vendredi 31 octobre 2014

La malédiction du bandit moustachu - Irina Teodorescu

Ça commence comme un conte. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, quelque part en Roumanie, et une malédiction est lancée à l’encontre de Gheorghe Marinescu par un bandit moustachu détrousseur de bourgeois : la mort frappera tous les descendants mâles de sa famille, et ce jusqu’à l’an 2000. A partir de là nous suivons, de génération en génération, le destin tragique des fils Marinescu qui ne pourront échapper à la fatalité. Et l’on découvre que les Marinescu n’ont rien de bons samaritains, tant les hommes que les femmes d’ailleurs. Ce ne sont pas « Maria la cochonne », « Maria la laide », « Ana la sorcière » ou « Margot la vipère » qui me contrediront.

Bof, bof, bof, ai-je envie dire. Ce premier roman d’une jeune auteure roumaine de 35 ans (écrit en français, je précise que ce n’est pas une traduction) a un coté loufoque qui pourrait être plaisant. L’écriture est dynamique, le changement de niveaux de langue donne beaucoup de vivacité, comme les chapitres très courts. Mais pour le reste... Les choses vont trop vite. On passe d’une époque à l’autre, d’un « Marinescu » à l’autre sans véritable liant. Et puis je me rends compte que j’ai beaucoup de mal dès qu’il y a plus de cinq personnages dans un roman. Je suis finalement un lecteur assez limité (bon ça, il y a longtemps que je le sais). Mais là, franchement, pour suivre le rythme et m’y retrouver, il m’aurait fallu un arbre généalogique détaillé. L’autre aspect qui m’a dérangé, c’est la méchanceté et le cynisme permanent dont font preuve les membres de cette famille. Je freine toujours des quatre fers devant le cynisme et la méchanceté. Il paraît que ça peut être drôle mais ça ne me fait jamais sourire. Du coup, les Marinescu et leur histoire, je n’en ai rien eu à faire, et ce dès le début. J’ai même été bien content de les quitter en tournant la dernière page, c’est dire.

Alors oui, c’est un premier roman enlevé et original qui sort des sentiers battus et de l’autofiction généralisée (ce qui est quand même un sacré bon point !), mais non, il ne m’a pas séduit une seconde et en ce qui me concerne,  je vais le classer sans regret dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».


La malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu. Gaïa, 2014. 155 pages. 17,00 euros.





jeudi 30 octobre 2014

Un pommier dans le ventre - Simon Boulerice et Gérard Dubois

Quand Raphael mange une pomme, il la mange en entier, sauf la queue. Lorsqu’on son copain Rémi l’apprend, il est affolé : « Tu ne sais pas que si tu avales un seul pépin, un pommier peut pousser dans ton ventre ?! ». Raphael ne veut d’abord pas le croire mais il finit par se plier aux arguments de son ami. Horrifié, il retourne en classe avec des crampes à l’estomac. Plus tard, devant le miroir, il lui semble voir son ventre tout bosselé. Et quand il cogne sa poitrine, il a l’impression de frapper une porte en bois. A la maison, sa mère lui coupe les cheveux. Les yeux fermés, il sent « que le plancher de la cuisine se couvre de petites branches et de feuilles mortes »…

Un très joli album sur les peurs enfantines, sur la capacité des bambins à laisser leur imaginaire extrapoler une situation du quotidien jusqu’à la rendre particulièrement anxiogène. Les proportions prises par la certitude pour Raphael qu’un pommier pousse dans son ventre deviennent vite incontrôlables. Heureusement, en partageant son angoisse avec sa mère, il parviendra à la raisonner. La conclusion est très joliment trouvée, laissant au final l’insouciance de l’enfance emporter la partie.

Graphiquement, c’est totalement vintage, à tel point que j’ai cru au départ avoir entre les mains la réédition d’un album des années 50. Les illustrations sont superbes, elles ont le charme suranné des vignettes d’antan. Un très bel objet-livre, une histoire à la fois tendre et sensible qui permettra peut-être à certains petits lecteurs d’exorciser leurs propres peurs. Que demander de plus ?

Un pommier dans le ventre de Simon Boulerice et Gérard Dubois. Grasset Jeunesse, 2014. 48 pages. 13,50 euros. A partir de 5 ans.


Les avis de Martine et Sophie Van der Linden







mercredi 29 octobre 2014

Les vieux fourneaux T2 : Bonny and Pierrot - Lupano et Cauuet

Quel plaisir de retrouver ces chers vieux fourneaux ! Pierrot, l’activiste du groupe, se retrouve à la tête d’une coquette somme d’argent, offerte « pour la cause ». Mais c’est moins l’impressionnant paquet de fric que le nom de la généreuse donatrice qui le bouleverse. Ce cadeau tombé du ciel est le point de départ d’un enchaînement de situations cocasses où l’on découvre une fois de plus que le 4ème âge n’a besoin d'aucune leçon pour faire chier le système.

Invasion de bars branchouilles par des commandos d’ancêtres au son de la java bleu, attentats gériatriques malodorants dans les soirées sélects de l’UMP, hacking du blog de Nadine Morano par une mamy férue de nouvelles technologies, communauté libertaire autogérée plutôt que maison de retraite, Lupano se lâche et le lecteur se marre ! Après le passé d'Antoine, l’accent est cette fois mis sur celui de Pierrot et de Mimile, avec toujours en toile de fond une vieille histoire d’amour qui gratte et sur laquelle il est difficile de tirer un trait. Et comme dans le tome précédent, de nombreux flashbacks apportent les éclaircissements nécessaires à la compréhension de l’ensemble.

Le premier volume restera sans doute mon grand coup de cœur BD de l’année. Si ce second est lui aussi très réussi, je l’ai quand même trouvé un cran en dessous (il faut dire que la barre était haute !). Peut-être l’effet de surprise en moins. Peut-être le propos beaucoup plus politique. Peut-être le fait d’insister davantage sur le comique de situation et de répétition (l’histoire des baguettes de pain) au détriment des dialogues, un poil moins savoureux. Franchement, je chipote, mais qui aime bien châtie bien.

