mercredi 31 août 2016

La déconfiture (première partie) - Pascal Rabaté

Juin 40. La débâcle. Les soldats montent au front de façon plus ou moins désordonnée. La population fait le chemin inverse, à pied, à cheval, en voiture ou en charrette. Un exode de masse, cible idéale pour les avions de la Luftwaffe canardant sans distinction civils et militaires. Seul au milieu de la route, Amédée Videgrain a perdu son régiment. Il a été chargé par son sergent d’attendre le camion de la croix rouge devant récupérer les corps de ses camarades fauchés par les mitrailleuses allemandes. Au moment de repartir, sa moto reste en rade. Obligé de poursuivre son chemin à pied, Amédée va errer plusieurs jours à travers champs, parcourant des villages évacués, logeant dans les ruines de maisons éventrées par les bombes. Un chemin semé d’embuches qui le mènera enfin à destination. Pour le pire, uniquement pour le pire…

Amédée est paumé au sens propre comme au figuré. Il se demande ce qu’il fait là et il se demande où il doit aller. Sa route croise celle de bonnes sœurs en godillots, d’infirmiers dépassés par les événements, de fossoyeurs désabusés, de vaches abandonnées ou encore de cochons cannibales. Son errance souligne à merveille la confusion totale régnant sur les routes de France à l’époque. Une France déboussolée où tous les repères semblent s’être effondrés d’un seul coup.

Avec sa bichromie de noir et de gris ombrée de sépia et sa ligne claire précise contrastant avec le chaos ambiant, Rabaté offre une narration simple, directe, limpide. Une sobriété de circonstance en permanence au service du récit.

La Déconfiture, c’est la quête absurde d’un homme qui ne fait que suivre le mouvement sans réellement comprendre ce qui se passe. Entre situations surréalistes et dialogues à l’humour féroce, Rabaté propose un album tragi-comique permettant de suivre la défaite de l’armée française à travers les yeux d’un soldat placide, incrédule, ni patriote forcené ni déserteur dans l’âme. Hâte de retrouver Amédée pour connaître la suite (et la fin) de ses pérégrinations. Et ravi de retrouver un Rabaté en pleine forme après le décevant « Vive la marée ! ».

La déconfiture (première partie) de Pascal Rabaté. Futuropolis, 2016. 96 pages. 19,00 euros.









mardi 30 août 2016

Jours de neige - Claire Mazard

Lucienne est excitée comme une puce. Elle va assister à l’enregistrement de son émission préférée. Et voir pour la troisième fois en dix ans le présentateur Fabrice Leduc, son idole. Mais cette fois-ci, elle est bien décidée à lui adresser la parole et à faire de cette journée un moment inoubliable.

Flora fait la manche dans le métro. Flora pue, Flora répugne. « Regards dégoûtés. Regards pitié. Regards qui ne la voient pas. Regards qui l’excluent ». Mais au bout de la rame, un rayon de soleil…

Jim prépare une surprise monumentale à sa fille pour Noël. Une de plus. La gamine est tellement pourrie-gâtée qu’il faut à chaque fois franchir une étape supplémentaire pour lui en mettre plein les yeux.

Valérie a enfin décroché un boulot. Des années qu’elle cherchait, en vain. Au bout du fil sa future responsable se montre antipathique en diable. Valérie stresse, se demande si elle va être à la hauteur. Elle n’aura pas l’occasion de le savoir.

Cathy emballe les cadeaux de Noël qui seront offerts à 150 enfants le lendemain. La nuit venue, sa fille se lève et découvre une montagne de jouets dans le salon. Forcément, tous les présents ne peuvent qu’être pour elle…

Priscilla s’apprête à passer un examen pratique pour son cours de sciences et techniques médicosociales. L’examen se déroule auprès de résidents d’une maison de retraite et Priscilla va devoir s’occuper de madame Mathieu…

Six nouvelles hivernales apportant pour la plupart une petite touche de lumière dans de tristes quotidiens, sans pour autant sombrer dans la guimauve dégoulinante, loin de là. J’adore les nouvelles et j’admire les auteurs qui maîtrisent cet exercice si particulier (et si périlleux). Claire Mazard s’en sort à merveille, elle installe son récit en quelques phrases, joue de situations « banales » pour susciter réflexion et émotion. Elle maîtrise aussi le difficile art de la chute, préférant conclure ses histoires avec douceur et élégance plutôt qu’en proposant une fin tonitruante et inattendue.

