vendredi 30 novembre 2012

Cartes : voyage parmi mille curiosités et merveilles du monde

Mizielinska et Mizielinski
© Rue du monde 2012
Cartes est un ouvrage réalisé par deux jeunes auteurs polonais déjà remarqués avec leur album Croque ! publié chez le même éditeur. Ce n’est pas un atlas à proprement parler. Ce n’est pas non plus un livre scolaire. C’est une somme hétéroclite d’informations sur la faune, la flore, les coutumes, les costumes, les traditions ou encore les spécialités culinaires de 40 pays du globe issus des six continents.

Chaque carte occupe l’intégralité d’une double page et fourmille de détails.  L’enfant trouvera systématiquement le nom de la capitale, la langue principale, le nombre d’habitants et la superficie du pays. Ensuite, il pourra se perdre avec délectation dans les 4000 vignettes qui peuplent cette planète de papier. Un foisonnement un peu anarchique absolument pas nuisible mais qui est au contraire une vraie richesse.

Les dessins, à première vue naïfs, sont en fait d’une grande précision. Le format XXL (28x38 cm) permet aux auteurs de ne pas tomber dans la miniature et offre un grand confort de lecture. L’ensemble dégage une esthétique vintage qui rappelle les planches naturalistes d’antan.

Typiquement le genre d’ouvrages à partager en famille. Certes un peu encombrant mais idéal à déposer au pied du sapin si vous souhaitez absolument offrir un livre à Noël. Vous serez au moins certain de proposer un cadeau aussi surprenant qu'instructif.  

Cartes D’Aleksandra Mizielinska et Daniel Mizielinski. Rue du Monde, 2012. 108 p. 25,80 €. A partir de 7-8 ans.

Mizielinska et Mizielinski © Rue du monde 2012

mercredi 28 novembre 2012

Dernière station avant l’autoroute

Daeninckx et Mako
© Casterman 2010
Le personnage principal, dont on ne connaîtra jamais le nom, est officier de policier judiciaire. Il fait les permanences de nuit. Toujours le premier sur les scènes de crime. Une prostituée flinguée à bout portant, un sénateur retrouvé raide comme un passe lacet dans une chambre d’hôtel miteuse, des squatteurs carbonisés dans un incendie… Au petit matin, il refile les enquêtes à l’équipe de jour. Juste là pour faire le sale boulot, il ne mène aucune investigation. Un loup solitaire au bord de la rupture qui ne s’est jamais remis d’une intervention sur un accident de train épouvantable. Ses collègues pensent qu’il est rincé, au bout du rouleau. Des jeunes gus aux dents longues lorgnent sur sa place et son patron ne peut pas le blairer. Le couperet tombe, il est muté dans un commissariat pourri au nord de Paris. Son nouveau chef est un ripou de première qui l’entraîne dans sa chute. Heureusement, une femme va lui maintenir la tête hors de l’eau avant qu’il ne sombre définitivement.

Vous savez sans doute que je ne suis pas fan de polar. En roman, je n’en lis quasiment jamais. En BD, je me contente du duo Tardi/Manchette. Mais quand j’ai vu Mako tout seul derrière sa table de dédicace au salon du livre de Creil la semaine dernière, j’ai pas pu m’empêcher d’engager la conversation. Et puis j’aime bien ce qu’il fait avec Daeninckx. J’ai découvert leur duo avec Octobre noir (merci Valérie !) et j’ai enchaîné avec Texas Exil. Dernière station avant l’autoroute est leur troisième collaboration. C’est l’adaptation d’un roman d’Yves Pagan. Mako m’a expliqué que c’était une histoire très autobiographique puisque Pagan était flic dans une équipe de nuit et qu’il a été traumatisé par un accident de train. Devenu écrivain, il s’est fait remarqué avec La mort dans une voiture solitaire ou encore L’étage des morts qui a été adapté au cinéma sous le titre Diamant 13 avec Depardieu et Olivier Marchal.

Dernière station avant l’autoroute est un récit noir de chez noir. Glauque, désespéré, avec une absence totale d’illusion sur le genre humain. Le quotidien du flic désabusé est retranscrit avec un réalisme glaçant. Ça sent vraiment le vécu à plein nez. Le seul souci pour moi, c’est la conclusion, beaucoup trop optimiste et en total décalage avec le reste. Quelque part, il vaut mieux terminer sur une note d’espoir mais j’avoue que voir cet homme finir avec son flingue dans la bouche prêt à appuyer sur la gâchette m’aurait paru plus cohérent.
   
En tout cas niveau dessin, c’est toujours un régal. Le jeu sur les ombres et l’absence de lumière renforce l’atmosphère oppressante et crépusculaire de la nuit. Pour une fois que je trouve un intérêt à la mise en couleur !
Finalement je me rends compte qu’à petite dose le polar me convient. Je n’y reviendrais pas toutes les semaines mais je dois reconnaître que quand c’est aussi bien réalisé, ça le fait, comme disent les jeunes.  

Pour info cet album remporté le prix polar du One shot au festival de Cognac 2010.

Dernière station avant l’autoroute de Mako, Daeninckx et Pagan. Casterman, 2010. 98 pages. 17 euros.  

