dimanche 31 juillet 2011

Lennox

Après avoir servi dans l’armée canadienne en Italie et en Allemagne, Lennox s’est installé à Glasgow. En ce début d’année 1953, sa carrière de privé prend un dangereux virage. Lorsque Frankie Mc Gahern, un truand en plein ascension, vient lui demander d’enquêter sur l’assassinat de son frère jumeau, Lennox se doute qu’il y a anguille sous roche. Le soir même, on retrouve Frankie le crâne en bouillie. Le privé fait un suspect en or aux yeux de la police. Pour prouver son innocence, il va devoir faire allégeance aux « trois rois » qui dirigent la pègre de la ville et mettre le doigt dans un engrenage dont il ne sortira pas indemne…

Avec ce polar sombre et old school, Craig Russel propose une plongée dans les bas fonds du Glasgow des années 50. Une ville rude, triste à mourir, aux rues violentes et à la police corrompue. Un dicton local résume mieux que quiconque l’ambiance glauque de la plus grande cité écossaise : « Un jour de plus, toujours la même merde

Un privé bourru, des flics véreux, des femmes fatales et des méchants très méchants. Toutes les grosses ficelles du polar à la Chandler ou Dashiell Hammett sont ici réunies. Mais dépassant le cadre du simple hommage aux grands maîtres du genre, l’auteur parvient à créer un héros singulier. Lennox n’est pas un buveur de scotch bagarreur à l’imper froissé et au chapeau mou. Très marqué par son passé militaire, cet écorché vif, à la fois amère et cynique, fait preuve de finesse et d’intelligence.

Une certitude, ce roman à l’intrigue assez complexe ravira les amateurs de polar. Le nombre très important de personnages implique une lecture attentive afin ne pas perdre le fil mais au final, c’est un vrai plaisir de déambuler dans les rues de Glasgow avec cet atypique privé canadien.

Lennox, de Craig Russel. Calmann-lévy, 2011. 325 pages. 20,50 euros.

vendredi 29 juillet 2011

Jerry Spring

Le premier cowboy du journal de Spirou se nommait Red Ryder. Un héros aux cheveux roux accompagné de son ami indien Petit Castor qui aura vécu des aventures tumultueuses dans les pages du magazine de 1939 à 1952. Cette BD créée en 1938 aux États-Unis par Fred Harman faisait partie des quelques séries américaines (Superman, Dick Tracy, Luc Bradefer…) qui ont longtemps partagé le sommaire de Spirou avec les créations locales. En 1952, constatant que la qualité de Red Ryder est devenue très faiblarde, l’éditeur Paul Dupuis arrête sa publication et demande à Jijé (Joseph Gillain) de lui réaliser un western « made in Belgique ». Une proposition qui ne pouvait pas mieux tomber puisque depuis son voyage de plusieurs mois effectué au Mexique et aux États-Unis avec ses amis Morris et Franquin en 1948, le dessinateur rêve de mettre en scène les grands espaces sauvages et légendaires du Far West.

Jerry Spring apparaît pour la première fois dans le n° 829 du 4 mars 1954. C’est Spirou et Fantasio eux-mêmes qui l’annoncent sur la couverture du journal : « Sensationnel ! Jijé commence aujourd’hui la publication d’une série cow-boy du tonnerre ! Voyez vite Jerry Spring. » La série met en scène le cow-boy Jerry et son inséparable compagnon mexicain Pancho ainsi que leurs montures respectives, Ruby et Chiquito. Au menu, du grand classique : Shérifs, bandits, notables véreux, attaques de peaux rouges, mine d’or abandonnée… Au fil des épisodes, Jerry le bon samaritain va affronter le Ku Klux kan, défendre les nations indiennes ou encore prendre parti pour la liberté des esclaves noirs. Un héros humaniste, redresseur de tort au cœur pur qui n’aura de cesse d’apporter son aide aux opprimés.

Pour ce qui est des scénarios, Jijé part souvent à l’aveuglette : il a bien une trame narrative générale, mais il se laisse souvent porter par ses impulsions et modifie sans cesse le cours de son récit, parfois en improvisant totalement. Les quelques scénaristes ayant collaboré avec lui sur cette série ont vite déchanté. Maurice Rosy par exemple : « J’ai reconnu mon scénario jusqu’à la huitième planche. J’avais fait un découpage mais Jijé est parti ailleurs. Puis il m’a téléphoné pour me dire qu’il avait changé telle et telle chose. […] J’ai fini par laisser tomber ». Même Goscinny, sollicité par le dessinateur pour scénarisé l’épisode intitulé L’or du Vieux Lender, ne reconnaîtra pas son histoire une fois l’album terminé tellement Jijé aura pris de libertés pour le modifier comme bon lui semblait. Finalement, Jijé travaille un peu à la manière des feuilletonistes du 19ème siècle. Face aux délais de bouclage du journal revenant chaque semaine, il brode son histoire comme bon lui semble au gré des impulsions qui le traversent au moment où il réalise ses planches.

Graphiquement par contre, rien n’est laissé au hasard. Avec Jerry Spring Jijé est proche du génie. Fortement influencé par l’auteur américain Milton Caniff, il se lance dans des découpages audacieux, jouant notamment de l’opposition entre d’abondantes masses d’encre noire et la blancheur éclatante du papier pour créer un langage graphique d’une grande qualité. Il alterne également les très gros plans de visages avec des cases représentant les silhouettes en ombres chinoises. Cette succession de plans larges et de plans rapprochés allie efficacité et dynamisme. Et que dire de la beauté des décors qui transporte littéralement le lecteur au cœur des grands espaces de l’Ouest américain…

Avec Jerry Spring, Jijé offre un western réaliste et percutant à l’exceptionnelle force d’évocation. Cette série incontournable aura suscité un nombre incroyable de vocations et marqué au fer rouge une génération de dessinateurs. Jean-Claude Mézières (Valérian) : « J’avais quinze ans et je suis tombé en extase devant les deux premières planches de Jerry Spring ». Jean Giraud (Blueberry) : « Quand sont arrivés Yucca Ranch et Trafic d’armes (les 2ème et 4ème tomes de la série), alors là, je me suis retrouvé aplati contre le mur, scotché, je ne pouvais plus respirer ». Derib (Buddy Longway) : « Quand j’ai découvert Jerry Spring, je n’ai pas analysé, c’était hyper instinctif, un choc ! ».