Et puis peu importe après tout.  J'ai beaucoup rigolé au cours de ma lecture et ce n’est pas le genre de chose qui m’arrive tous les jours. Je salue donc à nouveau la prise de risque des auteurs, leur inventivité et leur engagement. Trois qualités qui se font de plus en plus rares, même (et surtout…)  dans le monde de la BD.

Les vieux fourneaux T2 : Bonny and Pierrot de Lupano et Cauuet. Dargaud, 2014. 56 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' et Noukette, deux vieilles de la vieille que l'on ne présente plus !







mardi 28 octobre 2014

1, 2, 3... foulard - Eric Sanvoisin

« J’étais moche. La vie était moche. Tout était moche. »

Charlotte est mal dans sa peau. Après avoir fui trois familles d’accueil différentes, elle semble s’être enfin stabilisée. Mais à la veille de l’entrée au collège, son angoisse est à son paroxysme. Pas facile, à douze ans, lorsque l’on a un passé aussi « chargé » que le sien, de se faire une place dans cette jungle. Heureusement, Coraline l’a vite prise sous son aile. Elle lui a fait rencontrer les membres du « clan des étoiles filantes », une société secrète présidée par le charmant Jordan. Dans ce club très fermé, on s’envoie en l’air grâce au jeu du foulard. Jordan lui promet un voyage dans le cosmos qu’elle ne pourra pas oublier. Et puis tout est sous contrôle. Tant que l’on ne pratique pas le jeu seul, il n’y a aucun risque. Seulement, parfois, il y a certains voyages dont on a du mal à revenir…

« Brrrrr », « outch », « terrible » ! Voila les mots que nous avons échangé, Noukette et moi, après avoir terminé ce texte. Difficile en même temps de ne pas être d’accord. Ce roman fait froid dans le dos. Son réalisme glaçant, son insondable tristesse, son désespoir… tout concorde à vous laisser ko debout. La narration à la première personne renforce le malaise. Charlotte rembobine le fil de son  histoire sans omettre aucun détail de sa souffrance. Sa mère biologique qui refait surface soudainement, son histoire compliquée avec Jordan et les nombreuses autres filles qui lui courent après, cette vie de préado pas vraiment comme les autres, ce monde dans lequel elle ne trouve pas sa place. On sent malgré tout la pudeur, la volonté de ne pas en rajouter. Les faits se suffisent à eux-mêmes, engrenage implacable l’entraînant vers le fond.

Après, j’avoue, je m’interroge. Est-ce que ce roman a des vertus pédagogiques ? Sensibilisera-t-il aux dangers du jeu du foulard ? J’en doute. L’histoire de Charlotte est trop particulière, trop complexe, trop « extrême » pour endosser ce rôle. Ou alors il faut la considérer comme les clips chocs de la prévention routière, pour marquer les esprits. Mais à la limite peu importe. Je vois dans ce texte le portrait déchirant d’une gamine dont la voix vous fouille les tripes. Une gamine dont on partage la détresse et qui fait vibrer nos cordes sensibles. Une gamine que l’on quitte les larmes aux yeux, foi de gros dur tatoué !

1, 2, 3... foulard d’Eric Sanvoisin. Gründ, 2014. 150 pages. 8,95 euros. A partir de 13-14 ans.

C'est évidemment une nouvelle pépite que j'ai le plaisir de partager avec Noukette





lundi 27 octobre 2014

Melvile T1 : L'histoire de Samuel Beauclair - Romain Renard

Noukette en a tellement bien parlé la semaine dernière que j'ai craqué. Oui, je suis faible, ce n'est pas un scoop...

Samuel Beauclair souffre. Lui, l'écrivain fils d'écrivain, dont le premier roman a connu un certain succès, ne parvient plus à aligner trois mots sur une feuille blanche. Malgré les relances de son éditeur, malgré les menaces des huissiers, malgré le soutien de sa femme enceinte, rien n'y fait. Installé depuis quelques mois à Melvile, au cœur d'une nature sauvage, dans la maison de ce père qu'il aura finalement peu connu avant son décès, Samuel semble perdu. Répondant à une petite annonce, il s'improvise peintre en bâtiment pour gagner un peu d'argent et tombe peu à peu sous la charme de la sœur de son client...

Très beau portrait d'un homme torturé, en proie au doute et rongé par la culpabilité. Un homme qui va devoir affronter ses démons intérieurs et tuer le fantôme paternel pour tracer sa propre voie. Au départ, on se dit que tout cela est cousu de fil blanc, prévisible au possible. Mais on se laisse prendre au jeu, Romain Renard nous embarque sur des chemins de traverse inattendus, il joue sans cesse entre contemplation et introspection et nous mène par le bout du nez dans un univers très personnel et très travaillé où la frontière entre le réel et l'imaginaire est en permanence poreuse.

Graphiquement, c'est impressionnant. Les décors naturels aux couleurs mordorées, parfois proches du photomontage, sont sublimes, tandis que chaque personnage, croqué à l'encre et au fusain, est criant de réalisme.

Un superbe album. J'ai aimé son ambiance si particulière, son héros qui se cherche et la réflexion proposée sur le poids de la filiation et sur ces amarres qu'il est parfois difficile mais indispensable de rompre pour pouvoir suivre son propre chemin.


Melvile de Romain Renard. Le Lombard, 2013. 128 pages. 20,00 euros.













samedi 25 octobre 2014

Le soleil des Scorta - Laurent Gaudé et Benjamin Bachelier

Le  soleil des Scorta, je l’ai lu il y a très longtemps. Presque dix ans. J’avais adoré, c’est encore et toujours mon Gaudé préféré. Alors quand Tishina a proposé de m’offrir cette réédition intégrale du texte dans une version illustrée, j’ai accepté avec plaisir. Voila un superbe objet-livre qui va avantageusement remplacer dans ma bibliothèque l’édition de poche achetée d’occasion sur une brocante. Pensez donc, un grand format cartonné avec une belle jaquette et cent illustrations originales de Benjamin Bachelier, ça le fait, comme dirait l’autre. Encres, aquarelles, ou acryliques, autant de techniques utilisées pour retranscrire la lumière et la chaleur écrasante des Pouilles où se déroule le roman. C’est beau, très beau même, et cela donne une autre dimension au texte.

