samedi 28 février 2015

Buffalo Runner - Tiburce Oger

Sud du Texas, 1896. Après avoir mis en déroute les agresseurs d’une famille de pionniers en route pour la Californie, Edmund Fischer se cache avec la seule survivante de l’attaque dans une hacienda en ruines, persuadé que le reste de la bande va revenir se venger. Commence alors une longue nuit d’attente au cours de laquelle, pour éviter de sombrer dans le sommeil, le vieil homme va raconter sa vie à la voyageuse. Et quelle vie ! Orphelin élevé par les comanches puis par un trappeur, participant à la guerre de sécession aux cotés des armées sudistes, devenant ensuite chasseur de bisons, perdant femme et enfant après un raid indien contre sa ferme pendant son absence, il finira homme de mains d’un riche marquis venu de France avant de repartir sur les pistes poussiéreuses, revolver à la ceinture.

Au-delà du western, Tiburce Oger raconte la véritable histoire de l’Ouest américain, loin des clichés hollywoodiens. Il dépeint des pionniers miséreux partant vers un hypothétique eldorado que beaucoup n’atteindront jamais, il met en scène des indiens et des cow-boys sans le clivage entre les  bons d’un coté et les méchants de l’autre. L’épisode sur l’extermination des bisons est on ne peut plus véridique, comme la lutte acharnée et sanglante entre propriétaires terriens.

Un album très documenté, donc, violent et sans concession, comme l’était le Far West à cette époque. Un album superbe aux nombreux plans larges magnifiant les paysages, au découpage nerveux et inspiré et surtout aux dessins sublimes d’un auteur dont on reconnaît le trait au premier coup d’œil. Les couleurs sont parfaites et les quelques illustrations pleine page insérées au fil du récit sont à tomber par terre. Bref, tant sur le fond que sur la forme, si on aime le genre, une lecture incontournable !  


Buffalo Runner de Tiburce Oger. Rue de Sèvres, 2015. 78 pages. 17,00 euros.




vendredi 27 février 2015

La nuit des trente - Éric Metzger

Félix bosse dans la pub et ce soir il a trente ans. Mais il ne veut pas le fêter, cet anniversaire. De toute façon personne au bureau n’est au courant et c’est très bien ainsi. On est vendredi, les collègues proposent d’aller boire un pot et Félix suit le mouvement. Le début d’une nuit d’ivresse où, à scooter dans les rues de Paris, il va cheminer de bars en boîtes de nuit, seul ou accompagné, pour oublier le gâchis de cette vie si tristounette. Il repense à ses vingt ans, aux copains et à l’insouciance de l’époque, quand il se rêvait romancier. Il repense à celle qu’il a aimée follement et qui l’a quitté, ce « fantôme » dont l’ombre ne le lâche pas d’une semelle depuis. En chemin il va croiser Louise. Entre eux deux, un semblant de début de quelque chose, une fenêtre qui pourrait s’ouvrir sur l’avenir. Oui mais voila, Félix est plus prompt à renoncer qu’à s’emballer, c’est tellement plus simple à gérer…

Personnellement, je ne garde aucun souvenir de la nuit de mes trente ans. Pas comme celle de mes dix-huit ans, que je n’oublierai jamais, mais c’est une autre histoire… En tout cas il aurait pu m’énerver ce premier roman. Il aurait dû m’énerver, même. Trop parisien, trop bobo, trop plein de boites de nuit et d’ivresse gratuite, trop futile. Et puis un gars de trente ans qui surfe sur le « c’était mieux avant », qui radote déjà, c’est typiquement le genre de personnage que j’ai envie de baffer. Sauf que ça n’a pas été le cas. Le Félix, j’ai aimé le suivre dans ses pérégrinations. J’ai aimé ses rencontres impromptues, sa façon de prendre les choses à la légère malgré ses questionnements existentiels, sa lâcheté permanente. C’est un trentenaire d’aujourd’hui, un romantique mollasson qui s’imagine un instant prendre un billet d’avion pour New York sur un coup de tête mais sait très bien qu’il n’en fera rien, que le métro-boulot-dodo restera son quotidien en attendant sagement la retraite ou la maladie. Désabusé mais pas révolté, faut pas exagérer…

Finalement Félix, il aurait pu se jeter dans la Seine après une nuit pareille, après un tel constat d’échec. Mais au lieu de ça, il rentre chez lui pour cuver, ni plus ni moins. Et je crois que c’est pour ça que je l’aime, allez comprendre... Après, les toutes dernières pages m’ont déçu, je n’ai pas compris le besoin de cette chute inattendue qui n’apporte strictement rien. Ce n’est qu’un détail mais il vient quelque peu gâcher la bonne impression d’ensemble, et c’est bien dommage.

La nuit des trente d’Éric Metzger. Gallimard / L’arpenteur, 2015. 108 pages. 10,90 euros.







mercredi 25 février 2015

Mille parages T1 - Simon Hureau

Tout tient dans le sous titre : « Fragments bourlingatoires  d’ici et d’ailleurs ». Des fragments donc, des histoires d’une à quinze pages qui relatent les pérégrinations de Simon Hureau en France et ailleurs. On le suit du Maroc à la forêt thaïlandaise, des bords de Loire à l’Italie, du Burkina Fasso à Reims. Loin des circuits touristiques, sac en bandoulière et mains dans les poches, prêt à dégainer le carnet,  les pinceaux et l’encre de chine pour croquer un oiseau, une scène de rue ou un insecte.

Une compilation regroupant des récits publiés depuis une douzaine d’années dans des revues plus ou moins confidentielles et enrichie de quelques inédits. Le coté fourre-tout n’est pas gênant le moins du monde, bien au contraire. On navigue avec plaisir d’un environnement à l’autre, le sourire aux lèvres en découvrant les déboires du dessinateur perdu dans la jungle d’une administration Burkinabé digne de Kafka, inquiet en le voyant errer dans les rues de Florence à la recherche d’un endroit où passer la nuit ou encore alléché par sa moisson de champignons dans la campagne creusoise.

