1932. Sacha a quitté l'Ukraine pour ne pas crever de faim. Il débarque à New York chez un cousin éloigné et se rend compte d'emblée que Big Apple n'est pas la terre promise. Le cousin ne pouvant le loger, il trouve refuge dans une chambre de bonne et doit, en plus de s'acquitter du loyer, sortir les chiens de la proprio récemment décédée. Constatant la difficulté à trouver un emploi sur des chantiers où la main d'oeuvre est bien plus nombreuse que les postes à pourvoir, Sacha est aidé par un mafieux italien à qui il a sauvé la mise un soir, dans une ruelle sombre. Son nouvel « ami », en plus de le faire embaucher comme manœuvre à la construction de buildings, va l'entraîner dans des combines à priori sans danger. A priori seulement...
Un vrai bonheur de retrouver le duo Hautière / François après l'excellentissime « De briques et de sang » ! Sacha est un personnage comme Hautière les aime : un peu gentil, un peu naïf, un peu rêveur, sans ambition démesurée. Un personnage qui se laisse porter par les événements, qui accepte tout ce qu'on lui propose sans calcul ni arrière pensée. Un personnage qui va tomber amoureux, sans doute pour le pire. Typiquement un personnage Hautièrien quoi !
J'adore l'univers graphique de David François, dessinateur bien trop rare et coloriste de talent. Ici ses vues panoramiques de New-York, au pinceau et sans encrage, sont à tomber par terre. Il a su aussi donner à ses personnages des trognes inimitables, loin des canons de beauté que l'on croise habituellement.
Bon, je ne vous cacherais pas mon inquiétude pour Sacha. La dernière phrase de la citation d'Olivier Supiot en introduction « Cette ville est une dévoreuse d'âme » n'est à mon avis pas là par hasard et il ne m'étonnerait pas que le si attachant ukrainien suive une trajectoire similaire à celle d'Abélard. Je peux me tromper (je souhaite me tromper!) mais je ne suis guère optimiste.
Un superbe album en tout cas, de ceux qui vous font regretter de ne pas avoir immédiatement la suite sous la main. La suite et la fin d'ailleurs, puisqu' « Un homme de joie » sera un diptyque.
Un homme de joie T1 de David François et Régis Hautière. Casterman, 2015. 54 pages. 13,95 euros.
Et une lecture commune de plus que je partage avec Mo' et Noukette.
L'avis de Moka
mercredi 29 avril 2015
mardi 28 avril 2015
A ma source gardée - Madeline Roth
« On est le 18 août, j’aime un garçon qui en aime un
autre, j’attends un enfant de lui, et j’ai mis le premier pull que j’ai trouvé
dans l’armoire, alors qu’il doit faire vingt-six degrés, parce que cette nuit,
en une seconde, j’ai eu peur de continuer la vie, comme ça. »
Voila, tout est dit. Je spoile à mort mais tant pis, l’intérêt
du roman n’est pas selon moi dans l’histoire mais dans son traitement. Jeanne
passe toutes ses vacances chez sa grand-mère. Elle y retrouve Julie, Chloé, Baptiste, Tom et
Lucas. « Pas une histoire d’amour. Une histoire d’amitié. Sévère.
Inséparables, forcément. Bancals, des failles, des fous rires, des zones d’ombres,
des mensonges sans doute, des nuits blanches, des mains, sans cesse dans d’autres
mains. » De Lucas, Jeanne est follement amoureuse. Elle va se donner à lui
comme elle ne s’est jamais donnée auparavant : « Dès que l’on se
retrouvait seuls, Lucas prenait ma main, et puis ma bouche, et puis moi, tout
entière. Et c’était la plus belle chose qui m’était jamais arrivé dans ma vie. »
Sauf que Lucas n’est pas vraiment celui qu’elle croit et que l’amour absolu qu’elle
lui porte n’est, malgré les apparences, pas réciproque.
Je disais que l’histoire comptait moins que son traitement
et c’est réellement le sentiment que j’ai eu en refermant ce court roman. Parce
que Madeline Roth dit la douleur affective, le chagrin qui vous laboure les
entrailles, le vertige de la perte comme rarement je l’ai lu dans un texte pour ados.
Le monologue de Jeanne est aussi puissant que lucide, aussi sincère que
touchant. Lucas est en elle, partout, tout le temps, cicatrice béante marquant
ses chairs au fer rouge, tatouage qui électrise chaque grain de peau et n’a
rien d’éphémère. C’est la confession d’un déchirement, avec une fenêtre ouverte
sur une possible reconstruction. Mais la trace restera indélébile, quel que
soit l’avenir. Magistral.
A ma source gardée de Madeline Roth. Thierry Magnier, 2015.
60 pages. 7,20 euros.
Un titre ramené du dernier salon du livre. J’y étais, évidemment, avec Noukette, nous ne pouvions, évidemment, que le lire ensemble.
L’avis de Moka
lundi 27 avril 2015
Le plancher de Jeannot - Ingrid Thobois
Une ferme du Béarn, petit espace étriqué où une famille vit recluse. Parti en Algérie à cause des « événements », Jean, le fils, doit revenir précipitamment après le suicide du père. Il retrouve sa grande sœur Paule, la narratrice, et leur mère, la Glousse. Dans cette ferme, on accueille le visiteur le fusil à la main. Dans cette ferme, « La porte est verrouillée, le dehors enfermé ». Peu à peu, la glousse se meurt. On la laisse sur sa chaise, près du feu. Après son décès, elle restera assise à la même place durant des semaines avant d’être enterrée dans la maison, sous l’escalier. Au-dessus du « caveau » de sa mère, Jeannot va commencer à graver des mots délirants sur le parquet. Se consacrant à cette tâche nuit et jour, il finira par mourir de faim, à 33 ans.
L’histoire est véridique, le parquet de Jeannot est un plancher de quinze mètre carrés récupéré par le psychiatre Guy Roux en 1993, qui a ensuite circulé dans diverses expositions d’art brut avant d’être acheté en 2002 par un laboratoire pharmaceutique. Il est aujourd’hui visible dans le XIVe arrondissement de Paris, à l’entrée de l’hôpital Sainte-Anne.
Ingrid Thobois retrace l’existence d’un trio fusionnel sombrant peu à peu dans la paranoïa. Elle décrit le vase clos d’un clan regroupé autour d’une figure maternelle aussi mutique qu’affectivement écrasante dont il est impossible de se séparer, même après la mort : « Qu’ils essaient donc de s’approcher, qu’ils essaient donc de nous l’enlever ». Sans mener une enquête, sans instruire à charge, elle rend leur dignité à ces gens de peu dont la tragédie n’est pour beaucoup, aujourd’hui encore, qu’un simple fait divers, une « péripétie psychiatrique ».
L’écriture est magnifique, pleine de silences et de non-dits. La voix de Paule offre à la destinée familiale des accents poétiques poignants. Elle donne également sens et humanité à la folie de son frère. Un texte ramassé sur lui-même, elliptique, sans un poil de graisse. Un texte que j’ai adoré, ni plus ni moins, typiquement la littérature que j’aime, la littérature qui me parle.
Le plancher de Jeannot d’Ingrid Thobois. Buchet Chastel, 2015. 75 pages. 9,00 euros.
Une lecture commune que je me devais de partager avec Noukette, tant ce livre ne pouvait que nous plaire à tous les deux.
Extrait :
« Qu’est-ce que tu as vu Jeannot, là-bas, en Algérie ?
La jetée du large et son phare à l’endroit où l’eau est sans fond. La terre avant la terre, avant le blanc des pierres. La digue en approchant. En arrivant. Derrière la digue, le port. Derrière le port, la ville. Derrière la ville, le sable et au milieu du sable des villages aux maisons en terre, les murs moins hauts qu’un homme. Et quand tu regardais plus loin : plus rien sinon une ligne toute droite à travers le sable. Pas de route. La chaleur et le froid qui éclatent les pierres à force de se chasser l’un l’autre, et si ça fend la roche ça fend la tête aussi. »
L’histoire est véridique, le parquet de Jeannot est un plancher de quinze mètre carrés récupéré par le psychiatre Guy Roux en 1993, qui a ensuite circulé dans diverses expositions d’art brut avant d’être acheté en 2002 par un laboratoire pharmaceutique. Il est aujourd’hui visible dans le XIVe arrondissement de Paris, à l’entrée de l’hôpital Sainte-Anne.
Ingrid Thobois retrace l’existence d’un trio fusionnel sombrant peu à peu dans la paranoïa. Elle décrit le vase clos d’un clan regroupé autour d’une figure maternelle aussi mutique qu’affectivement écrasante dont il est impossible de se séparer, même après la mort : « Qu’ils essaient donc de s’approcher, qu’ils essaient donc de nous l’enlever ». Sans mener une enquête, sans instruire à charge, elle rend leur dignité à ces gens de peu dont la tragédie n’est pour beaucoup, aujourd’hui encore, qu’un simple fait divers, une « péripétie psychiatrique ».
L’écriture est magnifique, pleine de silences et de non-dits. La voix de Paule offre à la destinée familiale des accents poétiques poignants. Elle donne également sens et humanité à la folie de son frère. Un texte ramassé sur lui-même, elliptique, sans un poil de graisse. Un texte que j’ai adoré, ni plus ni moins, typiquement la littérature que j’aime, la littérature qui me parle.
Le plancher de Jeannot d’Ingrid Thobois. Buchet Chastel, 2015. 75 pages. 9,00 euros.
Une lecture commune que je me devais de partager avec Noukette, tant ce livre ne pouvait que nous plaire à tous les deux.
Extrait :
« Qu’est-ce que tu as vu Jeannot, là-bas, en Algérie ?
La jetée du large et son phare à l’endroit où l’eau est sans fond. La terre avant la terre, avant le blanc des pierres. La digue en approchant. En arrivant. Derrière la digue, le port. Derrière le port, la ville. Derrière la ville, le sable et au milieu du sable des villages aux maisons en terre, les murs moins hauts qu’un homme. Et quand tu regardais plus loin : plus rien sinon une ligne toute droite à travers le sable. Pas de route. La chaleur et le froid qui éclatent les pierres à force de se chasser l’un l’autre, et si ça fend la roche ça fend la tête aussi. »
samedi 25 avril 2015
La terre sous les ongles - Alexandre Civico
Une narration à la deuxième personne qui s’adresse à un homme filant sur l’autoroute en direction du sud-ouest : Bordeaux, Bayonne, puis l’Espagne, jusqu’à Cadix. Dans le coffre de sa voiture, un paquet qui « cogne au moindre virage. » On comprend vite que ce voyage signe une rupture avec le quotidien, un retour vers le pays du père. Ce père qui a fui le franquisme pour venir s’installer en France avant de pouvoir y accueillir sa famille. Les chapitres alternent le présent dans l’habitacle de la berline et le passé de l'histoire familiale. De stations-service en bars de province, de parkings de supermarché jusqu'à l'océan, le conducteur se rend là où "la terre se termine", là où il pourra enfin livrer son colis et lui redonner sa liberté...
Un premier roman qui n'a rien d'original mais se lit sans déplaisir. Le Road-Trip aux airs de déjà-vu se tient grâce à une écriture nerveuse, tendue, affûtée comme une lame. Les flash-back sur l'enfance et la trajectoire paternelle apportent un plus au récit, même si, là encore, on navigue en terrain connu. Une réflexion sur l'immigration, l'intégration, la langue, la misère, l'identité, la précarité. Un premier roman à lire d'une traite, entre deux péages (du moins si on est sur le siège passager). Court mais efficace. Court mais prometteur. Par contre, 15 euros pour 85 pages (75 pages même, puisque le texte commence à la page 11), même si je sais que les livres ne se vendent pas au poids, ça me semble excessif, vraiment excessif.