Entre petites joies et grandes peines, un recueil touchant, aux thématiques modernes et d’une redoutable efficacité. Idéal pour faire découvrir la nouvelle à des ados peu adeptes de ce type d'écrit.

Jours de neige de Claire Mazard. Le Muscadier, 2016. 80 pages. 8,50 euros. A partir de 12 ans.

Et comme chaque mardi ou presque, c'est une pépite jeunesse que je partage avec Noukette.












lundi 29 août 2016

Anatomie d’un soldat - Harry Parker

Le capitaine Tom Barnes a posé le pied sur une mine au cours d’une mission. Il a perdu une jambe au moment de l’explosion et on a dû l’amputer de la seconde après un début de gangrène. De retour en Grande Bretagne, il doit apprendre à vivre avec son corps mutilé. De la douleur atroce à la résignation, du début de la rééducation aux premiers pas avec ses prothèses, c’est un nouveau parcours du combattant semé d’embuches qu’il affronte avec dignité et lucidité, entouré par les siens et par des équipes médicales aussi bienveillantes qu’efficaces.

L’auteur, Harry Parker, a lui-même sauté sur une mine en Afghanistan en 2009. Il connait donc son sujet et aurait pu faire de ce premier roman une autofiction dégoulinante de pathos, s’apitoyant sur son sort à chaque page. Il ne l’a pas fait et c’est tant mieux. Car l’histoire n’est pas ici racontée par le soldat Tom Barnes mais par des objets : le garrot ayant servi à stopper la première hémorragie, la pile ayant provoqué l’explosion, la scie chirurgicale utilisée pour l’amputation, le sac à main de sa mère au moment où on lui a appris la nouvelle, ses prothèses, etc. Quarante-cinq objets prenant tour à tour la parole, avant, pendant et après le drame. Du coté britannique mais aussi du coté des insurgés. Quarante cinq chapitres sans véritable continuité temporelle, éclatés comme une bombe, mélangeant passé, présent et désir d’avenir.

J’ai craint un texte purement descriptif, froid et désincarné. Les objets n’ont pas de sentiments, ils n’ont pas le moindre affect, ils se contentent de décrire les événements, point barre. A la longue le procédé, relevant de l’astuce narrative, serait forcément tombé à plat. Mais Harry Parker a su donner de la consistance et une véritable profondeur à son roman grâce aux dialogues. Car les objets restituent ce qu’ils entendent. Et à travers leurs échanges, les personnages disent la peur, la douleur, la colère, l’angoisse, la honte, l’espoir. Ils expriment leurs différences, leurs divergences, leur compassion et leur incompréhension.

Certes, les objets tiennent le plus souvent le lecteur à distance, ils restent neutres, ils ne sont pas dans le jugement. Ils exposent les faits, décrivent des comportements, rien de plus. Mais parfois les descriptions prennent un tournant inattendu et offrent de purs moments d’émotion, comme cette scène où le père rase avec application son fils tout juste sorti du coma. L'équilibre entre description et émotion donne une force phénoménale à ce texte qui ne dénonce pas la guerre, qui ne donne pas non plus ou dans la glorification des soldats blessés et qui n’exige pas réparation.

Un premier roman lumineux, ambitieux et parfaitement maîtrisé, qui cherche la reconstruction après l’éclatement, la réappropriation d’un corps disloqué par un homme à jamais traumatisé. C’est fort et intense, une expérience de lecture incroyable et mon premier véritable coup de cœur de la rentrée !