Il se dégage de ces carnets de voyage une forme de légèreté cocasse mais surtout beaucoup d’humanité et d’humilité. Les faits sont relatés sans jugement, avec une curiosité permanente pleine de fraicheur et un respect profond des hommes et des lieux. C’est un vrai travail en immersion qui est proposé, direct et spontané, le dessin variant d’ailleurs beaucoup tout au long du recueil, avec pour point commun un noir et blanc des plus séduisant.

Un album dans lequel il fait bon se promener pour partager en toute simplicité l’expérience d’un globe-trotteur-dessinateur talentueux.


Mille parages T1 de Simon Hureau. La boîte à bulles, 2015. 160 pages. 20,00 euros.

Une lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec Mo’.





mardi 24 février 2015

Je suis le fruit de leur amour - Charlotte Moundlic

Ses parents lui ont dit qu’elle était le fruit de leur amour, alors elle les croit, forcément. Et s’ils ne s’occupent jamais d’elle, s’ils sortent chaque soir, la laissant entre les mains de cette tante qu’elle adore, c’est parce qu’ils sont trop occupés ailleurs. Et si elle est invisible à leurs yeux, c’est qu’elle ne les mérite pas : « Je me demande comment deux personnes aussi parfaites ont pu donner naissance à quelqu’un comme moi ». Des excuses, elle en trouve toujours pour pardonner leur manque d’attention, leur manque de tendresse, leurs manques tout court. Mais peut-être qu’un jour ou l’autre, elle saura regarder la vérité en face…

Prenez donc un quart d’heure pour lire ce texte. Respirez un grand coup avant de vous lancer et attendez-vous à le refermer la gorge serrée, surpris de constater que Charlotte Moundlic puisse créer une telle émotion avec si peu de mots. A hauteur d’enfant, la voix de cette petite fille résonne en grande partie grâce aux phrases courtes, au langage simple et direct dont se dégage une naïveté touchante. Le regard porté par la narratrice sur ses parents indifférents est sans filtre, sans le recul et l’expérience nécessaires pour saisir la duplicité des adultes. Parce qu’elle est le fruit de leur amour, ils l’aiment forcément. Et s’ils l’ignorent, c’est tout simplement parce qu’elle n’est pas digne des espoirs qu’ils ont placés en elle.

La peur terrifiante de ne pas être aimée, de ne pas mériter l’amour de ses parents est ici mise en lumière avec une justesse et une sobriété laissant de coté les  grosses ficelles larmoyantes qu’il aurait pourtant été facile d’utiliser. Tout simplement impressionnant !

Je suis le fruit de leur amour de Charlotte Moundlic. Thierry Magnier, 2015. 44 pages. 5,10 euros. A partir de 8-9 ans.

Et une nouvelle pépite jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.









samedi 21 février 2015

Mes oncles d’Amérique - Françoise Bouillot

La narratrice, aujourd’hui parisienne, se souvient de sa jeunesse à Alphabet City au début des années 80. Dans les rues interlopes de ce qui n’était pas encore l’East Village, son amie Grichka et elles, venues d’Europe des rêves d’artistes plein la tête, évoluaient au milieu des punks, bobos et autres travelos. Dans ces rues où il ne faisait pas bon traîner le soir venu, elles rencontrèrent Peter et Mark, vieux messieurs anglais cravatés comme à la City. Et elles nouèrent avec ce couple aussi désargenté qu’original une étonnante et profonde amitié.

Un petit texte d’à peine 70 pages pour une plongée douce-amère dans le New York des années 80. Au cœur du récit, ces « oncles d’Amérique »ayant dû fuir l’Angleterre trente ans plus tôt pour d’obscures raisons, et vivant depuis dans la clandestinité. Des personnages attachants pour lesquels les deux amies vont développer une affection sincère et bienveillante. Beaucoup de tendresse mais aussi quelques passages grinçants dans cette comédie de mœurs subtile et pleine de nostalgie.

Françoise Bouillot, révélée avec son premier roman « La boue », n’avait rien publié depuis 2002, sans doute trop accaparée par ses travaux de traduction (de Bill Bryson, Agatha Christie et Donald Winnicott, entre autres). Je la découvre ici avec plaisir, enchanté par sa plume élégante et légère.

Mes oncles d’Amérique de Françoise Bouillot. Editions Joëlle Losfeld, 2015. 72 pages. 12,00 euros.







vendredi 20 février 2015

Garden of love - Marcus Malte

Alexandre Astrid, flic mis au placard depuis une sordide bavure, reçoit par la poste un manuscrit anonyme qui le bouleverse. Un manuscrit dans lequel il découvre une version troublante de sa propre vie, dans une sorte de jeu de miroir absolument diabolique. L’expéditeur du texte va le pousser à enquêter sur un passé le renvoyant à ses souvenirs les plus douloureux…

Ce texte, c’est autant de petits cailloux laissés sur un chemin que l’on suit sans connaître la destination finale. Du moins au départ. Et que c’est bon de se laisser mener par le bout du nez de la sorte, d’avoir conscience d’être face un puzzle dont les pièces ne semblent pas pouvoir s’imbriquer. Quand le canevas se tisse petit à petit, que le tableau prend forme, on reste d’autant plus admiratif devant la construction narrative implacable. Pourtant c’est un roman très psychologique et d’habitude je ne suis pas du tout fan du genre. Mais là, l’écriture tendue et nerveuse de Marcus Malte change la donne. La souffrance d’Alexandre vous fouille les tripes, la bienveillance de son amie Marie ne dégouline pas de guimauve et la personnalité tordue de l’expéditeur du manuscrit fait froid dans le dos. Implacable je vous dis.

Ce livre, c’est le pot de confiture que l’on attaque du bout des lèvres et que l’on s’enfile d’une traite, c’est la tablette de chocolat qui, à peine entamée, est avalée jusqu’au dernier carré… Bref, vous voyez ou je veux en venir. Autrement dit, il est très fort ce Marcus Malte ! Vous êtes prévenu, si vous mettez le nez dans ce page-turner à la redoutable efficacité, il sera difficile d’en sortir avant le point final.