La terre sous les ongles d’Alexandre Civico. Rivages, 2015. 85 pages. 15,00 euros.
Un premier roman qui n'a rien d'original mais se lit sans déplaisir. Le Road-Trip aux airs de déjà-vu se tient grâce à une écriture nerveuse, tendue, affûtée comme une lame. Les flash-back sur l'enfance et la trajectoire paternelle apportent un plus au récit, même si, là encore, on navigue en terrain connu. Une réflexion sur l'immigration, l'intégration, la langue, la misère, l'identité, la précarité. Un premier roman à lire d'une traite, entre deux péages (du moins si on est sur le siège passager). Court mais efficace. Court mais prometteur. Par contre, 15 euros pour 85 pages (75 pages même, puisque le texte commence à la page 11), même si je sais que les livres ne se vendent pas au poids, ça me semble excessif, vraiment excessif.
La terre sous les ongles d’Alexandre Civico. Rivages, 2015. 85 pages. 15,00 euros.
vendredi 24 avril 2015
Le Bateau de fortune - Olivier de Solminihac et Stéphane Poulin
Le coffre de la voiture est vide : « pas de serviettes, pas de maillots de bain, pas de pelles, pas de seaux, pas de ballon, pas de bouée de crocodile. » C’est la catastrophe, l’ours Michao à tout oublié ! Bien la peine de se rendre à la plage le premier jour de l’été pour profiter du soleil et se retrouver sans rien pour s’occuper. Pour le Renardeau et la chèvre Marguerite, la déception sera heureusement de courte durée. Parce qu’il existe bien d’autres façons de s’amuser au bord de la mer quand on a oublié d’amener son propre matériel…
Une histoire toute simple qui se singularise par son atmosphère doucereuse. Le vent chaud ébouriffe la dune, le soleil fait plisser les yeux. On a envie d’y être sur cette plage, pour partager les jeux de Michao, Marguerite et Renardeau. Une ode à l’imagination, à l’art de rêver, portée par le texte tout en légèreté d’Olivier de Solminihac et les illustrations splendides du québécois Stéphane Poulin. Chaque double page est un tableau à part entière, éclaboussé d’une lumière absolument incroyable.
Un album un peu hors du temps et des modes, un album à la patine pleine de charme et de délicatesse qui fait du bien, et c’est déjà beaucoup.
Le Bateau de fortune d’Olivier de Solminihac et Stéphane Poulin. Sarbacane, 2015. 28 pages. 15,50 euros. A partir de 5 ans.
L'avis de Syl
Une histoire toute simple qui se singularise par son atmosphère doucereuse. Le vent chaud ébouriffe la dune, le soleil fait plisser les yeux. On a envie d’y être sur cette plage, pour partager les jeux de Michao, Marguerite et Renardeau. Une ode à l’imagination, à l’art de rêver, portée par le texte tout en légèreté d’Olivier de Solminihac et les illustrations splendides du québécois Stéphane Poulin. Chaque double page est un tableau à part entière, éclaboussé d’une lumière absolument incroyable.
Un album un peu hors du temps et des modes, un album à la patine pleine de charme et de délicatesse qui fait du bien, et c’est déjà beaucoup.
Le Bateau de fortune d’Olivier de Solminihac et Stéphane Poulin. Sarbacane, 2015. 28 pages. 15,50 euros. A partir de 5 ans.
L'avis de Syl
jeudi 23 avril 2015
La divine Chanson - Abdourahman A. Waberi
« Un jour, après une course-poursuite mémorable, à bout de souffle, il m’a confié que je suis sa lune. Je lui ai rétorqué qu’il est mon soleil. Nous avons éclaté de rire. Un rire franc et massif, sous les yeux des passants ahuris. Était-il sérieux ou d’humeur taquine, je ne le saurais jamais. Par contre, je peux vous garantir que pas une fois je ne l’ai quitté d’une semelle car le soleil n’est rien sans la lune, et la lune rien sans le soleil. »
Celui qui écrit cela est un chat. Un chat qui parle de son maître, Sammy Kamau-Williams, « pianiste solo, auteur-compositeur, poète, éveilleur de conscience ». Le Djiboutien Abdourahman Waberi signe avec cette « Divine chanson » une biographie très romancée de Gil Scott-Heron (1949-2011), héros de la contre culture américaine, musicien de génie surnommé le Dylan noir et considéré par beaucoup comme l’un des pères du rap. Dans une note d’intention, l’auteur précise qu’il « n’était pas question d’écrire la biographie de Gil Scott-Henderson, l’intéressé s’en est chargé lui-même. » Beaucoup de libertés donc dans cet hommage empruntant « les chemins escarpés de la fiction ».
Paris, le chat confident, l’inséparable ami, relate quelques épisodes marquants de la vie de son « soleil » : ses concerts inoubliables, son enfance difficile dans les jupes de sa grand-mère au fin fond du Tennessee, son engagement politique, sa quête poétique, la fascination qu’il a exercé sur toute une génération d’artistes, mais aussi les démons qui n’ont eu de cesse de le harceler (drogue, alcool) et l’on conduit à plusieurs reprises derrière les barreaux.
L’écriture est magnifique, tout en lyrisme contenu. La voix du chat, aérienne et subtile, offre une distance où les souvenirs et la nostalgie ne souffrent d’aucune pesanteur. Au-delà du simple portrait, l’auteur propose une réflexion bien plus large sur le monde noir, liant musique et spiritualité, nous emmenant de l’Afrique au Brésil, d’Haïti au sud des États-Unis. Loin du classicisme formel que l’on trouve d’habitude dans ce genre d’exercice, Waberi donne à cette biographie très romancée un air de conte oriental au rythme jazzy imparable.
La divine Chanson d’Abdourahman A. Waberi. Zulman, 2015. 235 pages. 18,50 euros.
PS : l’œuvre écrite de Gil Scott-Heron (roman et mémoires) est publiée en France par les éditions de l’Olivier.
L'avis de Jostein
Extrait :
« Sa voix, jadis forte, qui s’éraille, se grippe et se brise comme au bord d’un sanglot n’en est que plus touchante. Le public, les Noirs surtout, est profondément ému par le personnage squelettique, hirsute, vieilli avant l’âge. Une marionnette suspendue aux phalanges d’un dieu farceur de carnaval : le Baron Samedi qui hante les cimetières du Nouveau Monde.
Ils savent par quoi Sammy est passé. Et si l’alcool et la drogue épaississent ses traits, si le tabac embrume ses cordes vocales, ils lisent sur son masque de revenant une douleur, un passé qu’ils connaissent depuis la nuit de la cale du bateau négrier. »
Celui qui écrit cela est un chat. Un chat qui parle de son maître, Sammy Kamau-Williams, « pianiste solo, auteur-compositeur, poète, éveilleur de conscience ». Le Djiboutien Abdourahman Waberi signe avec cette « Divine chanson » une biographie très romancée de Gil Scott-Heron (1949-2011), héros de la contre culture américaine, musicien de génie surnommé le Dylan noir et considéré par beaucoup comme l’un des pères du rap. Dans une note d’intention, l’auteur précise qu’il « n’était pas question d’écrire la biographie de Gil Scott-Henderson, l’intéressé s’en est chargé lui-même. » Beaucoup de libertés donc dans cet hommage empruntant « les chemins escarpés de la fiction ».
Paris, le chat confident, l’inséparable ami, relate quelques épisodes marquants de la vie de son « soleil » : ses concerts inoubliables, son enfance difficile dans les jupes de sa grand-mère au fin fond du Tennessee, son engagement politique, sa quête poétique, la fascination qu’il a exercé sur toute une génération d’artistes, mais aussi les démons qui n’ont eu de cesse de le harceler (drogue, alcool) et l’on conduit à plusieurs reprises derrière les barreaux.
L’écriture est magnifique, tout en lyrisme contenu. La voix du chat, aérienne et subtile, offre une distance où les souvenirs et la nostalgie ne souffrent d’aucune pesanteur. Au-delà du simple portrait, l’auteur propose une réflexion bien plus large sur le monde noir, liant musique et spiritualité, nous emmenant de l’Afrique au Brésil, d’Haïti au sud des États-Unis. Loin du classicisme formel que l’on trouve d’habitude dans ce genre d’exercice, Waberi donne à cette biographie très romancée un air de conte oriental au rythme jazzy imparable.
La divine Chanson d’Abdourahman A. Waberi. Zulman, 2015. 235 pages. 18,50 euros.
PS : l’œuvre écrite de Gil Scott-Heron (roman et mémoires) est publiée en France par les éditions de l’Olivier.
L'avis de Jostein
Extrait :
« Sa voix, jadis forte, qui s’éraille, se grippe et se brise comme au bord d’un sanglot n’en est que plus touchante. Le public, les Noirs surtout, est profondément ému par le personnage squelettique, hirsute, vieilli avant l’âge. Une marionnette suspendue aux phalanges d’un dieu farceur de carnaval : le Baron Samedi qui hante les cimetières du Nouveau Monde.
Ils savent par quoi Sammy est passé. Et si l’alcool et la drogue épaississent ses traits, si le tabac embrume ses cordes vocales, ils lisent sur son masque de revenant une douleur, un passé qu’ils connaissent depuis la nuit de la cale du bateau négrier. »
mercredi 22 avril 2015
Un certain Cervantès - Christian Lax
Mike Cervantès, vétéran d’Afghanistan, a perdu un bras et a été capturé par les talibans au cours d’une mission. Libéré contre une rançon, son retour au pays n’a rien d’un long fleuve tranquille. En plein choc post-traumatique, Mike multiplie les coups de sang et se retrouve derrière les barreaux. C’est là qu’il découvre l’œuvre de son homonyme et s’identifie, par mimétisme, au héros de papier du 17ème siècle en lutte contre les moulins à vent. Une révélation qui va le pousser à se lancer sur les routes afin de combattre les injustices de son époque.
Une jolie transposition que nous propose Lax avec cet album, en soulignant que les combats symboliques de Don Quichotte ont leurs équivalents dans l’Amérique d’aujourd’hui. L’inquisition existe toujours, notamment à travers la censure ou le prosélytisme permanent des télévangélistes, tout comme les croisades menées en terres d’islam, tandis que l’ultralibéralisme, internet et Big Brother n’ont rien à envier à la contre-réforme. Le risque de chercher en permanence des parallèles était de tomber dans des comparaisons tirées par les cheveux. Pour le coup, l’écueil est évité et Lax, après quelques albums plus consensuels, revient à un discours très à gauche pour dénoncer un modèle occidental où la dignité humaine n’a plus sa place et un système broyant les démunis et les petites gens. Je retrouve ici l’auteur engagé que j’avais adoré à l’époque de sa série « Le Choucas ».
Parce que les temps ont quand même (un peu) changé, Rossinante a pris les traits d’une Ford Mustang et Sancho Pança ceux d’un clandestin péruvien. Pour le reste, Mike est le même antihéros poissard et illuminé que « l’ingénieux chevalier ». Je le reconnais, sa posture altermondialiste a un petit quelque chose de déjà-vu et le propos apparaît par moments un poil simpliste. Mais au fond, ça ne m’a pas gêné. De toute façon, un personnage qui lit Bukowski, Selby, Fante, Buroughs et Eward Abbey trouvera toujours grâce à mes yeux, quels que soient ses défauts.