Anatomie d’un soldat d’Harry Parker. Bourgois, 2016. 410 pages. 22,00 euros.





dimanche 28 août 2016

Les lectures de Charlotte (21) : Suivez le guide ! - Camille Garoche

Pour soulager leur maman épuisée, un chat décide de faire visiter à trois chiots le vieux manoir dont ils ne connaissent pour l’instant que l’entrée. En route donc pour le salon, la cuisine, la salle à manger, les chambres, la salle de bain et le grenier. Dans chaque pièce, le chat trouillard multiplie les mises en garde : ici doivent se trouver d’horribles araignées, là des gros cafards, des serpents ou des crabes. Pour vérifier ses dires le lecteur n’a qu’à soulever les nombreux volets disséminés au fil de chaque double page, et ainsi découvrir des animaux bien plus inoffensifs que ceux annoncés !

La mécanique de l’album fonctionne sur le décalage entre les « monstres » énumérés par le chat et la réalité de ce qui se cache derrière chaque fenêtre soulevée. C’est ludique et rigolo, les illustrations de Camille Garoche (qui utilisait auparavant le pseudo de Princesse Cam Cam) fourmillent de détails et offrent de nouvelles découvertes à chaque relecture.

Gros succès auprès de ma pépette, cet album est devenu son livre de chevet. Avantage non négligeable, elle peut s’en emparer seule, sans la médiation d’un adulte. Le format de taille moyenne permet une manipulation aisée et, détail non négligeable, les coins arrondis préviennent tout risque de blessure.

Paru initialement aux éditions Autrement Jeunesse en 2013, c’est le genre de livre animé dont on tombe sous le charme dès la première page. Un régal pour les yeux et les petites mains curieuses.

Suivez le guide ! de Camille Garoche. Casterman, 2016. 20 pages. 14,50 euros. A partir de 3 ans.








vendredi 26 août 2016

Légende - Sylvain Prudhomme

La Crau. Un bout de terre ingrat aux portes d’Arles, « à deux pas des splendeurs des Alpilles, des langues de sable vierge de Camargue, des calanques de Marseille et de Cassis ». Cent trente kilomètres de désert au milieu de la Provence, royaume des bergers et de leurs troupeaux. C’est là que vivent, Nel et Matt, deux amis inséparables. Le premier, photographe, y est né. Le second, anglais, vendeur de toilettes sèches, est réalisateur de documentaires à ses heures perdues. Travaillant à un nouveau film, Matt s’intéresse à l’histoire de « La Chou », boîte de nuit camarguaise mythique, haut lieu des fêtes les plus folles données chaque week-end dans la région pendant les années 70-80.

Le projet prend une nouvelle direction lorsque Matt découvre l’existence de Fabien et Christian, les cousins de Nel, clients assidus de l’établissement. Le premier, laissé à sa grand-mère par des parents partis chasser le papillon à Madagascar, était devenu une figure romantique incontournable d’Arles, régnant sur une cour prête à céder à tous ses caprices. Le second, taiseux, bagarreur, buveur, a sombré peu à peu dans la drogue. Deux enfants terribles, deux étoiles filantes aux trajectoires dramatiques, deux vies aussi brèves qu’intenses. A travers eux, Matt veut « raconter une époque, revisiter une certaine liberté, un joyeux je-m’en-foutisme qui avait un temps régné chez de nombreux hommes et femmes, pour le pire et le meilleur, à mille lieues de l’obsession contemporaine de la vie saine ».

Je ne connaissais pas Sylvain Prudhomme, j’ai découvert avec ce roman une plume délicate et ciselée portant des interrogations existentielles qui m’ont touché en plein cœur. Entre passé et présent, beaucoup d’échos et de correspondances mais aussi de particularités propres à chaque époque. Un texte touchant, d’une grande sensibilité, à la fois nostalgique et très actuel.

