lundi 26 juillet 2010

Le Chat qui courait sur les toits

Il était une fois un pays où régnait un roi bon et magnanime. Au moment où commence cette histoire, la joie règnait d’autant plus que tout le royaume saluait l’arrivée du prince héritier. Aux fêtes de la naissance succédèrent les réjouissances du baptême. Tout semblait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais soudain, une terrible malédiction frappa le nouveau-né. En effet, chaque fois que son regard croisait celui d’un animal, il en prenait les traits, tout en conservant son corps d’humain. Ses parents, affolés, décidèrent de le cloitrer dans sa chambre afin que personne jamais ne puisse découvrir son terrible secret. Quinze printemps passèrent ainsi, jusqu’au jour où, décidé à découvrir le monde, le prince s’enfuit et partit sur les routes…

En vieux baroudeurs habitués à imaginer des histoires pour les enfants (ils avaient publié ensemble en 2004 La Grande Tambouille, trois livres illustrés consacrés aux fées, aux sorcières et aux lutins) René Hausman et Michel Rodrigue mènent leur barque avec une facilité déconcertante. Respect de la trame propre au conte, humour, poésie, découpage parfaitement maîtrisé, citations de références classiques (des extraits de Cyrano de Bergerac et du Capitaine Fracasse sont insérées dans le texte)… tout y est. Contrairement aux albums où Hausman assure scénario et dessin, la fin est ici positive (lisez le Prince des écureuils, vous comprendrez de quoi je veux parler !). Il manque peut-être à ce Chat qui courait sur les toits le coté âpre et cruel qui laisse un petit arrière goût amer en fin de lecture. Mais les histoires problématiques peuvent aussi parfois s’arranger, tout simplement.

Que dire de l’illustration ? Ben, c’est beau, vraiment très beau. Aux pinceaux, l’enchanteur Hausman fait une fois de plus des merveilles. Ses dessins ont la patine et le charme des images d’antan. Un peu comme les chromos que nos parents et nos grands-parents collectionnaient dans les tablettes de chocolat ou les pots de chicorée Leroux. Hausman est sans doute l’un des derniers artisans de l’illustration. Rien n’est jamais bâclé, tout est toujours peaufiné à l’extrême. L’à peu près n’a pas ici sa place. C’est devenu tellement rare que l’on déguste chaque case avec un réel plaisir.

Voila donc un très joli conte, respectant les canons du genre et somptueusement illustré. Pour ne rien gâché, la dernière image, sous forme de clin d’œil, est finement trouvée. Un vrai régal !



Le Chat qui courait sur les toits, de René Hausman et Michel Rodrigue, Éditions Le Lombard, 2010. 60 pages. 14,50 euros.


L’info en plus : les éditions Dupuis vont rééditer en octobre l’intégrale des fables de La Fontaine illustrées par Hausman. Publiée une première fois il y plus de 30 ans, cette intégrale conjugue avec bonheur les mythiques fables et les bestiaires réalistes et fantastiques propres à Hausman. Un superbe cadeau de Noël en perspective !

mercredi 21 juillet 2010

Miss Annie

Miss Annie est une jeune chatte de quatre mois. Lors du premier chapitre, elle fait découvrir au lecteur son univers : ses maîtres d’abord. Il y a Claude, un écrivain tardant à rencontrer le succès, sa femme Laurence et leur fille Sarah. Son environnement ensuite : le bureau, la chambre de Sarah, la cuisine, le canapé sur lequel elle aime faire ses griffes, etc.

Le rêve de Miss Annie est d’aller voir ce qui se passe autour de la maison. Elle n’est jamais sortie et s’imagine le monde extérieur comme un lieu plein de découvertes et d’aventures. Un jour où une fenêtre est restée ouverte, elle décide de faire le grand saut. Dehors, elle rencontrera les chats du quartier et découvrira l’amitié mais aussi le danger…

Le trait de Flore Balthazar paraît au premier abord très simple et peut parfois sembler hésitant (c’est sa première BD publiée). Mais on se rend assez vite compte qu’elle sait rendre avec beaucoup de minutie les différentes attitudes propres aux félins. De plus, le point de vue se focalise à hauteur de Miss Annie (on ne voit par exemple que les jambes des humains, jamais plus). L’exercice est difficile mais le rendu très cohérent. Le découpage en gaufrier est quant à lui classique (8 cases par planches, jamais plus, jamais moins) et bien adapté à la narration. Celle-ci est linéaire, les événements se déroulant en continu. Il sera donc très facile aux plus jeunes lecteurs (dès 8 ans) de comprendre les tenants et les aboutissants de l’histoire.