Si vous ne connaissez pas les Scorta, laissez vous emporter par l’histoire de cette famille où, de 1875 à 1980, et de génération en génération, frères et sœurs restent coute que coute soudés les uns aux autres malgré les obstacles qui se dressent devant eux. Après une tentative avortée d’émigration vers l’Amérique à la fin des années 20, les frères Giuseppe et Domenico rentrent à Montepuccio et y ouvrent le tabac qui deviendra le centre névralgique du village. Contrebandiers, buralistes, tenanciers de bars, les Scorta auront souvent été hors la loi, mais avec une forme de noblesse, une dignité et un sens de la justice remarquables. Destins tragiques, secrets profondément enfouis, misère et rêves d’une vie meilleure sont au cœur de ce roman pétri d’une belle humanité.

Avec ses phrases courtes très descriptives et son lyrisme contenu, Gaudé retranscrit l’aridité de cette terre des Pouilles sans jamais tomber dans la grandiloquence. Pas un mot de trop et beaucoup de souffle, c'est vraiment très, très fort et dix ans après, je suis toujours aussi admiratif devant ce texte somptueux.

Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé et Benjamin Bachelier. Tishina, 2014. 368 pages. 32,00 euros.

Les avis de Blablablamia et Jostein

Cerise sur le gâteau, l'éditeur propose de vous faire gagner un exemplaire. Pour cela, rien de plus simple, il suffit de proposer en commentaire de ce billet votre roman illustré rêvé (un binôme roman / illustrateur). J'effectuerai un tirage au sort le lundi 3 novembre pour désigner le gagnant.

Roulement de tambour... Vous étiez onze sur la ligne de départ. Pépette n°2 a noté vos noms et effectué le tirage au sort de sa petite main innocente :



Et la gagnante est : Eva
Un grand bravo, j'attends maintenant tes coordonnées par mail pour les transmettre à l'éditeur.







vendredi 24 octobre 2014

Là-haut vers le nord - Joseph Boyden

Une jeune fille amoureuse d’un loup. Une femme qui annonce les numéros du bingo, perchée sur son estrade. Un garçon qui prétend se transformer en ours. Un autre, SDF, assistant impuissant à un meurtre. Un groupe punk féminin se reformant le temps d’un concert. Une troupe de catcheurs… et bien plus encore dans ce recueil de nouvelles mettant en scène des indiens du nord de l’Ontario.

La plupart des histoires se déroulent au cœur de la réserve où le gouvernement les parque depuis tant d’années. Toutes les problématiques de cette communauté à l’abandon sont abordées avec une rare finesse : pauvreté, violence, alcoolisme, toxicomanie, luttes environnementales perdues d’avance, disparition des traditions séculaires, tentatives d’évangélisation menées par des hommes d’église sans illusion, rêves d’ailleurs chimériques, etc. Le tableau dressé est sombre, désespéré même, tant aucune possibilité d'avenir ne semble poindre à l’horizon. Et pourtant on ressent à chaque page toute l’affection et la tendresse que Boyden porte aux descendants de ses ancêtres Cree. L’état des lieux est catastrophique mais jamais misérabiliste. Aussi lucide que sensible, le propos fait mouche car il se teinte d’une vraie force d’évocation, parfois poétique.

Chaque personnage croisé au fil des nouvelles est attachant en diable malgré ses défauts, ses difficultés et son parcours chaotique. J’ai aussi adoré cette capacité (rare) consistant à changer de ton et de niveau de langue en fonction des narrateurs (avec une mention spéciale pour la verve de l’ivrogne Joe Cheechoo dans le texte intitulé « Joe Cul-de-Jatte contre la Robe Noire »). Un superbe recueil et une écriture magnifique. Je découvre Joseph Boyden avec ce titre et je crois que c’est une belle histoire qui commence entre lui et moi.

Un grand merci à Athalie qui m’a proposé cette lecture commune. Pour elle c'était une relecture, elle savait que j’y trouverais mon compte et elle ne s’est pas trompée.

Là-haut vers le nord de Joseph Boyden. Le livre de poche, 2010. 316 pages. 6.60 euros.

L'avis de Brize


jeudi 23 octobre 2014

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Patrick Modiano

Presque rien. C'est par ces deux mots que commencent le nouveau Modiano. Tout est dit, fermez le ban. L'art du presque rien est sa signature, incontestablement. Une fois encore, ne cherchez ici nulle intrigue, nulle histoire. On y croit pourtant au départ. Le personnage central, Jean Daragane, reçoit l'appel d'un inconnu qui lui affirme avoir retrouvé son carnet d'adresse. Ils conviennent d'un rendez-vous et Daragane comprend rapidement que son bon samaritain n'est pas si innocent qu'il en a l'air. Il s'intéresse de près a l'un des noms inscrits dans le carnet et voudrait en savoir davantage. On se dit que ça va mal tourner, que l'intensité dramatique va aller crescendo jusqu'aux révélations fracassantes. On se trompe, évidemment. Tout cela n'est que prétexte à une nouvelle variation sur les souvenirs et l'oubli. Ce nom qui, de prime abord, ne dit rien à Daragane, va peu à peu déchirer le voile de la mémoire et lui faire remonter le fil du temps.

L’œuvre de Modiano est comme un puzzle dont chaque pièce semble identique. Il faut juste repérer l'infime variation qui permettra de l'imbriquer parmi les autres. L'enquête intime se pare ici d'un halo brumeux qui s'opacifie au fil des pages. Comme d'habitude oserais-je dire. Et comme d'habitude, le lecteur musarde, s'égare, se promène entre les ombres. Soyons clair, si vous n'aimez pas l'univers modianesque, ce nouveau roman ne vous fera pas changer d'avis. Mais si comme moi vous appréciez cet univers où prédominent une certain forme de nonchalance, une fausse insignifiance et une douceur diffuse, n'hésitez pas. Si vous aimez les antihéros solitaires et un peu perdus, les blessures tues, les souvenirs d'enfance douloureux et la mélancolie, vous y trouverez votre compte.