PS : ce roman a remporté le Prix des lectrices de « Elle » en 2008. Comme quoi, elles n’ont pas toujours eu mauvais goût, les lectrices de « Elle » (vous pouvez sortir les couteaux, j’ai mis mon armure).

Garden of love de Marcus Malte. Zulma, 2007. 318 pages. 18,50 euros.


Une belle lecture commune que je partage avec Claudia Lucia, Eimelle, Noukette et Philisine.



Les avis de Asphodèle Didi, Enna, Liliba, L'or Rouge, MariePapillon, Saxaoul.




jeudi 19 février 2015

Je m’appelle livre et je vais vous raconter mon histoire - John Agard

Une belle idée de laisser le livre raconter lui-même sa propre histoire. Et c’est peu de dire qu’elle est riche, cette histoire ! Des tablettes d’argile à l’e-book, du papyrus au papier, de la peau de mouton à l’imprimerie, le chemin à été mouvementé et les révolutions multiples. Rien n’est oublié : l’invention de l’alphabet, celle du livre de poche, le rôle des bibliothèques mais aussi les autodafés et la censure.

Le fait que le narrateur soit le livre donne une vraie proximité à l’échange qui s’instaure avec le lecteur. Le ton est spontané, complice, il permet une approche presque ludique, une érudition légère, comme si on écoutait un vieux copain nous raconter sa vie. Un ouvrage instructif sans avoir l’air d’y toucher, sans ce coté rébarbatif que l’on retrouve parfois dans certains documentaires difficilement accessibles pour des lecteurs peu habitués à utiliser ce type d’outil.

Ici en plus, la mise en page est aérée, les citations et les encarts proposent des respirations entre les courts chapitres. La jaquette avec impression en relief et l’épais cartonnage de couverture offrent un écrin de qualité à ce bel objet au contenu tout simplement incontournable pour faire découvrir aux enfants (et aux plus grands) l’incroyable histoire du livre à travers les siècles.

Je m’appelle livre et je vais vous raconter mon histoire de John Agard. Nathan, 2015. 142 pages. 13.90 euros. A partir de 8-9 ans.









mercredi 18 février 2015

Amorostasia T2 : Pour toujours - Cyril Bonin

Le virus de l’Amorostasie s’est installé sur toute la planète, figeant les amoureux et provoquant un vaste mouvement de panique dans la population. Pour endiguer l’épidémie les gouvernements ont pris des mesures aussi drastiques que liberticides, interdisant notamment la diffusion des films et romans à l’eau de rose ou encore la mixité dans les bars, les restaurants et tous les lieux de divertissement. Mais la résistance s’organise et les dissidents, voulant profiter de la vie sans contrainte, se regroupent à leurs risques et périls en toute clandestinité pour, entre autres, passer des soirées festives.

Alors que les labos cherchent un antidote sans y parvenir, une expérience est tentée sur Kiran, cobaye malgré lui, condamné à de la prison ferme juste avant d’avoir été figé (cf. le tome1). L’injection ne donne rien sur le patient mais à des kilomètres de là, sa bien-aimée Olga se réveille brusquement, après trois ans de paralysie complète, et devient le premier cas avéré de guérison. Une « miraculée » qui ne rêve que d’une chose : retrouver Kiran pour se figer à nouveau et ressentir la sensation de bien être et de plénitude provoquée par l’Amorostisie. Pourchassée par les autorités, elle va devoir se cacher auprès d’un réseau de résistants afin de mener sa tâche à bien.

J’avais trouvé la fin du premier volume magnifique de justesse et je pensais vraiment avoir eu entre les mains un one shot. Je ne m’attendais donc pas à une suite et j’avoue que j’ai ouvert cet album avec une certaine appréhension. Pour le coup et malheureusement, mes craintes étaient fondées. J'ai apprécié de retrouver l'univers graphique de Cyril Bonin et les personnages si attachants croisés dans le tome 1 mais il est dommage que le coté « fleur bleue » disparaisse au profit de considérations plus politiques et sociologiques. Une dénonciation du totalitarisme pas vraiment convaincante tant le sujet semble survolé. En fait, j’ai trouvé l’intrigue plutôt creuse et la conclusion somme toute décevante. Une impression purement personnelle, je pense sans me tromper qu’une majorité de lecteurs préférera le coté trépidant et plein d’action de cette suite. A voir. En tout cas, mon petit cœur tout mou et moi, on aurait aimé qu’Amosrostasia reste une belle histoire d’amour et rien d’autre (Et oui, que voulez-vous, malgré les apparences, je suis un grand sentimental – et gare au premier qui rigole !).

Amorostasia T2 : Pour toujours de Cyril Bonin. Futuropolis, 2015. 126 pages. 19,00 euros.

Les avis de Caro et JP Viel

La BD de la semaine, c'est
aujourd'hui chez Stephie




mardi 17 février 2015

Cheval océan - Stéphane Servant

Angela avait promis à sa grand-mère d’aller jusqu’à l’océan. Quittant les tours de son quartier misérable, elle rejoint après un loin voyage cette mer indomptable du Portugal qui, espère-telle, l’engloutira bientôt définitivement. Car Angela traîne avec elle un fardeau impossible à porter, un fardeau pour lequel elle voudrait « meurtrir [son] corps pour effacer la meurtrissure. Déchirer le silence blanc dans un vacarme assourdissant. Défier la mort pour souffler les infimes braises de vie. »

Comme d’habitude avec cette collection, le lecteur n’est pas ménagé. L’histoire douloureuse d’Angela, déroulée à la première personne, vous saisit à la gorge dès la première ligne et vous poursuit bien après le point final. La confession secoue par sa sincérité et son humanité, sans pleurnicherie. Le ton est juste, poignant. Les mots sont durs mais lucides, rien n’est forcé, c’est ce qui rend le texte si touchant. Cette gamine, on a envie de la prendre dans nos bras et de lui dire que tout va bien se passer. La rassurer pour ne pas la laisser céder devant une situation à première vue inextricable. Heureusement, elle montre une vraie force de caractère et la dernière phrase, pleine d’espoir, lui ouvre une porte vers l’avenir : « L’océan est la preuve que ma vie s’étend bien au-delà de l’horizon. »

Un dernier mot sur l’écriture de Stéphane Servant, tout en délicatesse et qui offre des passages vraiment superbes :
« L’Océan était pareil à un cheval lancé au galop. L’échine blanche de sel. Les naseaux crachant des embruns. Sous la peau frémissante d’écume, les muscles tendus par la course. La longue cavalcade avant de venir se fracasser sur la grève dans un hennissement furieux. Et même s’il disparaît un instant, jamais le cheval ne meurt. Il se retire lentement, reprend ses forces et surgit à nouveau, plus loin, et repart à l’assaut de la côte. Une course interminable qui ne laisse aucun répit aux hommes. »

Bref, une fois de plus, me voila touché-coulé-bousculé par un titre de la collection « D’une seule voix ». Ça devient une habitude dont je n’ai pas envie de me passer.