Plus grandes forces de cette série :

  • Le dessin, forcément. Une vraie claque avec ce noir et blanc qui vous hypnotise !
  • Les décors : les intrigues se déroulant de part et d’autre de la frontière entre le Mexique et les USA, elles offrent des paysages certes réalistes mais qui invitent également le lecteur à la contemplation tellement ils sont magnifiques. Un must !
  • La variété des thèmes abordés. Bien sûr, il n’y a rien de neuf sous le soleil : des bandits, des trafiquants d’armes, des chercheurs d’or, des indiens… mais Jijé est parvenu à se renouveler à chaque nouvel album, ce qui n’était as forcément évident au départ.
  • La réédition actuelle de la série en intégrale par les éditions Dupuis. Un travail remarquable avec un riche appareil critique et la publication des planches dans leur noir et blanc d’origine. Indispensable !

Ce qui m’a le plus agacé :

  • Les premiers albums où l’on perçoit qu’au niveau du scénario, Jijé navigue parfois à vue. Un manque de cohérence et d’épaisseur criant avec des retournements de situation qui tombent comme un cheveu sur la soupe.
  • Le coté humaniste du héros qui est en fait très « politiquement correct ». Depuis la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, les éditeurs de BD vivaient avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Au moindre petit écart, la censure frappait, impitoyable. D’où une demande faite aux auteurs d’aseptiser au maximum leur production pour éviter d’indisposer les membres de la commission de surveillance. Au final, pour Jerry Spring, on qualifie les valeurs du héros d’humanistes pour faire plus noble. Pour moi, c’est avant tout un coté boy scout avec un héros trop lisse qui aurait mérité d’être un plus « torturé ». Mais pour l’époque, c’était tout bonnement impensable !
  • Les albums en couleur : une hérésie ! Jijé a toujours affirmé qu’il préférait le noir et blanc mais les impératifs commerciaux en ont décidé autrement (le grand public préfère la couleur, soit disant). Résultat Jijé, qui ne s’est jamais intéressé à la couleur, laisse l’éditeur s’en charger et le résultat est affligeant tant il dénature le travail initial de l’auteur. Heureusement que la réédition actuelle de la série en noir et blanc redonne à Jerry Spring ses lettres de noblesse !



Carte d’identité de la série :

Auteurs : Jijé
Date de création : 1954
Nombre d'albums : 21 (série terminée)
Éditeur : Dupuis

mercredi 27 juillet 2011

Les enquêtes de Margot 1 : Le mystère de la traction 22

Paris, 1959. Margot est depuis deux mois stagiaire au magazine Auto revue, chargée de rédiger les petites annonces. Son patron lui demande, dans le cadre d’un numéro spécial célébrant les 25 ans de la traction, de réaliser un article sur la 22 chevaux. Pour cette débutante ne connaissant rien aux voitures, c’est une belle opportunité. Problème, la traction 22 est un mythe, une voiture fantôme que seuls quelques spécialistes affirment avoir vu au salon de l’auto de 1934. Ne se doutant pas que ses collègues lui ont fait une blague de mauvais goût en lui cachant que cette voiture n’a jamais existé, elle se lance avec naïveté dans une enquête qui va la mener de surprise en surprise…

Un album qui fleure bon la France des années 60. Le scénariste Olivier Marin s’amuse à mettre en scène une femme dans un monde de l’automobile à l’époque 100% masculin. Margot est une jeune femme élégante, qui porte des tailleurs à la Jacky Kennedy. Si dans les premières planches elle apparaît un peu nunuche, limite caricaturale, elle prend vite le dessus sur les hommes qui l’entoure et montre une intelligence et une abnégation sans faille. Ingénue, n’hésitant pas à user de son charme et des ses formes généreuses, elle incarne une figure moderne dans un monde très conservateur. Aux pinceaux, Emilo Van der Zuiden propose une ligne claire ultra classique. Les costumes et les décors sont particulièrement réussis, sans parler des différents véhicules, reproduits avec la plus grande fidélité.

Un album old school très sympa qui n’a d’autre ambition que de divertir et qui ravira les amateurs de vieilles voitures. Typiquement le genre de lecture que l’on apprécie en vacances, légère et rafraîchissante.


Les enquêtes de Margot T1 : Le mystère de la traction 22 d’Olivier Marin et Emilio Van der Zuiden, Éditions Paquet, 2009. 44 pages. 13,00 euros.




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lundi 25 juillet 2011

L’homme des ses rêves

John Cheever (1912-1982) est considéré comme l’un des plus grands nouvellistes américains. Cet écrivain encensé, entre autres, par Carver, Nabokov ou Philip Roth est surtout connu pour ses textes rédigés après la seconde guerre mondiale. Mais il a aussi publié de nombreuses nouvelles dans des revues au cours des années 30 et 40. Douze d’entre elles sont ici réunies dans un recueil qui plonge le lecteur au cœur de l’Amérique dépressionnaire. Des portraits d’hommes et de femmes mélancoliques et solitaires.

Plusieurs nouvelles se déroulent dans le monde des courses avec des parieurs jonglant sans cesse entre les gains, les pertes et les dettes. Dans « Autobiographie d’un commis voyageur », c’est un vendeur de chaussures de luxe dont le métier est frappé de plein fouet par la crise qui voit ses revenus se réduire comme peau de chagrin et perd définitivement son emploi à 62 ans. Sans aucune police d’assurance ni retraite, son avenir ressemble à un gouffre vertigineux. « De passage » raconte l’histoire d’un homme exalté venu dans une ville du nord créer une cellule du parti communiste. Après d’autres vaines tentatives à Boston ou Philadelphie, il finira seul, haranguant quelques badauds sur le bord des trottoirs, désespérément accroché à ses illusions perdues. Dans les dix autres nouvelles, ce sont les femmes qui tiennent le premier rôle. Des femmes opiniâtres et pleines de tempérament. Orgueilleuses aussi et difficilement manipulables : une stripteaseuse cinquantenaire que l’on veut mettre au placard et qui prendra une éclatante revanche, une serveuse fière de sa popularité qui n’accepte pas d’être secondée par une nouvelle plus séduisante ou encore cette jeune fille rêvant de devenir comédienne et qui, par le plus grand des hasards, se voit proposer un premier rôle à Broadway. Elle le refusera, persuadée que la pièce est exécrable.