« Il avait pensé que la vie de chaque individu, regardée avec assez d’attention, de suffisamment près, racontait infailliblement l’époque à laquelle il avait vécu. Illustrait les espoirs et les peurs qu’avaient eu ses contemporains, la façon dont ils avaient aimé, fait la fête, eu des enfants, craint la mort. Été audacieux ou égoïstes, insouciants ou inquiets, tire-au-flanc ou bûcheurs, constants ou volages, joyeux ou moroses, enthousiastes ou désabusés ».

Légende de Sylvain Prudhomme. Gallimard (L’arbalète), 2016. 292 pages. 20,00 euros.






mercredi 24 août 2016

Le Port des Marins Perdus - Teresa Radice et Stefano Turconi

1807. Un jeune garçon est retrouvé inanimé sur une plage de l’île de Siam par un officier anglais. Amnésique, le naufragé ne se souvient que de son prénom, Abel. Recueilli à bord d’une frégate dont il va devenir mousse, celui qui l’a sauvé lui apprend que le capitaine du bateau vient de disparaître avec une cargaison d’or après avoir assassiné les membres de son équipage chargés de protéger le trésor. Arrivé à Plymouth, Abel trouve refuge dans l’auberge tenue par les trois filles du capitaine traître et déserteur. Alors que la mémoire lui revient peu à peu, il découvre une vérité à laquelle il ne peut croire…

« Redressez les vergues, trois quart à poupe de travers, carguez le petit hunier, affalez le perroquet, tendez les amures, fixez les voiles auriques… ». Je ne connais rien au vocabulaire maritime mais j’adore entendre tous ces ordres donnés aux matelots, ça me fait rêver. Un album au long cours qui sent les embruns et laisse en bouche un goût d’iode et de sel. Pas de trésor ni de pirates mais une histoire maritime digne des grands récits d’aventure du 19ème siècle. Découpé en quatre actes, cet opéra graphique très ambitieux parle d’amour, d’amitié, de trahison et de mort avec une petite touche de fantastique lui offrant un supplément d’âme.

Hommage à la poésie et aux romantiques anglais, le récit s’articule entre terre et mer dans une mécanique parfaitement huilée. La narration est limpide, le dessin sans encrage et sans couleur, tout en crayonnés, est à la fois souple, spontané et d’une grande fluidité. Il aura fallu plus de deux à Stefano Turconi pour venir à bout des trois cents planches de l’album et on ne peut qu’être admiratif devant le résultat final.

Quelques bémols tout de même. Certains récitatifs trop bavards auraient pu être allégés et la fin prend une tournure grandiloquente et ampoulée, certes parfaitement raccord avec l’esprit général mais qui m’a semblé un peu lourde. Un détail cependant, qui ne doit pas masquer l’immense plaisir d’avoir parcouru les océans cheveux au vent aux côtés d’Abel jusqu’au Port des Marins Perdus.

Le Port des Marins Perdus de Teresa Radice et Stefano Turconi. Glénat (Treize étrange), 2016. 300 pages. 22,00 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette (trois jours de suite, même pas peur ! )


Les avis de Lunch et Livresse de mots












mardi 23 août 2016

Songe à la douceur - Clémentine Beauvais

Eugène croise par hasard Tatiana dans le métro. Dix ans qu’il ne l’avait pas vue. Elle avait quatorze ans à l’époque, lui trois de plus. Cet été-là, il accompagnait son copain Lensky chaque après-midi dans le jardin de Tatiana. Lensky sortait avec Olga, la sœur aînée de l’adolescente. Un drame et quelques mots maladroits d’Eugène avaient mis fin à leurs échanges balbutiants. Dix ans plus tard, leurs chemins se croisent à nouveau. Surprise et déclic, ils se plaisent au premier coup d’œil. Je vous laisse imaginer le reste du tableau : histoire d’amour compliquée, on se cherche, on s’évite, on se trouve, on recolle les morceaux du puzzle et tout est bien qui finit bien. Ou pas…

Soyons honnête, ce n’était pas gagné. La romance et moi, en littérature ou ailleurs, on n’est pas fait pour s’entendre. Heureusement ici on est loin d’un vieil Harlequin de ma grand-mère (paix à son âme). Surtout que Clémentine Beauvais a eu l’audace (la folie devrais-je dire) d'imaginer une variation autour du roman Eugène Onéguine de Pouchkine. Elle en a évidemment changé le cadre et l’époque mais a gardé les mêmes personnages et surtout la même forme, à savoir un texte en vers libres où le narrateur, plus omniscient que jamais, intervient au cours de digressions intercalées au fil de l’intrigue.