Et l'écriture me direz-vous ? Et bien elle aussi est comme d'habitude. Sans éclats, sans cris. D'une neutralité au charme fou. Ce charme qui, chez Modiano, vous étreint et jamais ne vous lâche. En tout cas en ce qui me concerne.

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier de Patrick Modiano. Gallimard, 2014. 146 pages. 16,90 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.














mercredi 22 octobre 2014

Love in vain : Robert Johnson, 1911-1938 - Mezzo et J.M Dupont

« You may bury my body, down by the highway side
So my old evil spirit, can catch a Greyhound bus and ride

« Je voudrais qu’on m’enterre au bord d’une route sur le bas-côté 
pour que le démon qui est en moi puisse prendre un bus et filer »

Robert Johnson est une légende de la musique noire américaine. Le plus grand bluesman de tous les temps, un mythe vénéré par Hendrix, Clapton, Led Zeppelin, les Rolling Stones et tant d’autres. Un musicien raté qui aurait vendu son âme au diable pour jouer comme un Dieu. Ceux qui l’ont vu à l’œuvre affirmaient que ses mains couraient sur le manche de son instrument comme des araignées. Sur scène, il se tenait dos au public pour que personne ne puisse voir sa technique. Son image sulfureuse, il l’a entretenue soigneusement. Oui, un soir d’errance, sur une route du Mississippi, à un carrefour, le prince des ténèbres lui est apparu. Il lui a pris sa guitare et l'a accordée, scellant le pacte. Johnson a alors connu la gloire dans les Juke Joints, « ces églises de la nuit qui sentaient bon le soufre ». Il a pu enregistrer vingt-neuf chansons entre 1936 et 1937. Tout ce qu’il reste aujourd’hui de celui que les apôtres de la vertu appelaient « le fils de Satan », mort empoisonné par un mari jaloux au cours de l’été 1938. Il avait 27 ans.   

Dupont et Mezzo (« Le roi des mouches ») remontent la vie de Johnson à contre courant des versions folkloriques pour ancrer son parcours dans la réalité. La référence au diable est présente mais elle s’affiche surtout comme un élément « commercial » que bien d’autres avant lui avaient d’ailleurs déjà utilisé. L’histoire de ce gamin n’a rien d’originale.  Enfance difficile. Marié très tôt, sa femme adorée et son enfant meurent en couches. Il n’a que 19 ans. Il entame alors une longue errance sur les routes et les rails du sud profond, sa guitare en bandoulière. Des débuts catastrophiques où les autres musiciens se moquent de son manque de talent. Il disparait plusieurs mois. A son retour, son jeu s’est transfiguré, sa technique éblouit l’assistance. Ainsi débute la légende. Sa transformation est due selon lui à sa rencontre avec le Malin, sa réputation est en marche. Il en jouera jusqu’au bout, au moins autant que de son charme incroyable. Chaque nuit, il se noie dans l’alcool et les aventures d’un soir. Les femmes sont folles de sa beauté troublante, de son charisme, de son visage imberbe, de son regard aux lueurs ensorcelantes. Son ascension sera aussi fulgurante que sa chute. L’enfer l’attendait de toute façon, il lui fallait bien payer sa dette, le moment venu. Et le lecteur de tourner la dernière page en se disant que, finalement, sa seule malédiction était sans doute son inégalable talent.

Je kiffe, que dis-je, je surkiffe Robert Johnson depuis que j’ai découvert son histoire en visitant le Texas au début des années 90. J’ai entendu ses chansons des centaines de fois et le charme opère toujours. Ce gars est l’incarnation absolue du blues. « Love in vain » est le plus bel hommage que l’on pouvait lui rendre. Graphiquement, c’est juste fabuleux. Le noir et blanc de Mezzo est sensuel, presque organique. Ses aplats sont d’une profondeur et d’une densité rarement vues. Le format à l’italienne, les nombreuses illustrations pleine page et la voix off achèvent de plonger le lecteur au cœur de cette vie brûlée par les deux bouts. Cerise sur le gâteau, on trouve en fin d’ouvrage les textes des chansons de Robert Johnson, en VO et en français, dont le célébrissime « Sweet Home Chicago ». Un album incontournable, indispensable à tout amateur de Blues qui se respecte. Une bien jolie pépite, à offrir ou à s’offrir (moi, c’est déjà fait !).


Love in vain : Robert Johnson, 1911-1938 de Mezzo et J.M Dupont. Glénat, 2014. 72 pages. 19,50 euros.








mardi 21 octobre 2014

La nappe blanche - Françoise Legendre

La nappe blanche, c’est une merveille de fil de lin confectionnée en 1910 par Jeanne pour le mariage de sa petite fille Anna. 1911, la nappe est sur la table du banquet, le jour des noces. 1914, le mari d’Anna part pour la der des der. Il n’en reviendra pas. 1936, les premiers congés payés. La nappe est utilisée pour un pique-nique en bord de Seine. Anna est devenue à son tour une grand-mère. 1944, un soir de mai. La police fait irruption dans l'appartement... Ainsi va la vie, ainsi va cette merveille en lin blanc qui traverse les décennies au sein de la même famille. 2014, la petite Jeanne écoute son aïeule Marie lui raconter l’histoire de la nappe.

Très joli texte, tout en retenu et en douceur qui traverse le 20ème siècle et aborde, entre autre, les relations mère-fille et la notion de transmission. La nappe est en quelque sorte l’objet transitionnel familial, ce doudou rassurant que l’on se passe de génération en génération, cet héritage, ce trésor précieux, symbole d’une mémoire commune que personne ne veut effacer. Encore une réussite dans cette collection « Petite poche » qui recèle décidément de biens belles pépites.

La nappe blanche de Françoise Legendre. Thierry Magnier, 2014. 46 pages. 5,10 euros. A partir de 8-9 ans.