Bien sûr, il faut aimer le genre. Mais quel plaisir de découvrir ces nouvelles ciselées où Cheever montre déjà la virtuosité d’un grand portraitiste en mettant en scène des personnages naviguant sans cesse entre optimisme béat et espoirs déçus. Au final, ces textes aigres-doux m’ont fait passer un délicieux moment de lecture.


L’homme des ses rêves de John Cheever, Éditions Joëlle Losfeld, 2011. 156 pages. 17,50 euros.

vendredi 22 juillet 2011

Iznogoud

1961. René Goscinny, rédacteur en chef de Pilote, est contacté par les éditions La bonne Presse pour créer une nouvelle série à paraître dans le magazine Record devant être lancé en janvier 1962. Le scénariste se tourne naturellement vers Jean Tabary, dessinateur avec lequel il réalise les aventures de Valentin le vagabond, pour mettre en route cette nouvelle série. Les deux auteurs s’accordent pour imaginer les exploits d’un détective privé à New York et Tabary réunit toute la documentation nécessaire. C’est donc entouré de photos d’automobiles, d’armes et d’hélicoptères qu’il reçoit les premières pages d’une histoire commençant par la phrase suivante : « Il y avait une fois à Bagdad un bon calife du nom d’Haroun-El Poussah... » Et quand le dessinateur contacte Goscinny pour lui demander ce que cela veut dire, il s’entend répondre : « Ah, j’ai oublié de te dire : j’ai changé d’idée, on va raconter une histoire du genre des Mille et une nuits, en plus drôle… Tu es d’accord ? » En fait, l’idée lui est venue en rédigeant un chapitre du Petit Nicolas dans lequel un moniteur de colonie de vacances raconte l’histoire d’un calife qui était très bon mais qui avait un très méchant vizir…

Finalement, il ne faut pas grand-chose pour résumer la mécanique de la série : Iznogoud le méchant Vizir tente par tous les moyens de prendre la place du calife. Au fil des histoires, le lecteur comprend très vite que le but n’est pas de savoir si le grand vizir va réussir son coup mais comment il va s’y prendre pour échouer et, le plus souvent, tomber dans ses propres pièges. Le calife déjoue quant à lui systématiquement et sans s’en rendre compte les stratagèmes mis en place par Iznogoud avec une bonhomie et une naïveté confondantes.

Pour varier les situations et ne pas donner l’impression de raconter toujours la même histoire, Goscinny s’appuie sur la richesse de l’univers dans lequel se déroule la série. Bagdad l’enchanteresse, la mystérieuse, regorge de Djinns, de magiciens et de marchands d’objets magiques qui permettent de renouveler à l’infini les vaines tentatives d’Iznogoud.

Avec son trait nerveux Tabary se régale à mettre en scène les improbables situations imaginées par son scénariste. Il compose à chaque nouvelle histoire des personnages secondaires aux trognes impayables qui participent grandement au ton humoristique de la série. D’ailleurs, pour ce qui est de l’humour, le scénariste n’est pas en reste. Il multiplie jeux de mots et calembours lamentables et il entoure son cher vizir d’une incroyable galerie d’imbéciles encore jamais vue en bande dessinée.

C'est en débarquant dans l'hebdomadaire Pilote en 1972 que la série, intitulée depuis ses débuts « Les aventures du calife Haroun El Poussah », change de nom pour devenir « Les aventures du grand vizir Iznogoud », faisant définitivement du vizir le personnage principal.

A la mort de Goscinny en 1977, Tabary reprend seul le flambeau. Aujourd’hui, ce sont ses trois enfants qui assurent la relève d’une série mythique où la méchanceté et les échecs perpétuels de l’infâme Iznogoud font sourire les lecteurs depuis 50 ans.

Plus grandes forces de cette série :

  • C’est sans doute la première fois depuis les Pieds Nickelés qu’un héros de série n’est pas animé de louables intentions. On ne peut qu’être admiratif devant la volonté inusable de ce vizir qui restera sans doute un des plus grands « méchants » de l’histoire de la BD.
  • Les calembours et autres jeux de mots, parfois très tirés par les cheveux mais qui sont la marque de la série.
  • La richesse des personnages secondaires. Il y a bien sûr Dilat Larath, l’homme de main d’Iznogoud qui accomplit les basses besognes et ne cesse de prévenir son patron de l’échec à venir de ses manœuvres, mais il y a aussi tous les marchands, magiciens et autres colporteurs qui illuminent les histoires de leur vanité, de leur cupidité et le plus souvent de leur incommensurable stupidité.
  • Le trait de Tabary qui se reconnaît au premier coup d'oeil et donne un charme indéfinissable à la série.
Ce qui m’a le plus agacé :

  • L’inconscience béate du calife. Un personnage flegmatique qui ne brille pas par son intelligence et se révèle au final assez peu intéressant car il n’évolue pas du tout au fil des albums.
  • Les histoires où Goscinny n’est pas au scénario sont souvent très faiblardes. Un constat qui s’impose avec les deux autres grandes séries de ce génie qui lui ont survécu (Astérix et Lucky Luke).

Extrait du tome 7 : une carotte pour Iznogoud


Carte d’identité de la série :

Auteurs : Jean Tabary et René Goscinny
Date de création : 1962
Nombre d'albums : 28 (série en cours)
Éditeur : Dargaud et Éditions Tabary

mercredi 20 juillet 2011

Les schtroumpfs 9 : Schtroumpf vert et vert schtroumpf

« Schtroumpfs du Nord et Schtroumpfs du Sud ne s’entendent pas sur le plan linguistique. Vont-ils se séparer ? » Voila comment était résumé l’album schtroumpf vert et vert schtroumpf au moment de sa prépublication dans le journal Spirou au début de l’année 1973. Huit ans après le fabuleux Schtroumpfissime, Peyo et Yvan Delporte remettent le couvert et proposent une nouvelle fable politique pertinente dans ce neuvième épisode de la série. Le point de départ de l’intrigue est fort simple et concerne un objet courant, le tire-bouchon. Alors que les schtroumpfs du sud du village parlent de « schtroumpf-bouchon », ceux du nord emploient le terme de « tire-bouschtroumpf ». En fait, au nord, on met toujours le mot schtroumpf derrière alors qu’au sud on le met devant. Et personne ne parvient à se mettre d’accord : une schtroumpf de terre ou une pomme de schtroumpf ? Appelé à trancher, le grand schtroumpf prend la question à la légère en concluant que pour lui tout ça « c’est schtroumpf vert et vert schtroumpf ! ». Oui mais voila, cette querelle linguistique, aiguisant les susceptibilités, prend des proportions terribles et met en péril la paix du village.

