jeudi 29 juillet 2021

Au nord du monde - Marcel Theroux

Makepeace vit seule dans une ville abandonnée de Sibérie. Ses parents venus des États-Unis en pionniers et son frère sont morts juste avant le cataclysme, avant que la civilisation moderne disparaisse, avant que les rares humains restants soient partis vers d’autres contrées. Seule dans sa maison d’enfance, elle cultive son potager et se protège comme elle peut, des intempéries et des rares rodeurs. Jusqu’au jour où elle rencontre Ping, une esclave échappée d’un convoi en route pour le nord. Jusqu’au jour où un avion la survole et où elle s’imagine qu’un retour à la vie d’avant est possible. L’espoir chevillé au corps, Makepeace décide de partir sur la route, en quête de jours meilleurs.

Ok, ce western post-apocalyptique du grand nord n’est pas le roman le plus joyeux de l’année mais paradoxalement ce fut une lecture de vacances parfaite. Car même si les aspects liés au dérèglement climatique et à l’activité humaine irréfléchie sonnent de manière très actuelle et n’ont rien pour remonter le moral, la narration nerveuse rend le récit haletant et addictif.  

Et au-delà du contexte et de l’ambiance, au-delà des événements qui s’enchaînent, le personnage de Makepeace dégage une aura envoutante. Les coups durs qu’elle accumule, son regard lucide sur l’état du monde, ses réflexions sur la nature humaine, ses interrogations métaphysiques sur le sens de la vie donnent à l’ensemble une profondeur qui va bien plus loin que le simple roman d’aventure.   

Un excellent moment de lecture, enrichit par la postface d’Haruki Murakami et les informations apportées par l’auteur sur la genèse de son texte. Du tout bon !

Au nord du monde de Marcel Theroux (traduit de l'anglais par Stéphane Roques). Zulma, 2021. 400 pages. 20,00 euros.





samedi 24 juillet 2021

Ce qui est au-dedans - Sam Shepard

Le narrateur se réveille à 4h00 du matin. Comme chaque jour l’insomnie le tourmente, malgré les somnifères, et le fil de la mémoire se déroule, fragmenté, incomplet, aléatoire. Il pense à son père et à son amante d’à peine 14 ans qui deviendra par la suite son initiatrice. Il pense à son ex-femme qui veut le faire chanter. Il pense à son corps qui le lâche petit à petit, à la solitude dans sa maison isolée du Nouveau Mexique, avec ses chiens pour seule compagnie. Il se rappelle l’Amérique de son enfance, les grands espaces, l’avenir radieux qui s’offrait à lui. Aujourd’hui les coyotes hurlent au crépuscule et la fin du chemin est proche. Le constat est lucide, sans trémolo excessifs, intime mais pudique. 

Dernier ouvrage à l’évidence très autobiographique de Sam Shepard avant son décès en 2017, Ce qui est au-dedans sonne comme un adieu. Malheureusement les courts textes qui le composent forment un patchwork foutraque qui donne l’impression d’être dans la tête d’un vieil homme désorienté, incapable de remettre en place les différentes pièces du puzzle de sa vie. Ça pourrait être touchant mais j’ai trouvé l’ensemble super pénible. Par moment on se dit qu’on tient un vrai début d’histoire mais très vite il part dans une autre direction, vers un autre événement, une autre époque, un autre souvenir. A la longue c’est juste lassant et au final, rien ne ressortant du lot, on s’ennuie ferme. L’écriture n’est pas désagréable en soi, il s’en dégage même une forme de poésie et de mélancolie esthétiquement très plaisante mais cela n’a pas suffi à susciter mon intérêt pour le reste.    

J’ai beau chercher du positif, force m’est de constater que cette lecture n’a rien eu d’agréable, tellement peu marquante que quelques jours après avoir terminé le livre, il ne m’en reste rien de solide en dehors de quelques bribes éparses. Vraiment pas une réussite en ce qui me concerne et c’est bien dommage car avant le coup je pensais que j’allais adorer.

Ce qui est au-dedans de Sam Shepard. Robert Laffont, 2020. 230 pages. 21,00 euros.






lundi 19 juillet 2021

Les seigneurs - Richard Price

Bronx, années 60. Richie traîne dans la cité avec ses copains. Ils sont italo-américains, pauvres et désœuvrés. A 17 ans Richie est à la tête de la bande des Vagabonds, un groupe d’ados toujours prêt à se frotter aux autres bandes qui se partagent le quartier. Italien, irlandais, polonais, asiatique ou afro-américain, chaque groupe veut se faire respecter et les occasions d’affrontement sont nombreuses. Au-delà des rivalités ethniques, les Vagabonds doivent composer avec une envie permanente de perdre leur virginité, une scolarité chaotique, des perspectives d’avenir bien ternes, des parents violents, psychotiques et/ou alcooliques et un environnement où l’ennui domine toute autre forme d’activité.

Premier roman de Richard Price publié en 1974 et premier coup de maître. New-York, la zone, les terrains vagues, les bars miteux, la misère et la crasse à chaque coin de rue. Des gamins qui ne pensent qu’à tirer ou boire un coup, qui sèchent les cours et gagnent quelques billets en jouant les arnaqueurs. Les premiers émois amoureux, la baston, la solidarité, la perte des dernières illusions et une amitié qui s’exprime selon des codes bien particuliers sont les thèmes récurrents qui traversent le récit. La violence et le sexe sont très présents mais au-delà de ces aspects les plus frappants, ce roman d’initiation aborde avec beaucoup de justesse le passage de l’adolescence vers l’âge adulte.