Et une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.



lundi 20 octobre 2014

Un dîner affreusement parfait - Marie Wilmer et Alexandra Gabrielli-Kuhn

Berthe s'ennuie. Accompagnée du hibou Toutoutou, elle décide de partir à la chasse aux horreurs pour préparer le repas du soir. Avec son filet à chauve-souris, sa canne à pêche et son panier en osier, direction le marais. Sa barque se faufile entre les roseaux, et elle croise successivement un loup garou et un croque-mitaine avant d'arriver à l'arbre aux horreurs. Elle y trouvera une tranche de lard, deux vieilles chaussettes sales, trois gros crapauds, quatre vipères et cinq aromates, tous les ingrédients nécessaires à la préparation d'un bon bouillon à l'odeur délicieusement immonde.

Très joli album, parfait pour dédramatiser l'affreux bestiaire peuplant souvent les histoires pour enfants. Berthe est dans son élément parmi les monstres et les araignées. La petite sorcière et son charmant hibou ne font rien d'autre que leur marché après tout. Malgré le noir dominant, la nuit et la forêt, rien d'oppressant dans cette balade en barque.Le procédé des ombres chinoises, en plus d'offrir une certaine poésie, permet de laisser à distance la sensation d'angoisse.

Contrairement à ce qu'affirme la quatrième de couverture, aucune raison, donc, d'avoir froid dans le dos en découvrant ce dîner affreusement parfait. Une lecture de saison, idéale pour préparer Halloween.


Un dîner affreusement parfait de Marie Wilmer et Alexandra Gabrielli-Kuhn. Naïve, 2014. 40 pages. 15,00 euros. A partir de 6 ans.  












samedi 18 octobre 2014

Je refuse - Per Petterson

C’est l’histoire de deux hommes sur un pont. L’un est en train de pêcher, l’autre passe en voiture. Tente cinq ans qu’ils ne se sont pas vus et pourtant ils se reconnaissent. Leur échange dure à peine quelques secondes. Dans le temps, ils étaient les meilleurs amis du monde. Aujourd’hui, Jim, le pêcheur, vit seul au nord d’Oslo. Il est en arrêt maladie depuis un an, fume trop et « a mis son existence en berne ». Tommy, lui, au volant de sa belle Mercedes, est un courtier plein aux as. Est-il heureux pour autant ? Vaste question.

Le roman relate une journée de septembre 2006 où ces deux hommes se croisent à nouveau. Une journée où ils vont remonter le temps. Prenant tour à tour la parole, ils laissent affleurer les souvenirs. 1966-1970-1971. Tommy, battu par son père, va être séparé de ses trois sœurs et placé en famille d’accueil. Jim, vivant seul avec une mère bigote, sera le confident, le soutien permanent, le complice indéfectible. L’époque des certitudes, mais aussi des premiers doutes :
-  On est amis depuis combien de temps, Tommy ? 
- Depuis toujours. On a toujours été amis.
- Autant que je m’en souvienne, oui, dit Jim.
- Je crois que ça durera jusqu’à la fin de notre vie. Tu ne crois pas ?
- On changera tous les deux. Avant, on se ressemblait plus que maintenant.
Tout est dit dans ce dialogue. L’éloignement, inévitable, pointe en sourdine. Un micro-événement, un grain de sable viendra mettre un terme à leur histoire.

Bon, je vais être clair, j’ai adoré ce roman. On navigue entre le passé et le présent et on comprend pourquoi les choses ont pu en arriver là. La trajectoire de chacun a fluctué en fonction des aléas. Comment peut-on tirer un trait sur une telle amitié ? C’est simple, banal, c’est juste la vie, le temps qui nous sépare et nous éloigne les uns des autres, même de ceux avec lesquels on pense rester connecté à jamais. Le propos me parle, sans doute parce que je m’y suis retrouvé. Le temps passe et fracasse tout sur son passage, « on oublie facilement que les choses sont différentes quand on est jeune ; l'univers est plus beau et on a la vie devant soi. Et puis ça se gâte, tout fout le camp, le monde vole en éclat du jour au lendemain. »

Dans ce récit polyphonique, Per Petterson met en scène des hommes qui s’écroulent. Dans tous les sens du terme. Des hommes seuls, désorientés, en plein doute. Des hommes fragiles, qui pleurent et se cherchent. Des hommes lucides, sachant pertinement qu’il est impossible de regarder en même temps en avant et en arrière si l’on veut avancer. Mais ont-ils encore envie d'avancer ? A un moment, Tommy se demande si le temps n’est pas qu’un sac dans lequel on peut enfouir ce que l’on veut. En cette journée de septembre 2006, il va ouvrir le sac et remonter le fleuve du temps, luttant contre un courant qui l’emporte. C’est beau, fort, poignant. La fin ouverte est parfaite, en suspens, elle nous laisse le choix, un peu comme dans un roman de Modiano. Le mien est le plus pessimiste. On ne se refait pas…

Je refuse de Per Petterson. Gallimard, 2014. 270 pages. 19,50 euros.

 PS : J’aime ce titre. Ces deux mots sont prononcés par un personnage secondaire. Sur son lit d’hôpital, il refuse de mourir. Un vœu pieux, forcément.

PS bis : « Je refuse » sera ma première pépite de la rentrée chez Galéa. Une pépite sans doute trop personnelle et intime pour emporter l’adhésion d’une majorité d’autres lecteurs, j’en ai bien conscience. Mais j’assume, évidemment.








vendredi 17 octobre 2014

L’élevage des enfants - Emmanuel Prelle et Emmanuel Vincenot

Pas simple l’élevage des enfants quand on y pense. A chaque âge ces ennuis, ce n’est pas un scoop. Le 0-3 ans est le plus facile à gérer, quoique. Entre la naissance, le choix du prénom, celui de la crèche ou de la nounou et les couches, il y a de quoi faire. Le 3-6 ans est le temps des questions sans fin, de l’entrée à l’école et de l’autonomie qui ne cesse de croître. De 6 à 10, les choses sérieuses commencent. Apprentissage de la lecture, console de jeu, spectacle de fin d’année et cahiers de vacances, entre autres. A partir de 11 ans vient l’heure du collège, virage important et particulièrement pénible. Collège privé ou collège privé ? Relations parents-profs, début de la puberté, le programme est joyeux. Et à 16 ans, l’ado prend son envol : orientation professionnelle (et sexuelle), goût musicaux douteux, rébellion à deux balles permanente, contraception et toxicomanie, conduite accompagnée, prise de position politique… j’en passe et des meilleures.