Pour imaginer ce scénario, les deux compères se sont inspirés de l’histoire récente de leur pays. En 1970, une révision de la constitution a scindé la Belgique en trois régions : La Flandre, La Wallonie et Bruxelles. Cette dernière, habitée par une majorité francophone, est convoitée par le pouvoir flamand, devenant un enjeu politique et linguistique majeur. Peyo a sans doute beaucoup souffert en voyant ses compatriotes se déchirer, d’où l’idée de reproduire la situation belge dans un album des schtroumpfs pour mieux en dénoncer la stupidité. Mais bien conscients que ces problèmes sont insolubles, les auteurs vont pour la première fois ne pas clôturer une histoire des petits lutins bleus par une happy end. Certes, le calme revient au sein de la communauté, mais les divergences linguistiques ne sont pas pour autant réglées, chacun prenant juste soin de ne pas raviver les flammes de la discorde.

Malheureusement, cet album reste plus que jamais d’actualité puisque cela fait maintenant près de 400 jours que la Belgique vit sans gouvernement depuis que les hommes politiques francophones et flamands ne sont pas parvenus à s’entendre pour diriger le pays après les élections de juin 2010.

Au final, ce neuvième tome des schtroumpfs est à classer parmi les grands millésimes de la série, sa portée intemporelle se conjuguant à l’art de la mise en scène et au charme infini du dessin de Peyo.


Les schtroumpfs T9 : Schtroumpf vert et vert schtroumpf, de Peyo et Yvan Delport, Dupuis, 1973. 46 pages. 10.45 euros.




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lundi 18 juillet 2011

Ikebukuro West Gate Park III

A Tokyo, une fin d’été caniculaire écrase la ville sous une chaleur étouffante. Cette fournaise n’empêche pas les gosses de la mégalopole de s’éclater lors de raves infernales où la musique prend littéralement possession des corps. Et pour ces teufeurs, le paradis a un nouveau nom : Snake Bite. Un petit comprimé vert que l’on ingère pour « pouvoir danser toute la nuit en synchronie parfaite avec une musique dont le rythme dépasse les 100 bpm ». Problème, cette nouvelle drogue a des effets secondaires dévastateurs et fait des ravages dans la jeunesse tokyoïte.

Makoto, le démêleur d’embrouilles du quartier d’Ikebukuro, est engagé par la plus grande société organisatrice de raves pour découvrir qui se cache derrière le Snake Bite. Commence alors pour lui une traque qui le mènera sur la trace de dangereux dealers...

Ce troisième volume des aventures de Makoto ne comporte qu’une seule longue histoire, contrairement aux précédents qui regroupaient plusieurs nouvelles. La mécanique du récit reste toutefois la même : un texte à la première personne où Makoto raconte les événements de son point de vue. Une plongée au cœur de la jeunesse japonaise et de ses turpitudes dans un pays en pleine évolution. L’intérêt majeur de cette série est qu’elle garde une vision positive des choses, même si les sujets abordés sont parfois très lourds. Ira Ishida ne met pas en scène des personnages torturés comme ceux de Murakami Ryu. Il ne fait pas sombrer la société nippone dans des abimes de noirceur. Son héros est une sorte de bon samaritain toujours prêt à rendre service dans l’intérêt de la communauté. Il est agréable de découvrir le Japon d’aujourd’hui à travers des histoires où l’état d’esprit positif d’une partie de la population prend le pas sur les aspects déprimants et anxiogènes qu’aiment mettre en avant certains auteurs de l’archipel.

Petit bémol cependant, ce nouveau titre de la série n’apporte pas grand-chose de nouveau par rapport aux deux précédents. Le scénario se déroule toujours selon le même schéma et le personnage de Makoto n’évolue pas du tout psychologiquement parlant. D’où l’impression de déjà vue qui se révèle au final assez désagréable. J’avais fait la même remarque il y a peu au sujet du troisième tome des enquêtes de Kaeso le prétorien. Comme si, au bout d’un moment, après avoir trouvé une recette qui fonctionne, les auteurs s’installaient dans une routine sans vraiment chercher à faire évoluer leurs personnages et l’environnement qui les entoure. Un constat à vérifier (ou pas) si les éditions Picquier se décident un jour à publier la suite des aventures de Makoto, la série comptant en tout six titres dans son pays d’origine.

Ikebukuro West Gate Park III, d’Ira Ishida, éditions Philippe Picquier, 2010. 152 pages. 15,50 euros.

vendredi 15 juillet 2011

Sylvain et Sylvette

Sylvain et Sylvette sont nés dans les pages de l’hebdomadaire Cœurs vaillants-Âmes vaillantes en pleine seconde guerre mondiale. Leur première apparition date en effet du 31 août 1941, dans le neuvième numéro de ce journal catholique. Au tout début, le frère et la sœur vivent avec leur mère mais lors d’une cueillette de champignons ils se perdent dans la forêt profonde et trouvent refuge dans une chaumière abandonnée. Grâce à leur courage et à une bonne dose d’astuce, les enfants parviennent sans trop de problèmes à survivre. Amis de la nature et des animaux, ils s’entourent rapidement d’une joyeuse ménagerie. Au fil de leurs aventures, ils se lient d’amitié et accueillent chez eux le chien Alfred, la biquette Barbichette, le canard Coin-Coin, l’oiseau Cui-Cui, l’âne Gris-Gris, le hibou Hurluberlu, l’agneau Mignonnet, le matou Moustachu, la corneille Olga, le lapin Panpan, la poule Poulette, le rat Raton ou encore l’oie Sidonie. Mais si Sylvain et Sylvette sont appréciés par leurs amis à plumes et à poils, ils sont aussi confrontés aux agissements coupables des « compères », un quatuor composé d’un renard, d’un ours, d’un loup et d’un sanglier qui n’auront de cesse de vouloir capturer les animaux vivant avec les héros pour les transformer en casse-croute. Mais ces compères plus bêtes que méchants voient chacune de leur tentative échouer lamentablement.

Créé par Maurice Cuvillier, cet univers bon enfant se déclinera uniquement dans la presse jusqu’au début des années 50 (en 1945, Sylvain et Sylvette rejoignent le magazine Fripounet et Marisette). C’est en 1953 que sont publiés les premiers albums. Tout le monde se rappelle de ces publications brochées au format à l’italienne composées d’une vingtaine de pages et éditées par Fleurus.