Graphiquement, le dessin au lavis est parfait pour nous emmener sur la route avec Mike, du sud de Kaboul à New York en passant par l’Arizona.
Un album forcément picaresque et truculent. Indispensable pour tout amateur de Cervantès qui se respecte. Ça tombe bien, j’en suis un.
Un certain Cervantès de Christian Lax. Futuropolis, 2015. 204 pages. 26,00 euros.
Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo'.
Une jolie transposition que nous propose Lax avec cet album, en soulignant que les combats symboliques de Don Quichotte ont leurs équivalents dans l’Amérique d’aujourd’hui. L’inquisition existe toujours, notamment à travers la censure ou le prosélytisme permanent des télévangélistes, tout comme les croisades menées en terres d’islam, tandis que l’ultralibéralisme, internet et Big Brother n’ont rien à envier à la contre-réforme. Le risque de chercher en permanence des parallèles était de tomber dans des comparaisons tirées par les cheveux. Pour le coup, l’écueil est évité et Lax, après quelques albums plus consensuels, revient à un discours très à gauche pour dénoncer un modèle occidental où la dignité humaine n’a plus sa place et un système broyant les démunis et les petites gens. Je retrouve ici l’auteur engagé que j’avais adoré à l’époque de sa série « Le Choucas ».
Parce que les temps ont quand même (un peu) changé, Rossinante a pris les traits d’une Ford Mustang et Sancho Pança ceux d’un clandestin péruvien. Pour le reste, Mike est le même antihéros poissard et illuminé que « l’ingénieux chevalier ». Je le reconnais, sa posture altermondialiste a un petit quelque chose de déjà-vu et le propos apparaît par moments un poil simpliste. Mais au fond, ça ne m’a pas gêné. De toute façon, un personnage qui lit Bukowski, Selby, Fante, Buroughs et Eward Abbey trouvera toujours grâce à mes yeux, quels que soient ses défauts.
Graphiquement, le dessin au lavis est parfait pour nous emmener sur la route avec Mike, du sud de Kaboul à New York en passant par l’Arizona.
Un album forcément picaresque et truculent. Indispensable pour tout amateur de Cervantès qui se respecte. Ça tombe bien, j’en suis un.
Un certain Cervantès de Christian Lax. Futuropolis, 2015. 204 pages. 26,00 euros.
Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo'.
La BD de la semaine est cette semaine chez Stephie |
mardi 21 avril 2015
Géant - Jo Hoestlandt
« Le destin, parfois, est d’une grande cruauté envers les enfants, et les histoires sont pleines de ces destinées que la mort d’un parent vient frapper. Louis ne lisait pas ces histoires, mais elles l’ont rattrapé. »
Après la mort inattendue de son père, Louis doit abandonner sa vie dans les marais et le métier de berger auquel il se destinait. Contraint de partir pour la ville avec sa mère, le garçon va à l’école de temps à autre, mais il préfère effectuer de menus travaux pour gagner un peu d’argent. Avec ses nouveaux copains il apprend les jeux et les codes de la rue, parfois dans la douleur. Et le jour où Sofia, son père Jozef et la petite Maria emménagent sur son palier, Louis ne se doute pas que ces nouveaux voisins vont changer son existence…
J’ai eu la chance de faire venir Jo Hoestlandt dans une classe il y a quelques années et j’avais été frappé par sa douceur, sa gentillesse et son empathie naturelle envers les élèves qui lui faisaient face. Et bien j’ai envie de dire que l’on retrouve un peu de tout ça dans ce roman. C’est un texte assez triste et mélancolique mais est également porteur d’espoir. L’écriture est pleine de sensibilité, à la fois simple et poétique, le ton est juste, la question du deuil abordée de manière subtile, pudique.
Quelque part, « Géant » est un roman initiatique, un roman pour découvrir que le malheur peut aussi aider à grandir, même s’il est toujours difficile de grandir « sans ». Grandir sans l’un de ses parents et grandir sans trahir sa mémoire.
Une belle leçon de vie.
Géant de Jo Hoestlandt. Magnard, 2014. 112 pages. 8,90 euros. A partir de 8 ans.
Une nouvelle pépite jeunesse que je partage avec Noukette.
Après la mort inattendue de son père, Louis doit abandonner sa vie dans les marais et le métier de berger auquel il se destinait. Contraint de partir pour la ville avec sa mère, le garçon va à l’école de temps à autre, mais il préfère effectuer de menus travaux pour gagner un peu d’argent. Avec ses nouveaux copains il apprend les jeux et les codes de la rue, parfois dans la douleur. Et le jour où Sofia, son père Jozef et la petite Maria emménagent sur son palier, Louis ne se doute pas que ces nouveaux voisins vont changer son existence…
J’ai eu la chance de faire venir Jo Hoestlandt dans une classe il y a quelques années et j’avais été frappé par sa douceur, sa gentillesse et son empathie naturelle envers les élèves qui lui faisaient face. Et bien j’ai envie de dire que l’on retrouve un peu de tout ça dans ce roman. C’est un texte assez triste et mélancolique mais est également porteur d’espoir. L’écriture est pleine de sensibilité, à la fois simple et poétique, le ton est juste, la question du deuil abordée de manière subtile, pudique.
Quelque part, « Géant » est un roman initiatique, un roman pour découvrir que le malheur peut aussi aider à grandir, même s’il est toujours difficile de grandir « sans ». Grandir sans l’un de ses parents et grandir sans trahir sa mémoire.
Une belle leçon de vie.
Géant de Jo Hoestlandt. Magnard, 2014. 112 pages. 8,90 euros. A partir de 8 ans.
Une nouvelle pépite jeunesse que je partage avec Noukette.
lundi 20 avril 2015
La dictature des ronces - Guillaume Siaudeau
Parce qu’il a accepté de s’occuper du chien de son ami Henry devant s’absenter pendant un mois, le narrateur débarque sur l’île de Sainte Pélagie. Au bord de la dépression, il voit dans ces vacances tombées du ciel l’occasion de faire le point et de se ressourcer. Mais il va rapidement comprendre que son lieu de villégiature ne ressemble à rien de ce qu’il a connu auparavant. Dès la traversée, le passeur ivre mort donne le ton. A la bibliothèque, tous les ouvrages ont des titres et des sujets déprimants et sont prêtés avec des paquets de mouchoirs. Les vendeurs d’encyclopédie frappent à sa porte à 3h du matin tandis que des avions publicitaires survolent la plage en traînant derrière eux des messages semblant anticiper chacun de ses faits et gestes. Pendant que les autochtones l’invitent à la pêche aux étoiles filantes, un cirque ambulant animé par d’anciens alcooliques anonymes propose un numéro de lancer de couteaux en mousse. Je vous épargne l’épisode de la neige en plein été et celui où un gosse passe ses journées au bord d’une falaise à attendre l’hypothétique retour de son père…
De Guillaume Siaudeau j’avais lu et apprécié le premier roman, « Tarte aux pommes et fin du monde ». J’ai retrouvé ici son univers riche de fantaisie et d’humour décalé, son écriture très imagée et son art de la formule : « J’étais plutôt du genre à ne pas croire au paradis mais à craindre l’enfer. A banaliser la lumière et à sacraliser les ombres. Je ne sais pas si mon pessimisme était à la hauteur de mes problèmes mais il y mettait du sien. » En creux, j’ai trouvé d’une grande justesse le portrait d’un narrateur digne de son époque dans son mal-être et sa fragilité, sa solitude, son manque d’espoir et d’ambition. Un homme aussi lucide que désabusé, capable d’associer une belle dose d’autodérision à une empathie sincère et désintéressée pour les doux-dingues qu’il croise sur cette île mystérieuse. Un homme en plein paradoxe, ressentant avec cette expérience insulaire, « un bien être doublé d’une gêne indescriptible. Le sentiment de ne pas être à [sa] place, mais de manière très confortable. C’était aussi difficile à expliquer qu’à vivre ».
Farfelu mais pas que, loin de là, ce second roman beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît installe Guillaume Siaudeau parmi les jeunes auteurs français à suivre avec le plus grand intérêt. Du moins en ce qui me concerne.
La dictature des ronces de Guillaume Siaudeau. Alma, 2015. 178 pages. 16,00 euros.
Les avis d'Aifelle Blablablamia et Cathulu
De Guillaume Siaudeau j’avais lu et apprécié le premier roman, « Tarte aux pommes et fin du monde ». J’ai retrouvé ici son univers riche de fantaisie et d’humour décalé, son écriture très imagée et son art de la formule : « J’étais plutôt du genre à ne pas croire au paradis mais à craindre l’enfer. A banaliser la lumière et à sacraliser les ombres. Je ne sais pas si mon pessimisme était à la hauteur de mes problèmes mais il y mettait du sien. » En creux, j’ai trouvé d’une grande justesse le portrait d’un narrateur digne de son époque dans son mal-être et sa fragilité, sa solitude, son manque d’espoir et d’ambition. Un homme aussi lucide que désabusé, capable d’associer une belle dose d’autodérision à une empathie sincère et désintéressée pour les doux-dingues qu’il croise sur cette île mystérieuse. Un homme en plein paradoxe, ressentant avec cette expérience insulaire, « un bien être doublé d’une gêne indescriptible. Le sentiment de ne pas être à [sa] place, mais de manière très confortable. C’était aussi difficile à expliquer qu’à vivre ».
Farfelu mais pas que, loin de là, ce second roman beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît installe Guillaume Siaudeau parmi les jeunes auteurs français à suivre avec le plus grand intérêt. Du moins en ce qui me concerne.
La dictature des ronces de Guillaume Siaudeau. Alma, 2015. 178 pages. 16,00 euros.
Les avis d'Aifelle Blablablamia et Cathulu
dimanche 19 avril 2015
Hautes œuvres : petit traité d’humanisme à la française - Simon Hureau
Je ne pouvais pas clôturer cette séquence «cadeaux » sans sortir de ma bibliothèque un livre offert par Mo’. Qui dit Mo’ dit BD. Je fréquente son bar depuis des années et on y est toujours aussi bien accueilli. J’ai honte de l’avouer mais elle m’a offert l’intégrale de Maus et je ne l’ai toujours pas lue, tout comme elle m’a offert le diptyque de Miriam Katin (« Lâcher prise » et « Seule contre tous »), que je n’ai pas lu non plus ! Promis, promis, promis, je m’y mets bientôt. En attendant, j’ai poursuivi grâce à elle ma découverte de l’univers de Simon Hureau (Crève saucisse, Mille parages) avec ces « Hautes œuvres », récit édifiant (et véridique !) du calvaire subi par Robert-François Damiens, accusé de tentative de meurtre sur Louis XV et torturé devant des milliers de parisiens sur la place de Grève.
En 1757, le régicide était considéré comme le crime suprême (le crime de lèse-majesté). Pour Damiens, cet attentat raté à l’arme blanche (le roi n’eut qu’une simple éraflure) se solda par la plus impitoyable des condamnations : main brûlée ; bras, cuisses et poitrine découpés à la tenaille ; huile bouillante ; pois et plomb fondu versé sur les plaies avant un démembrement à l’aide de chevaux et, cerise sur le gâteau, le bûcher. Le tout devant un public nombreux, fasciné ou horrifié par le spectacle.