Cheval océan de Stéphane Servant. Actes Sud junior, 2014. 58 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.


Et une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.

L'avis d'Hélène









samedi 14 février 2015

Le chinois du XIVe - Melvin Van Peebles

J'ai toujours aimé les troquets. Mon grand-père m'y emmenait le samedi et le dimanche matin. C'était le début des années 80, j'avais 5-6 ans et j'étais la mascotte du « Paris-Calais ». J'y croisais des travailleurs évacuant la fatigue de la semaine et des retraités qui venaient y boire leur pension. J'y ai appris toutes les subtilités du Tiercé, j'ai enrichi mon vocabulaire avec les expressions les plus outrancières que l'on puisse imaginer, j'ai découvert la belote et le 421. J'avais droit à un Vittel menthe et je voyais défiler les ballons de rouge. La cigarette avait encore sa place au bar et en salle, la fumée était partout, les cendriers puaient le tabac froid. J'ai grandi dans ce troquet, entre le flipper et le babyfoot. Lycéen, j'y ai fréquenté un temps le génial Christophe, serveur poète et alcoolique qui m'a fait découvrir Breton. Avec lui, j'ai commis quelques excès mémorables et construit une réputation qui me poursuit encore parfois aujourd'hui. Objecteur de conscience, j'y prenais mon café chaque matin à 7 heures avec les ouvriers du petit jour aux yeux gonflés par le manque de sommeil et au corps meurtri par la journée de la veille. Et puis surtout, j'y ai rencontré celle qui allait devenir ma femme et la mère de mes filles. Aujourd'hui, le « Paris-Calais » existe toujours. Il a été rénové et aseptisé. On n'y fume plus, les banquettes en similicuir sont confortables et les tables ne sont plus nettoyées avec un torchon dégueulasse sorti d'une eau de vaisselle aussi trouble que celle des chiottes. La fin d'un monde.

Tout ça pour vous dire que je ne pouvais pas passer à coté de « ces contes de bistrot » signés d'un cinéaste américain débarqué à Paris à l'été 1960 sans un sou en poche et sans connaître un mot de français. Après une rencontre avec Choron, Cavanna et la clique d'Hara-Kiri, Van Peebles collabore à la revue en signant « La chronique du gars qui sait de quoi il parle » et en prépubliant en grande partie « Le chinois du XIVe ». Apprenant la langue de Molière dans la rue et les cafés, l'américain écrit comme on parle dans les arrondissements les plus populaires de la capitale. Il n'écrit pas dans sa langue natale mais parvient à trouver un ton très oral, aussi fluide que savoureux.

Le recueil, illustré par Topor, repose sur un principe simple et déjà-vu : dans un café du XIVe, alors que le quartier est plongé dans la pénombre par une coupure de courant, les clients se regroupent autour d'une lampe à pétrole et d'une bouteille de vin. Du patron à la bonne, du vieillard au clochard, chacun va y aller de son histoire. Des histoires drôles, tristes, crues ou cruelles. Pas des racontars de poivrots, plutôt des fragments de vie, des destins improbables brisés par la guerre ou la pauvreté. Chacun s’exprime à sa façon mais tous ont en commun une humanité débordante.

Ces histoires ont beau avoir plus de cinquante ans, elles me parlent. Et j’aurais adoré être autour de la table pour les partager, un verre à la main.


Le chinois du XIVe de Melvin Van Peebles. Wombat, 2015 (1ère édition en 1966). 155 pages. 17 euros.





vendredi 13 février 2015

Le vilain défaut - Anne-Gaëlle Balpe et Csil

« Quand je suis né, j'avais une différence. Une différence toute petite qui se voyait à peine. Et puis j'ai grandi. Et ma différence aussi. Les gens m'ont dit que c'était un vilain défaut... »

Un vilain défaut qui empêche de faire les choses comme il faut, qui empêche de se faire des amis, qui empêche d’écouter et d’apprendre, qui déclenche de grosses colères. Un vilain défaut qui, peu à peu, prend toute la place. Et malgré les docteurs consultés en nombre, rien à faire, aucune solution à l’horizon…

Le vilain défaut comme un ennemi identifié mais incontrôlable, un ennemi face auquel on ne peut pas lutter. Un ennemi comme un autre soi, que l’on regarde vivre sa propre vie et pourrir la nôtre. Jusqu’au jour où l’on tombe sur la personne qui identifie le problème et aide à le surmonter.

Un album plein d’espoir qui montre la possibilité de surmonter les obstacles, avec le temps, avec un optimisme à toute épreuve et le concours de professionnels compétents. Un album qui parle de différence et d’intégration, qui en, ne nommant pas le trouble dont souffre l’enfant, donne un caractère universel au propos. Le dessin naïf est tout en émotion et sert à merveille la profondeur du texte. Un bel  hommage « à tous les enfants qui luttent, chaque jour, pour dépasser leurs difficultés ».

L’édition luxueuse, avec coffret et feuilles de calque, offre un écrin à la hauteur de ce petit bijou d’intelligence. Qu’on se le dise !