Mettre en scène un chat dans une BD est tout sauf original. Cependant, Frank Le Gall a su trouver le ton juste. Sa Miss Annie est espiègle, joueuse, très gaffeuse mais aussi pleine de bon sens. Ceux qui ont ou ont eu un chat souriront en retrouvant de nombreuses situations ou réactions qui sentent bon le vécu.

Un album délicieux, tout en simplicité. Son gros point fort : il est vraiment tout public. Les amoureux des chats (et ils sont nombreux !) se régaleront évidemment, mais il peut aussi être lu par les enfants, les grands parents et tout ceux qui veulent passer un bon moment avec une BD bien faite et sans prise de tête. Paru dans l’anonymat des sorties estivales, voila un titre à offrir et à faire découvrir d’urgence.

Miss Annie, de Flore Balthazar et Frank Le Gall, Éditions Dupuis, 2010. 78 pages. 13,50 euros.



L’info en plus : Si Frank Le Gall est ici scénariste, il est aussi (et surtout) un dessinateur confirmé. Je ne saurais que vous conseiller son excellente série Théodore Poussin dont le premier tome de l’intégrale vient de sortir. Une grande série d’aventure mettant en scène un jeune homme qui, dans les années 1920, part en Extrême-Orient à la recherche du capitaine Steene. Un classique indispensable publié dans le journal Spirou à partir de 1984.

vendredi 16 juillet 2010

Entremonde

Mélanie Tamaki est une ado solitaire au physique plutôt ingrat. Élève médiocre, elle vit seule avec sa mère. Cette dernière est dépressive et fortement portée sur la boisson. Un soir, alors que Mélanie rentre chez elle, elle trouve la maison vide. Le téléphone sonne : la personne au bout du fil lui annonce que sa mère a été kidnappée. Pour la retrouver, la jeune fille va devoir se rendre dans l’Entremonde, une sorte de monde parallèle où vivent de bien étranges créatures.

Hiromi Goto a imaginé un univers vraiment original où se mêlent le fantastique, les légendes urbaines et les contes folkloriques. Les créatures de l’Entremonde font parfois penser aux personnages peuplant les histoires de fantômes de la tradition chinoise (notamment dans les Contes et chroniques de l’étrange recueillis par le lettré Pou Song-Ling au 17ème siècle). Mais le propos ne se limite pas au folklore. C’est aussi une quête initiatique censée permettre à une adolescente de franchir le difficile passage de l’enfance vers le monde des adultes.

Voila donc un roman jeunesse somme toute très classique qui se distingue néanmoins par la richesse de son univers. Mais c’est aussi là que le bât blesse. L’organisation entre les trois royaumes est fort compliquée à comprendre et finalement assez peu intéressante. La lecture du prologue, censée éclaircir tout cela, pose en fait les bases de cette complexité et tend à refroidir le lecteur. D’ailleurs, le prologue et l’introduction sont-ils bien utiles ? En intégrant les informations de ces deux préambules à l’intérieur du texte et en commençant l’histoire sans donner aucun indice sur le sens des différents événements, le roman aurait gagné en épaisseur. Avec l’intro et le prologue, tout le coté mystérieux disparaît avant la lecture et c’est un peu dommage. En fait, on veut être sûr que l’enfant qui va se lancer dans le livre possède toutes les clés avant d’attaquer. Cette simplification va à mon avis à l’encontre de ce que doit être la littérature, c'est-à-dire quelque chose qui ne vous tombe pas tout cuit dans le bec mais qui demande un minimum d’effort.

Autre souci, le peu d’empathie que l’on ressent pour le personnage principal. Mélanie est très « lisse ». Elle subit les événements, se montre courageuse quand la situation l’exige et se sort des situations les plus périlleuses grâce à l’intervention d’un tiers (la rate de jadeoù les corbeaux notamment). Ce n’est pas un personnage marquant. Elle manque d’ambivalence, de ce coté clair/obscure qui fait que chaque individu n’est jamais tout noir ou tout blanc. Trop pure, trop innocente, trop pétrie de bons sentiments, elle en deviendrait presque ennuyeuse.

De même, le coté spirituel de sa quête m’a gonflé. Clairement, l’épisode du brouillard à la sortie de l’Entremonde est une mise à l’épreuve de sa foi. Tout comme les réflexions de sa mère lorsqu’elle lui dit que les mondes sont en train de pourrir et de se détériorer parce que l’on doute de l’existence des esprits.

Attention cependant, malgré ces quelques défauts et surtout parce que je juge ce livre à travers le prisme de mon regard d’adulte ayant perdu beaucoup de ses illusions, il est évident que l’histoire peut faire mouche auprès du public auquel elle est destinée. Quelle petite fille ne prendrait pas tous les risques pour sauver sa mère ?