C’est le bourreau, Charles-Henri Sanson, qui revient par le menu sur l’interminable supplice du condamné. Exécuteur des hautes œuvres maladroit et inexpérimenté, il a dû faire face à de nombreux soucis « techniques », finissant cette éprouvante journée sous les quolibets de la foule. Hureau n’épargne au lecteur aucun détail et certains passages sont peu ragoutants, mais au-delà de l’atrocité, il rend bien compte de l’atmosphère particulière de l’époque, du sentiment de révolte et d’injustice grondant dans les rangs du peuple au libertinage d’une noblesse décadente.
Le récit, très documenté, s’avère passionnant et montre à quel point le siècle des lumières aura, malgré sa volonté affichée de modernité, gardé des pratiques relevant de la barbarie et de l’obscurantisme le plus abominables. Pas pour rien d’ailleurs que l’album a pour sous-titre plein d’ironie, « Petit traité d’humanisme à la française ». Autre ironie, et non des moindres, le même Charles-Henri Sanson deviendra quelques années plus tard le véritable régicide officiel, celui-là même qui guillotinera Louis XVI et Marie-Antoinette. Édifiant je vous dis !
Hautes œuvres : petit traité d’humanisme à la française de Simon Hureau. La boîte à Bulles, 2013. 48 pages. 13,00 euros.
L'avis de Mo'
En 1757, le régicide était considéré comme le crime suprême (le crime de lèse-majesté). Pour Damiens, cet attentat raté à l’arme blanche (le roi n’eut qu’une simple éraflure) se solda par la plus impitoyable des condamnations : main brûlée ; bras, cuisses et poitrine découpés à la tenaille ; huile bouillante ; pois et plomb fondu versé sur les plaies avant un démembrement à l’aide de chevaux et, cerise sur le gâteau, le bûcher. Le tout devant un public nombreux, fasciné ou horrifié par le spectacle.
C’est le bourreau, Charles-Henri Sanson, qui revient par le menu sur l’interminable supplice du condamné. Exécuteur des hautes œuvres maladroit et inexpérimenté, il a dû faire face à de nombreux soucis « techniques », finissant cette éprouvante journée sous les quolibets de la foule. Hureau n’épargne au lecteur aucun détail et certains passages sont peu ragoutants, mais au-delà de l’atrocité, il rend bien compte de l’atmosphère particulière de l’époque, du sentiment de révolte et d’injustice grondant dans les rangs du peuple au libertinage d’une noblesse décadente.
Le récit, très documenté, s’avère passionnant et montre à quel point le siècle des lumières aura, malgré sa volonté affichée de modernité, gardé des pratiques relevant de la barbarie et de l’obscurantisme le plus abominables. Pas pour rien d’ailleurs que l’album a pour sous-titre plein d’ironie, « Petit traité d’humanisme à la française ». Autre ironie, et non des moindres, le même Charles-Henri Sanson deviendra quelques années plus tard le véritable régicide officiel, celui-là même qui guillotinera Louis XVI et Marie-Antoinette. Édifiant je vous dis !
Hautes œuvres : petit traité d’humanisme à la française de Simon Hureau. La boîte à Bulles, 2013. 48 pages. 13,00 euros.
L'avis de Mo'
samedi 18 avril 2015
Qui quoi où - Olivier Tallec
Troisième épisode de ma série « des-cadeaux-offerts-par-d’adorables-personnes-qui-me-veulent-du-bien » avec cet album jeunesse d’Olivier Tallec offert par Noukette pour mon anniversaire. Pas la peine de vous présenter Noukette, si vous passez souvent par ici, vous savez qu’elle et moi on doit faire à peu près 100 lectures communes par an et vous aurez compris qu’elle est un peu (beaucoup) ma chouchoute parmi les chouchoutes. Bref, dans mon colis anniversaire (oui, un colis, carrément) il y avait ce livre et j’aime autant vous dire qu’il a connu un énorme succès auprès de tous les membres de la famille (hormis la petite dernière qui est encore un peu jeune pour en saisir les subtilités).
En fait, c’est assez simple, il suffit de le tendre à n’importe qui, enfant ou adulte, de laisser la personne s’en emparer et l’ouvrir, et le tour est joué, le piège se referme. Pourquoi ? Parce que déjà le format interpelle. Un format à l’italienne mais qui s’ouvre vers le haut. On découvre alors des illustrations panoramiques avec, sur chaque double page, une galerie de personnages associée à une question. Pour y répondre, il faut observer attentivement les images et trouver des indices.
Ça a l’air facile comme ça, très bébé même, et pourtant, sans la concentration nécessaire, on peut se tromper. L’autre atout majeur vient des illustrations. Les « suspects » potentiels, alignés comme lors d’une séance d’identification dans un commissariat de police, ont des trognes impayables. On les voit de face, de profil ou allongés, et certains en profitent pour montrer du doigt leur voisin et influencer le « lecteur-enquêteur ». La dernière page donne la solution à toutes les énigmes, et permet accessoirement de constater que l’on a parfois eu tout faux…
Un livre-jeu épatant, réellement tout public même s’il s’adresse bien sûr en premier lieu aux enfants. Mais je vous répète que s’il arrive entre vos mains, quel que soit votre âge, vous êtes piégés !
Qui quoi où d’Olivier Tallec. Actes sud Junior, 2015. 28 pages. 12,00 euros. A partir de 4 ans.
L'avis de Noukette
En fait, c’est assez simple, il suffit de le tendre à n’importe qui, enfant ou adulte, de laisser la personne s’en emparer et l’ouvrir, et le tour est joué, le piège se referme. Pourquoi ? Parce que déjà le format interpelle. Un format à l’italienne mais qui s’ouvre vers le haut. On découvre alors des illustrations panoramiques avec, sur chaque double page, une galerie de personnages associée à une question. Pour y répondre, il faut observer attentivement les images et trouver des indices.
Ça a l’air facile comme ça, très bébé même, et pourtant, sans la concentration nécessaire, on peut se tromper. L’autre atout majeur vient des illustrations. Les « suspects » potentiels, alignés comme lors d’une séance d’identification dans un commissariat de police, ont des trognes impayables. On les voit de face, de profil ou allongés, et certains en profitent pour montrer du doigt leur voisin et influencer le « lecteur-enquêteur ». La dernière page donne la solution à toutes les énigmes, et permet accessoirement de constater que l’on a parfois eu tout faux…
Un livre-jeu épatant, réellement tout public même s’il s’adresse bien sûr en premier lieu aux enfants. Mais je vous répète que s’il arrive entre vos mains, quel que soit votre âge, vous êtes piégés !
Qui quoi où d’Olivier Tallec. Actes sud Junior, 2015. 28 pages. 12,00 euros. A partir de 4 ans.
L'avis de Noukette
vendredi 17 avril 2015
La nuit des terrasses - Makenzy Orcel
Encore un cadeau aujourd’hui. J’ai décidé cette semaine de me plonger dans des livres offerts par de bonnes fées avec lesquelles j’apprécie tellement d’échanger depuis que ce blog a pris son envol. Après les nouvelles de Russell Banks grâce à Framboise hier, je découvre cette fois-ci la poésie de l’Haïtien Makenzie Orcel, dont le premier roman, à mon grand désappointement, ne m'avait pas autant emballé que je l'espérais.
L’attention vient cette fois de Philisine, qui a en plus eu la gentillesse de me faire parvenir l’ouvrage orné d’une dédicace de l’auteur particulièrement personnalisée. Parce qu’elle sait déjà tout le bien que je pense d’elle, je ne vais pas en rajouter une couche ici et me contenter de la remercier avec une grosse bise qui claque.
Je ne suis pas un grand amateur de poésie. La poésie, je l’aime quand elle s'ancre dans la réalité, quand elle se drape d’une certaine rugosité et qu’elle s éloigne d’un lyrisme de façade et d’une esthétique convenue. Philisine connaissait mes goûts en la matière et elle a vu juste avec ce petit recueil aussi hypnotique qu’incandescent.
Les bars, la ville, la nuit, l’alcool, la chaleur des corps, autant de thèmes qui me parlent. La poésie de Makenzie Orcel est sensuelle, elle « affûte le rêve à coups de rhum et de reins ». La rythmique est saccadée, la forme courte, parfois proche du haïku, fait surgir l’image :
« puis vient l'oubli
le temps jeté par-dessus bord
le silence du verre
posé à même le sol »
Certains vers résonnent comme des aphorismes : « Pour certaines choses de la vie il faut plus qu’un poème » / « Boire nous sort du temps ». Ces poèmes, ce sont autant d’instantanés attrapés à bras le corps et jetés avec rage sur la page dans une langue âpre et libre de toute contrainte. De quoi désarçonner, certes, mais il faut aller au-delà de la première impression, où le sens peut échapper, et se laisser emporter par les mots, par leur force d’évocation. C’est dans ce lâcher-prise, cet d’abandon, que la poésie de Makenzy Orcel s’apprécie à sa juste valeur.
La nuit des terrasses de Makenzy Orcel. La contre allée, 2015. 64 pages. 9,00 euros.
L'avis de Jostein
"ma tête remplie du tournis des phares
leur effarement
les tympans brûlés de leur gardien
leur têtes d'insomnie
l'horreur des bouches
s'inventant des comptoirs
pour dégueuler leurs ruines
les putains de la rue Capois
et la chair chaude de l'aimée
depuis que j'ai appris
qu'il faut laisser la nuit
entrer dans sa vie
pour qu'il y ait un phare quelque part
mes mots respirent mieux sous la mer
tout au fond de mon verre"
-----------------------------
"c’est fou quand tu jouis
L’attention vient cette fois de Philisine, qui a en plus eu la gentillesse de me faire parvenir l’ouvrage orné d’une dédicace de l’auteur particulièrement personnalisée. Parce qu’elle sait déjà tout le bien que je pense d’elle, je ne vais pas en rajouter une couche ici et me contenter de la remercier avec une grosse bise qui claque.
Je ne suis pas un grand amateur de poésie. La poésie, je l’aime quand elle s'ancre dans la réalité, quand elle se drape d’une certaine rugosité et qu’elle s éloigne d’un lyrisme de façade et d’une esthétique convenue. Philisine connaissait mes goûts en la matière et elle a vu juste avec ce petit recueil aussi hypnotique qu’incandescent.
Les bars, la ville, la nuit, l’alcool, la chaleur des corps, autant de thèmes qui me parlent. La poésie de Makenzie Orcel est sensuelle, elle « affûte le rêve à coups de rhum et de reins ». La rythmique est saccadée, la forme courte, parfois proche du haïku, fait surgir l’image :
« puis vient l'oubli
le temps jeté par-dessus bord
le silence du verre
posé à même le sol »
Certains vers résonnent comme des aphorismes : « Pour certaines choses de la vie il faut plus qu’un poème » / « Boire nous sort du temps ». Ces poèmes, ce sont autant d’instantanés attrapés à bras le corps et jetés avec rage sur la page dans une langue âpre et libre de toute contrainte. De quoi désarçonner, certes, mais il faut aller au-delà de la première impression, où le sens peut échapper, et se laisser emporter par les mots, par leur force d’évocation. C’est dans ce lâcher-prise, cet d’abandon, que la poésie de Makenzy Orcel s’apprécie à sa juste valeur.
La nuit des terrasses de Makenzy Orcel. La contre allée, 2015. 64 pages. 9,00 euros.