Chaque chapitre peut se lire comme une nouvelle indépendante mettant en scène un personnage différent mais l’ensemble forme un tout cohérent. Il y a du Selby dans ce roman, certes moins dérangeant et extrémiste que Last Exist to Brooklyn mais l’esprit est le même, tragique, pessimiste, âpre et parfois aussi très drôle. Le décor est identique mais les personnages de Price sont plus attachants et son écriture moins crue, moins radicale. Une plongée pleine d’énergie et de désespoir dans l’Amérique pauvre et urbaine des années 60.

Les seigneurs de Richard Price. 10/18, 2007. 310 pages. 8,10 euros. 







mardi 6 juillet 2021

Melvin T3 : Melvin Gold - Artur Laperla

Pas la peine de tourner autour du pot, la couverture suggestive en dit beaucoup : Melvin a un gros paquet. Un gros paquet bien moulé dans son pantalon serré, qui ne laisse personne indifférent. Alors quand il arrive à la ferme des sœurs Wondershake, son sac sur le dos, le colosse est accueilli à bras ouverts (et il n’y a pas que les bras que les frangines vont lui ouvrir en grand). 

Problème, Melvin a fait des siennes avant de débarquer à la cambrousse. Il a notamment dévergondé la femme, la fille et la maîtresse de Patrick Bullshit, un escroc notoire qui l’a très mal pris, au point d’engager un tueur à gage pour se débarrasser de notre Don Juan monté comme un âne. Du coup, pendant que Melvin épuise les filles de la campagne, le danger se rapproche…


Il est marrant ce petit album à réserver à un public averti. Un format poche presque carré et un héros mutique qui préfère s’exprimer à coups de reins plutôt qu’avec des mots. La nature a été généreuse avec lui et ça tombe bien car le bonhomme est très généreux par nature. Ici les filles n’ont pas froid aux yeux et, en dehors de Melvin, les hommes sont tous des timides, aigris ou cul-serré sans cervelle. C’est distrayant, rigolo, sans prétention mais réalisé avec application. Une lecture de vacances parfaite pour s’émoustiller avant une sieste crapuleuse. 

Melvin T3 : Melvin Gold d’Artur Laperla. Bang Editions, 2021. 140 pages. 10,00 euros.








samedi 3 juillet 2021

L’étiquette olympique - Thierry Beauchamp

Avant de devenir un grand cirque médiatique, financier et publicitaire, les Jeux Olympiques sont longtemps restés un paradis de l’amateurisme où l’esprit sportif se détachait de toute arrière-pensée vénale. Entre les premiers jeux olympiques modernes de 1896 à Athènes et la tristement célèbre édition de 1936 à Berlin, les olympiades connurent nombre d’épisodes marquants, plus incroyables les uns que les autres.

Ainsi à Paris en 1900, l’épreuve de tir aux pigeons vivants laissa le bois de Boulogne jonché de cadavres de volatiles et l’atmosphère obscurcie par un nuage de plumes. Toujours à Paris, l’américaine Margaret Ives Abott, pensant participer à un simple tournoi de golf, remporta l’épreuve et s’éclipsa avant que les officiels annoncent les résultats. Elle mourut 55 ans plus tard sans savoir qu’elle avait été une championne olympique.

Quatre ans plus tard à St Louis le vainqueur du marathon, dopé à la strychnine et au cognac, franchit la ligne d’arrivée dans un état délirant, pensant avoir remporté l’élection présidentielle américaine. Au cours de cette même édition le trentenaire George Eyser décrocha six médailles en gymnastique malgré sa jambe de bois. 

L’édition de Londres en 1908 célébra une victoire anglaise en boxe où, après un match nul en finale, le vainqueur fut désigné par le président de la fédération, qui n’était autre que son père. Cette même année le suédois Oscar Swahn, soixante ans, remporta le concours de tir au cerf (rassurez-vous, l’épreuve consistait à tirer sur des cibles mouvantes représentant des cerfs et non sur de véritables animaux, la leçon des pigeons de Paris avait été retenue).

Et que dire de l’édition de Stockholm en 1912, où la finale du tournoi de lutte dura neuf heures et où se tinrent des épreuves d’architecture, de littérature, de musique, de peinture et de sculpture qui rassemblèrent trente-cinq artistes. La baron Pierre de Coubertin s’y vit décerner la médaille d’or de littérature pour un poème en prose vantant les mérites du sport.

Ce recueil regroupe vingt-cinq savoureuses anecdotes olympiques représentatives d’une époque depuis longtemps révolue, où l’important n’était pas de gagner. Drôles, instructives et pleines de fraîcheur, ces chroniques signées Thierry Beauchamp démontrent qu’il y a toujours eu bien des façons différentes d’entrer dans la légende du sport.

L’étiquette olympique de Thierry Beauchamp. Wombat, 2021. 96 pages. 13,00 euros.

PS : pour info ces chroniques ont été initialement diffusées sur France Culture durant l'été 2012. Elles sont toujours disponibles en podcast : https://www.franceculture.fr/emissions/letiquette-olympique