Daeninckx et Mako © Casterman 2010





mardi 27 novembre 2012

Un gorille : un livre à compter d’Anthony Browne

Browne © Kaléidoscope 2012
« L’école maternelle est une période décisive dans l’acquisition de la suite des nombres (chaîne numérique) et de son utilisation dans les procédures de quantification. Les enfants y découvrent et comprennent les fonctions du nombre, en particulier comme représentation de la quantité et moyen de repérer des positions dans une liste ordonnée d’objets. » (Programmes officiels de juin 2008)
     
Il y a longtemps que je voulais parler des livres à compter. Depuis quelques semaines je collabore avec une conseillère pédagogique de l’inspection académique pour créer des valises de livres à compter pouvant être utilisés en classe. J’ai découvert la variété incroyable que propose ce type de support. Si à la maison ce sont les albums purement  mathématiques (ceux qui ne font « que » présenter les nombres et leur correspondance)  que l’on retrouve le plus souvent, à l’école on utilise en général des ouvrages plus littéraires, ceux  qui racontent une histoire tout en créant un lien avec l’univers des maths (par exemple Boucle de d’or et les trois ours de Rascal ou encore Maman ! de Mario Ramos).

Ce nouvel album d’Anthony Browne est un peu un mélange des deux. Sous des faux airs de simple livre à compter, l’ouvrage possède un but informatif. En effet, à travers la présentation des différents singes (un gorille, deux orangs-outans, trois chimpanzés, etc.) l’auteur aborde la théorie de l’évolution : « Tous des primates, tous d’une même famille, tous de ma famille. » Le message humaniste est donc le thème principal, au delà de la chaîne numérique. Malheureusement, comme dans la plupart des livres à compter, celui-ci ne présente pas le zéro. C’est un vrai problème puisque la connaissance du zéro permet notamment de nommer les quantités nulles.
 
En tout cas, voila un ouvrage qui se démarque de ses confrères d’une part grâce à l’originalité de son propos et d’autre part grâce au magnifique trait d’Anthony Browne. L’auteur d’Une histoire à quatre voix est un des plus grands illustrateurs actuels. Ses singes sont sublimes de réalisme et de précision. La variété des postures montres à quel point il maîtrise son sujet sur le bout des doigts.

Un très beau livre à compter. Je vous en présenterais peut-être d’autres dans les semaines qui viennent, j’en ai une bonne quarantaine sous le coude en ce moment. Si avec tout ça j’ai encore des problèmes avec les nombres, c’est à n’y plus rien comprendre.   

Un gorille d’Anthony Browne. Kaléidoscope, 2012. 28 pages. 15,30 euros. A partir de 3-4 ans.


Browne © Kaléidoscope 2012


lundi 26 novembre 2012

Malou le Matou et Milo le Rhino

Nesmo © Balivernes 2012
Malou le Matou a perdu de vue sa maman. Saura-t-il la reconnaître parmi les animaux de la ferme ? Il va apprendre qu’il n’est pas le petit de la vache puisque ce sont les veaux. Ni celui de la cane car ses enfants sont des canetons. Les poules ? Non, leurs bébés s’appellent des poussins. Alors est-ce que sa maman est la brebis ou la lapine ? Non et non. Il va lui falloir chercher encore un petit peu…
Une façon simple et efficace d’enrichir le vocabulaire des bouts de chou en leur faisant découvrir le nom des bébés animaux.



Dans Milo le Rhino le principe est le même, sauf que cette fois-ci c’est un rhinocéros qui ne sait plus ce qu’il doit manger. Des baobabs, des morilles, des fruits, des algues ou plutôt des animaux comme le zèbre et la tortue ? Il faudra encore attendre la fin de l’histoire pour connaître la réponse.






Le lexique est plutôt riche et le niveau de langue assez familier (surtout dans Malou avec le tracteur qui fouette et les moufflets de la truie) mais au final peu importe. Ce qui compte, c’est la rime, la musicalité qui se dégage des quatre lignes présentes sur chaque double page.
Graphiquement, il faut reconnaître que l’ensemble est très spécial. D’aucuns qualifieront les illustrations d’originales. Personnellement, ce croisement entre le pixel et le lego n’est pas franchement ma tasse de thé. Mais pour avoir « testé » ces ouvrages sur le public cible, je peux vous assurer que ces représentations plutôt éloignées du dessin traditionnel ne posent aucun problème de compréhension. De toute façon le principal c’est que chaque animal se reconnaisse au premier coup d’œil.
 
Typiquement le genre de livres que l’on ne cesse de lire et relire des dizaines de fois. Le jeu des questions/réponses c’est une mécanique que les petits bouts adorent et que l’on peut répéter à l’infini sans que jamais ils ne s’en lassent. Vous savez dans quel engrenage vous allez mettre le doigt si vous vous laissez tenter…
  
Malou le Matou de Nesmo. Balivernes éditions, 2012. 22 pages. 9 euros. A partir de 2 ans.
Milo le Rhino de Nesmo. Balivernes éditions, 2012. 22 pages. 9 euros. A partir de 2 ans



Nesmo © Balivernes 2012







dimanche 25 novembre 2012

Némésis de Philip Roth (rentrée littéraire 2012)

Roth © Gallimard 2012
Newark, New Jersey, 1944. L’Amérique est en guerre mais Bucky Cantor, 23 ans, ne peut prendre part au conflit. A cause de sa vue défaillante, il a été réformé. Jeune homme fort et athlétique, il est responsable d’un terrain de jeu du quartier juif de la ville. Sous sa responsabilité, des gamins suent toute la journée sous un soleil de plomb grâce aux différentes activités physiques qu’il leur propose. Au cours de ce mois de juillet suffocant, une calamité s’abat sur la ville. Une épidémie de polio se déclare. Deux jeunes garçons du terrain de jeu meurent subitement. Le virus se propage et la panique gagne les familles. Bucky veut résister au mal, il tente d’abord de répondre de façon rationnelle aux questions des parents mais il constate rapidement son impuissance devant le fléau qui ne cesse de s’étendre. Lorsque sa fiancée l’invite à le rejoindre dans un camp de vacances en forêt, Bucky hésite, conscient que sa place est à Newark, aux cotés de ceux qui souffrent. Se laissant finalement convaincre de quitter les miasmes de la ville, il se rend dans le cadre idyllique du camp où, malheureusement, la polio semble le poursuivre…

Mon premier Roth qui sera aussi son dernier puisque le romancier âgé de 79 ans a annoncé qu’il n’écrirait plus. Pour le coup, on peut dire qu’il termine sa carrière en beauté.