Un essai humoristico-rigolo sans prétention. C’est gros sans être grossier, énorme même souvent, mais j’ai ri franchement, et pas qu’un peu. Il y a beaucoup de mauvaise foi et le texte est à prendre au deuxième, voireau troisième degré. Pour autant, je me suis retrouvé dans certaines situations, comme par exemple « l’enfilage casse-tête » de l’écharpe porte-bébé. En bonus, les illustrations de Florence Cestac sont drôles et apportent une vraie valeur ajoutée. Il me semble que le but premier, au-delà de l’humour, est de dédramatiser. On a (ou on aura) tous le sentiment à un moment ou l’autre d’être de mauvais parents, de faire les choses à l’envers, d’être à coté de la plaque, de ne plus comprendre notre enfant. Rien de grave. Rien de plus normal en fait. Alors autant en rire…

L’élevage des enfants d’Emmanuel Prelle et Emmanuel Vincenot (ill. Florence Cestac). Wombat, 2014. 140 pages. 14,00 euros.


Un billet qui signe ma participation mensuelle au projet non-fiction de Marilyne.

Je n’ai pas l’habitude de faire cela mais pour une fois je vous mets la 4ème de couv. Attention, gros spoiler, tout est dit !


Le cauchemar de l'écharpe porte-bébé...


La nounou...



Un petit bilan de compétences parentales a effectuer avant l'entrée en maternelle...


Le collège et ses bulletins scolaires...


Les ados...







jeudi 16 octobre 2014

Un été en famille - Arnaud Delrue

Ça commence par un enterrement. Celui de Claire, la sœur de Philippe, le narrateur. Un narrateur qui s’adresse tout au long du texte à Marie, son autre sœur de onze ans. Sur le ton de la confession, il dévoile petit à petit une étrange histoire de famille. Sa relation ambigüe avec Claire, la maladie de cette dernière, qui l’a poussée au suicide, le conflit permanent avec leur mère, son job d’assureur qu’il a abandonné sans regret. Et bien d’autres choses encore qui, peu à peu, font froid dans le dos…

Bon, soyons clair, c'est une déception. J’ai aimé le malaise qui s’est emparé de moi petit à petit, les révélations fracassantes et dérangeantes disséminées l’air de rien au détour d’une phrase. Mais pour le reste, je me suis perdu face aux membres de cette famille aussi nombreuse que tordue, j’ai trouvé que le récit manquait d’âme, que les pièces s’imbriquaient de façon mécanique, limite exercice de style, et j’ai vu la fin arriver à des kilomètres, grosse comme une maison. De toute façon, quand un narrateur à la première personne ne suscite ni empathie ni réaction épidermique, juste un soupçon d’indifférence polie (parce que, quand même, je suis un lecteur bien élevé), il n’y a pas grand-chose à faire, juste attendre de tourner la dernière page en se disant qu’il est temps de passer à autre chose.

Un premier roman à la construction maîtrisée mais bien trop froid (glaçant même par moment) pour me donner un quelconque plaisir de lecture. Décevant, quoi.

Un été en famille d’Arnaud Delrue. Seuil, 2014. 160 pages. 16,00 euros.









mercredi 15 octobre 2014

Perico T2 - Philippe Berthet et Régis Hautière

Joaquin, Livia et leur valise pleine de billets ont pu quitter Cuba et sont en route pour Hollywood. A leurs basques, les tueurs de l’odieux Santo Trafficante Jr, bien décidés à récupérer l’argent de leur patron. Une route pavée d’embûches les attend et le voyage entre Miami et la Californie sera tout sauf un long fleuve tranquille.

Suite et fin du diptyque « old school » scénarisé par Régis Hautière pour lancer la collection « Ligne noire », dont tous les titres seront mis en images par l’excellentissime Philippe Berthet. Une fin en apothéose, bourrée d’action et de rebondissements qui contraste avec le premier tome où régnait une sorte de moiteur immobile. Comme d’habitude avec le papa d’Abélard, la complexité des personnages fait le sel du récit. Arrachée des griffes de Trafficante par Joaquin, Livia n’est pas pour autant un faire-valoir à la plastique avantageuse, une nunuche qui va tomber amoureuse de son sauveur. Accro à la cocaïne, elle reste avec lui par intérêt personnel et non par amour. Et comme d’habitude, l’histoire est sombre, très sombre, personne n’est épargné et pas de happy end à l’horizon. Bref, du Hautière dans le texte, rugueux, âpre et pessimiste comme je l’aime.

Aux pinceaux, Berthet fait encore des miracles. Je retrouve le charme de son trait découvert il y a près de trente ans dans les pages du magazine Spirou et je ne m’en lasse toujours pas. Du travail à l’ancienne, appliqué et rigoureux, une science du cadrage très cinématographique et un jeu sur la lumière, les ombres et les couleurs qui vous installe une ambiance comme personne.

J’apprécie trop ces deux auteurs pour rester objectif. Alors vous n’êtes pas obligé de me croire si je vous dis que ce diptyque est une pépite, un polar digne des grands films noirs américains des années cinquante dont la délicieuse amertume vous restera longtemps en bouche. Mais je vous le dis quand même…


Perico T2 de Philippe Berthet et Régis Hautière. Dargaud, 2014. 64 pages. 15,00 euros.

L'avis de Moka











mardi 14 octobre 2014

Un endroit pour vivre - Jean-Philippe Blondel

Le narrateur a seize ans et est en première ES. C'est un élève lambda, réservé, sans histoire. Un rêveur qui passe son temps à observer, contempler le monde. Et son monde, justement, change radicalement le jour où le proviseur décide de mettre un terme au laisser-aller ambiant. Pour lui, avant d'être un lieu de vie, le lycée doit être un lieu de travail. La reprise en main se fait à coup de mesures de rétorsions inédites : tenue impeccable exigée, plus personne d'assis dans les couloirs, interdiction aux amoureux de « se frotter », etc. De la discipline et de l'autorité avant toute autre considération. Effaré par le manque de réaction de ses camarades, l'adolescent va s'insurger à sa façon. Caméra au poing, il va filmer les petits riens du quotidien pour montrer que le lycée, c'est aussi et surtout la vie.