L'avis de Jostein
"ma tête remplie du tournis des phares
leur effarement
les tympans brûlés de leur gardien
leur têtes d'insomnie
l'horreur des bouches
s'inventant des comptoirs
pour dégueuler leurs ruines
les putains de la rue Capois
et la chair chaude de l'aimée
depuis que j'ai appris
qu'il faut laisser la nuit
entrer dans sa vie
pour qu'il y ait un phare quelque part
mes mots respirent mieux sous la mer
tout au fond de mon verre"
-----------------------------
"c’est fou quand tu jouis
ça fait un bruit de sirène
de tempête sur la ville
de tempête sur la ville
il faut
déchirer ta petite culotte
et te prendre debout
dans un bar crasseux
d’ici
n’importe où
déchirer ta petite culotte
et te prendre debout
dans un bar crasseux
d’ici
n’importe où
pour que tout soit parfait
quel amour se nourrit de fleurs
du confortable ?
du confortable ?
fleuve en furie
chute de métaux
chute de métaux
jeudi 16 avril 2015
Un membre permanent de la famille - Russell Banks
C’est compliqué entre Russel Banks et moi. J’ai essayé pourtant, plusieurs fois même, de me plonger dans son univers. Avec « Le livre de la Jamaïque », « Sous le règne de Bone » ou encore « Trailerpark ». A chaque fois j’ai abandonné, incapable de me concentrer sur l’histoire, d’accrocher à l’écriture et à la narration. J’avais donc fait un trait définitif sur cet auteur jusqu’au dernier salon du livre. Nous étions un petit groupe à tourner autour des tables d’Actes sud, discutant de nos dernières trouvailles, et Framboise à décider de m’offrir ce recueil de nouvelles. Le plus naturellement du monde, comme s’il était évident que lui et moi, on allait s’entendre. Vous vous demandez peut-être qui est Framboise ? Pour la faire courte, je dirais c’est la grande copine de Noukette, mais aussi une personne adorable et d’une gentillesse incroyable. Bon, je ne le dis pas trop fort parce que je sais que sinon elle risque de piquer un fard – du coup, je ne vous dirais pas non plus qu’elle m’a offert d’autres livres au cours de ce beau week-end passé à arpenter les allées du salon. Quand j’y pense, elle est plus qu’adorable en fait, mais chut…
Bref, revenons à nos moutons, à Russel Banks et à ses nouvelles. Douze en tout, se déroulant pour la plupart entre le nord de l’état de New York et la Floride. On y croise des couples qui divorcent, une femme à qui le décès de son mari va ouvrir les portes d’une nouvelle vie, un chien écrasé accidentellement par son maître, un père à la retraite et sans ressources ne voulant pas dépendre de ses fils, un barman de casino qui prend les clients comme ils viennent, ne croyant rien de ce qu’ils racontent et les oubliant dès qu’ils s’en vont, un transplanté cardiaque qui va faire le plus beau des cadeaux à la femme de son « donneur », etc. Le titre du recueil, qui est aussi celui d’une nouvelle, est plein d’ironie tant, à lire Banks, on constate que la famille n’a aujourd’hui plus rien de permanent.
Les portraits transpirent la désillusion et la solitude, ils racontent la trajectoire de laissés-pour-compte trahis ou oubliés par les leurs. Vieillesse, chômage, précarité, des hommes et des femmes dénués de tout espoir, devenus invisibles et qui ne s’attendaient pas à ce que les choses tournent de la sorte. Des hommes et des femmes qui ont passé trop d’années à remettre leurs désirs à plus tard. Chaque histoire aborde un moment particulier, proche du point de rupture, de cet instant où le drame se noue, sur un geste ou un mot de trop.
Je crois qu’il me fallait des nouvelles pour me réconcilier avec Banks. J’aime cette économie de moyens, la limpidité qu’implique la forme courte. On est sur l’os immédiatement, sans fioriture, sans chichi. Et j’aime la « philosophie » qui se dégage de ces textes, reposant sur le décalage entre la vie telle qu'elle est et la vie telle qu'on la voudrait. On en est tous là, non ? En tout cas merci Framboise, pour le cadeau, pour cet excellent moment de lecture passé avec un auteur que je pensais avoir définitivement rayé de ma liste. Et pour tout le reste qu’on ne va pas dévoiler ici…
Un membre permanent de la famille de Russell Banks. Actes sud, 2015. 240 pages. 22,00 euros.
Les avis de Athalie ; Cathulu ; Clara ; Hop ! Sous la couette ; Ingannmic ; Jostein ; Kathel ; Le bison ; Luocine ; Tant qu'il y aura des livres
Bref, revenons à nos moutons, à Russel Banks et à ses nouvelles. Douze en tout, se déroulant pour la plupart entre le nord de l’état de New York et la Floride. On y croise des couples qui divorcent, une femme à qui le décès de son mari va ouvrir les portes d’une nouvelle vie, un chien écrasé accidentellement par son maître, un père à la retraite et sans ressources ne voulant pas dépendre de ses fils, un barman de casino qui prend les clients comme ils viennent, ne croyant rien de ce qu’ils racontent et les oubliant dès qu’ils s’en vont, un transplanté cardiaque qui va faire le plus beau des cadeaux à la femme de son « donneur », etc. Le titre du recueil, qui est aussi celui d’une nouvelle, est plein d’ironie tant, à lire Banks, on constate que la famille n’a aujourd’hui plus rien de permanent.
Les portraits transpirent la désillusion et la solitude, ils racontent la trajectoire de laissés-pour-compte trahis ou oubliés par les leurs. Vieillesse, chômage, précarité, des hommes et des femmes dénués de tout espoir, devenus invisibles et qui ne s’attendaient pas à ce que les choses tournent de la sorte. Des hommes et des femmes qui ont passé trop d’années à remettre leurs désirs à plus tard. Chaque histoire aborde un moment particulier, proche du point de rupture, de cet instant où le drame se noue, sur un geste ou un mot de trop.
Je crois qu’il me fallait des nouvelles pour me réconcilier avec Banks. J’aime cette économie de moyens, la limpidité qu’implique la forme courte. On est sur l’os immédiatement, sans fioriture, sans chichi. Et j’aime la « philosophie » qui se dégage de ces textes, reposant sur le décalage entre la vie telle qu'elle est et la vie telle qu'on la voudrait. On en est tous là, non ? En tout cas merci Framboise, pour le cadeau, pour cet excellent moment de lecture passé avec un auteur que je pensais avoir définitivement rayé de ma liste. Et pour tout le reste qu’on ne va pas dévoiler ici…
Un membre permanent de la famille de Russell Banks. Actes sud, 2015. 240 pages. 22,00 euros.
Les avis de Athalie ; Cathulu ; Clara ; Hop ! Sous la couette ; Ingannmic ; Jostein ; Kathel ; Le bison ; Luocine ; Tant qu'il y aura des livres
mercredi 15 avril 2015
Deux frères - Fabio Moon et Gabriel Ba
Adaptation d’un roman de l’auteur brésilien Milton Hatoum, « Deux frères » se déroule essentiellement après la seconde guerre mondiale et raconte la destinée d’une famille libanaise installée à Manaus. Le récit se focalise sur les jumeaux Yaqub et Omar, deux frères se haïssant depuis leur enfance. Deux frères aux caractères diamétralement opposés, séparés par un antagonisme inconciliable.
Mon deuxième gros coup de cœur BD de l’année après « Le grand méchant renard ». Pourquoi j’ai adoré ? Parce que c’est riche, dense, ambitieux, foisonnant, incroyablement bien construit en terme de narration. C’est une saga familiale à la beauté tragique qui se déploie au fil des pages, pleine de rancœur et de non-dits. Beaucoup d’ellipses et de flash-back, des protagonistes à la psychologie très fouillée, une lecture pas toujours aisée, c’est un album qui se mérite et ça me convient tout à fait. La ville de Manaus est aussi un personnage à part entière. On suit son évolution, sa transformation urbaine, son passage vers la modernité. On ressent la proximité de l’Amazonie, la chaleur, l’humidité du climat, le soleil implacable et les pluies diluviennes. L’immersion est totale !
Niveau dessin, je suis fan de ce trait anguleux et de ce noir et blanc intense digne des grands maîtres argentins Eduardo Risso et José Munoz. Le découpage est parfait et le format XXL de l’album offre à chaque case une rare profondeur, c’est bluffant.
Amour, passion, violence, doutes, colères, espoirs, mépris, trahison… il y a un caractère universel dans l’histoire de ses deux frères et de leur famille. Fabio Moon et Gabriel Ba ont su se jouer de la complexité du texte d’origine, donnant au récit une dynamique et un rythme parfaits. Du grand art, le genre d’album exigeant et touffu qui procure un plaisir de lecture incomparable. Je me suis régalé, tout simplement.
Deux frères de Fabio Moon et Gabriel Ba, d’après le roman de Milton Hatoum. Urban Comics, 2015. 232 pages. 22,50 euros.
Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Mo'.
Mon deuxième gros coup de cœur BD de l’année après « Le grand méchant renard ». Pourquoi j’ai adoré ? Parce que c’est riche, dense, ambitieux, foisonnant, incroyablement bien construit en terme de narration. C’est une saga familiale à la beauté tragique qui se déploie au fil des pages, pleine de rancœur et de non-dits. Beaucoup d’ellipses et de flash-back, des protagonistes à la psychologie très fouillée, une lecture pas toujours aisée, c’est un album qui se mérite et ça me convient tout à fait. La ville de Manaus est aussi un personnage à part entière. On suit son évolution, sa transformation urbaine, son passage vers la modernité. On ressent la proximité de l’Amazonie, la chaleur, l’humidité du climat, le soleil implacable et les pluies diluviennes. L’immersion est totale !
Niveau dessin, je suis fan de ce trait anguleux et de ce noir et blanc intense digne des grands maîtres argentins Eduardo Risso et José Munoz. Le découpage est parfait et le format XXL de l’album offre à chaque case une rare profondeur, c’est bluffant.
Amour, passion, violence, doutes, colères, espoirs, mépris, trahison… il y a un caractère universel dans l’histoire de ses deux frères et de leur famille. Fabio Moon et Gabriel Ba ont su se jouer de la complexité du texte d’origine, donnant au récit une dynamique et un rythme parfaits. Du grand art, le genre d’album exigeant et touffu qui procure un plaisir de lecture incomparable. Je me suis régalé, tout simplement.
Deux frères de Fabio Moon et Gabriel Ba, d’après le roman de Milton Hatoum. Urban Comics, 2015. 232 pages. 22,50 euros.
Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Mo'.
Et aujourd'hui, la BD de la semaine est chez Noukette |
mardi 14 avril 2015
Le pull - Sandrine Kao
Parce qu’elle est d’une timidité maladive, Soline aime s’enfouir sous un ample pull pour passer inaperçue. Rougissant dès qu’on lui adresse la parole, incapable de regarder les gens dans les yeux, elle a du mal à s’insérer dans le nouveau collège de région parisienne où elle vient de faire sa rentrée suite au divorce de ses parents. Incitée par son amie Lucille à porter une tenue davantage dans l’ère du temps, Soline opte pour des vêtements plus près du corps et souligne son joli minois d’un léger maquillage. Rien de révolutionnaire ni d’ostentatoire à première vue, mais cette transformation suffit à changer les regards et les attitudes de certains...