Némésis est la déesse de la vengeance qui veille à ce que les mortels ne tentent pas d’égaler les divinités. L’histoire de Bucky relève incontestablement de la tragédie. Parce qu’il a tout pour être heureux (la santé, une fiancée magnifique, un avenir radieux…) il subit un châtiment infligé à ceux qui transgressent, fût-ce sans le savoir, les limites humaines. En cela, son destin est en quelque sorte comparable à celui d’Œdipe. Autre référence évidente à la lecture de ce roman, La Peste de Camus. Même si l’auteur de L’étranger mettait en scène un combat et une résistance au fléau et que Roth décrit plutôt la stupeur et l’abattement des victimes, les parallèles restent nombreux.

La fatalité est au cœur du récit. L’écrivain déroule une mécanique impitoyable ou le pessimisme et le désenchantement jouent un rôle central. Bucky s’élève contre ce Dieu qui laisse périr ses enfants. En brisant un jeune homme exemplaire, Roth fait voler en éclat les valeurs supposées structurer nos sociétés : le devoir, le courage, la responsabilité, le sacrifice. Ce faisant, il met en lumière un élément fondamental qui nous concerne tous, la vulnérabilité. Le narrateur l’affirme : «  il n’y a rien plus difficile qu’un garçon honnête démoli […] et privé de tout ce qu’il avait passionnément voulu avoir ». Ce narrateur est un des garçons du terrain jeu qui a survécu à la polio. Pour lui, « la polio a cessé d’être le drame de ma vie […] J’ai compris que j’avais vécu un été de tragédie collective qui ne devait pas forcément devenir toute une vie de tragédie personnelle ». Exactement l’inverse de la façon dont Bucky a considéré les choses. Pour lui, au final, il ne reste que la culpabilité.

Un très grand roman américain, tout en sobriété, qui raconte à la fois un paradis perdu et une idylle disparue. Magistral !   

Némésis de Philip Roth. Gallimard, 2012. 226 pages. 18,90 euros.


samedi 24 novembre 2012

Les restes de la rentrée littéraire : je lis quoi maintenant ?


Pour l'instant, j'ai lu 15 titres de la rentrée littéraire 2012 (la liste est ici). Le problème c'est que je me suis laissé déborder par mon insatiable appétit de nouvelles lectures et qu'il me reste 10 titres de cette rentrée dans ma PAL. Comme j'estime avoir lu tous ceux qui m'apparaissaient comme des priorités, je ne sais plus trop avec quoi enchaîner donc je vous pose une question simple : d'après vous, je lis quoi maintenant ?


Je vous donne la liste :

Du côté de Canaan de Sebastian Barry
Résumé : Lilly Bere est une vieille femme. Elle se souvient, à travers les hommes qu'elle a aimés, de son parcours, de son Irlande natale qu'elle a dû quitter pour s'aventurer dans le Nouveau Monde, à cause des évènements politiques qui s'y déroulaient.







Égarés d'Emma Donoghue
Résumé : Quatorze nouvelles, divisées en trois parties sur les thèmes du départ, de la route et de l'arrivée, qui dressent le portrait d'immigrés, de voleurs, de chercheurs d'or, d'esclaves, de gardiens de zoo, de cow-girls ou de mères célibataires. A travers les époques, du Massachusetts à la Louisiane en passant par Toronto, le voyage est ici montré comme le lieu de la découverte de soi.





Bois sauvage de Jesmyn Ward
Résumé : A Bois Sauvage, Mississippi, en 2005. Esch qui n'a que 14 ans apprend qu'elle est enceinte, elle ne sait pas à qui en parler. Ses frères sont occupés à leurs affaires, son père se réfugie dans l'alcool et sa mère est décédée il y a bien longtemps. C'est alors que les médias annoncent l'arrivée d'une tempête sans précédent. La famille tente de se mettre à l'abri de Katrina.





La contrée immobile de Tom Drury
Résumé : La vie semble s’écouler plus lentement qu’ailleurs dans la petite ville de Shale. Une série d’évènements étranges, de rencontres plus ou moins fortuites et heureuses, va cependant secouer le destin de Pierre Hunter, un jeune barman simple et charmant, appliqué à passer à côté de sa vie avec indolence. Il tombe amoureux de la belle et mystérieuse Stella Rosmarin, qui le sauve de la noyade, se retrouve en possession d’un gros paquet de dollars découvert lors d’un voyage en stop… Pierre devient la cible d’une traque dont les enjeux le dépassent.



A quoi jouent les hommes de Christophe Donner
Résumé : De l'Ancien Régime à l'époque contemporaine, une mise en scène de la folie du jeu, des courses et de l’argent qui circule, corrompt et vivifie la société...








14 de Jean Echenoz
Résumé : Cinq hommes sont partis à la guerre, une femme attend le retour de deux d'entre eux. Reste à savoir s'ils vont revenir. Quand. Et dans quel état.








Les immortelles de Makenzy Orcel
Résumé : Les immortelles sont les prostituées de Port-au-Prince. L'une d'elles, la narratrice, propose un marché à un client, écrivain : contre son corps, écrire l'histoire de ses consoeurs défuntes, emportées par le séisme qui a secoué la ville, et en particulier Shakira. Belle et orgueilleuse, celle-ci entretenait une passion dévorante pour les livres. Premier roman. Prix Thyde Monnier 2012 (SGDL).