Jean-Philippe Blondel est prof d'anglais, il connaît parfaitement les rouages de l'administration scolaire. Il sait que, d'un établissement à l'autre, le personnel de direction peut imposer sa patte de manière plus ou moins intelligente. Et s'il prend soin de préciser à la fin de son texte  que « ceci est une œuvre de fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite », son histoire sent le vécu à plein nez.

« Un endroit pour vivre » n'est pas une ode au laxisme post soixante-huitarde.C'est plus fin. Avec sa caméra, son personnage capte une humanité en mouvement. L'amour bien sûr, mais aussi l'amitié, le dialogue permanent entre enseignants et élèves, la souffrance, la violence, la haine, la solidarité ou le courage. La vie dans toute sa diversité, encore et toujours. L'acte militant est ici relaté dans un long monologue, d'une seule voix. A l'image de cette collection dont je ne cesse avec ma complice Noukette de vous vanter les mérites depuis plusieurs mois.

Un endroit pour vivre de Jean-Philippe Blondel. Actes sud Junior, 2014 (première édition en 2007). 64 pages. 9,00 euros.


Et c'est évidemment une nouvelle lecture commune que je partage avec elle.

L'avis de Saxaoul













lundi 13 octobre 2014

Les zombies n’existent pas - Sylvain Escallon

L’homme laisse les cadavres à la pelle sur son chemin. A st Brieuc, à Brest, à Agen, à Paris. A chaque victime, il coupe un doigt de la main gauche. Pas de sa faute, c’est la voix qui lui ordonne de passer à l’acte. L’inspecteur Kowalski, chargé de l’enquête, a du mal à comprendre le mode de fonctionnement et les motivations du tueur. Un tueur vite identifié d’ailleurs, un certain Picquier. Le problème, c’est que Picquier est mort et enterré. Depuis un an. Suicide par pendaison, le légiste qui a pratiqué l’autopsie l’a confirmé avec certitude. Or, les zombies n’existent pas, on a donc affaire à un sosie, pas possible autrement. Mais pour être sûr, il vaut mieux exhumer le corps du « vrai » Picquier. Seulement, en dessellant le caveau, on ne trouve à l’intérieur aucun cercueil…

Les Zombies n’existent pas est une adaptation du thriller « Lazarus » d’Emanuel Dadoun. Une histoire de Serial Killer glaçante, mystérieuse, chamanique. Le premier album d’un auteur de 23 ans que je qualifierais avec plaisir de « couillu ». Parce qu’il fallait oser se lancer dans un roman graphique aussi dense et ambitieux. La narration est aussi torturée que l’esprit du meurtrier et il faut parfois s’accrocher pour suivre mais tout se tient. On alterne entre le point de vue du tueur et celui de l’enquêteur, on saute en une page d’un lieu à l’autre, du présent au passé, de la France au Mexique. Et tout se tient. Ça mériterait parfois d’être un poil plus fluide, plus limpide, mais rien de bien méchant.

Et puis au niveau du dessin, c‘est énorme je trouve. Du noir et blanc très travaillé, un gros jeu sur les ombres et le cadrage, un trait qui n’est pas sans rappeler celui de l’excellentissime argentin Eduardo Risso, bref, j’adore.

Une bien belle surprise, donc. Un auteur débutant qui prend autant de risques et parvient à créer une ambiance pesante à souhait avec une telle maîtrise graphique, chapeau bas. Et vivement votre prochain album, monsieur Escallon !  


Les zombies n’existent pas de Sylvain Escallon. Sarbacane, 2013. 132 pages. 22,00 euros. 






vendredi 10 octobre 2014

Los boys - Junot Diaz

Quel plaisir de retrouver Yunior. Un Yunior avant Yunior si j’ose dire. Un Yunior enfant et ado qui n’est pas encore tout à fait le salopard macho et imbuvable découvert l’an dernier dans le Guide du loser amoureux. Yunior et les siens, émigrés de Saint-Domingue débarqués dans le New Jersey par un froid matin d’hiver, vont prendre le rêve américain de plein fouet. A l’époque, son grand frère Rafa n’a pas encore été emporté par le cancer et son "Papi" ne s’est pas encore tiré avec une jeunette. A dix ans, Yunior est malade à chaque fois qu’il monte en voiture. Plus tard, il dealera de l’herbe comme tout le monde, sera livreur de billards et tentera de vivoter comme il peut.

Les nouvelles de ce recueil alternent entre les années d’enfance passées sur l’île dominicaine avec sa mère et Rafa (loin du père, parti des années auparavant chercher fortune chez l’oncle Sam) et la période où la famille est réunie aux Etats-Unis pour le meilleur et pour le pire. J’ai retrouvé avec plaisir la langue si particulière de Junot Diaz, mélange d’anglais (traduit, pour le coup) et d’argot hispano-dominicain. Une forme d’oralité bien plus travaillée qu’il n’y paraît, pleine de force et de vitalité. Bien sûr, c’est parfois cru, un poil vulgaire mais c’est aussi drôle et touchant, anecdotique et profond, comme la vie quoi.

Diaz décrit une communauté touchée par la misère, une famille en souffrance et un gamin qui ne sait que trop bien d'où il vient. Mais il le fait sans pathos, avec une tendresse et une énergie qui vous donne le sourire. Publié en 1996, ce recueil sera suivi onze ans plus tard de "La Brève et Merveilleuse Vie d'Oscar Wao", un premier roman qui remportera le National Book Critics Circle Award et le Prix Pulitzer de la Fiction. Rien que ça. Un roman qui est bien au chaud dans ma pal et que je vais me faire un plaisir de déguster d'ici peu.
    

Los boys de Junot Diaz. 10/18, 2000. 172 pages. 6,10 euros.