En 1957, à la mort de Cuvillier, Jean-Louis Pesch poursuit et développe la série à un rythme effréné. En plus de cinquante ans, il réalise près de 140 aventures de Sylvain et Sylvette ! Parallèlement, Pierre Chéry en signe cinq entre 1957 et 1961 tandis que Claude Dubois réalise 93 histoires entre 1960 et 1986. C’est aujourd’hui Bérik (pseudonyme de Frédéric Bergèse) qui s’est vu confier les rênes de cette incroyable série qui enchante les enfants depuis maintenant 70 ans.

Cet incontournable de la BD franco-belge propose des récits tendres et innocents. Les intrigues sont toujours légères et pleines d’humour. Le cadre bucolique, l’harmonie existant entre les enfants, les animaux et leur environnement ainsi que la vie au rythme des saisons sont autant d’arguments qui ont su séduire plusieurs générations de très jeunes lecteurs. D’ailleurs beaucoup de parents gardent de doux souvenirs des aventures de Sylvain et Sylvette et s’attachent à transmettre ce patrimoine à leurs enfants.

Plus grandes forces de cette série :

  • Le fait que chaque aventures reste « légère », que l’on sache dès le départ que rien de bien grave ne pourra arriver aux animaux et aux enfants. Un coté rassurant qui fait du bien à l’heure où les publications pour la jeunesse sont de plus en plus anxiogènes.
  • L’aspect « robinsonnade » qui plaît beaucoup aux tout jeunes lecteurs : un frère et une sœur vivant seuls loin du monde des adultes et qui arrivent toujours à se débrouiller avec l’aide de leurs amis, ça fait rêver.
  • L’état d’esprit très altruiste qui traverse la série. L’entraide est omniprésente. Chacun est prêt à tout pour sortir ses camarades d’une mauvaise passe de manière désintéressée. C’est peut-être très naïf mais ça fait du bien !
  • Le décor bucolique parfaitement rendu par Jean-Louis Pesch. Cet excellent dessinateur animalier a su reprendre le flambeau de Maurice Cuvillier en l’enrichissant grandement au niveau visuel.
Ce qui m’a le plus agacé :

  • L’aspect répétitif des situations : les compères à moitié morts de faim cherchent à investir la chaumière des enfants pour leur voler des victuailles ou kidnapper des animaux et n’y parviennent jamais. Sur la longueur, on a parfois l’impression de toujours lire le même album.
  • Le coté naïf (qui a dit niais ?) des intrigues. De gentils enfants, dans une gentille forêt, entourés de gentils animaux qui vivent de gentilles aventures. Ce point négatif n’est valable que pour les vieux lecteurs aigris ayant perdu l’insouciance de leur jeunesse.
  • Les derniers albums, d’une qualité indigne de la série. Les albums de gags en une planche qui paraissent alternativement avec les aventures longues depuis 2001 sont d’une affligeante nullité. Mais bon, ce constat s’impose avec toutes les grandes séries classiques dont on continue à exploiter la notoriété avec de nouveaux albums chaque année.

Un extrait du tome 39 : Vas-y, Basile ! 


Carte d’identité de la série :

Auteurs : Maurice Cuvillier, Jean-Louis Pesch, Claude Dubois, Pierre Chery, Bérik
Date de création : 1941
Nombre d'albums : 55 dans la série en cours
Éditeur : Fleurus, Le Lombard, Dargaud

mercredi 13 juillet 2011

Les schtroumpfs 2 : Le schtroumpfissime

« Le grand schtroumpf est en voyage. Les schtroumpfs lui choisissent un remplaçant. » Voila comment était résumé le Schtroumpfissime au moment de sa prépublication dans le journal Spirou. Nous sommes en 1964 et après six mini-récits et deux histoires en vingt planches, les schtroumpfs vivent leur première grande aventure. Peyo et Delporte y décrivent l’élection d’un chef temporaire au suffrage « universchtroumpf » qui, une fois élu, devient un terrible dictateur. Discours démagogique, campagne électorale où la corruption fait rage, tentative de tricherie au bureau vote, opportunisme, mise en place de la dictature, répression contre les opposants, tous les tristes éléments de certaines situations politiques modernes sont déclinés avec finesse et humour.

Les éditions Dupuis ont la bonne idée de rééditer ce chef d’œuvre augmenté des commentaires du journaliste spécialisé Hugues Dayez. Chaque planche originale est précédée de réflexions sur le contexte de sa création ou d’analyses plus générales sur l’univers des schtroumpfs et de leur créateur. On y apprend par exemple que, au moment où il créé ses petits lutins, Peyo, n’ayant aucun sens de la couleur, charge sa femme Nine de leur trouver le teint de peau adéquat. C’est donc cette dernière qui choisit le bleu en procédant par élimination : verts, ils se seraient noyés dans le décor de la forêt ; rouges, ils auraient été trop voyants ; jaunes, ils auraient eu l’air malade ; roses, Peyo refusa cette couleur car il voulait signifier que ses petits personnages ne font pas partie du genre humain. Restait donc le bleu qui finit par convaincre tout le monde.

Hugues Dayez nous apprend par ailleurs que Peyo s’est inspiré de beaucoup d’éléments différents pour créer son univers : le schtroumpf à lunettes a des airs de famille avec le personnage d’Agnan, le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse dans Le petit Nicolas (publié en 1960) ; Les cadeaux explosifs du schtroumpf farceur sont une référence au dessin animé de Bip Bip et le Coyotte ; les traits de caractères spécifiques à chaque schtroumpf sont à mettre en parallèle avec ceux des sept nains de Blanche Neige (le dessin animé sorti en Belgique en 1938 aura fortement marqué Peyo) ; certaines scènes du schtroumpfissime sont des hommages plus ou moins directs à Chaplin (Le Dictateur), Hergé (Le cigare des pharaons) ou encore au film Robin des bois ayant pour héros Errol Flynn.

Le journaliste insiste également sur le travail d’équipe qui a été nécessaire pour que cet album voit le jour : le scénario est dû en grande partie à Yvan Delporte, alors rédacteur en chef du magazine Spirou ; la plupart des décors ont été réalisés par Claude de Ribaupierre, un tout jeune dessinateur qui signera par la suite ses propres productions sous le pseudonyme de Derib (Yakari, Buddy Longway). François Walthéry, autre jeune dessinateur qui connaîtra le succès avec Natacha, intervient quant à lui ponctuellement, notamment pour représenter les arbres et les feuillages.