Le vilain défaut d’Anne-Gaëlle Balpe et Csil. Marmaille & compagnie, 2015. 36 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette


jeudi 12 février 2015

Un pays pour mourir - Abdellah Taïa

« Je suis libre. A paris et libre. Personne pour me ramener à mon statut de femme soumise. Je suis loin d’eux. Loin du Maroc. Et je parle seule. Je cherche mon père dans mes souvenirs. »

Depuis qu’elle a quitté son village au pied de l’Atlas pour la France, Zahira se prostitue. Elle est en fin de carrière et a parfois du mal à joindre les deux bouts mais sa générosité reste inébranlable. Elle joue les confidentes pour son meilleur ami Aziz, un algérien qui se rêve en fille et qui bientôt, par la grâce d’une opération, se réveillera en Zannouba et quittera le « territoire maudit des hommes » : « Je la coupe. Sans bite. Sans verge. Sans zob. Sans excroissance. Sans sperme. Sans couilles. Sans cette chose inutile entre les jambes qui me bousille la vie depuis toujours ». Zahira recueille aussi Mojtaba, homosexuel chassé d’Iran, perdu dans les rue de Paris. Elle passera avec lui un merveilleux mois plein de complicité, avant qu’il disparaisse sans crier gare. Mais Zahira va également devoir faire face à la rancœur d’Allal, son premier amour resté au Maroc et qui cherche, coûte que coûte, à la retrouver…

Des vies brisées. Abîmées. En fragments. Des voix aux accents incantatoires qui disent le désespoir, la honte, la pauvreté, l’exil, le passé qui vous poursuit toujours, partout, le rêve impossible d’une existence et d’un ailleurs meilleurs. Les monologues, fiévreux, habités, se succèdent et s’enchâssent pour brosser le tableau dérangeant, aussi cru que poétique, de migrants fugitifs, précaires, sans pays et sans illusions. Point de misérabilisme, aucune caricature. Les phrases courtes bousculent et apostrophent, l’économie de moyens donne à la confession de chacun une puissance narrative impressionnante. J’en suis sorti groggy…

Un pays pour mourir d’Abdellah Taïa. Seuil, 2015. 164 pages. 16,00 euros.








mercredi 11 février 2015

Vincent - Barbara Stok

Février 1888. Vincent Vang Gogh quitte Paris et son frère Théo pour s’installer à Arles. Il y trouve une lumière limpide et des couleurs comme nulle part ailleurs. L’été arrivant il découvre en admirant les champs, « du vieil or, du bronze, du cuivre dirait-on, et cela, avec l’azur vert du ciel chauffé à blanc, cela donne une couleur délicieuse excessivement harmonieuse avec des tons rompus à la Delacroix ».

Vincent peint à longueur de journée, sa production est énorme mais aucun de ses tableaux ne se vend. Entretenu par Théo, il rêve de créer une maison d’artistes et voudrait que Gauguin en soit le premier invité. Le jour où ce dernier débarque avec toiles et pinceaux, Van Gogh est aux anges. Mais il déchante rapidement. Gauguin n’est que de passage, il souhaite réunir suffisamment d’argent pour retourner sous les tropiques. Peu à peu, les relations entre les deux peintres s’enveniment. Jusqu’à la rupture et ce geste dément, cette oreille coupée. Suivront un internement en psychiatrie et le retour en région parisienne, à Auvers. Vincent y retrouvera Théo et un semblant de sérénité, en grande partie grâce au docteur Gachet.

Sceptique, très sceptique. Voila quel état mon état d’esprit en ouvrant cet album. A cause du dessin surtout. Naïf, minimaliste, maladroit, froid, avec des aplats de couleur sans âme. A des années lumière du trait plus réaliste qui, me semblait-il, aurait convenu pour une telle biographie. Mais passé l’effet de surprise et une fois bien installé dans le récit, force m’a été de constater que Barbara Stok est parvenue à créer une ambiance accrocheuse, saisissant notamment avec une belle inventivité graphique les moments de folie et les comportements excessifs qui ont rythmé la vie de l’artiste.

Portrait sensible approchant au plus près l’esprit torturé d’un travailleur infatigable doutant en permanence de son travail, d’un peintre en manque de reconnaissance culpabilisant d’être un fardeau pour son frère, cet album réalisé avec la Fondation Mondrian et le Van Gogh Muséum se révèle au final aussi instructif que riche en émotion (ce qui, sur ce dernier point, était quand même loin d’être gagné au départ !).

Vincent de Barbara Stok. Emmanuel Proust, 2015. 140 pages. 16,00 euros.



La BD de la semaine est
aujourd'hui chez Noukette








mardi 10 février 2015

Eben ou les yeux de la nuit - Élise Fontenaille-N'Diaye

Eben est un adolescent namibien d’aujourd’hui, de la tribu des Hereros. Un orphelin à la peau sombre et aux yeux bleus, des yeux qu’il a voulu s’arracher le jour où il a compris d’où leur venait cette couleur si particulière. Mais son double héritage, aussi douloureux soit-il, va lui permettre d’appréhender la destinée tragique de son pays…

Sous couvert de fiction, Elise Fontenaille-N'Diaye propose un texte quasi documentaire. Comme elle l’avait déjà fait, entre autres, avec Le garçon qui volait des avions, Les disparues de Vancouver ou Les trois sœurs et le dictateur. Comme elle sait si bien le faire, finalement. Ici, au-delà de l’histoire d’un pays frappé par le plus abominable des colonialismes, elle utilise la figure d’Eben pour faire œuvre de mémoire. A travers le regard bleu du garçon défilent les pires moments de la conquête allemande et les traces encore vivaces de la présence des colons blancs malgré l’indépendance de 1990 : « c’est toujours eux qui tiennent le pays, ils font la pluie et le beau temps ».

En 1904, le général von Trotha et son armée perpétuent l’un des premiers génocides de l’histoire contre les Hereros. Il récidivera en 1905 avec les Namas, l’autre ethnie majoritaire de Namibie. Plus de 80 000 morts en tout, une population décimée, des survivants parqués dans des camps de concentration et étudiés par les scientifiques comme des animaux. Eben raconte l’horreur, il dit son malaise et s’insurge, mais fait également preuve de pédagogie. Le texte est parfois dur, les faits rapportés, d’une violence terrible. Mais le récit reste accessible aux adolescents, il permet de mettre en lumière un événement historique peu connu, terrifiant et en même temps symptomatique de la façon dont les européens considéraient l’Afrique et ses habitants au début du 20ème siècle.