Une lecture commune que je partage avec Marilyne, en souvenir de nos pérégrinations dans les allées du festival America. Il y avait longtemps que l'on n'avait pas lu quelque chose ensemble et ça fait du bien ;)






jeudi 9 octobre 2014

Surtout rester éveillé - Dan Chaon

Ces dernières semaines, j’ai lu Paul Harding et son père sombrant dans la folie après la perte de sa fille. J’ai lu Burnside et ses noyés du fin fond de la Norvège, Denis Michelis et son apprenti serveur devenu le souffre-douleur de ses collègues, Leïla Slimani et sa nymphomane dépressive, Stéphane Guibourgé et son skinhead ultraviolent, Antoine Dole et sa femme battue, Radhika Jha et son accro du shopping poussée à la prostitution ou encore Marcus Malte et sa borgne cinglée qui enferme les hommes dans son coffre après les avoir assommés. Autant dire que je nage dans un océan de bonheur et de béatitude. Pour compléter le tableau, et avant d’entamer une inévitable cure de Prozac, je me suis lancé dans le recueil de nouvelles de Dan Chaon, un auteur qui avait fait sensation il y a quelques années avec son premier roman, « Le livre de Jonas ».

Pourquoi je dis « compléter le tableau » ? Parce que l’univers de Chaon est, en termes de noirceur, au diapason de mes récentes lectures. Jugez plutôt : dans ce recueil, on trouvera l’histoire d'un bébé à deux têtes qu'il va falloir opérer juste au moment où son père a un accident de voiture qui lui sectionne la moelle épinière, celle d’un fils arrivant dans la maison de ses parents et trouvant une lettre de sa mère le suppliant de ne pas grimper à l'étage et d’appeler la police (je vous laisse imaginer la suite…), d’un ancien alcoolique ayant refait sa vie après avoir abandonné femme et enfant qui va subir une terrible vengeance, de Dave Deagle, quarante ans, déjà veuf et déjà victime d’une crise cardiaque ou encore d’un lycéen dont la petite amie va donner naissance à un nourrisson non viable et qui, le jour de l’enterrement, ne trouvera rien de mieux à faire que de disparaître au moment où cinquante personnes viennent lui présenter leurs condoléances. Vous en voulez encore ou je m’arrête là ? C’est léger, joyeux, guilleret et on en sort revigoré, je ne vous dis que ça.

Blague à part, j’ai beaucoup aimé. Ça dégouline de tristesse, de douleur et de solitude, il y a parfois un soupçon d’étrangeté qui n’est pas sans rappeler l’univers de Chris Adrian. Après, le problème, c’est que depuis peu, en matière de nouvelles américaines, mon mètre-étalon est Bruce Machart. Et avec lui, la barre est placée tellement haut que les autres souffrent forcément de la comparaison. Donc, non, Dan Chaon n’a pas la grâce et la puissance d’écriture de Machart. Mais ses histoires tiennent quand même sacrément la route et ce recueil ravira sans problème les amateurs du genre. Du moins si on aime les atmosphères un peu (beaucoup) plombantes…

Surtout rester éveillé de Dan Chaon. Albin Michel, 2014. 300 pages. 22,00 euros.

Extrait :

Ton avenir se modifie et se déforme au moindre de tes pas, au moindre de tes coups de tête merdiques. L’homme que tu deviendras est à ta merci. 
Un des hommes que tu aurais pu être est déjà mort et tu devrais prendre le temps de t’ôter de la tête ses ossements couverts de toile d’araignée. Sa maison, son jardin, son travail ennuyeux de loser. Son bébé. Et Meg – ton ex-future femme – tu devrais aussi te l’ôter de la tête avant de lui parler, tu devrais te débarrasser de l’épouse que tu projetais déjà d’embrasser au réveil, de baiser et d’aimer pendant d’hypothétiques décennies. Dis adieu à cette dimension alternative, à cette autre vie. Chasse-là et puis appelle Meg et mets un terme à tout ça – tu seras comme une jeune feuille d’arbre qui s’ouvre.






mercredi 8 octobre 2014

L’aliéniste - Fabio Moon et Gabriel Bá

A Itagaï, petit village brésilien, le docteur Simon Bacamarte parvient à convaincre les édiles de construire un bâtiment pour accueillir et soigner les fous. L’asile, baptisé « La maison verte », est inauguré en grande pompe et reçoit ses premiers « déshérités de l’esprit ». Mais Bacamarte voit plus loin, il voudrait « étendre le territoire de la folie », déplacer les limites entre la raison et la démence. Pour mener à bien sa tâche, il va peu à peu interner la majorité des habitants du village, trouvant en chacun d’eux une pathologie cérébrale à traiter…

L’aliéniste est l’adaptation d’un classique de la littérature brésilienne publié en 1882. Joaquim Maria Machado de Assis y dresse une imparable chronique de l’absurdité humaine. Partant du principe que la raison est le parfait équilibre de toutes les facultés mentales et constatant que personne ne parvient à être raisonnable, Bacamarte multiplie à l’infini les enfermements dans la maison verte et soulève l’ire de la population. Pour lui, la lucidité, la clairvoyance, la loyauté, la franchise, la sagesse ou la sincérité sont autant de symptômes de la folie. Se retranchant derrière le dogmatisme scientifique pour légitimer ses décisions, le médecin semble être le seul à posséder les caractéristiques du parfait équilibre mental et moral. Sauf que tout est relatif…

Le propos est d’une grande finesse et la démonstration, pleine d’ironie, prouve au final qu’il est impossible de répondre à la question centrale soulevée par le texte, à savoir, qu’est-ce que la normalité ?

L’adaptation est fidèle, l’ensemble peut paraître un poil trop bavard mais difficile de faire autrement. J’ai retrouvé avec plaisir le trait souple et élégant des frères Moon et Bá qui m’avait tant séduit dans Daytripper. Le travail au lavis et les tons cuivrés donnent au dessin une patine digne des gravures d’antan. Un album qui pousse à la réflexion et interroge sur les méandres de la nature humaine. A mettre entre toutes les mains !


L’aliéniste de Fabio Moon et Gabriel Bá. Urban Comics, 2014. 70 pages. 14,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.