Avec le Schtroumpfissime, Peyo est au sommet de son art. Sa narration est d’une incroyable fluidité. La lisibilité est d’ailleurs la plus grande qualité graphique que l’on peut reconnaître à ce dessinateur. Même Franquin, maître parmi les maîtres, était admiratif du travail de son ami : « C’est la qualité d’un dessin de Peyo : tu mets sa planche au mur, tu recules de cinq mètres, tu vois très bien ce qui se passe. C’est un don : il sait dessiner clair ! ».

Le Schtroumpfissime est un chef d’œuvre, je pèse mes mots. Delporte et Peyo ont créé une publication pour la jeunesse incroyablement audacieuse pour l’époque. Un album drôle, impertinent, politiquement engagé, aux multiples niveaux de lecture et dont la narration frôle le génie.

Cette réédition commentée est remarquable et passionnante. Elle éclaire surtout d’un jour nouveau une œuvre majeure et intemporelle de l’âge d’or de la BD franco-belge. Indispensable !


Le schtroumpfissime, de Peyo, commenté par Hugues Dayez, Dupuis, 2011. 88 pages. 19.95 euros.




La BD du mercedi, c'est chez Mango


Le challenge palsèche de Mo'


dimanche 10 juillet 2011

Achille Talon

Je profite de la période estivale bien plus tranquille professionnellement parlant pour me lancer dans une série de chroniques sur les grands classiques de la BD franco-belge. Mon ambition ? Présenter modestement quelques titres emblématiques de la bande dessinée européenne de l’après guerre. Au niveau de la présentation, et pour corser un peu les choses, j’ai décidé de rédiger mes billets en m’inspirant du modèle utilisé par PG Luneau sur son excellent blog. C’est évidemment un hommage plutôt qu’un plagiat et l’exercice me semble délicat à mener, ce qui le rend d’autant plus intéressant. Quoi qu’il en soit, j’espère me montrer à la hauteur, même si je sais que l’élève ne dépassera jamais le maître.
Pour entamer cette nouvelle rubrique, je me suis replongé dans Achille Talon, une série phare du journal Pilote au début des années 60.
Lorsqu’il apparaît pour la première fois dans les pages de l’hebdomadaire le 7 novembre 1963, Achille Talon fait office de bouche-trou. René Goscinny, le rédacteur en chef, a demandé à Greg d’imaginer un gag d’une planche qui serait publié épisodiquement lorsque la régie publicitaire manquerait de matière pour remplir les pages lui étant réservées. En réponse à cette demande, Greg, s’inspirant du Monsieur Poche d’Alain Saint Ogan (une célèbre BD des années 30), créé un personnage de bon bourgeois, un tantinet suffisant, qu’il présente comme «un cerveau-choc doué d’un savoir puisé dans une encyclopédie à laquelle il manquerait un certain nombre de pages ».
A la grande surprise de Goscinny, le courrier des lecteurs reçu le mois suivant ce premier gag ne parle que d’Achille Talon ! Devenu la coqueluche du journal, Achille se met à donner son avis sur tout, intervenant même au sein de certains articles. Sa popularité grandissante fait de l’ancien bouche-trou une figure incontournable de Pilote.
Un gros nez, un ventre rond, une canne à la main, un verbiage emphasé et une haute estime de sa propre personne, voila comment on reconnaît Achille. Pour enrichir l’univers de son héros, Greg a imaginé une galerie de personnages secondaires croustillants : Lefuneste, l’insupportable voisin ; Virgule de Guillemets, l’élue de son cœur ; Vincent Poursan, le commerçant qui vend tout et n’importe quoi à des prix imbattables ; Papa Talon, encore plus ventripotent que son fils et toujours représenté une bière à la main ; Maman Talon, passionnée par la cuisine et la moto ; Goscinny, le rédacteur en chef coléreux et souvent totalement hystérique...
Petite précision importante, malgré son traitement graphique très orienté jeunesse, cette série s’adresse avant tout aux adultes. D’ailleurs, une enquête menée quelques mois après son apparition dans l’hebdomadaire a démontré qu’une très grande majorité des lecteurs d’Achille Talon a plus de 18 ans.
En 1975, Pilote est devenu mensuel et pour mieux s’adapter à ce nouveau rythme de parution, Greg décide de décliner les aventures de son héros en longues histoires de 44 planches. Aujourd’hui, alors que son créateur a disparu en 1999, Achille Talon est toujours présent parmi les nouveautés des libraires puisque son 48ème album est paru en 2009 illustré par Roger Widenlocher sur des scénarios de Christian Godard, Brett et Herlé.
 Achille Talon, c'est une série incontournable de l’âge d’or de la BD franco-belge avec un personnage que l’on reconnaît au premier coup d’œil et de l’humour tout en finesse reposant en grande partie sur des dialogues aussi pompeux que savoureux.

Plus grandes forces de cette série : 
  • Le coté verbeux des dialogues. Le style volontairement ampoulé d’Achille et de ses congénères réjouira les amoureux de la langue française. 
  • L’ambiance générale de la série, très marquée « petite bourgeoisie des années 60 » avec pavillon coquet, jardinet bien entretenu et décors urbains que l’on reconnaît du 1er coup d’œil.
  • La richesse des personnages secondaires qui sont tous devenus des figures incontournables de la série.
  • Le fait qu’Achille travaille pour le journal Polite, une déclinaison parodique du Pilote dans lequel il est publié. Les lecteurs ont toujours adoré les gags se déroulant à la rédaction du journal et leur permettant de découvrir « les dessous de cartes » de leur hebdo préféré. D’ailleurs, l’album de la série le plus vendu reste encore aujourd’hui « La vie secrète du journal Polite ».
Ce qui m’a le plus agacé :
  • Achille Talon a les défauts de ses qualités, à savoir que le verbiage excessif peut devenir rédhibitoire pour nombre de lecteurs ne supportant pas ce ressort comique très particulier. Personnellement, je ne peux pas lire un recueil de gags de cette série d’un seul coup : trop indigeste ! Il me faut découper ma lecture en séquences de 5 ou 6 gags à la fois, pas plus. 
  • Le passage en histoires complètes m’a toujours moins convaincu, comme s’il dénaturait l’esprit premier de la série. Pourtant Greg est un vrai spécialiste des histoires longues puisqu’il a scénarisé de nombreux albums (Olivier Rameau, Bernard Prince, Bruno Brazil, Comanche…), mais je reste persuadé qu’Achille Talon est avant tout une série à gags
  • La reprise de la série depuis la mort de Greg est (comme c’est souvent le cas) d’une grande médiocrité. Il est agaçant de voir les éditeurs (et parfois les ayant droits) vouloir continuer à tirer sur la ficelle alors que la magie a depuis longtemps disparu. D’autres exemples : Boule et Bill, Spirou, Lucky Luke, Cubitus, Alix… Seules exceptions peut-être, Blake et Mortimer et quelques albums des schtroumpfs, même si, pour cette série, il y a parfois eu de gros ratés
  • Cette série très datée n’a aucune chance de recruter de nouveaux lecteurs dans les générations actuelles. Les ados qui lisaient Pilote dans les années 60 sont peut-être restés nostalgiques de la série mais lorsque ces fans aujourd’hui sexagénaires auront disparu, Achille Talon n’aura malheureusement plus beaucoup de raisons d’être. Entendons-nous, il restera tout de même au panthéon de la BD franco-belge. Une œuvre patrimoniale, en quelque sorte.