Audacieux donc, furieusement casse-gueule même, de réécrire un des plus grands classiques de la littérature russe du 19ème siècle tenant à la fois du roman et de la poésie. Ça aurait pu tourner au fiasco, ça aurait pu être totalement ridicule, mais c’est loin d’être le cas. Parce que Clémentine Beauvais ne tombe pas dans le piège de l’hommage frileux, de la caricature ou du détournement grossier de l’œuvre originale. Pas question non plus de sombrer dans l’exercice de style sans âme. Son écriture légère et acidulée offre un souffle nouveau, à la fois respectueux et moderne. La narration est d’une fluidité surprenante, je n’ose imaginer combien de fois il lui a fallu sur le métier remettre l’ouvrage afin d’arriver à une version aussi aboutie.

J’admire donc sans réserve la prise de risque et surtout le résultat final. Pas pour autant que je vais me mettre à la romance, faut pas pousser non plus, mais force est de constater que ce roman jeunesse inclassable est une vraie réussite.

Songe à la douceur de Clémentine Beauvais. Sarbacane, 2016. 240 pages. 15,50 euros.


Et une fois encore, j'ai l'immense plaisir de partager cette découverte avec Moka et Noukette.













lundi 22 août 2016

Sous la vague - Anne Percin

Rien ne va plus dans la vie de Bertrand Berger-Lafitte, héritier d’une prestigieuse propriété de Cognac. La crise économique met ses affaires en péril, son ex-femme manigance pour l’écarter du conseil d’administration, sa fille est enceinte d’un ouvrier syndicaliste de son usine d’embouteillage et les actionnaires voudraient céder l’entreprise à des capitaux étrangers. Mais au lieu de se battre, Bertrand fait l’autruche. Il fuit les soucis aux cotés de son fidèle chauffeur Eddy, costaud tatoué, fumeur de joints un peu bourru, confident aussi mystérieux que flegmatique.

Anne Percin porte sur son personnage principal un regard à la fois tendre et mordant. Un personnage qui n’avait rien pour me plaire à la base mais que j’ai trouvé infiniment attachant. J’ai toujours eu un faible pour les mous lymphatiques et résignés qui fuient les problèmes plutôt que de les affronter, je n’y peux rien. Bertrand préfère s’intéresser à un faon blessé, une corneille coincée dans la cheminée ou une portée de chatons plutôt que de défendre ses propres intérêts. Il subit mais surtout il relativise.

Un plaisir de retrouver la plume alerte et l’humour d’une auteure dont je ne connaissais jusqu’alors que les romans jeunesse. Dans cette satire sociale, elle multiplie les situations incongrues pour dénoncer sans avoir l’air d’y toucher la dureté d’une économie de marché dont le pragmatisme n’a que faire des traditions familiales. Les catastrophes ont beau s’enchaîner, Bertrand n’y voit que futilités. L’essentiel est ailleurs, même s’il ne sait pas vraiment où. Drôle, ironique et plus profond qu’il n’y paraît.

Sous la vague d’Anne Percin. Le Rouergue, 2016. 200 pages. 18,80 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec mes chouchoutes Moka et Noukette.