J’avoue, je n’avais rien vu venir. Je pensais découvrir une histoire classique d’ado mal dans sa peau, mais c’est bien plus fin. Sandrine Kao propose une réflexion délicate et originale sur le harcèlement, un harcèlement aussi insidieux que pernicieux, poussant la victime à se demander si ce n’est pas elle qui imagine des choses, voire si ce n’est pas elle qui les encourage. Elle montre la façon dont l’angoisse monte peu à peu, les ravages que provoque une attitude déplacée que l’on subit en silence. Coline va de plus en plus en mal mais avant de toucher le fond elle a ce sursaut qui va lui permettre de redresser la tête et d’affronter son bourreau : « C’était une question de courage, de volonté : je devais me montrer capable de m’affirmer ».
Un sujet grave abordé de façon positive, sans rien nier du mal être engendré mais en insistant sur le fait qu’il est toujours possible de s’en sortir. L’écriture pleine de sensibilité et de justesse fera longtemps résonner la voix de Soline dans l’esprit des jeunes lecteurs. Une vraie réussite.
Le pull de Sandrine Kao. Syros, 2015. 96 pages. 6,30 euros. A partir de 10 ans.
Et une nouvelle lecture jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.
L'avis de Faelys et celui de Hérisson
J’avoue, je n’avais rien vu venir. Je pensais découvrir une histoire classique d’ado mal dans sa peau, mais c’est bien plus fin. Sandrine Kao propose une réflexion délicate et originale sur le harcèlement, un harcèlement aussi insidieux que pernicieux, poussant la victime à se demander si ce n’est pas elle qui imagine des choses, voire si ce n’est pas elle qui les encourage. Elle montre la façon dont l’angoisse monte peu à peu, les ravages que provoque une attitude déplacée que l’on subit en silence. Coline va de plus en plus en mal mais avant de toucher le fond elle a ce sursaut qui va lui permettre de redresser la tête et d’affronter son bourreau : « C’était une question de courage, de volonté : je devais me montrer capable de m’affirmer ».
Un sujet grave abordé de façon positive, sans rien nier du mal être engendré mais en insistant sur le fait qu’il est toujours possible de s’en sortir. L’écriture pleine de sensibilité et de justesse fera longtemps résonner la voix de Soline dans l’esprit des jeunes lecteurs. Une vraie réussite.
Le pull de Sandrine Kao. Syros, 2015. 96 pages. 6,30 euros. A partir de 10 ans.
Et une nouvelle lecture jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.
L'avis de Faelys et celui de Hérisson
lundi 13 avril 2015
Les larmes de l’assassin - Thierry Murat et Anne-Laure Bondoux
Je me rappelle de la dédicace d’Anne-Laure Bondoux à Montreuil en décembre dernier. De Stephie, attendant son tour et s’étonnant d’apprendre que je n’avais jamais lu cette auteure jeunesse incontournable. Limite choquée, la Stephie ! Du coup, je suis reparti du salon avec son dernier roman, « Tant que nous sommes vivants ». Mais j’ai eu le malheur de le prêter quelques jours plus tard, avant même d’avoir eu le temps de l’ouvrir, et je ne l’ai pas revu depuis. Alors quand cette BD, adaptation de l’un de ses autres textes, m’a fait de l’œil avant-hier à la médiathèque, je n’ai pas hésité.
« Ici, personne n’arrivait par hasard. Car ici, c’était le bout du monde, le sud extrême du Chili où la côte fait de la dentelle dans les eaux du Pacifique. Sur cette terre malmenée par le vent, même les pierres semblaient souffrir ». Le narrateur a vu un jour débarquer dans la bicoque des ses parents, isolée à des kilomètres de toute autre habitation, un fugitif. Un truand, un escroc, un assassin. Un homme qui allait changer sa vie à jamais…
Soyons clair et net, j’ai adoré. Il y a tout pour me plaire dans cet album. Un environnement rugueux, une terre désolée, des gens de peu de mots, une tragédie en marche. C’est une histoire de rédemption et d’amour, une histoire de naissance commune, une histoire de solitudes, de silences qui en disent bien plus que de longs discours. Quasiment pas de dialogues, des récitatifs superbement littéraires, le vent, la pluie, l’humidité et le froid comme décor. Fascinant.
La sobriété graphique de Thierry Murat touche à la perfection avec des registres monochromes incroyablement expressifs et des cases s’étirant en longueur pour souligner l’immensité des paysages de la Terre de Feu. Tout en pudeur et en émotion contenue, cette adaptation libre mais respectueuse du roman d’origine est une réussite totale. Un album d'une rare qualité. Me voila prêt à plonger dans la bibliographie d’Anne-Laure Bondoux, Du moins dès que j'aurais récupéré l'exemplaire que j'ai eu le malheur de prêter.
Les larmes de l’assassin de Thierry Murat (adapté du roman d’Anne-Laure Bondoux). Futuropolis, 2011. 125 pages. 18,30 euros.
Les avis de Bouma, Canel (Mr), Enna, Mango, Mo, Noukette, Sara, Yvan,
« Ici, personne n’arrivait par hasard. Car ici, c’était le bout du monde, le sud extrême du Chili où la côte fait de la dentelle dans les eaux du Pacifique. Sur cette terre malmenée par le vent, même les pierres semblaient souffrir ». Le narrateur a vu un jour débarquer dans la bicoque des ses parents, isolée à des kilomètres de toute autre habitation, un fugitif. Un truand, un escroc, un assassin. Un homme qui allait changer sa vie à jamais…
Soyons clair et net, j’ai adoré. Il y a tout pour me plaire dans cet album. Un environnement rugueux, une terre désolée, des gens de peu de mots, une tragédie en marche. C’est une histoire de rédemption et d’amour, une histoire de naissance commune, une histoire de solitudes, de silences qui en disent bien plus que de longs discours. Quasiment pas de dialogues, des récitatifs superbement littéraires, le vent, la pluie, l’humidité et le froid comme décor. Fascinant.
La sobriété graphique de Thierry Murat touche à la perfection avec des registres monochromes incroyablement expressifs et des cases s’étirant en longueur pour souligner l’immensité des paysages de la Terre de Feu. Tout en pudeur et en émotion contenue, cette adaptation libre mais respectueuse du roman d’origine est une réussite totale. Un album d'une rare qualité. Me voila prêt à plonger dans la bibliographie d’Anne-Laure Bondoux, Du moins dès que j'aurais récupéré l'exemplaire que j'ai eu le malheur de prêter.
Les larmes de l’assassin de Thierry Murat (adapté du roman d’Anne-Laure Bondoux). Futuropolis, 2011. 125 pages. 18,30 euros.
Les avis de Bouma, Canel (Mr), Enna, Mango, Mo, Noukette, Sara, Yvan,
samedi 11 avril 2015
Héloïse, ouille ! - Jean Teulé
L’histoire d’Héloïse et Abélard est connue, archi-connue même. Abélard, le plus célèbre philosophe et théologien de son époque (1079-1142) devenu le professeur particulier puis l’amant d’Héloïse, nièce du chanoine Fulbert, de vingt ans sa cadette. Un coup de foudre qui engendra une folle passion, tant physique qu’intellectuelle. Découvrant le pot aux roses, Fulbert se vengea en envoyant ses sbires castrer le sulfureux précepteur. Puni par là où il avait fauté, ce dernier consacra le reste de ses jours à une existence pieuse, tandis que sa belle rentra au couvent.
Je ne m'étends pas sur les détails, je préfère laisser Mr Teulé s'en charger. Et le bougre sait y faire. Du Teulé dans le texte, paillard, grivois, plein d’exubérance, jamais avare « d’anachronismes lexicaux ». Un style débraillé qui peut choquer, tant le mythe ici revisité est à des années-lumière de notre conception de l’amour courtois. Les cent première pages enchaînent les parties de jambes en l’air sans temps mort : Abélard « polissonne la bagasse » et « bélute la donzelle » qui le lui rend bien, vouant entre autres une admiration sans borne à ses « génitoires ». Bref, on « heurtebille » à tour de bras et sans complexe, n’en déplaise aux culs serrés.
J’aime cette liberté de ton, ces obscénités assumées, cette vulgarité jamais choquante. Parce que derrière l’exubérance et la langue frétillante (sans mauvais jeu de mots), on sent l’érudition et l’énorme travail de documentation.
Teulé se lâche, s’amuse, prend son pied et nous avec. Il offre à Héloïse et Abélard un sérieux coup de jeune et à nous, lecteurs, un vrai moment de plaisir. Qu'on se le dise.
Héloïse, ouille ! de Jean Teulé. Julliard, 2015. 336 pages. 20,00 euros.
Je ne m'étends pas sur les détails, je préfère laisser Mr Teulé s'en charger. Et le bougre sait y faire. Du Teulé dans le texte, paillard, grivois, plein d’exubérance, jamais avare « d’anachronismes lexicaux ». Un style débraillé qui peut choquer, tant le mythe ici revisité est à des années-lumière de notre conception de l’amour courtois. Les cent première pages enchaînent les parties de jambes en l’air sans temps mort : Abélard « polissonne la bagasse » et « bélute la donzelle » qui le lui rend bien, vouant entre autres une admiration sans borne à ses « génitoires ». Bref, on « heurtebille » à tour de bras et sans complexe, n’en déplaise aux culs serrés.
J’aime cette liberté de ton, ces obscénités assumées, cette vulgarité jamais choquante. Parce que derrière l’exubérance et la langue frétillante (sans mauvais jeu de mots), on sent l’érudition et l’énorme travail de documentation.
Teulé se lâche, s’amuse, prend son pied et nous avec. Il offre à Héloïse et Abélard un sérieux coup de jeune et à nous, lecteurs, un vrai moment de plaisir. Qu'on se le dise.
Héloïse, ouille ! de Jean Teulé. Julliard, 2015. 336 pages. 20,00 euros.
vendredi 10 avril 2015
Plus de morts que de vivants - Guillaume Guéraud
Dernier jour de cours avant les vacances d’hiver dans un collège de Marseille. « Aucune menace dans l’air. Juste le froid coupant de février. Qui glaçait les mains. Qui gelait les oreilles jusqu’à les rendre cassantes. Et qui tailladait les poumons à chaque inspiration. » Aucune menace et pourtant à 8h25 un élève de sixième s’est mis à saigner du nez sans raison. Puis une cinquième a perdu ses cheveux par poignées et « la grosse Anouk » s’est écroulée dans la cour, les tripes à l’air. Le début du chaos, une épidémie qui se répand plus vite que la peste, un établissement en quarantaine et la mort qui frappe. A tour de bras. Sans distinction…
Guéraud… ce gars est frapadingue mais c’est pour ça que je l’aime ! Pour avoir lu quelques avis ici ou là avant de me lancer, je suis rentré dans ce roman à reculons. J’ai tourné les premières pages avec pour leitmotiv un « jusque là tout va bien » de façade, car je savais que ça allait déraper à un moment ou l’autre. Il ne m’a pas fallu attendre longtemps. Après, l’engrenage se met en route, on ne voudrait y glisser qu’un ongle mais on y passe la main, le bras et tout le reste. On en ressort en lambeaux et ce n’est pas joli à voir, croyez-moi ! Guéraud donne dans le gore. Il mène sa barque tout en tension avec son écriture au scalpel, jouant avec nos nerfs comme le sadique fait crisser la craie sur le tableau noir. Surtout, on sent qu’il s’amuse, qu’il prend son pied (et, je ne devrais pas le dire, mais nous avec !).