Pour seul cortège de Laurent Gaudé
Résumé : Alexandre le Grand va mourir. Pour lui succéder à la tête du royaume, il faut trouver un homme tout autant animé par un insatiable esprit de conquête...








De flammes et d'argile de Mark Spragg
Résumé : Au coeur d'une nature rude, à Ishawooa, dans le Wyoming, les destinées de plusieurs familles s'entremêlent. Kenneth, gamin épris de grands espaces, est partagé entre son père et l'homme qui lui a appris à aimer sa terre. La jeune Griff est prête à renoncer à ses études pour rester auprès de son grand-père. Et le shérif Carlson découvre un cadavre dans un laboratoire clandestin de méthamphétamine.




Étouffements de Joyce Carol Oates
Résumé : Dix nouvelles mettent en scène hommes et femmes, jeunes et vieux, qui ne peuvent plus respirer, dans l'attente d'un bonheur rêvé ou perdu qui leur donne besoin d'air ou de vengeance.








Alors, je lis quoi ?


vendredi 23 novembre 2012

Madame Le Lapin Blanc : Pépite 2012 du meilleur album au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil

Bachelet © Seuil jeunesse 2012
Et si le Lapin Blanc d’Alice au Pays des Merveilles avait une femme… Et si cette femme tenait un journal intime... Et bien laissez-moi vous dire que ce ne serait pas joli-joli… Elle y parlerait de son mari qui n’arrête pas de râler, de sa fille aînée en pleine crise d’adolescence, de ses jumeaux pas aussi sages et réfléchis qu’elle veut bien le penser, de la difficile intégration de Betty dans sa nouvelle école, d’Eliot, le cinquième, en avance sur son âge, et enfin de l’adorable petite dernière, Emily, qui est le portrait craché de son père et braille toute la sainte journée. Elle parlerait aussi du chat ayant élu domicile depuis peu chez eux et de cette jeune fille qui a débarqué à la maison avec une fâcheuse tendance à changer de taille pour un oui ou pour un non. Bref, Madame Le Lapin Blanc écrirait dans son journal que la vie qu’elle mène est bien loin de celle dont elle avait rêvé...  

Un album qui repose sur la même construction que Les lions ne mangent pas de croquettes, à savoir un décalage permanent entre les images et le texte (voir extrait ci-dessous).  Comme dans l’album cité plus haut, l’ensemble est franchement drôle (en moins cruel) et une pirouette finale vient conclure l’histoire de façon assez inattendue. Au niveau graphique, le dessin de Gilles Bachelet, de facture classique et d’une grande expressivité, fourmille de détails. Je vous recommande entre autres la lecture attentive des 100 façons d’accommoder les carottes s’étalant sur une double page pour vous convaincre de la minutie avec laquelle l’auteur fignole chacune de ses illustrations.

Une variation extrêmement réussie autour de l’univers d’Alice. Un album au ton décalé et drôle qui est visuellement un pur régal. Cet ouvrage vient de remporter la Pépite de l’album en avant première du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil qui se déroulera du 28 novembre au 3 décembre. Mesdames et messieurs les jurés, je vous félicite pour ce choix tout à fait pertinent !

Madame Le Lapin Blanc  de Gilles Bachelet. Seuil jeunesse, 2012. 32 pages. 15,00 euros. A partir de 4-5 ans

Bachelet © Seuil jeunesse 2012

jeudi 22 novembre 2012

Les lions ne mangent pas de croquettes

Bouchard  © Seuil jeunesse 2012
Les parents ont dit à Clémence : « Pas de chien, ni de chat ! ». En petite fille obéissante, elle a ramené un lion à la maison. Mais un lion n’est pas tout à fait un animal domestique comme les autres. Pour faire ses besoins, il lui faut une grosse litière (du genre voiture décapotable) et quand il sort dans le quartier, les passants sont plus que surpris. Chose étrange également, quand le lion joue à cache-cache avec les copains de Clémence, il en manque toujours un à la fin de la partie… 

Un ouvrage que j’ai découvert grâce à Marie. Comme elle le souligne, tout tient dans le décalage entre le texte et les images. A la fois drôle et terrifiant, cet album est un concentré d’humour noir et d’ironie mordante (c’est le cas de le dire !). Le trait d’André Bouchard a un coté vintage qui me rappelle les dessins d’humour d’antan. Le rebondissement final, aussi inattendu  que savoureux, achève de convaincre du caractère irrévérencieux de cette histoire férocement « poilante ».
 
Pas si courant de trouver un album dégageant une telle forme de cruauté, je dois l’avouer, assez jubilatoire. Dommage car les enfants adorent ça !
 
Les lions ne mangent pas de croquettes d’André Bouchard. Seuil jeunesse, 2012. 32 pages. 15 euros. A partir de 4-5 ans


Bouchard  © Seuil jeunesse 2012

mercredi 21 novembre 2012

Le Klondike de Zach Worton

Worton  © Cambourakis 2012
Entre les années 1870 et le tout début du XXème siècle, le Yukon, un territoire sauvage du nord-ouest canadien, devint le théâtre d’une impitoyable ruée vers l’or. L’histoire du Yukon est liée à celle de ces milliers d’hommes (et de quelques femmes) persuadés qu’il n’y avait qu’à se pencher dans les cours d’eau traversant cette région frontalière de l’Alaska pour ramasser des pépites à la pelle. Seulement, les choses n’étaient évidemment pas si simples. L’extraction de l’or était harassante, les conditions climatiques abominables et surtout les véritables filons pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main. La très grande majorité des concessions restèrent totalement stériles. Rapidement, un climat de violence s’installa, même si la police montée canadienne tenta de limiter les échauffourées. Certains, rares, tirèrent néanmoins leur épingle du jeu. Pour les autres, les désillusions se succédèrent devant ces chimères créées par une fièvre incontrôlable.