Carte d’identité de la série :

Auteur : Greg
Date de création : 1963
Nombre d'albums : 48
Éditeur : Dargaud

vendredi 8 juillet 2011

L’univers de schtroumpfs 1 : Gargamel et les schtroumpfs

A quelques jours de la sortie au cinéma du film « Les Schtroumpfs », le studio Peyo racle les fonds de tiroirs afin de coller à l’actualité. C’est ainsi qu’est sorti la semaine dernière le premier volume d’une nouvelle série intitulée « L’univers des schtroumpfs ». Le recueil regroupe six histoires ayant pour dénominateur commun la présence de l’affreux Gargamel. L’occasion de découvrir que ce dernier a un frère jumeau, un cousin et des neveux. Pour le reste, pas grand-chose d’intéressant à vrai dire. Pour appâter le chaland, l’éditeur précise que ces histoires sont inédites en album. Tu m’étonnes ! Au vu de leur piètre qualité, on comprend qu’elles n’aient jusqu’alors été publiées que dans la presse.

Graphiquement, c’est assez moyen. Du travail de studio limite bâclé et très éloigné des productions originales du grand maître Peyo. Même au niveau scénario, on frôle le zéro pointé. Deux des histoires sont des resucées d’albums de la série classique : L’ogre et les schtroumpfs est clairement inspirée de La soupe aux schtroumpfs et Les schtroumpfs et le Bougloubou est une variation très proche du titre Les schtroumpfs et le Cracoucass. De l’auto-plagiat en quelque sorte !

Pas la peine d’en dire plus, mon avis sera définitif : cet album est une pure opération marketing indigne du fabuleux travail du créateur de la série. Promettez-moi juste de ne pas faire découvrir les schtroumpfs à vos enfants avec un recueil aussi médiocre. L’adage se vérifie une fois de plus : une pâle copie ne vaudra jamais une édition originale.


L’univers des schtroumpfs T1 : Gargamel et les schtroumpfs du studio Peyo créations, Le Lombard, 2011. 48 pages. 10.45 euros. A partir de 8 ans.




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mercredi 6 juillet 2011

Le perroquet des Batignolles 1 : L’énigmatique Monsieur Schmutz

Cette histoire est l’adaptation d’un feuilleton radiophonique créé en 1997 sur France Inter par Jacques Tardi et Michel Boujut. Oscar Moulinet, preneur de son à la Maison de la Radio, enquête sur deux meurtres et des agressions en rapport avec de petites boîtes à musique en forme de canard expédiées à des connaissances par un faussaire aujourd’hui décédé. Un point de départ abracadabrantesque pour une aventure sans temps mort qui mènera Oscar de Paris au fin fond de la Bretagne.

Le Perroquet des Batignolles, c’est de la BD à papa. Le genre franco belge à l’ancienne qui me conforte dans l’idée que je suis passé de l’autre coté de la barrière, proche, toujours plus proche du vieux con un poil réac qui se dit que, décidément, c’était mieux avant. Bien sûr, l’action se passe dans le Paris de la fin du 20ème siècle. Mais le traitement narratif et graphique se veut un hommage aux grands anciens que sont Franquin, Tillieux, Jacobs ou Hergé. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’un des personnages lâche à un moment donné en voyant la tournure que prennent les événements : « On dirait une histoire de Tintin. » Et il est vrai que comme chez ce dernier, l’intrigue est ici ultra linéaire avec des rebondissements à toutes les pages.

Autant d'éléments qui laissaient à penser que j’allais me régaler. Et bien pour le coup, c’est raté. Le personnage d’Oscar est plutôt lisse, il manque d’épaisseur. Finalement, les rôles secondaires (notamment sa compagne Edith et son collègue Patafoin) sont les plus intéressants. Et puis dans ce volume d’introduction, on reste dans le flou artistique le plus complet. L’histoire s’emballe sans donner l’impression d’avancer vraiment. Peut-être sera-t-il préférable d’aborder l’ensemble lorsque tous les tomes seront parus. Mais comme Stanislas a déjà prévenu qu’il mettait à peu près un an et demi pour finaliser un nouvel album et que la série devrait en compter quatre ou cinq, on n’est pas arrivé au bout ! Autre problème majeur dû au fait que ce titre est une adaptation d’un programme radiophonique, les planches sont surchargées de texte (voir les extraits ci-dessous). Un vrai inconvénient qui a rendu ma lecture très pénible. Peut-être y-a-t-il un problème de découpage mais en même temps je vois difficilement comment l’auteur aurait pu s’y prendre autrement. Au final, cet envahissement de chaque page par des quantités astronomiques de texte alourdit fait perdre beaucoup de fluidité au récit.

Une déception à la hauteur de mes attentes qui ne m’incite pas du tout à lire la suite. Tant pis !

Le perroquet des Batignolles T1 : L’énigmatique Monsieur Schmutz de Stanislas, Boujut et Tardi, Éditions Dargaud, 2011. 56 pages. 13.95 euros.  





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samedi 2 juillet 2011

Ubel Blatt 1

Il y a 20 ans, en l’an de grâce 3972, l’empereur confia une mission à 14 jeunes gens qu’il dota de 14 lances sacrées. Leur but : vaincre la puissance maléfique de l’armée des ténèbres de Wischtech et rétablir la paix dans le royaume. Trois d’entre eux périrent en chemin. Quatre trahirent l’empire et furent exécutés. Les sept derniers revinrent en héros et furent portés en triomphe dans la capitale. Mais ces sept survivants sont-ils vraiment des héros ?

