Où comment annoncer la
couleur dès la première phrase d’un roman. John et sa femme Tanya vont se faire braquer à domicile par trois
hommes déterminés. Des tueurs.
Je n’ai même pas envie d’en dire plus. A part peut-être que
les apparences sont parfois trompeuses. John est en Arizona depuis dix ans et
gagne très bien sa vie en vendant des aspirateurs de piscine. Il a quitté l’Afrique
du sud avec un joli pactole, laissant derrière lui un passé trouble. Tanya l’a
accompagné mais elle déteste l’Amérique et son mode de vie. Le couple bat de l’aile
malgré la présence de Lucy, leur fille de neuf ans. Et John a eu le malheur de tomber
amoureux de sa sculpturale assistante, Grace. Maintenant, trois braqueurs débarquent
chez lui sans crier gare, et c’est tout sauf un hasard…
Un homme à terre n’est pas un roman noir, c’est un roman
plus que noir. Tellement sombre et désespéré qu’il vous donne la nausée. Roger Smith
ne prend aucun gant. Il ne cherche pas midi à quatorze heures et fonce droit au
but. Pas besoin de tergiverser, la violence est là, brute, insupportable,
poisseuse. Une violence montrée sans complaisance, sans aucun désir de l’esthétiser,
même si la scène finale est clairement Tarantinesque. Ce n’est pas un roman
cool et affriolant, c’est un roman glauque, sans issue, d’un pessimisme absolu.
Impossible de rester insensible devant cette manière sans
concession de mener l’intrigue, de présenter une galerie de personnages tous
plus dégueulasses les uns que les autres. On alterne entre le passé de John en
Afrique du sud (cauchemardesque) et son présent américain où, sous le vernis de
la réussite sociale se cachent de lourds secrets. Je vous avoue que j’ai failli
ne pas aller au bout. Je voyais trop le coup venir, cette fin inéluctable qui
me laisserait ko debout avec en bouche un goût de bile impossible à ravaler. Et
puis j’ai cédé devant ce le jusqu’au-boutisme
assumé de l'auteur, un jusqu'au-boutisme déroulé dans une langue précise, lapidaire, là encore sans fioriture, et
qui vous force à regarder « la
banalité du mal » et les versants les plus obscurs de l’âme humaine les yeux dans les yeux.
Une expérience de lecture qui bouscule, secoue, interpelle. Et
dont je vous mets au défi de sortir indemne.
Un homme à terre de Roger Smith (traduit de l'anglais Estelle Roudet). Calmann-Lévy, 2016. 312
pages. 20,90 euros.