Zach Worton a construit son récit autour de quelques figures marquantes de cet épisode mythique de l’histoire américaine. Il lui aura fallu cinq ans de travail pour retranscrire fidèlement les événements majeurs qui ont jalonné cette épopée. Rapidement, il se rend compte que la vérité historique n’est pas toujours divertissante. C’est ainsi qu’il précise en postface : « J’ai dû faire appel à mon imagination pour développer plusieurs éléments, afin de faire avancer l’histoire et d’y incorporer tout à la fois certains faits. Des personnages inventés de toutes pièces servent à transmettre au lecteur des informations que ne peuvent lui offrir les principaux protagonistes. » J’avoue que les premiers chapitres ne m’ont pas emballé. Une succession de portraits sans véritable lien apparent, une collection d’anecdotes pas franchement intéressantes qui m’ont fait craindre le pire. Et puis peu à peu, c’est une saga qui prend forme, pleine de rebondissements, de moments tragiques et d’intrigues politiques. On découvre des indiens, des bandits, des voleurs, des arnaqueurs, des meurtriers, des hommes au bout du rouleau, le froid, la faim, les espoirs déçus et au final, pour beaucoup, la mort.

Au fait, pourquoi pourquoi parle-t-on de ruée vers l'or du Klondike ? Tout simplement parce que c’est dans les affluents de cette rivière traversant le Yukon que furent trouvées les premières pépites.
 
Toute l’épopée de ces forçats de l’or est réalisée en noir blanc, dans un style graphique fortement inspiré de la ligne claire européenne, même si il rappelle aussi parfois les premiers volumes de Bone (les meilleurs, ceux sans couleurs, évidemment).
 
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce pavé de plus de 300 pages contenant, en plus de l’histoire, des cartes géographiques, un index biographique, une note sur les techniques d’extraction de l’or ainsi qu’une bibliographie très complète sur la période. Peut-être pas un album grand public mais si comme moi vous appréciez les récits de ce genre, vous pouvez foncer les yeux fermés..   

Le Klondike de Zach Worton. Cambourakis, 2012. 332 pages. 24 euros.  


Worton  © Cambourakis 2012

 
 

lundi 19 novembre 2012

Mon copain secret de Loïc Dauvillier et Alain Kokor

Dauvillier et Kokor
© ed. de la Gouttière 2012
Manon a un frère jumeau avec lequel elle ne s’entend pas vraiment bien. Enfant taciturne et rêveuse, elle trouve souvent refuge dans sa chambre auprès d’un éléphant qu’elle seule est capable de voir. Le pachyderme est un copain sur qui elle peut compter en toute occasion : pour se confier, pour jouer ou pour la protéger. Et tant pis si personne ne veut la croire… 

Mon copain secret est un récit d’enfance tout en sensibilité. Il y est question de fratrie, de solitude, de ces jardins secrets que l’on se fabrique et qui participent à la construction d’une identité. Une histoire universelle et touchante.

Plus je lis Loïc Dauvillier et plus je compare son travail à celui d’un écrivain. Il possède une petite musique bien à lui qui fait qu’on le reconnaît au premier coup d’œil. Si vous lisez Modiano, vous constatez qu’il y a un style Modiano, assez inimitable. Pareil pour Joyce Carol Oates ou Amélie Nothomb (ok, ce dernier exemple n’est pas le meilleur, j’en conviens). Ce que je veux dire c’est qu’ils possèdent une patte si personnelle qu’on ne peut les confondre avec d’autres. Et bien c’est pareil pour Dauvillier. Depuis Mamé, je crois que je n’ai raté aucun de ses albums. Et j’avoue que c’est ce qu’il écrit pour le jeune public qui me bluffe le plus : toujours fin, intelligent et d’une grande profondeur. Si vous ne me croyez pas, plongez-vous donc dans L'enfant cachée ou Petite souris, grosse bêtise, vous en ressortirez forcément convaincu. Le plus important, c'est qu'il ne prend pas les enfants pour des imbéciles et n’hésite pas à leur proposer une lecture qui demande de la réflexion. Mon copain secret n’échappe pas à la règle. D’un lecteur à l’autre, les interprétations de l’histoire peuvent fortement varier car si nombre d’informations contenues dans le texte sont compréhensibles de manière explicite, certaines relèvent clairement de l’implicite. Disons pour faire court que si vous souhaitez solliciter l’imaginaire de vos enfants, choisir une lecture qui les interpelle et les pousse à la réflexion, cet album est fait pour vous.

Deux mots également sur le travail toujours aussi remarquable d’Alain Kokor. Son trait tout en douceur, sans véritable encrage, reste constamment au service du récit. A noter que la simplicité du découpage permet de proposer ce titre à des enfants n’ayant que très peu d’expérience du média BD.

Une fois encore, les éditions de la Gouttière se démarquent judicieusement de la concurrence. Liant constamment le ludique et le pédagogique, le catalogue de cet éditeur picard devrait à l’évidence être reconnu d’utilité publique. 

Mon copain secret de Loïc Dauvillier et Alain Kokor. Éditions de la Gouttière, 2012. 32 pages. 9,70 euros. A partir de 7-8 ans.



