Serre © Verdier 2012 |
Dans cette drôle de famille, les trois filles et leurs parents s’envoient en l’air. En couple, en trio ou tous ensembles. Il y a même quelques amis de passage qui n’hésitent pas à se joindre à eux. Le père se déguise en femme, la mère se promène nue dans la maison et passe ses journées à se brosser la toison devant la glace en attendant que son amant vienne la culbuter sur la table du salon. Les filles « s’explorent la motte » et s’extasient devant les attributs de leur géniteur : « Le sexe de papa faisait nos délices. Nous n’étions jamais rassasiées de sa vue, de son toucher. »
Je me plaignais il y a quelque temps de l’insupportable lecture des écrits pédophiliques de Pierre Louÿs. Pourquoi alors me replonger dans un texte où l’inceste a la part belle ? Maso le gars ? Il y a sans doute un peu de cela mais surtout, Anne Serre procède avec beaucoup plus de finesse. Loin des descriptions cliniques et scabreuses de Louÿs, elle propose un conte pour adultes avertis (qui a dit pervertis ?) où la naïveté le dispute à l’innocence.
Loin du fait divers glauque, elle tricote son récit en s’appuyant sur les excès que permet le conte. Si les parents ont tout d’un couple d’ogre et d’ogresse, jamais leurs enfants ne les considèrent ainsi. La sobriété du ton et la bonne humeur de la narratrice (la plus jeune des sœurs) laisse à penser que tout va de soi dans cette famille pour le moins particulière. Surtout, dans la seconde partie du texte, cette même narratrice, qui a quitté la maison à 15 ans et est devenue adulte, replonge dans ses souvenirs d’enfance sans douleur. Ce passé lui apparaît comme un songe, une étape marquante et importante qui lui a permis de se construire. Avec une belle lucidité, elle retrouve le moment du basculement, lors d’ébats en plein champ avec un amant de passage alors qu’elle n’était encore qu’une gamine : « pour la première fois, quelque chose naquit en moi. Non pas l’amour, j’en étais bien loin encore [...] mais un début d’amour, un début d’espérance, un début de douleur pour quelque chose de plus haut, de plus fin, de plus mystérieux que le plaisir familial qui n’était ni haut, ni fin, ni mystérieux, mais qui n’étais pas son contraire non plus. Qui était large, doux, glacial et puissant. » Sortie du rêve de l’enfance, la jeune fille va, en toute sérénité, pouvoir devenir une femme.
Un texte inclassable et troublant, sans doute l’une des plus grandes étrangetés de cette rentrée littéraire.
Pour info, Petite table, sois mise ! fait partie des premières sélections de quatre prix d’automne : le Fémina, le prix de Flore, le prix Wepler et le prix Sade (j’avoue que celui-là, je ne le connais pas du tout !).
Petite table, sois mise ! d’Anne Serre. Verdier, 2012. 60 pages. 6,80 euros.
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