Une lecture riche de sens, qui secoue autant qu’elle éclaire.

Eben ou les yeux de la nuit d’Élise Fontenaille-N'Diaye. Rouergue, 2015. 58 pages. 8,30 euros. A partir de 11-12 ans.

Un roman jeunesse que je partage comme chaque mardi (ou presque) avec Noukette.

L’avis de Mirontaine







lundi 9 février 2015

La rivière aux lucioles - Miyamoto Teru

Les deux textes de ce recueil (deux novelas plutôt que deux romans à proprement parler) datent de  1977. Leur auteur n’avait que 30 ans à l’époque, il signait alors ses premières publications et remporta avec La rivière aux lucioles le prix Akutagawa, l’équivalent de notre Goncourt.  Dans ce récit d’enfance on découvre le quotidien de Tatsuo, gamin pauvre de Toyama devant faire face à la maladie de son père et aux envies d’ailleurs de sa mère. L’autre titre, « Le fleuve de boue », met également en scène un enfant, Nobuo, vivant dans la gargote que tiennent ses parents sur les bords du fleuve Ajikawa, dans la baie d’Osaka.

Deux textes quasi jumeaux, deux premiers volets de « La trilogie des rivières » qui rendra Miyamoto célèbre, deux histoires d’enfance dans les quartiers populaires du Japon de l’après-guerre. On y trouve un mélange étrange d’ode à la nature, de passages poétiques, de lyrisme contenu et de dialogues réalistes. Une ambiance particulière se dégage de l’ensemble, renforcée à chaque fois par une rencontre mi-naturelle, mi-fantastique (avec des lucioles dans le premier cas et avec une carpe géante dans le second) venant clôturer le récit en lui offrant une morale dont chacun pourra tirer les leçons qu’il souhaite.

Très belle découverte pour moi  d’un auteur japonais majeur. Les deux textes sont excellents, même si j’ai préféré le second, où tout se passe réellement à hauteur d’enfant et qui n’est pas sans me rappeler, dans l’esprit, les nouvelles d’Ernest J. Gaines.    

La rivière aux lucioles de Miyamoto Teru. Picquier, 2015 (1ère édition en 1991). 202 pages. 8,00 euros.










dimanche 8 février 2015

La drôle d’évasion - Séverine Vidal

Alcatraz était une prison construite sur une île, face à la baie de San Francisco. Une prison dont nul ne s’est jamais échappé. Enfin, officiellement. Parce que le 11 juin 1962, trois détenus ont disparu. Personne ne les a jamais revus, les autorités ont donc conclu qu’ils avaient trouvé la mort en voulant s’enfuir. Cinquante ans plus tard, Zach, 9 ans, ne croit pas à la version officielle. Pour lui il y a bien eu évasion. Et il va le prouver. En se rendant sur place et en s’évadant à son tour. Comment va-t-il s’y prendre ? Ben pour ça il faudra lire le livre, je ne vais pas tout vous raconter non plus !

Ce petit roman est l’exemple type du « livre-accroche » qu’il faudrait proposer aux enfants réfractaires à la lecture. C’est drôle, truculent, enlevé, sans temps-mort. Il y a de l’action, une petite dose de suspens, un soupçon de tension et une fin qui interroge beaucoup. La langue, à la fois orale et très visuelle, est pleine de peps, et les dialogues sonnent juste. Au-delà du fond, la mise en page joue également un rôle ludique fort appréciable avec les bonus illustrés en fin de chapitres et de savoureuses notes de bas de page.

Et puis le petit Zach vaut son pesant de cacahuètes ! Tellement tentant de s’identifier à lui et d’admirer sa débrouillardise et sa répartie. Le personnage du père est aussi très bien trouvé, un spécimen rarissime, farfelu à souhait.

Tout ça pour vous dire que la réussite est ici totale. A  tel point que je compte bien soumettre ce titre au comité de sélection du prix des jeunes lecteurs dont j'ai la charge. Et s'il fait partie des cinq livres choisis au final, je me ferais un plaisir d'aller le défendre devant les élèves.

La drôle d’évasion de Séverine Vidal. Sarbacane, 2015. 152 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.

Les avis de Martine et Stephie

Une lecture commune que je partage avec Noukette dans le cadre de du coup de projecteur sur la collection Pépix chez Stephie.












samedi 7 février 2015

33 blogueurs sont Charlie


Un mois après, la cicatrice reste ouverte, béante. Sans doute ne se refermera-t-elle jamais. Un mois après, 33 blogueurs sont encore et toujours Charlie, pour défendre la liberté d’expression, la liberté tout court.

Un grand merci à Galéa pour la réalisation de cette vidéo. J'ai déjà eu l'occasion de te le dire mais je le répète avec plaisir : chapeau bas madame !

Vous y trouverez notamment (par ordre alphabétique et non par ordre d'apparition) :

Anne-Véronique, Asphodèle, Céline, EnnaEva, FéliFleurGaléa, Jérôme, Laurielit, Le Petit Carré JauneLittér'auteursMarilyne, Martine, Mind the GapMiss LéoMo', Mon Petit Chapitre, Pascale, Philistine Cave, Sharon, Sidonie, SylSylire, Tiphanie, Titine, Valou 









vendredi 6 février 2015

Ma mère ne m’a jamais donné la main - Thierry Magnier et Francis Jolly

Il a suffi d’un message sur le répondeur. Un message du notaire de là-bas, du pays de son enfance, de l’autre coté de la mer. Vingt ans plus tôt, après « l’accident de l’escalier » qui avait couté la vie à son père, le narrateur, sa sœur jumelle et sa mère sont rentrés en France. Aujourd’hui, la mère est elle aussi décédée et il faut organiser la succession, se rendre sur place pour signer les papiers et vendre la maison. Un retour aux sources douloureux, entre les murs d’une bâtisse en ruine, au milieu des fantômes d’une autre vie.