Les avis de Cathulu et Jostein






dimanche 21 août 2016

Aliénor Mandragore T2 : Trompe-la-mort - Séverine Gauthier et Thomas Labourot

Dans ce second tome, on retrouve Aliénor la fille de Merlin bien décidée à ramener ce dernier à la vie après avoir accidentellement causé sa mort. Problème, L’Ankou, collecteur de l’âme des défunts, cherche par tous les moyens à récupérer celle de l’enchanteur. Après avoir entendu une prophétie délivrée par Viviane la Dame du lac, Aliénor choisit de se rendre avec Lancelot dans les Monts d’Arrée, le pays des âmes errantes, territoire interdit où règne L’Ankou…

J’ai apprécié replonger dans l’univers de Brocéliande revisité avec pep’s et humour. Séverine Gauthier traite de sujets plutôt lourds avec une légèreté bienvenue. Les dialogues sont toujours aussi savoureux et les situations cocasses donnent le sourire. Le duo Aliénor/Lancelot n’est pas aussi explosif que l’affrontement Merlin/Morgane du premier volume mais la complémentarité de leurs caractères les rend particulièrement attachants.

Au dessin, Thomas Labourot  garde le cap avec son découpage dynamique, son trait souple et ses couleurs franches. Seul bémol, il est dommage que le format relativement petit « écrase » certaines cases et ne mettent pas en valeur les nombreux détails.

A noter une nouvelle fois en fin d’ouvrage la présence de « L’écho de Brocéliande », petit supplément fort instructif pour connaître tous les secrets de la forêt. Succès assuré auprès des petits lecteurs pour cette série jeunesse aussi originale qu’ambitieuse. A la maison en tout cas, la suite est attendue avec impatience.

Aliénor Mandragore T2 : Trompe-la-mort de Séverine Gauthier et Thomas Labourot. Rue de Sèvres, 2016. 54 pages. 12,00 euros. A partir de 8-9 ans.

Mon avis sur le tome 1







vendredi 19 août 2016

Un paquebot dans les arbres - Valentine Goby

J’aurais dû attaquer ce billet en vous disant de ne pas le lire parce que de toute façon, connaissant mon admiration sans borne pour Valentine Goby, il ne serait en rien objectif. Mais je ne vais pas le faire car je n’aurais besoin d’aucune mauvaise foi pour vous dire le plus sincèrement du monde à quel point ce roman est formidable et à quel point je vous le recommande sans réserve.

Valentine Goby possède une place à part dans mon panthéon des auteurs français actuels, une place que les autres ne pourront jamais lui ravir. Pourquoi ? Tout simplement parce que les autres n’ont pas écrit Kinderzimmer. J’avoue que je tendais un peu le dos avant de me lancer à l’assaut de ce paquebot dans les arbres. Le roman de l’après Kinderzimmer ce n’est pas rien (même si entre deux il y a eu la très jolie Fille surexposée). Mais j’ai décidé d’attaquer ce texte sans oser la moindre comparaison, qui aurait été de toute façon aussi inutile que malvenue. Et bien m’en a pris.

L’histoire se déroule au début des années 60. On y découvre une famille heureuse : Paul, le père, Odile, la mère et leurs trois enfants Annie, Mathilde et Jacques. Les parents tiennent le café du village, centre névralgique s’il en est. Paul rayonne, attire les foules et suscite l’admiration de tous, y compris de Mathilde. Celle qui n’a malheureusement pas été le garçon attendu après la naissance d’Annie. Celle que Paul appelle son petit gars et qui se comporte comme tel. Celle prête à tout pour attirer l’attention de ce papa n’ayant d’yeux que pour les autres. Quand la tuberculose entre avec fracas dans leur vie, touchant d’abord Paul puis rapidement après Odile, le monde s’écroule. Dans la France des trente glorieuses, seuls les salariés ont droit à la sécu et aux antibiotiques. Pour les autres, direction le sanatorium. Quand les parents s’y retrouvent tous les deux, Mathilde et son petit frère sont placés en famille d’accueil. Alors que les problèmes de santé s’accumulent, que la ruine se profile, que les services sociaux prennent en main et sans humanité la destinée des enfants, Mathilde tente de faire face et de maintenir les siens à flot.