Bref, vous l’aurez compris, cette lecture ne m’a pas emballé mais j’insiste, c’est un roman qui peut tout à fait trouver son public et plaire à bon nombre d’ados. Personnellement, je n’y ait pas trouvé mon compte, rien de plus.

Entremonde, de Hiromi Goto, Éditions Baam !, 2010. 316 pages. 14 euros. Dès 13 ans.

L’info en plus : Si Entremonde est le premier ouvrage d’Hiromi Goto traduit en Français, cette auteur canadienne d’origine japonaise a publié deux autres romans très remarqué par la critique dans son pays. Chorus of Mushrooms (1994) a notamment gagné le prix du premier roman des écrivains du Commonwealth en 1994. Le second, The Kappa Child (2001) a remporté le James Tiptree Jr. Memorial Award (prix récompensant un ouvrage de sicence fiction ou de fantasy). Ces deux romans sont destinés aux adultes. C’est également en 2001 qu’est sorti son premier roman jeunesse, The Water of Possibility. Malheureusement, dans l’attente d’une éventuelle publication en français, ces titres ne peuvent pour l’instant être lus que dans la langue de Shakespeare. Avis aux amateurs.


Ouvrage lu grâce à blog-o-book dans le cadre d’un partenariat avec les éditions Baam !. Un grand merci à eux !

vendredi 9 juillet 2010

La monstrueuse histoire d'un petit garçon moche et d'une petite fille vraiment très laide

Lulu est un petit garçon moche (tellement laid qu’il n’a pas l’air d’être humain) qui ne connaît rien au monde. Ses parents ne se sont jamais occupés de lui et il vit seul, enfermé dans le grenier de la maison familiale. Il a un frère et une sœur, des jumeaux vraiment très beaux, mais insupportables et profondément idiots. Un matin, Lulu se réveille et la maison est vide. La guerre s’est déclarée et sa famille s’est enfuie. Lulu va alors quitter son grenier. En chemin, il rencontrera une petite fille également très laide avec laquelle il poursuivra sa route…

Une question s’impose lorsque l’on referme cet album : qu’est-ce que c’est que ce truc ? Déjà, le titre. Peut-être a-t-on cherché à faire dans l’original pour se démarquer de la concurrence ? En tout cas, pas facile de le noter en pense-bête sur un petit post-it avant d’aller à la librairie. Mais bon, à la limite, passe encore.

Les illustrations ensuite. C’est terne, une sorte de bichromie où les couleurs sont tristes à pleurer (rien de plus normal avec un sujet pareil, mais tout de même). On va sans doute nous sortir l’argument de l’univers à la Tim Burton pour qualifier positivement le style de l’illustrateur. S’il y a un vague petit air de ressemblance, on est quand même loin du compte.

L’histoire, enfin. Alors là, pour le coup, c’est mon gros coup de gueule. Le point de départ est classique et un brin gnangnan, mais il peut se défendre : oui, il n’y a pas que l’apparence, oui certains physiques «difficiles» cachent une pureté d’âme exceptionnelle. Et après ? C’est là que tout s’enchaîne et que l’on perd le fil : c’est la guerre. La famille disparaît. Lulu part à la recherche d’une petite fille aussi moche que lui.

Et on en rajoute dans les détails sordides : « c’était une petite fille vraiment très laide couverte de clous en or plantés un peu partout dans le corps. Certains étaient enfoncés dans ses yeux mouillés de chagrin mais les larmes ne s’écoulaient pas simplement de ses yeux, elles coulaient de tout son visage, la peau de porcelaine fissurée comme un vase rempli d’eau qui se brise. »

Et les deux enfants de s’automutiler : « Pour être certain de ne jamais plus être séparés, Lulu découpa la petite fille vraiment très laide en plein milieu du ventre, il lui enleva un bras, une jambe, puis fit de même avec lui. »

Et peut-être qu’après tout, tout cela n’est qu’un vilain rêve.

J’avoue humblement que je n’ai rien compris et surtout, c’est bien là le pire, que ce texte ne m’a pas touché une seule seconde. C’est gratuitement glauque, on en fait des tonnes dans le coté horrifique et désespéré de la situation sans aucune légèreté.

Finalement, on se demande à qui s’adresse cet album. La quatrième de couverture nous apprend que c’est un conte moderne « pour les vilains gamins et pour tous ceux qui sommeillent en chacun de nous ». Soit. Une chose est certaine. Si je lis ça un soir à mes filles de 5 et 8 ans, c’est le cauchemar assuré.