« Partir, c’est mourir un peu » a écrit Alphonse Allais. Mais pour le narrateur, revenir, c’est prendre de plein fouet « les éclaboussures du passé. Celles qui vous frappent au visage, rouvrent les cicatrices ». Les souvenirs affluent, il retrouve ce lieu où il ne s’est jamais senti chez lui, il se revoit avec cette maman qui n’en fut jamais vraiment une : « Je me demande si ma mère après son accouchement n’avait pas oublié qu’elle avait mis au monde des jumeaux. C’est Carole qui était sortie la première. Elle restera toujours la première, l’unique ». Carole, il ne l’a pas vue depuis des années, son quotidien fait de silence et de solitude est un choix assumé. Mais le message du notaire va peut-être changer la donne, permettre de « régler les affaires », de tourner enfin la page pour en écrire une nouvelle…

Un très joli texte, tout en retenu, magnifié par les sublimes photos de Francis Jolly. Il y a du Choplin et du Mingarelli chez Thierry Magnier. Phrases courtes et limpides, confession discrète, digne, sensible. Le minimalisme est délibéré, il confine presque au chuchotement. En mélodiste économe, l’auteur déroule sa partition sans faute, avec une désarmante fragilité. Tout ce que j’aime.

Ma mère ne m’a jamais donné la main de Thierry Magnier (photographies Francis Jolly). Le Bec en l’air, 2015. 92 pages. 14,90 euros

L'avis de Noukette, qui m'a donné envie de découvrir ce livre. J'ai eu raison de lui faire confiance, une fois de plus.











jeudi 5 février 2015

Les lectures de Charlotte (4) : Caché ! et Qui a mangé la petite bête ? d'Hector Dexter

Charlotte fête aujourd’hui ses deux ans et quels meilleurs cadeaux pouvais-je lui trouver que ces quelques livres ? Mais rendons d’abord à Kikine ce qui lui appartient, c’est grâce à elle et à son billet que j’ai découvert Amaterra, un éditeur lyonnais qui m’était jusqu’alors inconnu et dont les ouvrages sont d’une qualité assez bluffante.

Ce soir donc, en rentrant de la crèche, mon bébé d’amour (qui n’en est plus vraiment un – de bébé je veux dire, parce que d’amour, forcément…) pourra déballer trois beaux livres qui, je le sais d’avance, vont l’enchanter.


Un gamin en colère. Un gamin capricieux qui veut, qui exige un cocodrile ! Pas une girafe, pas un éléphant, pas un escargot, un COCODRILE !!!! Plus les animaux défilent et plus il s’énerve. Jusqu’au moment où…

Un excellent album plein d’humour. Les illustrations, épurées, sont terriblement expressives. Et le final ne manque pas de sel ! Après, on pourrait ronchonner en soulignant que ce n'est pas avec ce texte que l'on va apprendre à bien prononcer le mot "crocodile" mais franchement, on s'en fiche. De toute façon, pour Charlotte, on dit "codile" et pas autrement, donc...




Je veux un cocodrile de Laure Monloubou. Amaterra, 2014. 26 pages. 8,90 euros. A partir de 2 ans.


C’est ce titre que j’ai déniché chez Kikine. Un livre où l’on joue à cache-cache. Qui se cache dans les œufs ? Qui se cache derrière le fromage ? Où se cache le lapin ? Qui se cache dans mon bain ? Simple et efficace, surtout très original grâce aux nombreuses découpes qui ménagent le suspens et donne un coté ludique à l’exploration de l’ouvrage. Par exemple dans l’extrait ci-dessous, en tournant la page de droite et en la superposant à celle de gauche, on va faire apparaître à travers les découpes une ampoule qui s’allume et des chauves-souris aux yeux rouges. Effet de surprise garanti !

La réalisation est parfaite, très soignée, et le cartonnage suffisamment résistant pour supporter les manipulations les plus vigoureuses, ce qui est loin d’être un détail.



Caché d’Hector Dexter. Amaterra, 2014. 36 pages. 12,50 euros. A partir de 2 ans.


Autre titre d’Hector Dexter, « Qui a mangé la petite bête ? » fonctionne un peu comme le précédent, jouant sur les découpes, mais en privilégiant l’effet de profondeur. A chaque page on tente de répondre à la question contenue dans le titre en proposant un suspect potentiel, et à chaque page on se rapproche un peu plus de la coccinelle. Alors, qui est le coupable ? L’ours blanc ? L’éléphant gris ? Le poisson bleu ? Les flamants roses ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire, mais sachez juste que, l’air de rien, avec tous ces animaux, on peut commencer à apprendre les couleurs… 

Là encore la réalisation est  superbe, avec, entre autres, un cartonnage des plus épais et des coins arrondis pour éviter les accidents en cours de manipulation.



Qui a mangé la petite bête ? d’Hector Dexter. Amaterra, 2014. 26 pages. 12,50 euros. A partir de 2 ans.


Trois jolies trouvailles dont je ne suis pas peu fier et un éditeur qui gagnerait à être davantage connu tant il soigne avec une rare minutie l'ensemble de ses publications. Qu'on se le dise ! 




Deux ans déjà, ça passe trop vite !!!












mercredi 4 février 2015

Les carnets de Cerise T3 : le dernier des cinq trésors - Joris Chamblain et Aurélie Neyret

Troisième aventure de Cerise et troisième mystère à résoudre. Cette fois, l’enquêtrice en herbe va aider Sandra, une relieuse de livres, à identifier le propriétaire de partitions retrouvées dans un coffre poussiéreux. Sans le savoir, la collégienne et ses amies Line et Erica vont en fait se lancer dans un jeu de piste qui fera remonter chez Sandra de douloureux souvenirs…

Ouvrir un album de Cerise, c’est s’offrir une cure de tendresse. Beaucoup de douceur dans l’univers de cette fillette, beaucoup de chaleur humaine aussi. Les dessins plein de sensibilité aux couleurs pastel contribuent à renforcer cette ambiance « cosy » dans laquelle le lecteur se sent si bien. Même s’il y a, comme toujours, un léger point de tension, une cicatrice difficile à refermer qui donne un petit goût acidulé à l’histoire, la bienveillance reste de mise et le dénouement heureux, inévitable.