Magnifique portrait d’une jeune fille prête à tout pour affronter bille en tête la fatalité. Conserver les liens familiaux malgré les épreuves, subir la faim, le froid et la misère, soutenir les malades coûte que coûte, ne pas oublier sa propre vie en sacrifiant tout aux autres. Être forte mais pas invincible. S’écrouler et se relever, être soutenue et avancer. Tenir. Jusqu’au bout. Parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité, parce que c’est ce qui donne du sens. Mathilde, admirable de ténacité et de fragilité, femme-enfant consciente d’enfiler un costume trop grand pour elle, d’assumer des responsabilités qui ne sont pas de son âge. Elle est belle Mathilde, portée par les mots de Valentine Goby, par le rythme envoûtant de son écriture sans fausse note :

« Mathilde est un funambule en tension, oscillant entre la nécessité d’être Mathilde Blanc, puissante, enchanteresse, fidèle ; et le désir aigu d’être une autre, fragile, légère, avec des rêves à soi. C’est une danse étrange que celle de Mathilde sur ce fil, son corps penchant toujours du même côté, lesté du poids d’amour qu’elle porte à Odile, Paulot et Jacques ; du côté de l’oubli de soi. »

Un roman puissant et lumineux. En toute objectivité.

Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby. Actes sud, 2016. 270 pages. 19,80 euros.

L'avis de Clara





jeudi 18 août 2016

Le sérieux bienveillant des platanes - Christian Laborde

J’ai eu envie d’attaquer cette rentrée littéraire en terrain connu, avec un auteur que j’apprécie depuis longtemps. Il faut savoir que Christian Laborde a, il y a près de 30 ans, commis un roman (« L’os de Dionysos ») interdit pour « trouble illicite, incitation au désordre et à la moquerie, pornographie et danger pour la jeunesse en pleine formation physique et morale ». Et rien que pour cela, il gardera à jamais mon admiration la plus sincère !

Ici, j’ai aimé d’emblée retrouver sa plume franche et directe, sans chichi. J’ai aimé croiser dès les premières pages un narrateur fan de Rabelais et de Bukowski, lécheur de cul patenté (oui, j’ai bien dit lécheur de cul et pas lèche-cul, la différence est fondamentale, croyez-moi !).

La preuve :

C’est le genre d’extrait qui met en branle mes sens de lecteur (on ne se refait pas) et annonce un texte à la hauteur de mes attentes. Et pourtant, patatras, rien ne m’a plu par la suite. L’histoire est simple : Tom apprend le décès de son grand-père et descend dans le Sud-Ouest pour assister à l’enterrement. Tom le rocker glandeur qui vivote à Paris en tirant le diable par la queue, Tom l’insoumis amoureux de la belle prostituée Joy, tournant le dos à cette époque qui le fait gerber pour vivre libre. Le road trip jusqu’à la ville de son enfance avec Joy à ses cotés est l’occasion de plonger dans le passé, de remuer les souvenirs de ce grand-père ex-légionnaire auprès duquel il a tout appris. Mais arrivé sur place, une mauvaise surprise l’attend…

J’ai trouvé que c’était un roman de grincheux, qui se voudrait à contre-courant, vent debout face aux modes, aux bobos, à la société de consommation. Un roman qui se voudrait un roman de rebelle, esprit James Dean, mais où tout sonne creux, où tout semble vain. Le roman désuet d’un rebelle en carton dont le sempiternel « c’était mieux avant » m’a rapidement lassé. A charge de revanche monsieur Laborde, je serai évidemment là quand sortira votre prochain publication.

Le sérieux  bienveillant des platanes de Christian Laborde. Editions du rocher, 2016. 130 pages. 14,00 euros.





mardi 16 août 2016

Sukkwan Island - David Vann (roman et BD)

J’en ai tellement entendu parler de ce roman. Il me semblait que tout le monde l’avait lu sauf moi. Il me semblait aussi qu’il m’irait comme un gant. Je n’avais à vrai dire qu’une vague idée de son contenu. Une histoire de père et fils, sur une île d’Alaska. Juste Jim le père et Roy, son fils de 13 ans. Et la nature sauvage tout autour. Et un drame à venir, forcément.