Dauvillier et Kokor © ed. de la Gouttière 2012

dimanche 18 novembre 2012

Enola Holmes 1 : La double disparition

Springer © Nathan 2009
Le jour de ses quatorze ans, Enola Holmes constate la disparition de sa mère. Appelés à la rescousse, ses deux frères Sherlock et Mycroft débarquent dans la demeure familiale pour mener l’enquête. Mais très vite, Enola constate qu’ils sont surtout venus pour la remettre dans le droit chemin. Pour eux, cette gamine est « une enfant naïve. Qui a grandi laissée à elle-même. Sans éducation. Dépourvue de toute sophistication. Une rêveuse. » Leur but est donc de l’envoyer en pension pour en faire une Lady. Il faut dire que les deux aînés sont beaucoup plus âgés que leur cadette et que cette « enfant du scandale » que leur mère a eu à 50 ans a, selon eux, sérieusement besoin d’être reprise en main. Refusant de se plier à leur volonté, Enola prépare soigneusement son « évasion » et fomente un plan ingénieux censé lui permettre à la fois d’échapper à a pension et de partir à la recherche de sa mère…

Une fois de plus, j’ai cédé à la tentation. Marie, Manu, Syl, Nahe et tant d’autres ont vanté les mérites d’Enola et m’ont convaincu de me lancer dans cette série destinée aux jeunes lecteurs de 10-12 ans. A juste titre d’ailleurs car ce roman est fort agréable. Tout le monde s’accorde sur la simplicité de l’intrigue et les grosses ficelles utilisées pour que les événements s’enchaînent. Disons que le hasard fait souvent très bien les choses mais à la limite peu importe car l’intérêt est ailleurs, notamment dans le portrait de cette jeune fille pétillante au caractère bien trempée qui refuse la condition que l’on souhaite lui imposer. Éprise de liberté, fortement influencée par les idées avant-gardistes de sa mère, Enola se prend en main seule et avance avec conviction, quitte à subir quelques désagréments. Intéressante également la façon dont l’auteur campe Sherlock et Mycroft. Le premier, « droit comme un manche de râteau, plus svelte qu’un lévrier » est froid et ne montre aucun signe d’affection à l’égard de sa sœur. Le second, se comportant davantage comme un père que comme un frère, pense surtout à la réputation familiale et ne supporte pas qu’Enola soit (selon lui) si mal élevée. Tous deux apparaissent antipathiques en diable et on se doute qu’ils occuperont une place importante dans la suite de la série. Dernier point très positif, l’Angleterre victorienne de la fin du XIXe siècle est restituée avec beaucoup de précision. Les rues malfamées de Londres et l’ambiance bucolique de la campagne anglaise sont notamment criantes de vérité.

Bref, voila un premier tome qui ne brille certes pas par son intrigue mais qui dégage suffisamment de charme pour que je me laisse convaincre de poursuive au plus vite la découverte des aventures d’Enola.

Enola Holmes T1 : La double disparition, de Nancy Springer. Nathan, 2009. 264 pages. 7 euros.

L'avis de Marie ; L'avis de Manu ; L'avis de Syl ; L'avis de Nahe

samedi 17 novembre 2012

Trois ans, trois enfants, trois gagnants : résultats du concours

Un ÉNORME merci pour tous vos témoignages de sympathie suite à mon billet anniversaire, ça fait vraiment chaud au cœur. Vu le nombre de participants, j’ai décidé de récompenser non pas deux mais trois d’entre vous. Après tout, c’est bientôt Noël, l’heure est aux cadeaux.
J’ai glissé 26 noms dans le chapeau avant de le secouer très fort.   



Et le premier nom à sortir fut celui de :

Le second sur la liste fut celui de :



Et enfin le dernier tiré au sort :




Un grand bravo aux gagnantes. Comme convenu, vous choisissez dans l'index des titres l'ouvrage que vous souhaitez recevoir et je vous le fais parvenir au plus tôt. En cas de rupture chez l'éditeur ou de difficulté à récupérer un exemplaire, je vous préviendrais afin que vous fassiez un second choix. Pour me signifier votre choix et me donner votre adresse, il suffit de passer par le formulaire de contact.

Encore merci à tous d'avoir participé. Si j'avais pu, j'aurais récompensé tout le monde mais vous étiez trop nombreux ! Mais bon, ce n'est peut-être que partie remise, il se pourrait bien que d'autres concours voient le jour ici même dans les semaines qui viennent...

vendredi 16 novembre 2012

Gisèle Alain de Sui Kasai

Kasai © Ki-oon 2012
Gisèle Alain incarne une certaine forme de liberté et de joie de vivre. Elle est pleine de peps, de bonne volonté et d’optimisme. Sa naïveté la rend parfois touchante et fragile, son caractère entier peut lui jouer des tours. Mais plus que tout, Gisèle Alain m’a fait bailler d’ennui. 

Dans un décor de carton pâte censé reconstituer un Paris Victorien du début du 20ème siècle (Paris à cause du nom de l’héroïne et Victorien parce que certains bâtiments et vêtements semblent très anglais), cette gamine enchaîne des historiettes sans intérêt. Un pauvre chat à sauver des griffes d’un savant fou (mais en fait, pas de panique, le savant est un gentil monsieur !), un garçon sauvage à apprivoiser (tout est bien qui finit bien, forcément) ou encore une stripteaseuse à consoler (à la limite là, ça pourrait m’intéresser, mais finalement non), ne cherchez plus, Gisèle s’occupe de tout. Ça dégouline de bons sentiments et la mièvrerie se retrouve à chaque coin de page. Bref, j’ai trouvé ça niais, tout simplement. En fait, chaque chapitre étant une petite nouvelle indépendante de ce qui suit et ce qui précède, cela donne à l’ensemble une trop grande impression de légèreté. Tellement léger qu’à la fin il n’en reste rien. Aussi vite lu qu’oublié, quoi. 

Seul point positif, le dessin est très sympa, précis et détaillé. Malheureusement, un beau dessin ne fait pas une bonne histoire, ce serait trop facile. Mon Dieu que ce manga est cul-cul la praline ! Il est très rare que je referme un livre en me disant que j’ai perdu mon temps mais malheureusement, c’est ici le cas..             