Aujourd’hui, dans la ville frontière de Rielde Velem, les moines guerriers sont chargés d’octroyer des laissez-passer aux réfugiés qu’ils estiment être des « justes ». La population afflue en masse pour espérer obtenir ce précieux sésame leur permettant de passer de « l’autre coté », au pays des sept héros et de la paix. Ceux qui tentent de franchir la frontière clandestinement sont exécutés sur la place publique. La corruption est bien souvent le moyen le plus efficace pour obtenir l’assentiment des moines.

C’est dans cette ambiance tendue et oppressante que vont se rencontrer Peepi, Vido, Altea et Köinzell. Un quatuor improbable animé par des motivations différentes mais partageant un but commun : parvenir à tout prix à passer la frontière…

Ubel Blatt, c’est de la Dark Fantasy. Je fais le malin, mais n’y connaissant pas grand chose dans les nombreuses appellations propres à ce genre particulier, je suis allé rendre une visite à mon ami Wiki pour qu’il m’en apprenne davantage : "La dark fantasy ou fantaisie noire est un sous genre de la fantasy qui désigne les œuvres dans lesquelles l'ambiance est très sombre et proche de l'apocalypse. Le bien laisse place au mal et les héros sont souvent fatigués et abattus par les épreuves qu'ils ont subies. En partant donc d'une mentalité pessimiste, l'auteur nous présente la plupart du temps une œuvre évoluant dans l'horreur en présentant aux lecteurs les détails des combats. Cela leur donne une dimension plus violente et souvent assez proche de l'horreur sans pour autant en faire partie. Cette dimension nouvelle de la fantasy s'éloigne du classique classement bien/mal et permet une réflexion sur le bien fondé des notions de bien et de mal".

Ambiance, sombre, héros ayant subi de lourdes épreuves, détails dans les combats… Pas de doute, Ubell Blatt réunit ces critères. C’est un univers d’une grande noirceur où il est question de trahison et d’honneur. La violence y est omniprésente et les combats sont plutôt sanglants. Petit contre pied aux poncifs habituels de ce type de récit, le héros Köinzell n’est pas un grand macho baraqué mais plutôt une figure androgyne d’apparence frêle et vulnérable. Pour ce qui est du dessin, on est dans du grand classique où les mouvements et la variété des scènes d’action sont bien rendus. Un petit souci néanmoins avec les personnages féminins qui se ressemblent tous comme deux gouttes d’eau.

Ne se contentant pas d’enfiler les combats comme des perles, l’auteur pose dans ce premier tome les bases d’une fresque complexe où les enjeux géopolitiques sont au moins aussi importants que les destins individuels. D’ailleurs, à la fin de chaque volume on trouve des informations sociales ou historiques qui donnent beaucoup d’épaisseur à l’environnement qui est décrit. Au final, Ubell Blatt est un seinen (décidément, mon vocabulaire spécialisé ne cesse de s’élargir !) riche et violent qui, par certains aspects, rappellera aux nostalgiques du club Dorothée la série Hokuto no Ken (Ken le survivant). A priori pas du tout ma tasse de thé mais j’ai tout de même passé un bon moment de lecture.


Ubell Blatt T1 de Etorouji Shiono, Éditions Ki-Oon, 2007. 216 pages. 7.50 euros.





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La quinzaine Nippone de Choco
 

vendredi 1 juillet 2011

La ballade de Hambone 1

Huzlehurst, Mississipi, années 20. Bull Rockwell et Elmer Turpin débarquent à l’hôtel Plaza, le seul de ce bled paumé comptant 2027 âmes. Les deux hommes sont des tueurs à gage. Leur objectif est un notable de la ville dont la fille Omara fait tourner bien des têtes. Le second client de l’hôtel se nomme Mr Oerle. Il travaille pour la Vocalion American, une maison de disque qui recrute les meilleurs joueurs de blues. L’un de ses rabatteurs locaux lui a parlé de Hambone, un incroyable guitariste qu’il doit absolument emmener à Memphis pour pouvoir l’enregistrer. Problème, Hambone ne peut jouer qu’en présence de sa chérie Ophélia et cette dernière reste introuvable. Dans la moiteur étouffante du sud profond, tous ces personnages vont se télescoper et devenir les acteurs d’un terrible drame.

Avec la ballade de Hambone, les auteurs mettent en scène une tragédie moderne. Des destins auxquels personne n’échappe dans une ambiance à la fois crépusculaire et morbide. Il y a une sorte de poésie sombre qui traverse chaque planche. L’action se déroule à Huzlehurst, localité où est né Robert Johnson, bluesman légendaire qui aurait vendu son âme au diable pour devenir le plus grand guitariste de tous les temps. L’œuvre du Malin plane sur l’ensemble de l’album. La ville et ses habitants semblent possédés. L’intrusion d’éléments fantastiques renforce cet aspect surnaturel. Vous l’aurez compris, la légèreté n’est pas ici de mise…

Visuellement, le travail Leila Marzocchi est tout bonnement incroyable. Utilisant la technique de la carte à gratter, elle donne à chaque case l’aspect d’une gravure. Les personnages sont figés dans des postures dignes de sculptures. Les visages n’expriment aucune joie et semblent tous droit sortis d’un tableau de Munch (Le cri). Les couleurs, où l’ocre et le noir dominent, renforcent le coté crépusculaire de l’intrigue. Finalement, c’est surtout visuellement que ce titre impressionne car le scénario reste très classique et les nombreux récitatifs, un poil verbeux, ont tendance à alourdir inutilement le propos.

Pour autant, j’ai apprécié cet album oppressant dominé par une tension psychologique de chaque instant où l’amour, la mort et la douleur tiennent les premiers rôles. Encore un joli cadeau de Mo’ qui, après Courtney Crumrin et Salvatore, parvient de nouveau à faire mouche en me faisant découvrir une œuvre que je ne serais jamais allé chercher par moi-même dans les bacs de mon libraire. Un grand merci à elle, dont je ne louerais décidément jamais assez les talents d’amatrice plus qu’éclairée du 9ème art.

La ballade de Hambone T1 de Leila Marzocchi et Igort, Éditions Futuropolis, 2009. 64 pages. 15 euros.



Le challenge Palsèche