Et si Richard III n’était pas mort à la fin de la pièce éponyme de Shakespeare. Et s’il était devenu un mercenaire en route pour le Groënland avec un évêque de Rome dépêché sur place pour remettre les rares habitants de cette terre désolée sur le chemin de Dieu. Et si, tel un impitoyable Machiavel, il avait œuvré pour devenir l’indiscutable monarque de ce royaume gelé. Et si, du coup, Donald Trump n’était qu’un vil copieur avec son ambition d’annexer le Groënland. Avec tous ces si (sauf le dernier, puisque l’album a été réalisé avant l’élection américaine), Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle ont imaginé une histoire d’une profondeur et d’une puissance exceptionnelles, tout simplement la meilleure BD que j’ai lue depuis très longtemps.

Déjà, coup de chapeau à l’éditeur pour avoir décidé de publier cette saga de près de 300 pages en un seul volume alors qu’il aurait sans doute été plus lucratif de la sortir sous forme de trilogie. Dans ce one shot aussi dense qu’intense, les auteurs prennent le temps de développer leur intrigue. L’arrivée dans l’ancienne colonie viking, les conditions de vie extrêmes, les rouages politiques de cette micro communauté, la peur des autochtones, la prise de pouvoir par l’évêque puis son éviction par Richard et enfin l’avènement puis la chute de ce dernier, tout est décrit avec une maîtrise narrative qui force l’admiration.
Les complots se multiplient, la violence surgit, le bruit et la fureur précèdent la pure folie, c’est limpide, imparable, finalement très moderne et universel tant les manigances politiques, la vanité et la soif de pouvoir restent d’une dramatique actualité. Et puis quelle incarnation hallucinée d’un Richard III diabolique et manipulateur. Les dialogues sont ciselés, le dessin puissant, le rythme parfait, non, vraiment, cette tragédie en cinq actes, tellement ambitieuse, est proche de la perfection !
La terre verte d’Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle. Delcourt, 2025. 260 pages. 34,95 euros.