En fait, lire ce roman, c’est plonger dans un paradoxe permanent, dans un grand huit où alternent fascination et répulsion. Je ne vais pas vous décrire ce qu’il arrive concrètement à ces pauvres personnages frappés par le virus mais franchement, il y a de quoi rendre son quatre heures. Répulsion donc, mais en même temps fascination liée au rythme du récit, au huis clos irrespirable, à l’avancée de cette folle journée, à l’espoir (totalement illusoire quand on connaît un peu l’univers de Guéraud) que les choses vont finir par s’arranger. C’est vraiment une drôle d’expérience de lecture qui dérange, bouscule, interpelle. Au-delà du simple déballage sanguinolent et des descriptions à l’efficacité très cinématographiques, il faut voir dans cette sombre histoire une allégorie de la violence gratuite et aveugle qui peut frapper partout, à n’importe quel moment, et sous n’importe quelle forme. Une violence aussi insidieuse que cette épidémie face à laquelle il est impossible de se prémunir.
Un roman haletant, impossible à lâcher. Mais un roman flippant, totalement flippant même. Vous êtes prévenus.
Plus de morts que de vivants de Guillaume Guéraud. Rouergue, 2015. 252 pages. 13,70 euros. A partir de 15 ans.
Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.
Les avis de Clara et Moka.
Guéraud… ce gars est frapadingue mais c’est pour ça que je l’aime ! Pour avoir lu quelques avis ici ou là avant de me lancer, je suis rentré dans ce roman à reculons. J’ai tourné les premières pages avec pour leitmotiv un « jusque là tout va bien » de façade, car je savais que ça allait déraper à un moment ou l’autre. Il ne m’a pas fallu attendre longtemps. Après, l’engrenage se met en route, on ne voudrait y glisser qu’un ongle mais on y passe la main, le bras et tout le reste. On en ressort en lambeaux et ce n’est pas joli à voir, croyez-moi ! Guéraud donne dans le gore. Il mène sa barque tout en tension avec son écriture au scalpel, jouant avec nos nerfs comme le sadique fait crisser la craie sur le tableau noir. Surtout, on sent qu’il s’amuse, qu’il prend son pied (et, je ne devrais pas le dire, mais nous avec !).
En fait, lire ce roman, c’est plonger dans un paradoxe permanent, dans un grand huit où alternent fascination et répulsion. Je ne vais pas vous décrire ce qu’il arrive concrètement à ces pauvres personnages frappés par le virus mais franchement, il y a de quoi rendre son quatre heures. Répulsion donc, mais en même temps fascination liée au rythme du récit, au huis clos irrespirable, à l’avancée de cette folle journée, à l’espoir (totalement illusoire quand on connaît un peu l’univers de Guéraud) que les choses vont finir par s’arranger. C’est vraiment une drôle d’expérience de lecture qui dérange, bouscule, interpelle. Au-delà du simple déballage sanguinolent et des descriptions à l’efficacité très cinématographiques, il faut voir dans cette sombre histoire une allégorie de la violence gratuite et aveugle qui peut frapper partout, à n’importe quel moment, et sous n’importe quelle forme. Une violence aussi insidieuse que cette épidémie face à laquelle il est impossible de se prémunir.
Un roman haletant, impossible à lâcher. Mais un roman flippant, totalement flippant même. Vous êtes prévenus.
Plus de morts que de vivants de Guillaume Guéraud. Rouergue, 2015. 252 pages. 13,70 euros. A partir de 15 ans.
Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.
Les avis de Clara et Moka.
mercredi 8 avril 2015
Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie - Arnaud Floc’h
20 août 1955. Emmett Till, 14 ans, descend du train en gare de Money, dans le fin fond du Mississippi. Ce gamin noir de Chicago vient passer ses vacances chez son oncle. Faisant fi des mises en garde, Emmett le fanfaron décide d’entrer dans une épicerie interdite aux nègres. On ne saura jamais ce qu’il s’est réellement passé à l’intérieur mais la femme blanche derrière la caisse accusera Emmett de lui avoir « manqué de respect ». Un affront suffisamment grave pour que son mari et le demi-frère de ce dernier décident de faire payer à l’impudent son comportement inadmissible. Le 31 août, le corps d’Emmett est sorti de la rivière, atrocement mutilé. Arrêtés, les deux hommes reconnaissent l’enlèvement du garçon mais nient le meurtre. Au bout de trois jours de procès et 67 minutes de délibération, les jurés, tous blancs, prononcent leur acquittement malgré de nombreux témoignages à charge. Ils ressortent de la salle d’audience sous les vivas de la foule, posant pour les photographes aux bras de leurs épouses, cigares et larges sourires aux lèvres.
Un album plein de rage et d’indignation. Les faits se suffisent à eux-mêmes, il n’est pas nécessaire d’en rajouter, Arnaud Floc’h l’a bien compris. La sobriété renforce l’aspect tragique de cette innommable barbarie. Le scénario est habilement construit, multipliant les allers-retours entre 1955 et 2015. On sent la chaleur du mois d’août dans le sud profond, l’humidité poisseuse du bayou, mais aussi la résignation d’une population afro-américaine sous le joug d’une ségrégation séculaire semblant impossible à remettre en cause. On sent la cruauté des bourreaux, la peur panique d’Emmett, sa souffrance, son martyre. Un enfant d’à peine 14 ans… L’émotion monte au fil des pages, la gorge se serre et la colère ne cesse de gronder. On referme l’ouvrage groggy, secoué par tant d’horreur et d’injustice. Le dossier pédagogique final, avec remise dans le contexte historique, témoignages et photos d’époque, apporte un éclairage encore plus édifiant à ce fait divers abject.
Une BD d’utilité publique, surtout par les temps qui courent, pour rappeler à ceux qui en douteraient encore que l’inhumanité et la bêtise n’ont aucune limite. La mort d’Emmett aurait inspiré Rosa Parks lorsqu’elle refusa de céder sa place à un blanc dans un bus, en décembre de la même année. Le calvaire vécu par ce pauvre garçon et l’acquittement de ses assassins constituent pour certains historiens la pierre angulaire de la lutte pour les droits civiques des noirs aux États-Unis. Un élément déclencheur qui aura eu le mérite de dresser l'ensemble d'une communauté face à l'arbitraire, même si cette revanche posthume n’effacera jamais les supplices endurés.
Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie d’Arnaud Floc’h. Sarbacane, 2015. 80 pages. 19,50 euros.
Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka et Noukette.
Un album plein de rage et d’indignation. Les faits se suffisent à eux-mêmes, il n’est pas nécessaire d’en rajouter, Arnaud Floc’h l’a bien compris. La sobriété renforce l’aspect tragique de cette innommable barbarie. Le scénario est habilement construit, multipliant les allers-retours entre 1955 et 2015. On sent la chaleur du mois d’août dans le sud profond, l’humidité poisseuse du bayou, mais aussi la résignation d’une population afro-américaine sous le joug d’une ségrégation séculaire semblant impossible à remettre en cause. On sent la cruauté des bourreaux, la peur panique d’Emmett, sa souffrance, son martyre. Un enfant d’à peine 14 ans… L’émotion monte au fil des pages, la gorge se serre et la colère ne cesse de gronder. On referme l’ouvrage groggy, secoué par tant d’horreur et d’injustice. Le dossier pédagogique final, avec remise dans le contexte historique, témoignages et photos d’époque, apporte un éclairage encore plus édifiant à ce fait divers abject.
Une BD d’utilité publique, surtout par les temps qui courent, pour rappeler à ceux qui en douteraient encore que l’inhumanité et la bêtise n’ont aucune limite. La mort d’Emmett aurait inspiré Rosa Parks lorsqu’elle refusa de céder sa place à un blanc dans un bus, en décembre de la même année. Le calvaire vécu par ce pauvre garçon et l’acquittement de ses assassins constituent pour certains historiens la pierre angulaire de la lutte pour les droits civiques des noirs aux États-Unis. Un élément déclencheur qui aura eu le mérite de dresser l'ensemble d'une communauté face à l'arbitraire, même si cette revanche posthume n’effacera jamais les supplices endurés.
Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie d’Arnaud Floc’h. Sarbacane, 2015. 80 pages. 19,50 euros.
Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka et Noukette.
La BD de la semaine, c'est aujourd'hui chez Stephie |
mardi 7 avril 2015
Le premier mardi c'est permis (35) : Histoires à ne pas mettre entre toutes les mains - Julie Bray
Vingt-quatre nouvelles en cent vingt pages. Autant vous dire que la québécoise Julie Bray donne dans le fugace, l’instantané. Elle braque les projecteurs sur un moment précis, intense, sulfureux. Avec elle, pas de blabla, des résultats. Et les résultats, je les ai ressentis plus d’une fois, pas la peine de vous faire un dessin.
Le bureau, le métro, l’ascenseur, la cabine d’un bateau, un barbecue entre amis, Acapulco… les lieux varient, les situations aussi, mais au final il reste la quête du plaisir de femmes bien dans leur peau, sexuellement épanouies et sans tabous. Chaque historiette est présentée comme un témoignage envoyé sur le mail de l’auteur. Fiction ou réalité, peu importe, tout est fait pour exciter le lecteur et la mission est accomplie haut la main. Beaucoup de filles entre elles et de trios dans ce recueil. Beaucoup de voyeurisme et de masturbation féminine aussi. Autant de thématiques qui me parlent énormément (ben oui, que voulez-vous, chacun son truc).
J’ai aimé le coté direct et sans fioritures, même si certaines scènes semblent se répéter et que le vocabulaire manque parfois de variété. En tout cas, il n’y a rien de gratuitement vulgaire, rien ne tirant sur le porno sordide. Le sexe est ici joyeux, décomplexé et assumé, plein de désir, de frissons et de sensations.
Une belle surprise, un recueil dans lequel il faut picorer à petite dose et qui se révèle vraiment émoustillant, surtout si on le lit à deux. C’est ce que l’on a fait à la maison et croyez-moi, elles ont bien fait de passer entre nos mains ces histoires !
Histoires à ne pas mettre entre toutes les mains de Julie Bray. J’ai lu, 2014. 126 pages. 5,60 euros.
Le bureau, le métro, l’ascenseur, la cabine d’un bateau, un barbecue entre amis, Acapulco… les lieux varient, les situations aussi, mais au final il reste la quête du plaisir de femmes bien dans leur peau, sexuellement épanouies et sans tabous. Chaque historiette est présentée comme un témoignage envoyé sur le mail de l’auteur. Fiction ou réalité, peu importe, tout est fait pour exciter le lecteur et la mission est accomplie haut la main. Beaucoup de filles entre elles et de trios dans ce recueil. Beaucoup de voyeurisme et de masturbation féminine aussi. Autant de thématiques qui me parlent énormément (ben oui, que voulez-vous, chacun son truc).
J’ai aimé le coté direct et sans fioritures, même si certaines scènes semblent se répéter et que le vocabulaire manque parfois de variété. En tout cas, il n’y a rien de gratuitement vulgaire, rien ne tirant sur le porno sordide. Le sexe est ici joyeux, décomplexé et assumé, plein de désir, de frissons et de sensations.
Une belle surprise, un recueil dans lequel il faut picorer à petite dose et qui se révèle vraiment émoustillant, surtout si on le lit à deux. C’est ce que l’on a fait à la maison et croyez-moi, elles ont bien fait de passer entre nos mains ces histoires !