Petit plus non négligeable, quelques encarts didactiques et ludiques « made in Cerise » où l’on apprend par exemple le vocabulaire propre aux livres (la coiffe, le dos, les plats…) et la méthode utilisée par les relieurs pour les restaurer ou encore la recette des cookies et sablés de la mamie d’Erica.

Au final ce nouveau tome riche en émotions continue d’allier avec bonheur la forme et le fond. J’avais trouvé le second épisode un cran en dessous, celui-là remet les pendules à l’heure. Et comme d’habitude, je suis ébloui par la beauté de la couverture.



Les carnets de Cerise T3 : le dernier des cinq trésors de Joris Chamblain et Aurélie Neyret. Soleil, 2014. 86 pages. 15,95 euros. A partir de 9 ans.









mardi 3 février 2015

Le premier mardi c'est permis (33) : Alice - Emma Becker

Alice a vingt ans, Emmanuel est deux fois plus âgé. De leur rencontre naîtra une histoire à l’érotisme débridée, une histoire trouble et sensuelle, mouvementée…

Alice la femme-enfant vivant avec ses petites sœurs dans l’appartement parisien abandonné par ses parents depuis leur divorce. Alice qui se rêve romancière et s’abandonne sans retenue dans les plaisirs charnels : « Le plaisir est sacré […] Parce que, au fond, ce n’est que ça, la vie. Soixante-dix, quatre-vingt ans à tout perdre. Le sexe n’a jamais rien eu à voir avec quoi que ce soi d’autre. Le sexe, au fond, le plaisir, c’est la seule chose qui compte en ce monde. J’ai l’air d’un homme à dire ça ? On est tous esclaves de la même chose. Les hommes sont esclaves de leur soif de chattes, je suis esclave de l’érection des hommes. De la séduction. Ça me va, d’être réduite à un ensemble de trous ayant besoin d’être remplis. Je ne vois pas ce que je pourrais être de plus intéressant. Ou de plus constructif. »

Alice et sa vision étriquée du monde et des relations hommes-femmes, Alice et ses caprices, son mal-être qui ferait la fortune d’un psy. Alice qui ne peut pas garder le moindre boulot parce que travailler c’est trop dur, Alice qui pleure dans les jupes de son père quand elle n’a plus un sou en poche pour acheter ses cigarettes…

Le pire c’est qu’Emmanuel n’est pas mieux. Vieux beau fraîchement séparé, tombant amoureux fou d’une gamine au corps de déesse, amant jaloux ne supportant pas que sa dulcinée, aux mœurs plus que légères, aille voir ailleurs mais qui, de son coté, n’hésite pas à la tromper (« Je ne savais plus où j’en étais » ; « Elle n’est rien pour moi cette fille » ; « cette fille n’a rien de commun avec toi » ; « cette fille est sans saveur à coté de toi »). Justifications pitoyables d’un homme pitoyable…

Mon Dieu que je les ai détestés, ces deux-là ! Une envie de les baffer à chaque page, de les secouer, de leur ouvrir les yeux et de leur faire comprendre la futilité de leurs pauvres petits problèmes existentiels. Envie de leur hurler dessus et de mettre un terme à leurs jérémiades tellement superficielles. Tout ce que je déteste chez des personnages de roman.

Après, je ne dis pas, l’écriture est pleine de charme, oscillant entre de très beaux passages et une certaine vulgarité que je n’ai jamais trouvé choquante. Sans compter que les scènes « explicites », nombreuses, sont particulièrement bien menées et souvent fort émoustillantes. Il y a donc beaucoup de qualité dans la plume d’Emma Becker, c’est juste que cette sulfureuse histoire d’amour intergénérationnelle et ce couple imbuvable m’ont agacé au plus haut point, gâchant tout plaisir de lecture. Pour autant, je n’en resterai pas là avec cette auteure car je sens chez elle un vrai potentiel. Son premier roman est dans ma pal et je compte bien m’y plonger très bientôt, j’espère simplement que j’y trouverai des protagonistes plus à mon goût.

Alice d’Emma Becker. Denoël, 2015. 350 pages. 19,90 euros.


Une lecture commune que je partage avec Noukette. Surprenant, non ?











lundi 2 février 2015

Elliot, super-héros - Cécile Chartre

Un néon qui claque dans le bureau du directeur, en pleine punition, et Elliot le fayot, le premier de la classe adoré par la maîtresse et détesté par ses camarades, se persuade qu’il est devenu un super-héros. Bon, ok, son pouvoir est assez limité, comme celui des deux autres élèves présents au moment de l’incident, mais cela suffit pour que ces trois-là forment un gang prêt à rendre la justice à la moindre occasion…

Difficile de ne pas rire aux éclats en découvrant les (més)aventures d’Elliot et de ses acolytes. Des superpouvoirs ? Quels superpouvoirs ? Peu importe à la limite, l’important, avec un superpouvoir, c’est d’y croire. Et l’important, quand on est un super-héros, c’est d’avoir un costume : collant, bottes, tuniques moulante et slip. A porter par-dessus le collant, le slip. Se rendre à l’école attifé de la sorte ? Même pas peur !

J’adore Cécile Chartre depuis mes lectures de Joyeux Ornithorynque et surtout Petit meurtre et menthe à l’eau. Elle possède un art de la formule qui déclenche le sourire, ses descriptions, très imagées, sont un régal d’humour parfois assez grinçant, même si on sent en permanence affleurer tendresse et bienveillance pour les bras-cassés qu’elle met en scène. Ici, Elliot vaut son pesant de cacahuètes ! Sa naïveté n’a d’égale que ses convictions, chevillées au corps et à « deux jambes trop courtes pour un garçon de dix ans ». C’est lui qui parle, qui nous raconte sa transformation, avec ses mots à lui. Parce que transformation il y aura, et le gamin solitaire et renfermé du début de l’histoire ne sera plus tout à fait le même à la fin, avec ou sans superpouvoirs.

Elliot, super-héros de Cécile Chartre. Rouergue, 2015. 62 pages. 6,70 euros. A partir de 8 ans.