vendredi 2 septembre 2016

33 révolutions - Canek Sanchez Guevara

« Il le sait, il n'y a rien de positif à attendre d'aujourd'hui. Dans des jours pareils, la vie lui semble un exercice littéraire en vain, un poème expérimental, un traité de l'inutile et du superflu, et il marche lentement, les yeux rivés au sol, avec l'envie de tomber dans le caniveau et de mourir écrasé par l'habitude ».

Tout est rayé chez le trentenaire cubain de ce roman. La vie est un disque rayé, son travail de fonctionnaire est un disque rayé, les pénuries quotidiennes de café ou de cigarettes sonnent comme un disque rayé, sa solitude est un disque rayé se répétant à l’infini. Il a pourtant eu une femme, « maladivement frigide ». « Le mariage n’a pas duré longtemps : un disque rayé de discussions et de reproches dont la détérioration progressive a fini en rigidité cadavérique ». Il traîne donc son spleen seul, le long du Malecon, la célèbre promenade de front de mer de La Havane. Enfant, il avait été un patriote zélé, jusqu’au jour où il a commencé à lire, activité lui offrant une porte ouverte sur un horizon bien plus vaste que son univers et soulignant davantage encore l’étroitesse de son quotidien. Son intérêt récent pour la photo lui offre bien quelques perspectives, mais rien de transcendant. Reste l’éventuel départ. Quitter son île et rêver d’Amérique. Car finalement seule la mer a encore tout d’une promesse…

Beaucoup de mélancolie dans ce court roman déployé en 33 tableaux minimalistes brossés d’une plume désabusée. Sans rage, sans violence mais avec beaucoup de résignation, Canek Sanchez Guevara, le petit-fils du Che, dresse le portrait d’un peuple anesthésié par l’ennui, la soumission et le rhum. Impossible de juger ce personnage neurasthénique en diable que l’on aimerait parfois sortir de sa léthargie à grands coups de pompes dans le derrière tant il est difficile, à notre échelle, d’imaginer la réalité quotidienne d’un cubain lambda.

Après, au niveau des bémols, il y a un vrai goût de trop peu et j'ai trouvé l’écriture sans grand relief. Il faut dire que lorsque je pense à la littérature cubaine et à la mise en scène des petites gens me viennent en tête les romans du sulfureux Pedro Juan Gutierrez dont la prose incandescente donne de l’île une image bien plus enfiévrée. Je ne peux d’ailleurs que vous recommander chaudement la lecture du « Bukowski cubain », écrivain totalement halluciné dont les textes sont disponibles en 10/18 (avec une mention spéciale pour sa « Trilogie sale de la havane » dont il est impossible de ressortir indemne). Fin de la parenthèse et retour au petit-fils du Che, disparu tragiquement début 2015 à l’âge de 40 ans suite à une opération du cœur. 33 révolutions, pourtant prometteur malgré quelques faiblesses, restera donc son premier et seul roman. Dommage, vraiment dommage…

33 révolutions de Canek Sanchez Guevara. Métailié, 2016. 112 pages. 9,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec la douce Moka.









24 commentaires:

  1. Hon... Je ne saurais mieux dire: vraiment dommage.

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  2. Irai tout de même voir du côté de Guevara, curiosité et relent d’adolescence !Et puis la littérature cubaine ! Quel bonheur ;-) Bref je le lirai koa !

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  3. ah désolée - mais tu es plutôt sympa avec lui, donc c'est pas si mal :-)

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  4. J'adore les romans Métailié alors je note :)

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  5. oh zut, voilà vraiment un thème qui me plaisait!

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    1. Tu peux te lancer sans problème, il pourrait te plaire je pense.

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  6. c'est triste de vivre sans espoir ! on a tant rêver sur Cuba et finalement c'était un disque rayé!

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    1. Les choses sont quand même sacrément en train de changer, ce qui n'est pas plus mal.

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  7. Je sors d'une lecture cubaine ... "Hérédiques" de Padura, à lire ! Rien à voir donc avec le titre que tu commentes ici, mis à part le lieu et aussi quand même, un certain goût d'amertume post révolutionnaire .

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    1. J'ai lu Hérétiques et j'ai adoré, mais je n'ai pas pris la peine d'en parler ;)

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  8. Ah ben mince, là j'étais prête à faire une exception et à déposer le bouclier. La thématique me plaisait, et puis le petit-fils du Che quand même, ça attise la curiosité. J'y jetterai un oeil quand même, ton extrait au début me parle beaucoup.

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    1. Et l'avantage c'est qu'il te faudra très peu de temps pour le lire.

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  9. Le petit-fils du Che? Ah oui, quand même...
    Dommage tous ces bémols, donc l'auteur est passé à côté de l'essentiel...
    Et moi qui adore Cuba et sa culture!

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    1. Je ne sais pas s'il est passé à coté mais le sujet aurait mérité d'être creusé.

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  10. Bon, après lecture de l'article de Moka et du tien, et aidé par les seulement 80 pages, je pense que je vais me lancer !

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  11. Pourquoi pas, le sujet est tentant malgré tes réserves.

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  12. Tentée parce qu'il me fera sortir de ma zone de confort...

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