Il me semble que les auteurs ont juste voulu se faire plaisir sans penser à un quelconque public destinataire. Après tout, pourquoi pas puisqu’un éditeur les a suivi dans leur démarche créative. Personnellement, j’ai l’impression d’être face à une œuvre sans intérêt autre que celui de terrifier l’éventuel petit lecteur qui aura eu le courage d’attaquer la première page.

Alors que reste-t-il pour sauver cet album ? Son prix ? Même pas. 16,50 euros pour 36 pages dans un petit format carré 21x21 cm, on n’est pas loin du foutage de gueule. Décidément, il est rare qu’un ouvrage de littérature jeunesse cumule autant de points négatifs. Attention cependant, cet avis n’engage que moi et j’encourage d’autres lecteurs à découvrir cette monstrueuse histoire. J’aimerais beaucoup savoir si c’est moi qui suis à coté de la plaque où si mon point de vue très négatif est partagé.
D'autres avis bien plus positifs sur le site de l'éditeur : http://www.desrondsdanslo.com/Monstrueuse.html /
Et le site de Ludovic Huart : http://www.wix.com/LudovicHuart/ludovichuart/Page%2010


La monstrueuse histoire d'un petit garçon moche et d'une petite fille vraiment très laide, de Ludovic Huart et Fabrice Backes, éditions Des ronds dans l’O, 2010. 36 pages. 16,50 euros. A partir de ? ans.

L’info en plus : Les Ronds dans l’O est un petit éditeur de bandes dessinées qui s’est notamment fait remarqué en 2009 grâce à la publication de l’excellent album collectif En chemin elle rencontre..., un recueil regroupant des histoires courtes sur le thème des violences faites aux femmes.

lundi 5 juillet 2010

Indian Creek

A l’automne 1978, Pete Fromm s’apprête à passer sa troisième année à l’université du Montana. Il apprend par hasard que le Fish and Game Department de l’Idaho (l’équivalent de l’ONF) cherche quelqu’un pour s’occuper de 2,5 millions d’œufs de saumon implantés dans le bras d’une rivière. Le job est à priori simplissime : veiller sur les œufs pour leur permettre de passer l’hiver sans geler afin qu’ils puissent entamer leur grande migration vers l’océan dès le printemps. De la mi-octobre à la mi-juin, Pete Fromm va donc passer huit mois au cœur des montagnes rocheuses, seul sous une tente. Séduit par les récits de trappeurs que lui a racontés un copain de fac, il s’est embarqué dans cette aventure sans aucune expérience de la vie en pleine nature, encore moins l’hiver.

Tour à tour bucheron, braconnier, chasseur de lynx et éleveur d’œufs de saumon, il raconte avant tout une aventure humaine inoubliable pour un jeune de 19 ans. La rudesse de l’hiver dans cette partie de l’Idaho est particulièrement difficile à supporter : neige, blizzard, températures polaires… Pete Fromm va s’adapter. Pour éviter la monotonie, il multiplie les activités et apprend à découvrir la beauté de la nature qui l’entoure. Et malgré quelques moments de doute et de déprime passagère, il gardera de son passage à Indian Creek un souvenir impérissable.

De prime abord, on pourrait penser que ce récit a beaucoup de points communs avec Into the Wild. En fait, les deux textes sont très différents. Déjà, dans Indian Creek, les événements sont racontés par celui qui les a vécus. Ensuite, les motivations de Pete Fromm n’ont aucun rapport avec celles de Christopher McCandless. Il n’y a chez lui aucune volonté de fuir la société. Il veut juste jouer les trappeurs et vivre des aventures qu’il s’imagine déjà raconter à ses petits enfants, rien de plus. Enfin, le texte de Pete Fromm se termine parfaitement bien et est souvent assez drôle, ce qui n’est évidemment pas le cas d’Into the Wild.

D’ailleurs, l’auteur a la finesse de ne pas embarquer le lecteur dans d’interminables réflexions philosophiques sur le sens de la vie alors que son expérience de la solitude en milieu hostile aurait pu facilement l’entraîner dans cette voie. Il préfère, sans nier les difficultés, insister sur les bons moments et les petites anecdotes concernant son quotidien.

Indian Creek est un roman que l’on peut sans problème classer parmi les œuvres de Nature Writing (genre littéraire mêlant observation de la nature et considérations autobiographiques). C’est frais, vivifiant et très joliment écrit. A découvrir d’urgence pour tous ceux qui sont en manque d’air pur et de nature sauvage.

Indian Creek, de Pete Fromm, éditions Gallmeister, 2010. 238 pages. 9 euros.

L’info en plus : Les éditions Gallmeister viennent de publier le second ouvrage de Pete Fromm traduit en français. Avant la nuit est un recueil de nouvelles ayant pour cadre les paysages du Montana et de l'Ouest. Avis aux amateurs de grands espaces !