En gros j’avais tout compris, sauf que le drame n’était pas celui auquel je m’attendais. Du moins pas comme ça. L’attente de ce drame a d’ailleurs perturbé ma lecture. Parce qu’au début les choses se passent normalement. Ils s’installent, ils coupent du bois, ils pêchent, ils chassent, ils randonnent, ils préparent les réserves pour l’hiver. Un ours vient saccager leur cabane en leur absence. Le gamin a du mal à se faire à ce nouvel environnement. Les échanges avec le paternel se réduisent au strict minimum. Il est bizarre ce paternel. Il donne le change mais on le sent moyennement préparé à l’aventure, une aventure qu’il a voulu imposer à son rejeton. Et puis la nuit il chiale comme une madeleine et sans raison. L’ambiance n’est donc pas au beau fixe mais pas de quoi fouetter un chat. En apparence. J’ai parcouru ces pages avec pour leitmotiv un « jusque là tout va bien » que je savais illusoire. Pour autant je n’ai rien vu venir.

Fin de la première partie. Une phrase et tout bascule. Punaise, c’est pas possible… voila ce que je me suis dit. Et pourtant si. Commence alors le naufrage du père. Et mon aversion absolue pour ce connard. Un gars lâche, stupide et égoïste. Un abruti de première, tellement pas attentif aux autres, tellement immature, tellement détestable. Qui n’aura à la fin que ce qu’il mérite. Une fin qui, sur la forme, m’a rappelé Martin Eden. En infiniment  moins triste. Parce que si celle de Martin m’a serré la gorge, celle de Jim ne m’a inspiré qu’un peu glorieux « bien fait pour sa gueule ».

Il est énorme ce roman. Parce qu’il gratte, et pas qu'un peu. Il met en scène une situation insupportable gérée de façon calamiteuse par celui qui se doit d’être l’adulte responsable. Mais sans jugement. Avec une neutralité de ton et une montée en tension qui font froid dans le dos. Il est énorme parce que David Vann n’accable personne mais il ne tente à aucun moment d’arrondir les angles. Et son histoire déclenche une forme de fascination et d’écœurement qui laisse sans voix. C’est dur, terriblement dur. Et terriblement humain. J’ai adoré.

Sukkwan Island de David Vann. Gallmeister, 2011. 200 pages. 8,50 euros.


J’ai lu la BD dans la foulée. Pas une bonne chose d’enchaîner la lecture d’un roman et de son adaptation. Le texte original est encore trop frais, la comparaison dessert obligatoirement la transposition sur un autre support. Les choses sont différentes je trouve quand, au moment de se plonger dans une adaptation, le roman est loin derrière nous et qu'il ne nous en reste que la trame générale, une vague idée en somme.

En plus ici Ugo Bienvenu ne s’autorise pas le moindre écart, il suit le récit avec une fidélité absolue et un peu mécanique, n’apportant au final aucune valeur ajoutée. Rare de voir un album compter plus de pages que le roman dont il s’inspire, c’est dire si tout est raconté en détail. Point d’ellipses ni de raccourcis donc, j’ai eu l’impression de faire une relecture à l’identique (les images en plus) et je me suis ennuyé. Sans compter que le dessin sans souplesse et le découpage bien trop classique n’apportent pas le soupçon d’originalité graphique qui aurait pu m’accrocher. Une déception, donc.


Sukkwan Island d’Ugo Bienvenu, d’après le roman de David Vann. Denoël Graphic, 2014. 220 pages. 22,90 euros.


Un énorme merci à l’adorable Moka qui a eu la gentillesse de m’offrir ces deux ouvrages au cours d’une mémorable journée de formation où des intervenants, certes motivés mais pas franchement compétents, ont tenté de nous inculquer les vertus de la littérature policière pour la jeunesse. En même temps, nous connaissant, la cause était perdue d’avance…