Gisèle Alain T1 de Sui Kasai. Ki-oon, 2012. 206 pages. 7,65 euros. 



Kasai © Ki-oon 2012

jeudi 15 novembre 2012

Les pierres qui brûlent, qui brillent, qui bavardent

Caroff  © Gulf Stream 2012
Franchement, je n’y connais rien en matière de géologie. Et j’avoue que le sujet m’intéresse moyennement. Pourtant, si l’on s’y penche de plus près, on découvre à quel point les pierres portent en elles l’histoire de notre planète. Saviez-vous par exemple que les plus beaux monuments de Paris sont construits en calcaire (Notre Dame de Paris, entre autres), que certaines pierres sont de redoutables photographes grâce à la fossilisation, qu’un diamant ne peut être rayé que par lui-même, que le quartz, un des minéraux les plus abondants de la croûte terrestre, est un élément essentiel de l’horlogerie moderne (lorsqu’il est stimulé électriquement, il oscille à une fréquence fixe qui permet de calibrer l’écoulement du temps) ou encore que la dangerosité de l’amiante, pourtant utilisée de manière intensive au XXème siècle, est connue depuis les écrits de Pline l’Ancien. Je pourrais aussi vous parler des météorites, des saphirs et des rubis, du marbre, du charbon, de l’uranium ou des roches plissées. Bref, on referme ce documentaire en ayant vraiment l’impression d’avoir appris quelque chose.
     
Chaque pierre est décrite sur une double page comportant quatre paragraphes, toujours identiques : une fiche d’identité avec photo, une mise en perspective scientifique, une anecdote historique et une dernière rubrique intitulée « Le saviez-vous ? ». C’est certes répétitif, mais c’est surtout très efficace. Les textes sont courts, précis et facilement compréhensibles, les illustrations nombreuses et la mise en page aérée. En fin d’ouvrage, un glossaire donne la définition des termes les plus compliqués et un index permet de mener une recherche par mots-clés. Simple d’utilisation, intelligemment construit et fort instructif, cet ouvrage ravira à coup sûr tous les géologues en herbe. Au collège, il trouvera tout à fait sa place sur les rayonnages du CDI.

A noter que ce titre fait partie d’une collection où l’on retrouvera, entre autres, Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent, Les bêtes qui pincent, qui pissent, qui percent à la campagne, ou encore Les bêtes qui rôdent, qui rongent qui rampent à la ville. Tout un programme !
 
Les pierres qui brûlent, qui brillent, qui bavardent de Martial Caroff (ill. Marion Montaigne et Matthieu Rotteleur). Gulf Stream, 2012. 85 pages. 15,50 euros. A partir de 9 ans


Caroff  © Gulf Stream 2012


mercredi 14 novembre 2012

Mine, une vie de chat

Pandolfo et Risbjerg
© Sarbacane 2012
Léon est un grand gaillard taciturne et un peu gauche. La solitude lui pèse, même si son meilleur ami Gaspard veille sur lui avec bienveillance. Le jour où Léon croise la route d’une chatte noire au regard envoûtant  sa vie bascule. Non seulement la chatte s’installe dans son petit appartement sous les toits et ne le lâche plus d’une semelle, mais surtout, un matin, à la place de l’animal, il trouve à ses cotés une superbe jeune femme nue. Décontenancé, persuadé qu’il est en train de rêver, Léon se demande par quel tour de passe- passe un tel miracle à pu se produire…

Mine, c’est le nom de la jeune fille mais c’est aussi le titre de ce joli roman graphique qui a de faux airs de conte fantastique. Le schéma narratif quinaire propre au genre y est d’ailleurs parfaitement respecté : situation initiale, élément déclencheur, péripéties, résolution, situation finale, tout y est. Mais au-delà des aspects purement techniques, Mine est aussi et surtout une belle histoire d’amour riche de personnages hauts en couleur. Les auteurs ont su créer un univers original et personnel laissant une grande part à la rêverie et aux déambulations.

    
Graphiquement, j’aime beaucoup le trait libre et souple du danois Terkel Risbjerg. Du noir et blanc épuré à l’encrage épais, presque charbonneux, qui fait la part belle aux mouvements. Ce dessinateur a longtemps travaillé dans l’animation, notamment comme storyboarder, et cela se ressent dans son découpage ultra-dynamique et très pêchu. A noter que le personnage de Léon rappelle Broussaille, un héros lunaire et poétique créé à la fin des années 80 dans le magazine Spirou par Bom et Frank Pé. Un bémol toutefois dans ce concert d'éloges, la construction trop elliptique donne parfois l’impression que le récit manque de profondeur.

Quoi qu’il en soit, si ce coup d’essai n’est pas tout à fait un coup de maître, voila néanmoins deux jeunes auteurs plus que prometteurs. C’est d’ailleurs tout ce que j’aime dans le catalogue BD de Sarbacane. On innove, on prend des risques et on n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour proposer au lecteur des ouvrages toujours surprenants (rappelez-vous Le chien gardien d’étoiles ou encore Sous l’eau, l’obscurité).   

Mine, une vie de chat, d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg. Sarbacane, 2012. 174 pages. 22 euros.

PS : Rien à voir avec ce qui précède mais ceux ou celles qui souhaitent découvrir ma voix de velours (tu parles !!!!), peuvent m'entendre pour la troisième fois dans le cadre de  l'émission de radio La vie des livres. Je présente cette fois-ci L'enfance d'Alan, un des albums que j'ai le plus apprécié ces dernières semaines. Personnellement, je n'écoute jamais mes piètres prestations car j'ai horreur d'entendre ma voix mais si le cœur  vous en dit, je vous donne le lien : http://www.libfly.com/l-enfance-d-alan-emmanuel-guibert-livre-1686153.html
Et dites-vous bien que l'exercice n'étant pas facile, l'indulgence doit être de mise ;)


Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012

Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012









lundi 12 novembre 2012

C’est pour mieux te manger !