Histoires à ne pas mettre entre toutes les mains de Julie Bray. J’ai lu, 2014. 126 pages. 5,60 euros.
lundi 6 avril 2015
L'expérience - Christophe Bataille
C'est l'histoire d'un gamin de vingt ans qui a trébuché sur les Champs-Elysées, un 14 juillet 1960. Un soldat qui s'est écroulé sur les pavés en plein défilé avant d'être évacué vers l'hôpital. Un soldat accusé de rébellion, obligé de partir pour le Sahara.
25 Avril 1961, en plein désert. Le jeune soldat est en route avec quelques autres vers une tour de 50 mètres de haut. Au sommet de cette tour, une bombe atomique. L'opération « Gerboise bleue » est le quatrième essai nucléaire français en Algérie. L'armée veut « évaluer le niveau de radiation subi par les hommes afin de définir les distances de sécurité ». Elle a trouvé des cobayes. Des cobayes qui s'avancent avec une mince combinaison protectrice face au souffle de l'explosion à venir. Des cobayes en pleurs, terrorisés.
Des années plus tard, le gamin se souvient et brise l'omerta. Pour la Grande Muette, cette « expérience » n'a jamais eu lieu, il n'y a jamais participé. Son dossier médical est vide alors que son état de santé ne cesse de se détériorer. Il sait qu'il ne lui reste plus longtemps à vivre et avant de partir, il couche sur le papier les heures si particulières de cette terrible journée d'avril.
Un joli texte mais un texte dénué de colère, qui n'est pas suffisamment incarné par rapport au sujet qu'il aborde. Beaucoup de résignation chez cet homme, l'absence de rancœur et la froideur clinique avec laquelle il relate les événements m'ont laissé à distance. Il manque ce petit supplément d'âme, cette touche d'émotion qui m'aurait emporté. Dommage.
L'expérience de Christophe Bataille. Grasset, 2015. 86 pages. 12,00 euros.
Les avis de Canel et Clara
samedi 4 avril 2015
Calavera - Charles Burns
Alors voila. Partout cette BD a été qualifiée de chef d’œuvre, dans les médias et sur les blogs. Et je me rappelle avoir été très séduit par l’univers totalement inclassable de Charles Burns avec Black Hole, donc je me suis lancé en toute confiance. Sauf que...
Sauf que je ne savais pas que ce « Calavera » était en fait le dernier volume d’une trilogie (il n’y a d’ailleurs aucune indication en ce sens sur l’album). J’ai donc emprunté le 1er à la médiathèque mais il n’y avait pas le suivant donc j’ai dû passer du 1 au 3 et clairement il me manque une pièce du puzzle. Déjà, je suis bien incapable de résumer l’histoire, ce qui n’est pas bon signe. Pour ce que j’en ai compris, on suit Doug, un jeune homme souffrant d’insomnies qui le plongent dans un état hallucinatoire et lui ouvrent les portes d’un monde surréaliste où il croise d’étranges créatures. Doug vit avec la douce et bienveillante Sally mais il reste hanté par les souvenirs de son ex-petite amie Sarah. Doug va mal, très mal même. Doug semble totalement perdu et j’avoue sans honte que je me suis perdu avec lui.
J’ai quand même retrouvé quelques éléments appréciés dans Black Hole, notamment la peinture d’une jeunesse américaine dépressive et mélancolique. J’ai retrouvé aussi des thématiques récurrentes chez Burns comme la difficulté du passage à l’âge adulte, le sexe, l’alcool et la drogue. Pour le reste, je n’ai pu donner aucun sens aux déambulations hallucinées du double onirique de Doug (alors que ce sens existe et qu’il doit même être symboliquement très profond – sans doute trop profond pour moi malheureusement !).
Graphiquement, l’hommage assumé à la ligne claire franco-belge et au Tintin d’Hergé dans les passages se déroulant dans l’imaginaire torturé de Doug est fort réussi. Le découpage privilégie la lisibilité et les aplats de couleurs offrent à l’ensemble sobriété et élégance, rien à dire à ce niveau-là.
Alors voila. Il faut parfois savoir reconnaître ses limites intellectuelles et rendre les armes face à l’hermétisme d’un « chef d’œuvre » auquel il nous est impossible de rendre les honneurs qu’il mérite. J’essaierai de faire mieux la prochaine fois…
Calavera de Charles Burns. Cornélius, 2014. 64 pages. 21,50 euros.
Sauf que je ne savais pas que ce « Calavera » était en fait le dernier volume d’une trilogie (il n’y a d’ailleurs aucune indication en ce sens sur l’album). J’ai donc emprunté le 1er à la médiathèque mais il n’y avait pas le suivant donc j’ai dû passer du 1 au 3 et clairement il me manque une pièce du puzzle. Déjà, je suis bien incapable de résumer l’histoire, ce qui n’est pas bon signe. Pour ce que j’en ai compris, on suit Doug, un jeune homme souffrant d’insomnies qui le plongent dans un état hallucinatoire et lui ouvrent les portes d’un monde surréaliste où il croise d’étranges créatures. Doug vit avec la douce et bienveillante Sally mais il reste hanté par les souvenirs de son ex-petite amie Sarah. Doug va mal, très mal même. Doug semble totalement perdu et j’avoue sans honte que je me suis perdu avec lui.
J’ai quand même retrouvé quelques éléments appréciés dans Black Hole, notamment la peinture d’une jeunesse américaine dépressive et mélancolique. J’ai retrouvé aussi des thématiques récurrentes chez Burns comme la difficulté du passage à l’âge adulte, le sexe, l’alcool et la drogue. Pour le reste, je n’ai pu donner aucun sens aux déambulations hallucinées du double onirique de Doug (alors que ce sens existe et qu’il doit même être symboliquement très profond – sans doute trop profond pour moi malheureusement !).
Graphiquement, l’hommage assumé à la ligne claire franco-belge et au Tintin d’Hergé dans les passages se déroulant dans l’imaginaire torturé de Doug est fort réussi. Le découpage privilégie la lisibilité et les aplats de couleurs offrent à l’ensemble sobriété et élégance, rien à dire à ce niveau-là.
Alors voila. Il faut parfois savoir reconnaître ses limites intellectuelles et rendre les armes face à l’hermétisme d’un « chef d’œuvre » auquel il nous est impossible de rendre les honneurs qu’il mérite. J’essaierai de faire mieux la prochaine fois…
Calavera de Charles Burns. Cornélius, 2014. 64 pages. 21,50 euros.
Un album lu dans le cadre de l'opération "La BD fait son festival" de Priceminister". Pas franchement une bonne pioche... |
jeudi 2 avril 2015
Ces dix blogs qui comptent (un peu) plus que les autres...
Sandrion m’a décerné le « Very Inspiring Blogger Award », et je la remercie chaleureusement d'avoir pensé à moi.
Le principe est simple et repose sur deux consignes :
- Le nominé devra afficher le logo sur son blog et mettre un lien vers le blog qui l’a désigné (no problem)
- Le nominé devra désigner dix blogueuses qu’il admire, en listant leur blog et en les informant de leur nomination.
Le principe est simple et repose sur deux consignes :
- Le nominé devra afficher le logo sur son blog et mettre un lien vers le blog qui l’a désigné (no problem)
- Le nominé devra désigner dix blogueuses qu’il admire, en listant leur blog et en les informant de leur nomination.
Me demander de choisir 10 blogueuses
relève de la torture. Seulement 10 alors que je pourrais facilement faire une liste de 30 ou 40. On va donc dire que ces dix-là ont été
choisies parce qu'elles sont de grandes anciennes (j'espère qu'elle
me pardonneront) et qu'elles occupent une place un peu à part. Pour
des raisons fort différentes d'ailleurs : parce que leurs
blogs ont une identité très forte, parce qu'elles représentent
la diversité qui me fait tant aimer la blogo, parce que j'ai partagé avec elles des lectures marquantes et parce que certaines
d'entre elles sont devenues à mes yeux bien plus que des blogueuses.
Noukette : Tout le monde sait maintenant qu'elle est ma complice attitrée et préférée. Parce que ça a été comme une évidence, que l'on partage bien des points communs, que l'on s'entend à merveille. Le reste ne se dit pas avec des mots de tous les jours. Le reste ne regarde que nous.
Moka : Je l'adore, ni plus ni moins. Si vous passiez une journée entière avec elle comme cela m'est arrivé récemment, vous comprendriez pourquoi. Et puis lisez-là, elle écrit divinement bien.
Philisine : J'aime sa sensibilité, sa douceur et sa retenue. On échange ensemble depuis des lustres et mon ressenti n'a jamais varié d'un iota. Et après avoir avoir passé une heure avec elle au salon du livre, je vous confirme qu'elle est exactement comme je viens de vous la décrire.
Valérie : Pour nos racines isariennes, parce que nous sommes allés dans le même lycée (pas en même temps malheureusement, on aurait pu être dans la même classe !). Pour son coté cash et direct. Et parce que l'avoir vue au salon du livre m'a conforté dans l'idée très, très positive que je me faisais d'elle.
Mo' : Il y a tellement longtemps maintenant que l'on se fréquente, et avec tellement de plaisir ! Tant de lotos BD, de lectures communes, de cadeaux, d'échanges in et off. Reste plus qu'à nous voir en « vrai ». Et pour moi, reste plus aussi qu'à lire « Maus » !
Cristina : Parce qu'elle est pleine de peps et qu'elle me fait rire. Et puis il y a notre petit secret, cette affaire que l'on a rondement menée ensemble l'an dernier, même si tu as préféré rester dans l'ombre. Tu vois de quoi je veux parler j'espère ?
Stephie : On partage un amour certain pour les coquineries. Et pour elle (du moins pour son rendez-vous inavouable du 1er mardi) j'ai enfilé pour la seule, unique et dernière fois de ma vie les habits d'écrivaillon.
Galéa : On se connait depuis moins longtemps mais j'aime sa lose attitude et le ton de ses billets. Et puis cette non-lectrice de BD a accepté les yeux fermés de plonger dans un album qui me tenait particulièrement à cœur. Une marque de confiance qui m'a bien plus touché que je n'ai osé lui dire.
Hélène : j'ai eu la chance de la rencontrer enfin cette année au salon du livre. Je n'oublie pas qu'elle est parvenue un jour à me convaincre de lire un polar, ce qui m'a permis de découvrir Hiaasen. En plus elle est fan de Joe R. Lansdale, donc c'est forcément quelqu'un de bien.
Athalie : J'adore ses billets, sa verve et son humour. Grâce à elle j'ai découvert Velibor Colic. Et en m'offrant « Rebecca », elle m'a permis d'entrer dans l'univers de Daphné du Maurier. Je ne la remercierais jamais assez pour cela.
Je m'arrête à 10 mais franchement, j'aurais pu en citer le triple. D'ailleurs, si j'étais allé jusqu'à 12, j'aurais rajouté en priorité A Girl From Earth qui me fait toujours beaucoup rire (et pas seulement à cause de notre private joke permanente à propos de son bouclier antipal) et Laurie Lit que je trouve pétillante et qui est la joie de vivre incarnée.
J'espère que celles (et ceux, quand même !) qui n'apparaissent pas dans la liste ne m'en tiendront pas rigueur. "Choisir c'est renoncer" à écrit André Gide. Pour le coup, pas question pour moi de renoncer à venir vous lire tout les jours, c'est un plaisir dont je ne pourrais pas me passer.