Rogier © Poisson Soluble 2012
L’auteur prévient dès la première phrase : « Il était encore une fois un Petit Chaperon rouge qui s’en allait porter une galette et un pot de saindoux chez sa mère-grand ». Sauf que cette fois-ci les choses se passent un peu différemment. Tout d’abord, on croise les trois petits cochons. Ensuite, la maison de mère-grand est sacrément effrayante (voir extrait ci-dessous). Enfin, le Petit Chaperon n’a rien d’une petite fille sans défense…

Un album qui ne paie pas de mine mais dont la mécanique parfaitement huilée finit par emporter l’adhésion. Françoise Rogier installe une ambiance oppressante grâce à une belle utilisation du noir, du rouge et du gris. Au fil des pages, la tension monte, jusqu’à la révélation finale où l’on découvre qu’il est parfois bon de jouer à se faire peur.

  
Un ouvrage que j’ai testé sur ma fille de 7 ans. Sa première lecture achevée, elle me le rend en me disant : « J'aime pas, c’est trop court ! » Une sentence aussi réductrice qu’injuste mais qui sortait du cœur.  Peut-être parce qu’elle se lance depuis peu dans les petits romans et qu’elle considère (à tort) que les albums ne sont plus de son âge. Le lendemain matin, elle reprend le livre. Je vois qu’elle s’attarde plus longtemps sur chaque page. L’ayant refermé, elle le tend à sa grande sœur et lui dit : « Tiens, lis ça, c’est trop marrant ! » Depuis, elle l’a relu pas mal de fois. L’évolution de son point de vue est intéressante à plus d’un titre et montre que c’est un album qui s’appréhende sur la durée. Nul doute aussi pour les plus jeunes qu’une lecture à voix haute de l’adulte peut apporter une dimension supplémentaire à l’aspect à la fois drôle et quelque peu inquiétant de l’histoire. Au final, plus qu’une énième variation autour du Petit Chaperon rouge, C’est pour mieux te manger possède un ton original et quelque peu décalé qui en fait une lecture hautement recommandable.
 
C’est pour mieux te manger ! de Françoise Rogier. L’atelier du poisson soluble, 2012. 26 pages. 15 euros. A partir de 4-5 ans


L'avis de Mo'
 

Rogier © Poisson Soluble 2012

samedi 10 novembre 2012

Les accusées de Charlotte Rogan (rentrée littéraire 2012)

Rogan © Fleuve Noir 2012
Août 1914. Alors que la guerre s’annonce en Europe, le transatlantique Impératrice Alexandra croise vers l’Amérique du nord avec à son bord de riches passagers fuyant le conflit à venir. Mais soudain, au milieu de nulle part, entre l’Angleterre et les États-Unis, c’est le naufrage. A peine quelques dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants peuvent prendre place à bord des chaloupes de sauvetage. Parmi eux, Grace Winter, 22 ans, qui vient de se marier et était en route pour Boston afin de rencontrer sa belle famille. Grace est la narratrice. Elle raconte vingt et un jours à la dérive en plein océan, dans une coquille de noix surchargée (39 personnes alors que la capacité maximale est limitée à 30) où les tensions se sont accentuées de jours en jours. La faim, la soif, le froid, l’humidité, les éléments déchaînés et les plus faibles qui ne survivront pas. Si Grace relate son histoire, c’est avant tout pour essayer de comprendre pourquoi, une fois revenues sur la terre ferme, elle et deux de ses camarades d’infortune furent accusées de meurtre avec préméditation à l’encontre de celui qui avait pris le commandement de la chaloupe.   

Une vraie bonne idée au départ de ce premier roman. Un huis-clos tragique, une tension palpable, des caractères que tout oppose et en filigrane une question métaphysique fondamentale : jusqu’où l’être humain est capable et a le droit d’aller pour sa survie ? Au cours du procès, le procureur interpelle les trois femmes : «  Et pourquoi avez-vous survécu ? Pourquoi n’avez-vous pas toutes les trois succombé aux éléments ? Pourquoi n’avez-vous pas dépéri, pourquoi n’êtes-vous pas tombées malades comme tant d’autres ? Quelqu’un de visiblement fort n’aurait-il pas choisi une voie plus noble et sauté à la mer pour sauver ses compagnons ? ». Et l’une d’elles de lui répondre : « Qui est véritablement noble ? Vous l’êtes, vous ? »

Tout cela est fort original et alléchant mais malheureusement, à la lecture, les déceptions se sont enchaînées. D’abord l’écriture est d’une platitude affligeante. Ensuite, les confidences de Grace n’ont rien de passionnantes. Les passages à bord de la chaloupe sont constamment entrecoupés par des considérations sur son mariage, sa sœur ou sa future belle-mère qui ont au final bien peu d’intérêt. Et même les scènes se déroulant à l’intérieur de l’embarcation ne m’ont pas convaincu. En fait, je crois que dès le départ je n’y ai pas cru. J’aurais voulu plus de réalisme, de bruit, d’odeurs forcément nauséabondes liées aux problèmes d’hygiène, bref, d’une description clinique de cette insupportable promiscuité. Tout semble aseptisé à l’extrême, comme si ce n’était qu’un jeu, une petite farce pour faire frissonner les lecteurs en mal de sensations fortes (et artificielles).      
  
Pour faire court, je me suis fait ch… alors qu’il y avait matière à trousser un récit passionnant. Dommage. 

 
Les accusées de Charlotte Rogan. Fleuve Noir, 2012. 260 pages. 18,90 euros. 

L'avis d'Ys